Patagonie, Terre-du-feu et archipel des Malouines

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L'UNIVERS.

conversation animée égaya le dîner, auquel assistaient M. Vernet,sa femme, M. Brisbane, et quelques autres convives. Dans la soirée, on fit de la musique et l'on dansa. Il y avait, dans le salon, un grand piano; madame Vernet, créole de Buenos-Ayres, chanta plusieurs morceaux charmants. Le bruit de ce concert improvisé me sembla étrange dans les îles Falkland, où je ne croyais rencontrer que des marins et des pêcheurs. L'établissement de M. Vernet consiste en une quinzaine d'esclaves qu'il a achetés du gouvernement Argentin, à la condition de leur apprendre un métier utile, et qui sont engagés à son service pour quelques années, après lesquelles ils seront libres de droit. Ils ont, en général, de quinze à vingt ans, et paraissent très-heureux. Le nombre total des habitants de l'île est d'environ cent, y compris vingt-cinq Gauchos et cinq Indiens. Il y avait deux familles hollandaises, dont les femmes étaient employées à traire les vaches et à faire du beurre ; deux ou trois familles anglaises, et une allemande; le reste se composait d'Espagnols et de Portugais, qui se disaient commerçants, mais ne faisaient rien, ou à peu près. Les Gauchos étaient principalement Buenos-Ayriens; mais leur capataz ou chef était un Français nommé Jean Simon. » Ces détails prouvent que les colons pouvaient raisonnablement espérer de voir leurs efforts couronnés de succès. Malheureusement une catastrophe imprévue vint fondre sur eux, et anéantit le fruit de leurs travaux. M. Vernet avait obtenu non - seulement le titre de gouverneur des Malouines, mais encore le privilége exclusif de la pêche dans les parages de cet archipel. A peine investi de ses fonctions officielles, il avisa à éloigner les bâtiments américains dont les équipages dévastaient les baies les plus peuplées d'amphibies, et tuaient, en toute saison indistinctement, les bestiaux errant dans les plaines. En 1831, ayant aperçu un navire de cette nation , qui, malgré plusieurs avertissements officiellement communiqués au

consul des Etats-Unis, était venu pêcher dans les eaux des Malouines, le gouverneur s'empara, du bâtiment. Cet acte de répression attira sur M. Vernet et la malheureuse colonie la colère du capitaine américain, Silas Duncan, commandant la corvette Lexington, Ce marin, sans y être en aucune façon autorisé par son gouvernement, se rendit de la Plata aux Falkland, attaqua à l'improviste le nouvel établissement , saccagea les propriétés des colons, et détruisit leurs demeures. Plusieurs d'entre eux, parmi lesquels M. Brisbane (*), furent emprisonnés dans le vaisseau américain et accablés de mauvais traitements; on les conduisit prisonniers à Buenos-Ayres, où ils furent remis entre les mains du gouvernement dans le mois de février 1832. Les États-Unis approuvèrent la conduite brutale du capitaine Duncan, et réclamèrent non-seulement des indemnités pour le préjudice causé au commerce de l'Union, mais encore une réparation éclatante pour tous les prétendus dommages que les citoyens américains avaient personnellement éprouvés. Pendant que les États-Unis et Buenos-Ayres perdaient leur temps en d'interminables discussions, l'Angleterre, qui n'avait jamais cessé de se considérer comme seule souveraine des îles Falkland, et qui avait officiellement protesté contre l'installation de la colonie républicaine (**), ordonna an commandant de sa station navale de l'Amérique du Sud d'envoyer un vaisseau de guerre vers cet archipel, pour y arborer de nouveau ses couleurs nationales, confirmer les droits de sa domination, et faire disparaître tout ce qui appartenait au gouvernement de Buenos-Ayres. Le 2 janvier 1833, les frégates la Clio et la Tyne mouillèrent l'une dans le havre de Berkeley, l'autre au PortEgmont. Dans ces deux endroits, l'é(*) Ce M. Brisbane, revenu plus tard à Port-Louis, fut assassiné dans une révolte des soldats de Buenos-Ayres; (**) Voyez dans l'Appendix du voyage de King les documents à l'appui.


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