Ange Pitou Agent royaliste et chanteur des rues (1767-1846)

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ANGE

PITOU

sonnes, chacune a sa cuisinière ; c'est une brochette de bois qui traverse les morceaux de viande des sept convives; la ration estemmaillottée avec du fil, afin que rien ne se perde dans l'immensité de la chaudière ; un petit baquet sert de plat à la société, qui mange à la gamelle. Chaque convive est marmiton à son tour et lave l'auge dans l'eau de mer. Nous mangeons debout comme les Israélites dans le désert; en dix minutes, le repas est fini. Le marmiton de jour reporte l'auge et le bidon à la cambuse ou magasin de comestibles. Le reste d u t e m p s , les d é p o r t é s d e m e u r a i e n t s u r le p o n t à r e g a r d e r la m e r , d o n t le spectacle inspirait à A n g e P i t o u des pensées

dignes

de

M . de

La

Harpe...

et parfois

aussi

de

T o u s s a i n t La Venctte. La Charente contraire vaisseau

resta dix j o u r s en rade d'Aix, r e t e n u e par le vent

et la présence

signalée

de

deux

frégates

et

d'un

a n g l a i s , q u i l'observaient de près : ce s t a t i o n n e m e n t

p r o l o n g é a l a r m a m ê m e les passagers, p a r m i lesquels se t r o u vaient des p r ê t r e s q u i , en 1 7 9 3 et 1 7 9 4 , étaient restés p r i s o n n i e r s d a n s cette m ê m e rade à b o r d des Deux

Associés,

et q u i savaient

par expérience q u e la plus cruelle et la plus d a n g e r e u s e des p r i sons est celle des navires

Mais le i

c r

g e r m i n a l (21 m a r s 1798)?

1. « Ils étaient sept cents dans un local plus petit que celui-ci, sur un seul rang de lits de camp, réduits ou à se tenir debout les uns contre les autres, les mains jointes pressées contre leurs hanches, ou à rester assis sur leurs talons, la tûte entre les jambes; la peste les entama bientôt, chaque nuit il roulait à leurs pieds dix ou douze morts, qu'on remplaçait par vingt nouvelles victimes. Le capitaine de ce bord (le Washington) nommé Lalicr, fermait tous les soupiraux sur eux et les fumigeait avec des fientes de volaille ; le sang leur sortait souvent par les yeux et par la bouche; quand ils parlaient au chirurgien, il leur répondait en pleurant qu'il avait ordre de ne pas les soigner, qu'ils étaient tous réservés à périr.... Lalier s'emparait de tous les effets des morts, les laissait nus, forçait leurs confrères moribonds de les ensevelir à leurs frais, et de les charger sur leurs épaules pour les descendre dans le canot d'où ils allaient les inhumer à l'île d'Aix avec des soldats de la compagnie Marat, qui leur donnaient des bourrades quand ils voulaient prier, parler ou pleurer. Enfin, Lalier et ses janissaires, impatientés de ne pas les voir tous périr assez promptement, inventèrent une conspiration pour avoir un prétexte de les spolier; ce moyen leur réussit, il était à l'ordre du jour : deux mois après, arrive le 9 thermidor; Lalicr s'humanise, court les embrasser, leur lit une belle proclamation.Ils furent rappelés ; Lalier et son équipage leur demandèrent humblement des certificats d'humanité qu'ils ne refusèrent pas ; mais le dénuement ou ils se trouvaient, le pillage des effets des morts, le nombre des victimes qui était de six cent cinquante, sauta aux yeux des nouveaux commissaires; Lalicr fut destitué et classé dernier matelot du bâtiment qu'il commandait ». (Ange Pitou. Voyage à Cayenne. t. 1. p. 1 0 6 . )


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