Ange Pitou Agent royaliste et chanteur des rues (1767-1846)

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crient de tous côtés : Canonniers, à vos postes, feu de tribord, feu de bâbord; la frégate tremble et retentit du bruit des foudres : d'horribles sirHemens se prolongent et semblent, en passant sur n o s têtes, mettre le bâtiment en pièces. L'ennemi qui sait que la partie est "négale, nous crie d'amener; sa proposition est accueillie par une salve, qui met le feu à son bord. Il s'éloigne pour faire place au vaisseau rasé (le Vieux Canada) et à l'autre frégate (la Flore). N o u s ripostons en gagnant la côte. D'épaisses ténèbres couvrent l'horizon, et la lune n'a achevé s o n cours que pour rendre notre destinée plus affreuse. Comment vous peindre la situation des pauvres déportés? Les trois quarts sont d'anciens curés de campagne, qui n'ont jamais entendu que le bruit des cloches de leur paroisse; tandis que ceux-ci Pleurent, que ceux-là se confessent et s'absolvent, une bordée démonte notre gouvernail; le feu redouble des deux c ô t é s ; l'alarme est générale à notre bord; on balance sur le parti qu'on doit prendre. Notre frégate ne fait plus que rouler. La Pomone a éteint le feu qui avait pris à son bord; elle revient à la charge; nous s o m m e s entre trois assaillans; nous longeons la côte au gré du vent, faute de p o u voir gouverner. L'ennemi partage ses forces pour nous prendre en flanc et en queue ; il vient de nous tirer une bordée en plein bois : nous pirouettons depuis deux heures... N o u s t o u c h o n s . . . U n horrible craquement fait trembler l'énorme m a c h i n e . . . La frégate paraît se Partager... La mer c o m m e n c e à monter; nous pirouettons m o i n s ; le feu diminue, mais l'ennemi s'acharne à nous poursuivre; nous approchons du rivage. Comme il est moins délesté que nous, il craint de s engager; il s'éloigne de peur de toucher sur nos attérages. Il était alors q u a t r e h e u r e s du m a t i n , et la Charente se trouvait a l ' e m b o u c h u r e de la G a r o n n e , d a n s u n état pitoyable, mais Sans u n blessé à son b o r d . S e u l e m e n t les cinq v o l e u r s , qui se trouvaient p a r m i les d é p o r t é s et q u i s'appelaient entre eux « le d i r e c t o i r e », avaient profité du d é s o r d r e p o u r piller tout le monde et m ê m e l'état-major ; malgré toutes les p e r q u i s i t i o n s on ae r e t r o u v a q u e la h o u p p e l a n d e du capitaine, et t o u s les objets v°lés p r i r e n t la direction de la terre avec les matelots receleurs, envoyés p o u r avertir u n pilote côtier1. C'était là u n e perte sensible p o u r les d é p o r t é s , qui se trouvaient ainsi dépouillés de t o u t , mais cette t r i b u l a t i o n fut vite oubliée

1. « On concevra difficilement comment on peut cacher des vols un peu considérables sur un bâtiment; il n'en est pas moins vrai que les matelots y réussissent; ils ont dans les hunes ou dans les cales ou dans d'autres endroits des réceptacles inaccessibles aux plus minutieuses recherches» (J;-J) Aymé. Déportation, etc., p. 70).


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