Patagonie, Terre-du-feu et archipel des Malouines

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PAT AGONIE, TERRE-DU-FEU ET ILES MALOUINES. mit à le sucer sur la nuque; puis, en faisant beaucoup de contorsions , elle le frappa de grands coups sous le menton et sur la poitrine, appelant le génie du mal, et le priant d'en sortir. Puis elle suça successivement les épaules et les autres parties du corps, en continuant le même manége; retourna le malade, lui imprima sa succion sur le nombril, sur les bras, aux yeux, sur la bouche et au nez; mais elle insista davantage sur cette dernière partie et manifesta plus d'espérance d'obtenir ce qu'elle désirait. Tout à coup elle fit des grimaces affreuses et parut souffrir elle-même ; après avoir recommencé trois fois son opération, se frappant avec force, elle s'écria qu'elle tenait le mal et qu'elle allait le montrer. En effet, après beaucoup d'autres simagrées, elle fit semblant de tirer de la bouche du patient un gros insecte du genre cerambix, qu'elle montra aux assistants comme l'emblème du démon qui possédait son corps. Souvent alors la jongleuse annonce que le mal ne rentrera plus, et elle fait disparaître l'animal quelconque qu'elle est supposée avoir fait sortir du corps de l'Indien; ou bien elle chante de nouveau, lui place l'insecte sur la bouche, sur les yeux , sur le nez, et, après avoir changé la nature de l'esprit malfaisant et l'avoir rendu bon, elle le fait rentrer dans le corps souffrant. » Cette docilité du patient et des assistants surprendra moins quand on saura que telle est la confiance des Indiens dans le pouvoir de ces sorcières, que lorsque, par extraordinaire, ils coupent leurs cheveux, ils ont grand soin de les jeter au feu ou à la rivière, de crainte qu'une vieille femme, en s'en emparant, ne les fasse mourir, soit en leur jetant un sort, soit en leur faisant jaillir tout le sang par les pores. Quant au mal représenté par un insecte, les Patagons partagent avec des peuples beaucoup plus civilisés qu'eux l'erreur qui personnifie le bien et le mal; seulement ils la poussent dans sa dernière conséquence. Sont-ils en marche et se sentent-ils fatigués , ils accusent un malin génie de s'être

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glissé dans leur corps pour les empêcher d'avancer, et s'ils n'ont pas sous la main quelque sorcière pour l'évoquer , ils se tailladent les membres et les épaules, afin que le démon s'en aille avec leur sang. Cette superstition paraît être surtout très-répandue chez les Araucans. « La crainte des contagions rend souvent les Patagons, ainsi que les autres nations australes, des plus inhumains; mais ne sont-ils pas excusables, après avoir vu la moitié des leurs emportés par la petite vérole, par suite de leurs relations avec les blancs? Ils regardent cette maladie, apportée d'Europe, comme un effet particulier du malin esprit, qui passe successivement d'un corps à un autre; aussi, dès qu'ils craignent une épidémie, et qu'un membre d'une de leurs familles leur fait soupçonner qu'il en est atteint, de suite tous s'éloignent de la tente, ne laissant au malade qu'un peu de viandecuite et de l'eau ; puis ils vont s'établir au loin. Si un second individu meurt, et que d'autres soient immédiatement atteints des mêmes symptômes, dès lors, plus de doute. La tribu entière abandonne le lieu et les malades, leur laissant le faible secours que nous venons d'indiquer; et afin que le mal ne l'accompagne pas, les indiens s'en vont en donnant dans l'air, de distance en distance, de grands coups de leurs armes tranchantes, dans le but de couper le fil du mal et d'ôter toute communication avec lui, jetant, en même temps, de l'eau dans l'espace, pour conjurer le dieu du mal. Une fois arrivés à quelques journées de marche, assez loin pour ne plus craindre la maladie, ils placent encore, par le même motif, tous leurs instruments tranchants dans la direction du lieu qu'ils ont abandonné. Si, dans ce nouveau séjour, quelques maladies viennent à se déclarer, ils fuient de nouveau avec les mêmes démonstrations superstitieuses, semant ainsi leurs malades sur tous les points où ils s'arrêtent. Leur fuite cependant n'est jamais assez précipitée pour qu'ils en viennent aux mêmes extrémités que les Mahas


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