Ange Pitou Agent royaliste et chanteur des rues (1767-1846)

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ANGE

PITOU

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d'évaluer a p p r o x i m a t i v e m e n t les gains q u o t i d i e n s des c h a n t e u r s des rues : u n e telle e n q u ê t e est assez malaisée, car d ' h a b i t u d e ces gens ne laissent ni m é m o i r e s , ni c o m p t a b i l i t é . Seul le témoignage d'Ange P i t o u existe à ce sujet : en 1808, s o u s l ' E m p i r e , alors qu'il n'était p o i n t e n c o r e en c o m p t e o u v e r t avec les B o u r bons, q u e

l'éventualité

d'une

r e s t a u r a t i o n royaliste paraissait

tout à fait c h i m é r i q u e et q u ' i l n'avait a u c u n intérêt à exagérer les choses, il affirmait que l'exercice de sa profession c h a n t a n t e lui avait r a p p o r t é 5 o francs par jour ' . U n e telle d é c l a r a t i o n p r o v o q u e , t o u t d ' a b o r d , u n m o u v e m e n t d'incrédulité Mesure

: il c o n v i e n t d o n c de c o n t r ô l e r de suite, d a n s la

d u possible, la véracité de cette a s s e r t i o n ; le m e i l l e u r

moyen est peut-être de r e g a r d e r a u t o u r de n o u s et de savoir q u e l Peut bien être de nos j o u r s , où le métier est m o i n s en v o g u e q u e sous le D i r e c t o i r e , le gain d ' u n c h a n t e u r des rues 2.

LAnge Pitou. Chanteur parisien. 1808. 2- Dans notre Paris contemporain les chanteurs des rues sont environ Une centaine, tous Français, presque tous Parisiens, déclassés intéressants, bohèmes, mais pour la plupart électeurs : ils se répartissent en une trentaine de groupes, composés chacun du violoniste, du guitariste et du chanteur; deux ou trois femmes accompagnent leurs maris. L'exercice de leur profession fut contrariée, au moment du boulangisme, où la préfecture de police 'eUr retira leurs permis de stationnement, et en juillet 1894, où, sous prétexte d'anarchie, il furent traqués sans pitié : leurs vœux les plus ardents seraient aujourd'hui de revenir au règlement de messidor de l'an IV. Le bénéfice ordinaire des chanteurs des rues provient actuellement de la vente du papier, par eux acheté aux éditeurs, et des libéralités du public. Avant d'exploiter une chanson, ils procèdent de la sorte : le meilleur musicien du trio, le violoniste généralement, juge si la chanson peut convenir à la clientèle; il l'essaie avec le guitariste dans le fond de la boutique d'un marchand de vin ; on plaque quelques accords, le chanteur fredonne la chose; si cela marche ils en achètent à l'éditeur deux ou trois cents exemplaires, puis « vont sur le tas » et commencent à faire « la postiche », mot Caractéristique, car ils se placent ou se retirent comme une perruque ou une fausse barbe. Les éditeurs leur cèdent ces chansons à un ou deux francs le cent; ils les 'evendent deux sous la feuille. La plupart de ces succès de la rue viennent du café-concert; les chansons dont le débit est le meilleur sont les romances sentimentales, « celles qui plaisent à la fillette », comme ils disent, et qui se chantent à la sortie des ateliers. Mais à chaque événement notable, la chanson d'actualité atteint des tirages formidables; au moment de l'assassinat c^u président Carnot, une chanson de circonstance fut tirée et vendue à °°»Ooo exemplaires; et quand la mort du tzar Alexandre III fut connue, à ar's, en 24 heures, sept chansons relatives à cet événement couraient déjà es rues; pour le reste les tirages oscillent entre 100 et i5o,ooo (cf. Figaro. lU'Uetet novembre 1894: articles de MM. Héros et Berr).


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