Ange Pitou Agent royaliste et chanteur des rues (1767-1846)

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ANGE

PITOU

bonté d » m'envoyer, il y a quelques jours. » Mon h o m m e sortit, un peu confus de ma réponse. Un mois après (en avril 1 7 9 7 ) , on m'arrête sans motif; depuis le c o m m e n c e m e n t de 1 7 9 7 , j'étais si accoutumé d'aller en prison le matin et d'en sortir le soir que j'y laissais du linge et des matelas. Quelques jours après m o n arrivée, un prétendu maître d'hôtel de province arrive un soir à 11 heures en poussant les hauts cris; personne ne se dérange pour lui : il raconte sa lamentable histoire. On a tué chez lui, dans une affaire malheureuse, dont on veut le rendre responsable, un membre du comité révolutionnaire, qui a fait périr le père d'un de ses a m i s ; cet ami a pris sa revanche et s'est battu en brave; tous deux ont été d é n o n c é s à la justice et se sont sauvés à Paris, en attendant que l'affaire soit arrangée. Je dédouble m o n lit pour cet h o m m e ; on l'interroge le lendemain, et une heure après, la veuve de son frère vient lui rendre visite, et m'accable de politesses et de remerciements. La b e l l e - s œ u r logeait à Paris, rue Culture-Sainte-Catherine; elle était à son aise, jeune, fraîche, décente et jolie. Au bout de quelques jours, notre h o m m e est transféré dans son département. La bellc-sccur me donne son adresse, me fait promettre de lui rendre visite et vient elle-même me consoler en prison. On me fait sortir, quand on croit que nos rapports sont assez bien établis pour que je n'échappe pas à la s é d u c t i o n . Je vais voir la veuve : elle n'a pas encore reçu des nouvelles de son beau-frère, mais la cause de l'accusé est si bonne qu'elle paraît se reposer entièrement sur la justice... Je voulais terminer les doléances de l'amitié et du sentiment à la manière du soldat de la Matrone d'l\phùse ; « la femme sensible » n'avait de cruauté ou de coquetterie que tout ce qu'il fallait pour la rendre plus aimable. Un matin, elle vint me demander à déjeuner et m'apporta des nouvelles du beau-frère; il s'était sauvé de la main des g e n d a r m e s ; il était en sûreté; son affaire était en bon train, mais il lui répugnait d'aller en prison dans son pays. N o u s d é j e u n o n s ; je bénis ma journée. La veuve est charmante, elle a fait son sacrifice, et pour « effuyanter » la contrainte, elle désire que l'amour trempe ses ailes dans le vin '• n o u s en étions à ce moment où une femme obtient souvent ce qu'elle demande : — « Je cède, dit-elle, mais je veux une preuve de votre amitié; m o n beau-frère est caché à P a r i s ; je tremble pour l u i ; j désire qu'il aille en Suisse et je veux lui procurer un passeport... • — « Je vous entends, perfide, répondis-je en m'éloignant avec dédainPoint d'amour sans honneur. Portez ma réponse au bureau central; v o u s y trouverez votre beau-frère avec le graveur et l'écrivain et l'émigré qu'on m'a députés pour me faire coopérer à un faux '. » e

1. Ange PitOU< Analyse

de mes malheurs,

p. 19.


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