Les français en Amazonie

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et molles, déferlent et m o u t o n n e n t , paresseuses, jusqu'aux dernières limites de l'horizon visuel. La brise des savanes chante une berceuse dont les allégros font lever la tête et précipiter le pas, et l'on va, alerte, rajeuni, aspirant l'air à pleins p o u m o n s , la lumière à pleins yeux et la joie à plein c œ u r . A travers les étendues de ces herbages solitaires, des r u i s seaux sans n o m b r e , silencieux ou babillards, accompagnés dans leur course par des arbustes i n c o n n u s , vont, se cherchant, s'égarant, revenant cent fois sur leurs pas, p u i s , finissant par se rencontrer, porter, u n i s , au fleuve des prairies, le tribut des sources lointaines. Pareil à un t u m u l u s gigantesque, u n m a m e l o n isolé couvert de silex blancs et jaunes brille au loin, étincelant sous les feux du soleil. N o n , ce n'est point là quelque œuvre de vanité h u m a i n e ; n u l chef caraïbe n'a confié sa carcasse à ce tertre qui n'a rien d'artificiel. De ce belvédère de la prairie, l'œil embrasse à la fois les montagnes, les forêts et la mer. Les ailes blanches des aigrettes, semblables aux voiles des bateaux pêcheurs, les ailes rouges des flamants, pareilles à des flammes, se croisent, se mêlent et t o u r b i l l o n n e n t sur les bords des l a c s ; une biche craintive descend, hésitante, vers les dépressions h u m i d e s qui sont au bas de la c o l l i n e ; un point noir, l'aigle fauve, plane au zénith ; les forêts de l'Occident s'empourprent des tons du soleil couchant, et la frêle fleur des crépuscules, l'héliotrope de l'Amazone, livre son parfum discret aux caresses des zéphirs du soir. E n bas, une buée, épaisse, s'élève sur le fleuve. Les pêcheurs, qui sortent du village, envoient jusqu'ici quelques notes perdues d'un chant mélancolique et m o n o t o n e . La prairie sous la nuit, pareille à la m e r e n d o r m i e ou au désert après la c i n q u i è m e prière, remplit l'étendue de son calme, de son recueillement et de sa sérénité. Les pêcheurs. — E t m a i n t e n a n t , pêcheurs, descendons le fleuve jusqu'à son e m b o u c h u r e . Les pêcheurs sont des poètes ignorant la terre et ses


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