Ange Pitou Agent royaliste et chanteur des rues (1767-1846)

Page 188

164

ANGE

PITOU

force de bras, n'étaient encore qu'entrouverts; un Mucius Scaevola saisit un ciseau, les fendit et les foula aux pieds; alors la putréfaction les força tous d'abandonner l'entreprise pour ce jour-là ; ils y revinrent le lendemain, parachevèrent l'ouvrage au risque de leur vie, après avoir jeté çà et là dans des coins les membres encore charnus des morts, dont ils violaient l'asile en triomphateurs. Ils abandonnèrent ce lieu à la hâte, sans se donner le temps d'effacer les inscriptions et les armoiries. Cette chapelle ressemblait à une antre de bêtes féroces, dont les ronces et les morceaux de rochers défendent l'accès aux voyageurs; plus elle était horrible, plus elle piquait notre curiosité...N o u s voilà c o m m e Y o u n g et Hervey au milieu des tombeaux, plongés dans une religieuse mélancolie ; nous lisons les inscriptions : Cy gît très haut et très puissant seigneur etc.... T o u t e grandeur disparaît ici, nos persécuteurs y viendront comme nous.... ceux-ci ont été riches, fameux dans l'histoire, chéris de leurs rois, nous nous occupons d'eux, nous touchons leurs ossements ; en fixant ces restes nos c œ u r s émus sentent qu'il existe un autre être en nous. Voltaire et La Mettrie ne voient dans les tombeaux que la preuve du néant ; et moi que celle d'une autre vie. Il est impossible que l'homme pense, agisse, veuille le bien, évite le mal à son détriment, pour finir d'une manière aussi opposée à son être ; la réalité d'une autre vie est un contrat que l'éternel signe dans nos c œ u r s , en nous en donnant l p e n s é e ; la certitude s'en suit pour moi, quand je suis proscrit et honnête h o m m e . a

N o u s ne pouvions nous arracher de ce lieu infect, où la vapeur ne laissait presque pas d'air atmosphérique à notre torche. On y voyait des cheveux, des crânes encore couverts de chair, des bras dégoûtans de sanie, noirs et brisés, des cadavres à demi réduits en terre. Les chauves-souris et les autres animaux nocturnes en faisaient leur nourriture depuis trois ans, d'où nous jugeâmes que les comités révolutionnaires avaient trouvé des cadavres entiers, qu'ils avaient laissé sans sépulture, afin que la putréfaction scellât l'entrée du temple aux fidèles qui voudraient s'y réunir dans des temps plus heureux. D u r a n t leur séjour à S u r g è r e s , A n g e P i t o u et ses c o m p a g n o n s recueillirent les m a r q u e s de la s y m p a t h i e la plus sincère. Une aimable veuve leur fit les h o n n e u r s de sa table, et r é u n i t autour d'eux u n e société c h o i s i e ; c h a c u n

à l'envi

leur

conseille 1*

fuite, les a s s u r a n t qu'ils a u r o n t à se r e p e n t i r p l u s tard de n'avoir pas profité des facilités qui leur o n t été offertes, car les déportés sont fort m a l traités à R o c h e f o r t ; o n leur d o n n e de l'argent, les d a m e s elles-mêmes les veulent e n t r a î n e r , l'occasion est unique, le

geôlier

qu'une tations.

dort

du

sommeil

parole, ils ne cèdent

de l'ivresse..., point

mais

ils

à ces pressantes

n'ont sollici-


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.