Ange Pitou Agent royaliste et chanteur des rues (1767-1846)

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ANGE

PITOU

patriotes s'engouèrent-ils jusqu'à un certain point de ces Catilinades bâtardes qui n'avaient que l'enveloppe extérieure de la véhémence? Ah! combien ils étoient dupes! Si, comme quelqu'un que je connais, ils avoient pu tous approcher le caméléon vénal, ils l'auroient constamment entendu s'écrier avant de se mettre à la besogne sur le journal populaire : Eh! qu'il faut être malheureux d'être obligé, pour manger, de parler pour ces scélérats de républicains! Allons, puisqu'il faut diner, faisons encore une toise de démagogie. Aussi quelle étoit, au fond, la valeur de ces prétendues Philippiques? Un mauvais ton de fade satire, qui n'étoit nullement celui de la véritable indignation républicaine, qu'il convient d'employer contre les Appius et les tyrans. L'effet de ces froids sarcasmes, de ces tristes quolibets était de satisfaire la foule bestiale qui rit de tout, et l'on était vengé quand on avait entendu une cynique épigramme contre un grand criminel et un grand crime. Encore faut-il savoir de plus que ces pasquinades étoient soumises par Pithou à la censure de son ami Mercier et qu'il recevoit de lui et de sa clique, telle latitude de mordant qu'on jugeoit convenable de fixer. En dernière analyse, voici le fin mot du secret, c'étoient la Gironde qui dictoit l'esprit et le ton de Y Ami du Peuple. On laissa subsister ce journal autant qu'on le crut à propos, pour qu'il restât un simulacre de la liberté de la presse. Quand on voulut le supprimer, on y fit mettre ce qu'on voulut pour motiver l'arrestation de Lebois, et ce pauvre prête-nom fut persévéramment la dupe de ce manège. 1

La tactique, dévoilée par Babceuf, était incontestablement intéressante; mais a-t-il bien saisi le but poursuivi par Mercier? Personnellement, j'y verrais plutôt u n e arrière-pensée provocatrice et de déconsidération des J a c o b i n s . Q u o i q u ' i l en soit, il est piquant de constater qu'au lendemain de T h e r m i d o r , l'organe le plus avancé de la démagogie jacobine était rédigé par u n royaliste sur les inspirations d'un G i r o n d i n ! E t voilà « c o m m e Y Ami du Peuple n'étoit q u ' u n hochet dont u n e faction scélérate tenoit le suspensoir (sic) et d o n t elle a m u s a tant q u ' o n v o u l u t une foule crédule et simple ». T a n t il est vrai que, c o m m e les barbons de comédie, le rôle du bon populaire est d'être berné d'ordinaire par ceux qui se d o n n e n t p o u r ses serviteurs! Le 26 germinal an I I I , D a u n o u cessa de rédiger aux Annales patriotiques et littéraires le compte r e n d u des séances de la C o n v e n t i o n ; cet i m p o r t a n t service, c o m m e on l'a vu, échut à Ange Pitou, qui mena ainsi de front deux besognes assez dis1. Dans le Journal des Hommes libres du i5 pluviôse an V, on signale Pitou, comme «ancien secrétaire de Mercier »,


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