Ange Pitou Agent royaliste et chanteur des rues (1767-1846)

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ANGE

PITOU

Et, sur l'air de « l'Enfant trouvé », Ange Pitou c h a n s o n n a i t ainsi ses m a l h e u r s : Maurice jadis eut un temple Dans cet asyle de soupirs Et ces voûtes que je contemple Enserrent de nouveaux martyrs; J'aperçois ici cent victimes Sous le même fer des traitans, Mes amis, quels sont donc vos crimes ? C'est d'être tous honnêtes gens.

A huit heures du matin, on servait aux déportés le repas de la journée : u n pain noir, où la dent rencontrait des pierres, de la paille, des cheveux, et qui semblait avoir été pétri dans une boîte à o r d u r e s , de la viande déjà p o u r r i e ; p o u r boisson deux doigts d'eau-de-vie dans beaucoup d'eau fétide, et u n petit broc de vin aigre. D a n s la matinée, deux h e u r e s étaient concédées aux prisonniers p o u r p r e n d r e le frais; c'était le seul m o m e n t tolérablc de la journée, et ils en devaient la faveur à l'intervention d'une grande partie de la population et n o t a m m e n t des s œ u r s de l'hospice et des protestants. Mais ils devaient se garder de t o m b e r malades, car les médecins de l'hôpital étaient particulièrement dangereux '. Ange Pitou resta à Rochefort du 25 février au 12 m a r s ; dans les derniers jours, la situation des prisonniers fut encore aggravée par le fait de la double évasion de Langlois et de Richer Serisy. Le 11 m a r s , on annonçait aux déportés leur e m b a r q u e m e n t pour le lendemain ; grande é m o t i o n , c h a c u n fait ses apprêts, on signe des d e m a n d e s d'exemption p o u r les septuagénaires ; le soir, dans ce branle-bas du départ, la prison est un peu bruyante ; une sentinelle, prise de vin, croyant à u n e sédition, fait feu dans la fenêtre et atteint grièvement par ricochet un vieillard. Le l en d emai n , au petit jour, tout le m o n d e est p r ê t ; chacun a confectionné son bagage et choisi sa société p o u r vivre sur cette terre i n c o n n u e : Boichot arrive et nous dit d'un air riant : « Allons, Messieurs, je vous mets au large. » Il déroule un beau cahier, noué de deux faveurs, où chaque nom est inscrit en gros caractère et entouré de notices par-

1. Ainsi on en vit un qui tâtait le pouls à un homme, dont la figure était recouverte d'un drap : « Çà fait le malade, conclut-il, et çà n'a seulement pas la fièvre. » De fait le malade était mort depuis quelques heures.


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