Ange Pitou Agent royaliste et chanteur des rues (1767-1846)

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ANGE

PITOU

sont le sujet d'une chanson fort ordurière qu'il débite avec beaucoup d'autres du même genre. Il faut que cet homme soit soutenu ; oserait-il sans cela faire avec ses confrères une aussi honteuse disparate? Peut-être a-t-on pensé que sans ses soins drait trop sévère.

le caractère

français

devien-

Voilà d o n c les c h a n t e u r s établis instituteurs du peuple : la profession ainsi exaltée, c h a c u n a m b i t i o n n a la gloire des rues. Savard, Giroust, J o u v e (de l'Opéra), D u b o u l a y faisaient les airs de ces c h a n s o n s ; la poésie populaire ne fut m ê m e plus laissée aux illettrés, et des versificateurs de quelque r e n o m ne craignaient pas de déchoir en c o m p o s a n t des c h a n s o n s de faubourgs, qui étaient vendues par milliers chez F r è r e , au passage du S a u m o n . Le c h a n t e u r des rues, lui aussi, était parfois l'auteur et le compositeur des divers m o r c e a u x de son répertoire : tel fut L a d r e , qui peut passer p o u r le plus illustre faiseur de c h a n s o n s populaires de cette é p o q u e . C'était le c h a n t e u r officiel, gagé et r e c o n n u de la police, l'un de ceux qui avaient le plus d'action sur la foule; aussi est-on sûr de le r e n c o n t r e r à c h a c u n e des dates les plus i m p o r t a n t e s de la période r é v o l u t i o n n a i r e . Ce ne fut point u n simple parolier, c o m m e on l'a cru l o n g t e m p s , et l'intitulé de q u e l q u e s - u n s de ses cahiers atteste qu'il chantait l u i - m ê m e en c o m p a g n i e de son fils. Sa poésie (?) a u n e allure r u d e , m é c h a n t e , et reflète exactement les sentiments de cette époque farouche : ces c h a n s o n s n ' o n t a u c u n style et sont u n i q u e m e n t faites p o u r agir sur le p e u p l e ; les r u m e u r s de l'émeute et les g r o n d e m e n t s de la foule exaspérée semblent en être l ' a c c o m p a g n e m e n t obligé : le souci de la composition ne s'y manifeste jamais et parfois on en trouve de « faites exprès sans rimes », sans que p o u r cela la raison y s u p p l é e ! Toutefois L a d r e fut plus encore c h a n s o n n i e r que chanteur. 1

T o u t différent était Bellerose qui, en c o m p a g n i e de son camarade Fleuret et de son cousin Bien A i m é , chantait de préférence sur le P o n t - N e u f ; il excellait dans le genre obscène et réunissait un public quelque peu crapuleux, d o n t la tenue scandalisait m ê m e les « observateurs » de la police : « Place de Grève —

i. A la Bibliothèque Nationale plusieurs chansons de Ladre se trouvent dans un recueil factice, inscrit sous la cote d'inventaire Ye 35,763. On relève même sur l'intitulé de la chanson : « Ah! comm' ça va, ou les bons Français trompés par les noirs », cette indication intéressante : « par Ladre, auteur des premières paroles du Ça ira. »


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