Les français en Amazonie

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AMAZONIE

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Large et profond, solennel, beau, pareil à un dieu antique de la bonne m a r q u e , le fleuve, toujours majestueux, toujours étonnant, toujours superbe, s'enfonce dans l'intérieur inconn u , s'offrant à nous dans sa partie accessible, la partie inférieure, mais cachant ses sources. On l'a remonté pendant quinze jours en canot, on a franchi bien des c h u t e s : t o u j o u r s des cimetières indiens, des forêts de bois des îles, des savanes sans horizon, des montagnes lointaines, des paysages féeriques, et toujours la largeur de la Seine à Paris. La forêt de la rive. — Vous amarrez le canot à un tronc d'arbre, vous sautez sur la berge, et vous voici dans la forêt de la rive. Les épais feuillages tamisent une lumière incertaine ; les mousses et les détritus étendent sous vos pieds un tapis moelleux et élastique ; la grande armée des ébéniers, des bois de fer et des palissandres, silencieuse, immobile, sans un souffle, ouvre ses rangs au visiteur. Les oisifs de la forêt, oiseaux qui rêvent et singes qui observent, somnolents dans leurs palais de frondaisons fleuries, vous révèlent à peine leur présence. Des fleurs étranges et i n c o n n u e s , qui n'ont pas encore de n o m en latin, jaillissent de quelque pied d'orchidée caché au haut des arbres et arrêtent le regard au passage avec leurs formes improbables et leurs nuances insoupçonnées. Des lianes gracieuses ou cruelles ornant ou étouffant les géants, pendent élégantes, montent rigides, rampent épaisses, et leur sillon aérien de larges feuilles grasses se poursuit, se perd dans les dédales sylvestres, sans commencement et sans fin. La lourde p é n o m b r e saturée d'âcres parfums invite au repos et au rêve; et, q u a n d on est couché, les douces fleurs des mousses fixent la contemplation. Mais quel est ce cri strident et horrible qui soudain retentit au sein du sommeil de la forêt? Effaré, on se lève, appuyé de sa main gauche crispée à quelque branche que l'on t o r t u r e ; de ma dextre je brandis mon revolver. E h ! c'est un oiseau jaune, gros comme le poing! c'est le couiri, qui vient de proférer ce cri de sorcière. Quand vous aurez fait


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