Ange Pitou Agent royaliste et chanteur des rues (1767-1846)

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le déjeuner à sept heures, composé, p o u r u n e table de sept, d'une chopinc environ d'eau-dc-vie et de trois biscuits qu'il fallait casser avec des boulets p o u r y trouver souvent des vers, longs comme le doigt; le dîner à onze heures, avec ce m ê m e biscuit, Un quart de vin, et, à tour de rôle, du lard, du bœuf salé ou de la m o r u e ; le souper à cinq heures, avec l'inévitable biscuit, le quart de vin et des g o u r g a n e s , grosses fèves dont on n o u r r i t les c h e vaux; c o m m e extra, chaque jour de décade, une soupe au riz, et, tous les cinq jours, une ration de p a i n . Ces repas étaient servis dans des gamelles, q u ' o n lavait bien q u a t r e fois par an, point de cuillères, ni de fourchettes, pas de gobelets, obligation de m a n g e r debout, défense absolue de m a r c h a n d e r aux t o u r n e broches les miettes de la table des officiers; « à peine n o u s est-il permis de m a n g e r notre morceau de biscuit à la fumée du rôt! » J u s q u ' à ce que la Décade ait perdu de vue les côtes d ' E s p a g n e , Villeneau exécuta le règlement avec la dernière r i g u e u r ; ensuite, tl se départit un peu de cette inflexibilité : les permissions de monter sur le pont furent plus facilement accordées; on concéda Plus d'espace aux déportés, et on s'efforça d'entretenir dans ce vieux bâtiment la plus stricte p r o p r e t é . E n t r e tous les déportés, Ange Pitou était particulièrement apprécié ; ses refrains légers et frondeurs faisaient merveille sur le pont de la Décade, c o m m e jadis sur la place SaintG e r m a i n - l ' A u x e r r o i s ; et dans le silence du soir, sous u n ciel lumineux, tandis que la frégate hâtait sa course vers la terre d'exil, une voix nette et railleuse jetait aux brises les couplets suivants : Dans les déserts d'une zone brûlante, Loin de la France et des jeux et des ris, Je chanterai, dans ma carrière errante, Tous les plaisirs du séjour de Paris. Proscrit, l'été, malheureux, dans l'aisance, Gagnant beaucoup 1 et n'ayant jamais rien, Le seul trésor que je regrette en France Sont des amis qui faisaient tout mon bien...

agglutinée par le feu et encore un peu moite ; ses cheveux dégouttent d'huile; ses oreilles sont percées, deux poires de plomb descendent galamment sur le col de sa chemise, assez ouvert pour qu'on voie à nu presque tout son corps. » 1.On voit qu'Ange Pitou n'avait pas attendu la Restauration pour affirmer l'importance des gains, que lui rapportait l'exercice de sa profession chantante. 12


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