De la question des sucres en 1843 et de l'absolue nécessité d'en finir avec elle

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DE LA

QUESTION DES SUCRES En

1843.



DE

LA

QUESTION DES SUCRES EN 1843.

Se faire lire après tant de publications sur le m ê m e sujet, dire des vérités à des intérêts rivaux, qui tous ont exagéré plus o u moins leurs souffrances et leurs droits, sans les mécontenter tous à la fois, c'est une tâche difficile; je l'entreprends néanmoins. Je l'entreprends, certain de m a parfaite liberté d'esprit sur la question , de m a parfaite indépendance pour la résoudre, certain d'avoir étudié les faits autant qu'il était en m o i , et trouvant d'ailleurs le sujet trop vaste pour une discussion de tribune. Je reconnais que les colonies ont été mises à de rudes épreuves. Après le sucre de betteraves est venue tout au moins prématurément la m e nace d'émancipation. Q u a n d il leur aurait fallu s'outiller de nouveau, s'engager à grands frais dans des améliorations, pour se défendre des e m 1


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piétements subventionnés d u sucre indigène, o n a, je le crains, ébranlé leur avenir et découragé les capitaux qui pouvaient les secourir. Toutefois les colonies ne peuvent raisonnablem e n t prétendre faire revivre u n passé qui n'est plus, et retrouver ces prix qu'elles appellent leur prix nécessaire. L à c o m m e ailleurs il y a n o m b r e de producteurs dans de mauvaises conditions, et plus qu'ailleurs des producteurs insouciants vivant en dehors de leurs affaires. C e n'est pas à ceux-là de faire le cours ; ce n'est pas a u x traînards à régler la m a r c h e de l'industrie : ceci à l'adresse d u sucre indigène c o m m e à l'adresse d u sucre colonial. A u reste, l'avilissement d u prix de leur sucre est u n m a l h e u r q u e nos colonies partagent en ce m o m e n t avec les autres pays producteurs. Cet avilissement, dont au point de vue de la consommation il faudrait s'applaudir, si tout entier il était la conséquence des progrès d u producteur, constitue u n e perte sèche aussi bien dans les A n tilles espagnoles q u e dans nos Antilles ; planteurs et armateurs là et là en savent quelque chose. L e c o m m e r c e d'armements se plaint en France depuis quelques années ; il a aussi ses épreuves en Angleterre. D e u x de nos quatre grands ports languissent; je souhaite p o u r eux u n e meilleure fortune sans b e a u c o u p l'espérer. Les d e u x autres,


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par suite d'une position privilégiée et à l'aide d'un assez grand m o u v e m e n t d'affaires, développent dans leur sein une certaine diffusion d'aisance , sans y créer cependant de grands capitaux. Le Havre, ne pouvant avec la large subvention offerte par l'état organiser sa compagnie de bateaux à vapeur transatlantiques, nous a donné la mesure de ses forces. Les gens des ports de m e r n'ont pas besoin qu'on prenne en main leur cause; leurs exigences pourront bien quelquefois la compromettre , mais ils ne la laisseront jamais péricliter, ils sont trop vigilants et trop persévérants pour cela. Faut-il dire et croire avec quelques uns d'entre eux q u e , lors m ê m e que le sucre serait plus chèrement produit à l'extérieur qu'à l'intérieur, il serait de bonne administration de l'y aller encore chercher? Je suppose qu'ils ne sont pas tous aussi exclusifs, je suppose qu'ils ne demandent plus, c o m m e ils l'ont essayé une fois, qu'on bouleverse l'assiette de nos grandes industries nationales en vue d'un commerce tout extérieur. Mais, dans l'intérêt de ces industries, dans l'intérêt de leur développement, nous devons désirer avec eux qu'une part légitime soit faite aux débouchés d u dehors, débouchés moins certains, moins réguliers que ceux d u marché intérieur ; mais qui n'en viennent pas moins faire n o m b r e ;


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débouchés qui ne sauraient être négligés , surtout quand ils se rencontrent dans des pays lointains, purement agricoles, livrant les produits bruts de leur sol en échange de nos produits européens, ou se résument beaucoup d'art et beaucoup de main-d'œuvre. Soyons conséquents , ne restons pas incomplets : ce n'est pas sans doute pour laisser les bassins de nos ports vides d'arrivage que nous les relions à si grands frais , à l'heure qu'il est, par des chemins de fer avec l'intérieur d u pays et nos frontières de terre. Le sucre indigène a rendu quelques services; il ne faut être injuste avec aucune des industries engagées dans le débat. Les services agricoles qu'il fait sonner si haut, et dont tout bas il rit tout le premier, je les conteste; ses services industriels, je m'empresse de les reconnaître. Grâce à lui, les procédés de fabrication ont fait de véritables progrès. Ces procédés peuvent être transportés partout ou la nature, plus libérale de la matière saccharine, la donne avec plus d'abondance que sur notre sol, et y développer la production sans être obligé d'agrandir la culture; le tout au profit de la consommation. Le sucre indigène a droit de vivre, il est bon qu'il vive, mais qu'il vive à son corps défendant, à la sueur de son front. Si le pays a cru devoir payer un peu chèrement les frais de son éduca-


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tion; ce n'est pas une raison pour lui constituer indéfiniment une pension alimentaire. Voilà les trois intérêts qui, chacun de leur côté, font appel à l'opinion publique et y rencontrent chacun des sympathies différentes. Malheureusement chacun a démesurément grandi la face de la question qui le regardait. Malheureusement, au milieu de ces exagérations contradictoires , la vérité s'est obscurcie, des préventions se sont accréditées. D e là, pour les esprits détachés de toute préoccupation , sans parti pris d'avance, sans système arrêté, doutes et perplexité. C e sont ceux-là cependant à qui en définitive il appartient de trancher le litige, P R O D U C T I O N E T C O N S O M M A T I O N D E S SUCRES. S u r f a c e cultivée. — cre. —

I m p o r t a n c e attachée a u c o m m e r c e d u s u -

Nécessité d e possessions coloniales, d e m a r c h é s réser-

vés, d ' u n e navigation nationale, d e m a r c h a n d i s e s brement. —

d'encom-

D u travail n a t i o n a l et d u s y s t è m e p r o t e c t e u r . —

P r o d u c t i o n e n 1 7 9 1 et 1 8 3 1 . — consommation. —

L o i s g é n é r a l e s q u i r è g l e n t la

Consommation

en 1821, 1831,1841, en

A n g l e t e r r e et e n F r a n c e . — I l l u s i o n s s u r l ' a c c r o i s s e m e n t i n défini d e la c o n s o m m a t i o n . — colonies. —

Phases commerciales d e nos

G u e r r e à m o r t d u s u c r e colonial et d u s u c r e i n -

digène.

Sept cent millions de kilog., c'est le chiffre auquel on peut évaluer le sucre de cannes que


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livre le c o m m e r c e à la c o n s o m m a t i o n d u globe. Les c o n s o m m a t i o n s locales dans les lieux de production restent en dehors. O n exagérerait la fabrication d u sucre de betteraves en E u r o p e en la portant à plus de 70 millions de kilog. M o i n s de deux cent quatre-vingt mille hectares plantés en c a n n e s , de cinquante mille hectares cultivés en betteraves, suffisent à cette tâche; surface inférieure à celle de la moitié d'un de nos départements. Certes voilà u n grand rôle q u e jouent quelques petits coins de terre dans le m o n d e commercial et dans le revenu des états. Les grandes c o m m e les petites puissances attachent b e a u c o u p d'importance au c o m m e r c e d u sucre de cannes. C o m m e matière imposable, c'est u n e abondante source de revenus , revenus pro gressant avec la c o n s o m m a t i o n , et pouvant, u n e fois qu'elle est bien établie et la denrée à b o n m a r c h é , se prêter, en cas de besoin , à quelque chose d'additionnel. L à n'est pas toute l'importance : occasion d'échange avec l'extérieur, alimentation régulière de m a r i n e m a r c h a n d e , m o y e n (dans de certaines limites) de recrutement p o u r la m a r i n e militaire, le c o m m e r c e des sucres à ces divers titres justifie la part qu'il p r e n d aux préoccupations de nos h o m m e s d'état et qu'il va prendre à nos débats parlementaires. Les marchandises d ' e n c o m b r e m e n t

suscepti-


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bles de développer utilement u n grand matériel naval n'étant pas nombreuses, aucune ne mérite d'être négligée ; elles sont pour la France , les vins et eaux-de-vie exceptés, presque nulles au départ; cela se comprend. U n pays avancé en civilisation , u n pays m a nufacturier, rend sous u n petit volume et une grande valeur les matières premières qu'il importe sous u n grand volume et une petite valeur. U n bâtiment frété de quincaillerie fine et de tissus de coton représentera la valeur de cinquante bâtiments chargés de fonte en saumon ou de cotons en balles. Ce fait au reste se reproduit pour les transports par terre aux approches d'une grande capitale et par les m ê m e s motifs. Les chariots de roulage apportent tous à Paris beaucoup plus de poids qu'ils n'en rapportent ; observation qui mérite d'être tenue en note par ceux qui régleront les pentes de nos chemins de fer. Le sucre figure au premier rang parmi les marchandises d'encombrement importées par notre pavillon. Les cotons, les céréales, les graines oléagineuses, ne l'emploient que pour une faible part, le cinquième environ ; les houilles, la fonte et les cuirs, pour un tiers : provenance anglaise , ces produits minéraux sont dévolus pour les deux autres tiers au pavillon anglais, et la brièveté de leur transport ne représente d'ailleurs qu'un vé-


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ritable cabotage. (Voir à la note 1 la série de nos importations d'encombrement.) Règle assez générale : les pays qui produisent les matières encombrantes les portent e u x - m ê m e s là o ù ils les vendent ; ayant de grandes m a s ses à écouler, il est naturel qu'ils s'organisent p o u r avoir à leur disposition des m o y e n s réguliers d'évacuation : c'est le cultivateur qui vient au m a r c h é y porter ses denrées. L'Angleterre elle-même, malgré son grand attirail maritime, malgré son système long-temps exclusif de toute autre navigation, est obligée de recevoir la plus grande partie de ses cotons par les bâtiments des Etats-Unis, la plus grande partie des bois et des céréales de la Baltique par les bâtiments de la Baltique. L e tableau n. 2 , extrait des documents qu'elle fait publier , indique la constante infériorité de son tonnage avec ces pays agricoles. Sans ses colonies de l'Amérique d u N o r d , des Antilles , d u C a p , de Maurice, de l'Océanie, sa pêche de la baleine, son r o y a u m e m a r c h a n d des Indes-Orientales, sans tous ses c o m merces réservés, elle ne couvrirait pas c o m m e elle fait les mers lointaines de son pavillon. Les colonies sont-elles u n e possession utile , indispensable pour u n e nation d u premier ordre ? Question souvent controversée et question à résoudre diversement suivant la nature des pos-


- 9 — sessions, la nature d'esprit d u possesseur, son degré de hardiesse et de persévérance, suivant surtout le degré d'avancement et d'exubérance en industrie et en population de la nation qui entreprend. Toutefois il n'y a pas à discuter s'il convient à la France d'avoir dans l'océan Atlantique, là o ù est l'avenir des grandes affaires maritimes, là o ù déjà elle achète et vend tous les jours, des colonies qui ne sont pas seulement des points de relâche, mais en m ê m e temps de grandes fermes , de grandes cultures pourvoyeuses de ses navires; des colonies qui sont pour son commerce une invitation permanente à fréquenter ces riches parages et la garantie d'un fret certain si le retour Aient à lui manquer ailleurs. O n reproche aux armateurs de nos ports le jaugeage mesquin de leur matériel, la timidité de leurs entreprises, les affaires qu'ils se laissent enlever, les cotons qu'ils laissent conduire aux Américains; c o m m e n t veut-on qu'ils construisent sur une grande échelle pour fréter à bas prix si on ne leur fournit pas l'occasion d'utiliser ces grands bâtiments dans de doubles voyages, et de se récupérer ainsi par u n plus fréquent usage d'une grande mise hors ? U n armateur, s'il est certain non seulement de trouver d u sucre, mais encore de le pouvoir vendre en France après


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l'avoir chargé, n'hésitera pas à changer son m a tériel ; il s'organisera pour faire dans la m ê m e année un voyage de coton aux Etats-Unis, un voyage de sucre aux Antilles. Les deux récoltes se prêtent à cet échelonnement. Son navire nouveau transportera une fois 1,800 barriques de sucre , l'autre fois2,500balles de coton. Otez-lui le sucre, il ne conduira plus le coton, et demeurera oisif avec ses anciens bâtiments à petit tonnage jusqu'à ce qu'ils pourrissent dans les bassins de nos ports sans reconstruction probable. Mais voilà bien d'autres conséquences à redouter si vous-mêmes vous ne faites pas votre navigation ; si à ce commerce vous employez des intermédiaires, si vous vous adressez à des facteurs , vous c o m promettez vos industries , vous exposez leurs débouchés extérieurs. Sans doute vous n'avez pas la prétention de fournir le globe de cotonnades à bas prix, vous n'êtes pas le géant producteur : ce rôle est dans d'autres mains ; et en vérité, quand on considère ce qu'il pourra coûter, on n'ose pas le leur envier; mais enfin quelques spécialités vous appartiennent : vous êtes l'oracle du goût, son plus habile metteur en oeuvre ; vos tissusfins,vos meubles, vos ornements, vos modes, vos confections, sont goûtés et préférés partout où vous les faites connaître; bagage fort léger, il est vrai, pour l'entretien d'une navigation , mais


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cependant qui a besoin de n'être porté, offert , livré, que par vous. Il importe donc que vous sachiez où est votre consommateur, que vous vous mettiez en rapport direct avec lui, que vous suiviez de l'œil ses habitudes, ses fantaisies, pour être avec elles toujours à l'heure et jamais devancé. Provoquez le besoin là où encore il sommeille, satisfaites-le là où il se révèle ; à vous ce soin, producteurs ; ne le laissez à autrui si vous ne voulez qu'on ne vous exploite et bientôt qu'on ne vous supplante. D'où la nécessité pour vous d'alimenter par de lourdes importations cette navigation qu'il vous faut régulière et que vos exportations seules ne sauraient soutenir; d'où l'impérieuse nécessité d u commerce des sucres chargés dans nos colonies , chargés à l'étranger; d'où enfin le malheur de cette illusion qui voudrait nous faire considérer c o m m e une œuvre providentielle la production d u sucre indigène et sa substitution à la production exotique. Gardons cette ressource pour les mauvais jours , j'y consens ; nous la retrouverons quand nous en aurons besoin, nous la développerons alors sur une aussi large échelle que nous le voudrons; mais, pour Dieu, ne lui sacrifions pas le présent, qui n'en a que faire, n'abandonnons pas si facilement un puissant encourage-


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ment maritime, qui, loin de nous coûter, vient emplir le trésor; ne l'abandonnons pas quand nous croyons devoir conserver des encouragements, c o m m e les primes de la morue et de la baleine, qui viennent y puiser largement ; ce serait agir à la façon de Pénélope, faire d'une main et défaire de l'autre. Ici un mot de science économique , un mot sur le travail national, sur le système protecteur; très probablement on usera et on abusera de ces mots dans la discussion. Trois forces concourent à la production, tantôt isolément, tantôt ensemble et dans des proportions différentes : le sol, les bras et l'intelligence de l'homme , et ses capitaux accumulés. L'étendue du sol a ses bornes, sa faculté productrice a ses bornes et ses règles ; arrivée à une certaine limite, une culture plus parfaite rend à peine ce qu'elle coûte. A de certaines latitudes la nature refuse tout à fait certaines productions, ou les donne en moindre quantité, en moindre qualité. L'industrie , au contraire, une fois pourvue de matières premières , ne connaît pas ces restrictions. Avec quelque persévérance, quelques sacrifices au début, elle s'implante partout, partout elle devient également fructueuse ; elle n'est l'œuvre d'aucun climat particulier, le privilége d'aucune race ; partout où il y a des bras bien diri-


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gés, des capitaux à son service, après u n certain apprentissage elle arrive au m ê m e prix de revient. D e là, au sein d'une m ê m e nationalité, perpétuelle et j'ajoute utile concurrence entre les bras et les capitaux, qui se multiplient et se disputent les emplois ; de là certitude pour le consommateur de se pourvoir chez ses nationaux de produits fabriqués, en abondance et à des conditions raisonnables. Privilège pendant ce temps là pour le sol, qui reste limité à sa primitive étendue et dans sa faculté productive, quand à sa surface tout se développe indéfiniment : population, outils, capitaux, besoins de matière alimentaire , besoins de matières à mettre en œuvre. Faut-il lui conserver ce privilège sans concurrence aucune , laisser ainsi l'équilibre se rompre sans songer à le rétablir , renoncer aux ressources que l'on peut e m prunter à des pays limitrophes ? S'il est une denrée agricole qu'il vaut mieux produire chèrement que l'acheter à ses voisins, le blé ; si l'indépendance et la sécurité d'une nation sont à ce prix , faut-il pour les autres s'imposer les m ê m e s privations , la m ê m e contrainte ? Est-il raisonnable de s'obstiner surtout à produire artificiellement chez soi ce qu'ailleurs une nature plus vigoureuse , u n soleil plus chaud , u n climat plus propice, départissent avec plus de


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libéralité ? Q u e ne parîe-t-on de planter à grands frais du colon dans le midi de la France pour faire cesser le tribut payé aux Etats-Unis? La Normandie ne devra-t-elle pas aussi s'affranchir du Bordelais et de la Bourgogne en convertissant quelques uns de ses gras pâturages en vignobles acides? La terre a ses spécialités : à l'Amérique, à l'Asie, leurs productions ; à l'Europe les siennes ; qu'elles s'échangent, mais qu'elles ne s'excluent pas : ce serait se montrer ingrat envers la prodigalité et la variété de la nature. Le sol de France a nombre de cultures aussi profitables que la betterave à sucre, nombre de cultures qui réclameraient la m ê m e s o m m e de main-d'œuvre. La betterave n'est préférée que parce que le trésor la subventionne; la subvention fait le sucre indigène, et non pas le soleil. Ne forçons pas la nature ; allons demander à l'Amérique , à nos propriétés d'Amérique , les produits américains, et surtout ne faisons pas intervenir le système protecteur dans une thèse où il ne peut être invoqué qu'à l'aide d'une fausse application et pour le faire conclure à des absurdités. L'enquête faite en 1832 par ordre du parlement anglais sur la détresse des colonies occidentales évalue à 9,556,000 quintaux (1) la production to(1) Le quintal anglais représente environ 50 kilogrammes.


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tale du sucre avant 1791. Les possessions anglaises figurent dans celte s o m m e pour 2,600,000 quint., les possessions françaises, Saint-Domingue etl'îleMaurice, y compris , pour 4,400,000. Alors la France était à la tête d'une magnifique exploitation coloniale; 165 millions de valeurs étaient le fruit de ce travail agricole :37millions pour les consommations métropolitaines, le reste pour la consommation étrangère ; en échange, 80 millions de marchandises d'Europe s'expédiaient de France aux colonies. E n se reportant à la m ê m e enquête anglaise on trouve pour 1831 le chiffre de 14,310,000 quint, c o m m e celui de la production générale d u sucre brut, mais les rôles sont changés : les colonies anglaises yfigurentpour 4,700,000 quint., la France n'y figure plus que pour 1,700,000 quint. Maurice est devenue possession anglaise, Haïti est devenu ce que deviendront toutes les Antilles, si u n jour ou l'autre la civilisation européenne est obligée de déguerpir devant la race noire, possession inculte, sauvage, infructueuse aux oisifs qui la détiennent, richesse perdue pour le m o n d e tout entier. D e 1791 à 1815 la guerre paralysa le c o m merce colonial ; elle entrava tout à la fois la production et la consommation. Les Antilles fran-


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çaises et les Antilles espagnoles ne pouvaient écouler leur sucre et leur café que par l'intermédiaire des neutres, qui, après avoir fait escale aux Etats-Unis, venaient vendre en Hollande leur cargaison. La population noire dépérissait à défaut de renouvellement possible ; les croiseurs anglais arrêtaient la traite; les colons étaient ruinés. Cependant les Anglais , pour être les maîtres des mers , ne souffraient pas moins de cet état de choses. Leurs colonies réclamaient 40 et 50 fr. par quintal, c o m m e le prix nécessaire au port de la colonie (enquête anglaise de 1807); ils faisaient valoir renchérissement successif de tous les approvisionnements qui leur venaient du dehors; les risques de mer s'étaient aggravés, le fret et les primes d'assurances s'étaient élevés; la consommation en Angleterre était restreinte par des droits que le retour de la paix a permis depuis de réduire; sur les rivages opposés le sucre était traqué par le système continental, et un décret de Berlin (3 février 1810)l'imposait à 300 par 100 kil. dans l'empire français. O n parle encore avec une certaine frayeur de ce sucre à 5 fr. la livre, alors si petitement cons o m m é en France; que ces temps reviennent, comment déjeûner sans le sucre indigène ? Quand on s'en préoccupe on n'oublie qu'une chose : c'est que la cherté était plus le fait du décret que le fait


— 17 — de la guerre ; c'est que, si le maître l'eût voulu , ses sujets auraient m a n g é d u sucre à moins de 25 sous la livre; c'est qu'alors ou attentait des deux côtés à la fois à la liberté des neutres. Aujourd'hui le maître et le système d u maître ne sont plus ; aujourd'hui les Etats-Unis ont assez grandi pour faire respecter la neutralité de leur pavillon , et leur volonté, qui jamais ne recule, n'y ferait pas défaut. A la paix de 1815 les colonies françaises ont retrouve leur marche privilégié ; elles ont pu se recruter des travailleurs qui leur manquaient; à leur aide, elles ont développé une production , qui, surexcitée qu'elle était, n'a pas toujours assez sérieusement consulté les conditions où elle se plaçait, et s'est préparé des mécomptes. Pendant ce temps là les Antilles espagnoles , qui travaillaient u n sol vierge et fécond , qui ajoutaient tous les jours par l'introduction des noirs des exploitants nouveaux à ceux qu'elles avaient déjà dans leur population métisée, sont devenues la concurrence la plus menaçante pour toute la production saccharine et les régulateurs des cours sur tous les marchés ouverts ; aujourd'hui elles dominent plus que jamais ces marchés; main-d'œuvre abondante, terrains plus riches, dépenses allégées par leur commerce sans m o n o pole , voilà les éléments de cette primauté. 2


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L'exportation d u sucre des colonies anglaises sur les marchés de l'Europe était déjà devenue difficile avant q u e l'émancipation l'eût rendue tout à fait impossible. Aussi l'Angleterre, qui avait décrété l'abolition de la traite en 1 8 0 7 , a-telle d û poursuivre cette m ê m e abolition successiv e m e n t chez tous ses rivaux producteurs , et e m ployer toute son habileté, toutes ses influences, p o u r partout faire adopter les principes q u e la première elle avait proclamés. Aujourd'hui q u e l'émancipation a apporté dans sa production coloniale u n trouble bien plus profond q u e la suppression de la traite, u n trouble qu'elle n'aurait jamais s o u p ç o n n é , elle doit v o u loir et poursuivre partout l'émancipation ; il lui faut la partie égale ; à défaut de produire le sucre aussi é c o n o m i q u e m e n t q u e ses rivaux, il faut que ses rivaux le produisent aussi chèrement qu'elle; sa sollicitude, si elle se ralentissait dans cette tâche, serait bientôt provoquée par ses planteurs, Les enquêtes de 1 8 0 7 et 1832 font foi de leurs incitations. C e n'est pas dans l'Inde o ù elle trouvera d u sucre en grande quantité, d u sucre à bas prix pour alimenter son c o m m e r c e d'exportation. O n a dit et o n a i m p r i m é à ce sujet de véritables contes orientaux. Si le sucre se produisait aussi facilement q u e l'on veut bien le dire dans les pa-


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rages asiatiques, les Etats-Unis, qui les fréquentent et qui c o n s o m m e n t b e a u c o u p d e sucre, les Etats-Unis , q u i , en véritables négociants , achètent et c o m m a n d e n t les marchandises partout o ù on consent à leur v e n d r e à b o n m a r c h é , e n rapporteraient plus qu'ils n'en rapportent. Q u ' o n consulte à cet égard leurs états d'importations. E n 1816 la F r a n c e a reçu de ses colonies 17,000,000 kil. de sucre. Cette quantité , successivement accrue jusqu'en 1832, se maintient depuis cette é p o q u e entre 80 et 85,000,000, avec des alternatives qui se rattachent à des saisons plus o u m o i n s favorables, sans qu'il y ait de variations d a n s la surface cultivée. E n 1816 le prix d u sucre brut était au H a v r e , droits acquittés , de 90 fr. les 5 o kil. ; il est aujourd'hui d e 5 6 fr. E n 1816 le prix d u sucre blanc d a n s les raffineries d e Paris était d e 1 fr. 80 c. le demi-kil., aujourd'hui d e 8 5 c. Les procédés améliorés d e nos raffineries ont b e a u c o u p aidé à sa baisse. L a c o n s o m m a t i o n s'est développée régulièrem e n t , toujours avançant et ne revenant jamais sur ses p a s , c o m m e il arrive quelquefois e n A n gleterre : 3 , 2 0 0 , 0 0 0 kil., c'est la m a r c h e d e son accroissement annuel. O n s'explique c o m m e n t certaines années paraissent en désaccord avec ce chiffre, e n faisant la part de l'anticipation o u d u


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retard des spéculateurs et raffineurs dans leurs approvisionnements , si l'on groupe les années par périodes de quatre o u cinq, o n retrouve c o n s t a m m e n t cette progression de 3,200,000 kil. (Voir à l'appendice le n. 3.) L a c o n s o m m a t i o n obéit à diverses influences : L a baisse des prix, qui la grandit là o ù elle est déjà, et la provoque là où elle n'est pas encore ; L e développement de la richesse, à l'aide d e laquelle la c o n s o m m a t i o n s'élève à la hauteur d u produit, q u a n d le produit n e descend pas à la portée d u c o n s o m m a t e u r ; L e goût des c o n s o m m a t i o n s de luxe, qui d o n n e c h a q u e jour plus d'empire à des besoins factices ; Enfin l'augmentation de la population. Voici le tableau de la c o n s o m m a t i o n comparée, en France et en Angleterre, à trois époques différentes : ANGLETERRE.

FRANCE.

1821

1821

Prix

shs. 33

Droit

27 —

Consommation

dem.-k. 60 (3 056 882 000

Prix acquitté au Havre, les 50 k. 69 f.

25 24 — 49

Id.

3 787 391 000

Id.

66

41 24 — 65

149 500 000

1841

1841 Prix Droit

dem.-k.

83 200 000

1831

1831 Prix Droit

Consommation

Id.

3 600 000 000

Id.

57

50

216 000 000


— 21 — Si la consommation en France est susceptible de nouveaux développements, il ne faut pas cependant s'en exagérer les progrès possibles, soit qu'on veuille nous peindre la betterave et ses assolements couvrant dans l'avenir toutes nos c a m pagnes enrichies, soit nos vaisseaux chargés de sucre couvrant toutes les mers. Il ne faut pas surtout, avec les distractions d'un esprit supérieur, dire, c o m m e on l'a fait en 1840 à la tribune (Moniteur, p. 980) , que, la consommation ayant passé de 40,000 kil. en 1820 , à 120 millions en 1840, on pouvait espérer que dans vingt ans elle s'élèverait à 360 millions; ce serait substituer une progression géométrique à une progression arithmétique; ce serait faire que , de deux personnes dont l'une a vingt ans et l'autre quarante, la seconde en aura nécessairement q u a tre-vingts quand la première en aura quarante. Quoique le sucre soit entré dans nos habitudes, il ne vient qu'après des besoins plus pressants , pour beaucoup encore, à satisfaire. Avant de songer à en faire l'alimentation générale, o n devra donner d u pain blanc à ceux qui ne m a n gent que d u pain noir, répandre l'usage de la viande et d u vin, que le peuple ne connaît guère qu'aux jours de fête et de débauche , mieux vêtir les mal vêtus, mieux loger ceux qui sont insalubrement entassés. Pour arriver là il y a encore


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du chemin , et c'est là cependant où se dirigera l'aisance avant de toucher au sucre. Ce ne sont pas 5 à 10 centimes de baisse par livre qui provoqueront cette grande c o n s o m m a tion , dont on s'est fait un argument chaque fois qu'on a voulu pousser l'administration à lâcher la proie pour courir après l'ombre , à dégrever le chiffre de l'impôt pour avoir plus de matière imposable. L'administration fera sagement de résister à ces conseils, auxquels une fois elle a cédé, chaque fois que de nouveau on voudra les lui donner. Il faudrait descendre le prix du sucre à 25 ou 30 c. la livre pour en faire une consommation populaire. Il faudrait abandonner l'impôt ; ce n'est pas aujourd'hui le cas. Quelque perfectionnement que l'on apporte aux colonies pour obtenir du sirop en évaporation une plus grande quantité de sucre cristallisable, quelque supériorité de nuance qu'on atteigne par u n plus grand emploi de noir animal, quelle que soit la plus grande quantité de jus extrait de la canne par une pression mieux combinée, tous ces avantages considérables sur les lieux de production s'amoindrissent en arrivant aux c o n s o m m a teurs. Supposez en effet que le planteur obtienne par une meilleure fabrication u n tiers de plus en poids de son exploitation sans augmenter sa cul-


— 23 — ture; supposez que ses frais de production jusqu'à rembarquement, la rente de la terre et la r é m u nération de son industrie non comprises, ressortent actuellement dans de bonnes conditions à 15 fr. les 50 kil.; son prix de revient descendra alors de 15 fr. à 1 1 fr. 5o c , en admettant qu'il ne se retienne pas quelque chose pour amortir ses appareils perfectionnés. Ce sera 3 fr. 5o c. de réduction, en France, sur le prix du sucre, et en définitive une réduction de 5 à 6 pour 100; la réduction ne portera que sur u n des éléments constitutifs du prix sans affecter les autres : voilà ce qu'on perd trop de vue quand on exalte la révolution que devront faire les nouveaux appareils dans le prix du sucre et dans sa c o n s o m m a tion. Le prix d u sucre ne saurait donc décroître sur les marchés de l'Europe si on conserve les conditions qui l'y affectent. Déjà il est à peine r é m u nérateur pour celui qui le produit, et bientôt ce producteur va être de plus en plus entravé dans son exploitation agricole par la transformation future d u régime colonial. E n supposant que dans l'amélioration de son industrie proprement dite il trouve de nouvelles ressources , il faut qu'elles lui profitent tout entières; dans son état actuel de détresse il ne saurait les partager avec


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le consommateur, et en attendant il faut m ê m e que les prix se relèvent un peu. Cet état de détresse de nos colonies, qui l'a causé et a quelle époque remonte-t-il ? A dater de 1 8 1 6 , production toujours croissante pour répondre aux besoins de la métropole, qui consommait d'autant plus qu'elle s'éloignait davantage de la grande conflagration européenne et qu'elle en réparait les désastres, le sucre étranger venant en aide à la consommation. E n 1 8 2 0 et 1 8 2 2 , à la suite de la crise commerciale de 1 8 1 9 , baisse des prix, récrimination des colons contre l'emploi d u sucre étranger, et élévation d u droit différentiel qui les protégeait contre sa rivalité. Bientôt le marché français semble ne plus leur suffire ; ils voudraient se faire garantir à toujours des bénéfices exagérés qui n'étaient que le fait d'une situation exceptionnelle. C'est le trésor qui se charge de faire les frais de leur bienvenue sur les marchés étrangers, et dans ce but il rembourse 120 fr. à leur sucre quand il sort, après en avoir reçu à son entrée 70 fr. 78 c. Aussi , malgré la crise qui en Europe vient affecter le prix des sucres en 1829, 1830, 1831, quand ces prix, en Angleterre, tombent de 35 sch. , qu'ils étaient à l'entrepôt en 1827 , à 24 sch. en 1831 , la dépré-


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ciation, en France, ne marche pas aussi vite; la prime soutient l'exportation en raffiné ; elle atteint en 1832 un chiffre jusque alors inconnu, et rembourse 19 millions à ceux qui en avaient payé 12. E n 1833 les chambres se ravisent; la prime est abolie, une grande ressource est enlevée à la production coloniale au m o m e n t m ô m e où un n o u vel antagoniste , le sucre de betterave, grandissant dans l'ombre, se dispose à lui disputer ce marche intérieur, qui déjà ne lui suffisait plus. Grâce cependant à la reprise des sucres, à leur prix mieux soutenu sur les places d u dehors en 1834 , 1835 et 1836, les exportations de France se continuent, et font autant de place au sucre indigène. La fièvre commerciale de 1836 une fois passée, les prix retombent de plus en plus , pour ne se relever qu'un m o m e n t en 1840, aux menaces de guerre. La métropole hésite devant l'envahissement du sucre de betterave ; elle procède par des palliatifs impuissants et stériles en 1837 et 1840 : sans écoulement possible à l'extérieur, où les cours sont encore plus avilis , les deux sucres nationaux s'épuisent en luttes intestines; ils paient alors tous les deux un peu cher la surexcitation qui leur avait été imprudemment donnée, au sucre colonial par les surtaxes et les primes de


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1826, au sucre de betterave par une immunité trop long-temps prolongée. (Voir le n. 4.) O n a souvent attribué à la présence d u sucre étranger, qui vient se faire raffiner en France pour alimenter le commerce du dehors, une grande influence sur cet état de choses. L'influence existe ; mais on l'exagère, on la définit mal. Assurément il comprime l'essor des sucres coloniaux et indigènes au dessus d'un certain degré; assurément, dans le m o m e n t actuel, pouvant se livrer au Havre à 61 fr. 75 c. après la surtaxe acquittée, il les empêche l'un et l'autre d'arriver à cette limite, c'est évident ; mais on ne saurait prétendre qu'il les cloue à celle de 56 fr. Il a une influence inévitable et qui s'exercerait lors m ê m e que l'entrée d u marché français lui serait interdite. Il la faut expliquer. Les pays qui réservent, par des surtaxes bien combinées, leur marché à leurs colonies, c o m m e la France et l'Angleterre, ne peuvent assurer à ces colonies des prix élevés qu'à la condition d'en absorber entièrement la production. Si une partie de cette production , quelque faible qu'elle soit, est obligée, à défaut de consommateurs intérieurs, d'aller chercher fortune ailleurs , là où les priviléges lui manquent, elle y subit la loi c o m m u n e , l'avilissement c o m m u n . C'est alors qu'elle préfère le plus souvent diminuer de ses préten-


— 27 — tions pour rester sur le marché national ; mais c'est alors aussi que, réagissant surtout l'approvisionnement de ce marché, elle change les conditions de son équilibre, et l'enveloppe dans une c o m m u n e baisse. O n aura beau faire , tous les marchés réservés qui auront de l'excédant seront toujours obligés de se balancer avec les marchés d u dehors. Autres influences dont on ne m e paraît pas avoir assez tenu compte : c'est d'abord la rencontre, la concentration d u sucre de betterave et d u sucre de canne dans le bassin de la Seine , le sucre indigène se fabriquant aujourd'hui presque exclusivement dans quatre départements qui en sont limitrophes, le sucre colonial y arrivant chaque année en plus grande quantité par le port d u Havre , et y arrivant en compagnie du sucre étranger, à qui des changements dans la législation des sucres annoncés à l'avance font toujours espérer une certaine part dans notre c o n s o m m a tion. O n comprend que ces rivaux , mis en présence dans u n étroit rayon , s'y livrent une guerre à mort, et que Paris, ce grand régulateur, transmette au reste de la France le m o u v e m e n t de baisse qui succède à chacune de leurs luttes. Dans l'enquête faite en 182g sur la question des sucres, les raffineurs, les commerçants, se


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plaignaient (pages 92 et suiv.) d'une hausse périodique sur le sucre se produisant habituellement au moment des arrivages, et provoquée par la crainte des acheteurs de manquer leur approvisionnement s'ils laissaient passer cette occasion. L'observation était juste ; la position était à l'avantage du vendeur; il exploitait l'empressement de l'acheteur. Le sucre de betterave est venu changer la situation ; il est venu exaucer outre mesure les v œ u x des raffineurs. Se produisant sur le marché long-temps après les arrivages coloniaux, s'y produisant successivement, mensuellement, à dater d'octobre, il est venu donner l'assurance aux acheteurs d'un approvisionnement régulier; il les a débarrassés d u soin de se hâter, de se pourvoir à l'avance, de se disputer la marchandise ; il a enlin éteint la spéculation, sans laquelle un marché, abandonné aux besoins lents et sans éclat de la consommation journalière, est toujours plus ou moins languissant. Tout cela était naturel, tout cela devait se passer ainsi ; mais les producteurs coloniaux et indigènes n'en ont pas moins souffert ; le consommateur seul y a trouvé son compte : c'est déjà quelque chose.


— 29 — D U SUCRE DE BETTERAVES. Illusions s u r les m é r i t e s agricoles d u s u c r e i n d i g è n e . —

S e s ten-

d a n c e s à c o n c e n t r e r sa p r o d u c t i o n d a n s les g r a n d s établiss e m e n t s et d a n s le d é p a r t e m e n t d u N o r d . —

Importance de

la b e t t e r a v e à s u c r e c o m p a r é e à celle d e s autres plantes s a r clées

C a r a c t è r e d u droit s u r le s u c r e colonial. -

Préfé-

r e n c e à d o n n e r à d'autres e n c o u r a g e m e n t s agricoles. — S i tuation d e l'industrie d u s u c r e i n d i g è n e . —

Résultats

proba-

bles d e l'égaillé d e s droits.

O n s'est long-temps passionné en France pour le sucre de betteraves. E n Fiance on aime les champs : le sucre devait y répandre la vie et la richesse. O n en avait fait le messie de l'agriculture; il lui apportait la lumière, il allait la régénérer. Beaucoup d'intéressés l'ont dit, beaucoup de croyants l'ont répété, et quelques illusions subsistent encore. Si ces illusions n'avaient pas coûté plus de 100 millions au trésor , si on ne proposait pas sérieusement de faire continuer indéfiniment par le trésor ce régime de sacrifices, il faudrait les abandonner au temps et ne pas discuter avec elles. O n a dit que cette fabrication prendrait de plus en plus le caractère agricole ; chaque petite ferme devait bientôt faire son sucre sans manipulations dispendieuses. « Quant à la supériorité » des grandes manufactures sur les petites, disait


— 30 — » u n déposant dans l'enquête de 1 8 3 6 , c'est u n e » théorie générale dont l'application à la sucre» rie de betteraves est on ne peut pas plus fausse. » V o y o n s les faits. N o m b r e de manufactures, après des essais peu fructueux, ont été obligées de ferm e r . Q u i a fermé, qui a résisté? E n classant les manufactures qui ont existé par chiffres de production, o n en trouve 426 qui produisaient de 5,ooo à 100,000 kil., 142 de 100,000 à 200,000 kilog. et au dessus , les 142 produisant plus q u e les 426 ensemble. S u r les 142 que j'appellerais grandes, 11 seulement ont fermé, moins d e16p. 100; S u r les 426 petites, 1 5 8 , 37 p. 100 environ. Entre les grands et les petits établissements, entre la prédominance d u caractère industriel o u d u caractère agricole , o n le voit, la question est définitivement jugée. O n a dit que la betterave, qui avait d û nécessairement débuter par les départements les plus avancés en culture, ne tarderait pas à se répandre de là sur toute la France, et à y disséminer les avantages qu'elle menait à sa suite. « Les fa» briques qui résisteront le m i e u x , disait-on dans » l'enquête de 1839 , et qui ont le plus d'avenir, » sont précisément celles qui sont établies dans » les départements les plus arriérés. » A l'encontre d e ces espérances, sur 18,864


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hectares cultivés en 1842 en betteraves à sucre, 4 départements des plus riches, le Nord, le P a s de-Calais, la S o m m e , l'Aisne, ont e n s e m e n c é 15,267 h. 19 c. 5 autres départements, Oise, Saône-et-Loire, P u y - d e - D ô ­ m e , Moselle et Côte-d'Or . 1,725 46 Enfin 3 o autres départe­ m e n t s ensemble . . . . 1,871 84 18,864 h. 49 c. Voilà d o n c ce trésor agricole qui devait c h a n ­ ger la face de la France, se répandre partout, se fixer surtout dans les départements les plus ar­ riérés : S u r 54 millions d'hectares, la betterave à sucre en occupe 18 mille; S u r 86 départements, elle n e se produit q u e dans 39 ; D a n s ces 39 , u n seul, le département d u N o r d , fournit la moitié de la production totale; et sur les 3 8 autres il en est 3o qui n'ensemencent pas c h a c u n u n e m o y e n n e d e 60 hectares. 60 hec­ tares , sur u n e superficie d e 600,000 hectares environ par département , quelle richesse p o u r c h a c u n d'eux ! L a betterave à sucre , o n le voit, quitte p e u à p e u tout ce qui n'est pas le département d u N o r d , p o u r s'y concentrer dans u n rayon d e quelques


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lieues, là où des terres déjà en parfaites conditions agricoles n'avaient pas besoin de ses leçons. E n 1842, on a ensemencé 973 hectares de moins qu'en 1841 , et cette diminution porte principalement sur le Pas-de-Calais, l'Aisne et la S o m m e . Pendant que ces 3 départements restreignaient leurs cultures, le Nord les augmentait. Si maintenant on veut apprécier la place que tient relativement aux autres cultures dans le departement du Nord - - son quartier général — la betterave, qui fient ailleurs une place m i n i m e et presque inaperçue, on trouve, en fait de plantes sarclées, qu'elle est primée dans ce m ê m e département Par la p o m m e de terre, dont le chiffre dépasse 12,000 hect. Le lin

10,000 11,000 29,000

Les légumes secs Le colza Indépendamment de 200,000 hectares en céréales de toutes sortes, et 69,000 hectares en prairies naturelles et artificielles. Et cependant la p o m m e de terre, le lin, le colza, y sont abandonnés à leurs propres forces. Et cependant le trésor n'est pas obligé de subventionner la fécule de p o m m e de terre, ce qui n'empêche pas la fécule d'arriver tout aussi bien que le sucre des départements d u Nord, et en quantité, sur le grand marché de Paris.


— 33 — Puisqu'il faut une prime à la betterave, pourquoi la p o m m e de terre, le lin et le chanvre, n'en réclameraient-ils pas u n e à son exemple? L a p o m m e de terre, qui nous assure contre les disettes et les chertés excessives; le lin et le chanvre, qui occupent en France 260,000 hectares, c'està-dire quinze fois plus d'espace que la betterave, et qui, après avoir été l'occasion d'un emploi considérable de main-d'œuvre agricole, deviennent dans les opérations de filature et de tissage u n emploi encore plus considérable de main-d'œuvre industrielle ! U n droit de 4 pour 100 environ protége le lin contre l'importation étrangère quand le sucre de betteraves, qui, c o m m e le sucre colonial, est protégé contre le sucre étranger par une surtaxe de 30 pour 100, voudrait conserver une seconde protection de 3o pour 100 contre le sucre colonial. C'est dans cette dernière prétention qu'est l'abus, qu'est la confusion; c'est pour les faire prévaloir qu'on invoque mal à propos le principe de la protection due au travail national ! O n oublie que l'impôt sur le sucre de cannes n'a pas été établi pour protéger le sucre de betteraves; il existait déjà quand le sucre de betteraves n'existait pas encore : c'est un droitfiscal,ce n'est pas u n droit protecteur.

Le droit protecteur d u sucre de betteraves ce 3


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sont les 20 fr. par100kilog. qui grèvent le sucre étranger; voilà ce que la loi a fait pour être fidèle au système protecteur, qui est la religion économique de la France, en faveur de l'industrie de nos colonies , tout aussi nationale que celles qui s'exercent sur le sol français; voilà ce que peut réclamer le sucre indigène, qui n'a ni d'autres droits ni d'autres titres. Si momentanément on a été plus loin , si, quand le sucre indigène assurait devoir être bientôt en mesure de payer 45 fr., le fisc s'est relâché et ne lui a demandé que10fr., puis 15 fr., puis 25 fr. , en agissant ainsi au lieu de procéder en vertu d'un principe, on a dérogé pour lui à la règle c o m m u n e , et aujourd'hui on doit tendre à y rentrer. Assurément, si la betterave à sucre avait d û tenir la moitié des promesses merveilleuses que l'on faisait en son n o m , si elle avait d û faire défricher toutes les terres incultes, couvrir nos campagnes de trèfles, de luzernes, intercaler des récoltes légumineuses entre les trois céréales qui se suivent précédées par de longues jachères, multiplier à l'infini nos races ovines et bovines: TRENTE OU QUARANTE MILLIONS, le produit tout entier de l'impôt sur le sucre, ce n'eût pas été assez pour encourager une si heureuse rénovation. Mais 6,600,000 francs annuellement sacrifiés


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sont beaucoup trop quand il ne s'agit que de gratifier des intérêts individuels, de faire hausser exceptionnellement quelques portions de terre, n o n pas parce qu'une culture plus habile les a disposées à de plus abondantes récoltes, mais parce qu'elles sont à la porte d'une fabrique de sucre qui reçoit une immunité d u trésor; c'est beaucoup trop quand il ne s'agit que de faire tripler le prix des engrais et de faire vendre 20 francs les 1000 kil. des betteraves, qui, dans des conditions normales de production , ne valent pas 15 francs. Singuliers progrès agricoles, en vérité, que ceux qu'on fait consister dans l'élévation d u prix des denrées, au lieu de les faire consister dans leur abondance ! C o m m e si l'Angleterre était plus riche que nous par cela m ê m e qu'elle est obligée de vendre son blé à ses consommateurs à 6 ou 7 francs de plus l'hectolitre qu'en France nous ne le vendons aux nôtres ! Singuliers avantages pour u n pays que d'avoir à payer plus chèrement la rente d u sol s'il ne doit pas en faire sortir de plus amples récoltes! Valeurs factices qui disparaissent avec les circonstances exceptionnelles auxquelles elles se rattachent et qu'un gouvernement sage doit prendre garde de provoquer ! Veut - on faire le sacrifice annuel de ces 6,600,000 francs au profit des progrès agricoles,


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puisque c'est toujours aux sympathies agricoles qu'on en appelle dans cette question ? Il y a, dans ce but, à en faire u n emploi plus judicieux, un emploi mieux réparti. A u lieu de les concentrer dans les plus riches départements du nord , qu'on les distribue partout, sous forme d'encouragement, à la betterave disette (la b e t t e r a v e d e s b e s t i a u x ) ; q u ' o n offre ,

par exemple, 50 francs de prime à chaque hectare ensemencé, et avec la m ê m e s o m m e on encouragera 132,000 hectares au lieu de 1 8 mille; on aura trouvé le moyen de rendre plus c o m m u n e cette viande, contre la rareté de laquelle on se récrie, si on consacre aux bestiaux la récolte entière des 132,000 hectares au lieu de n'y réserver que les résidus de la récolte de 1 8 , 0 0 0 hectares. O u bien encore, qu'on alloue cette s o m m e de 3 3 o francs que reçoit chaque hectare cultivé en betteraves à sucre — remise de 2 2 francs par 1 0 0 kilog. sur 1,500 kilog. de sucre obtenus — à chaque hectare de stériles bruyères ou de m o n tagnes dénudées que le propriétaire aura plantées ou ensemencées en bois , et chaque année 1 8 , 0 0 0 hectares viendront s'ajouter à nos richesses forestières au profit de la régularité de la température et de l'alimentation de nos cours d'eau. Les terres des départements d u nord, lors m ê m e qu'à défaut de profit le sucre y serait aban-


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donné, n'en resteront pas moins d'excellentes terres , des terres é m i n e m m e n t productives, et la population qui bine dessus des betteraves y binera des p o m m e s de terre, du lin et d u colza : les cultures pourront varier, mais le sol fertile ne cessera pas de fournir d u travail aux bras qui le cultivent aujourd'hui. Toutefois , je le répète, je ne suis pas partisan de la suppression de cette industrie; elle a d é claré à diverses reprises, et il y a long-temps déjà, qu'elle pourrait bientôt supporter des droits égaux. Je d e m a n d e que le principe en soit posé dans la loi, et que l'exécution graduée y soit déterminée avec tous ses degrés et toutes ses époques. Je divise les fabricants en trois catégories : Ceux qui, par leur habileté personnelle et une position bien choisie, peuvent produire en concurrence avec les colonies et à égalité de charges; Ceux à qui l'inégalité actuelle est indispensable pour réaliser des profits ; Ceux enfin pour qui elle est insuffisante, qui ont été frappés à mort d u jour de l'établissement de l'impôt, et qui n'ont prolongé leur existence industrielle qu'avec des sacrifices de tous les jours et dans l'espoir de l'indemnité ou d'une amélioration dans les prix. Assurément, si l'industrie d u sucre de belle-


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rave avait d û exercer l'influence agricole que des esprits illusionnés en avaient espéré; Si au tort de n'avoir pas réalisé ces espérances elle ne joignait pas le tort plus grand de porter le trouble dans nos relations coloniales , dans ces éléments de notre puissance maritime ; Si enfin notre système politique et c o m m e r cial était combiné de telle manière qu'il fût non seulement sans danger, mais m ê m e désirable pour le pays, que, dans un temps plus ou moins prochain, le marché français tout entier fût réservé au sucre indigène : A ces conditions je ne lui marchanderais pas les sacrifices du trésor : ce n'est pas alors sur la première catégorie de producteurs que je réglerais le chiifre des immunités à donner au sucre indigène; je descendrais beaucoup plus bas; je consentirais à être beaucoup plus large et beaucoup plus patient. Mais, dans la position des choses, prolonger indéfiniment l'inégalité entre les deux productions, ce serait tout à la fois une injustice, un d o m m a g e et une faute. Devant le retour à l'égalité sagement gradué, un certain nombre de fabriques mal posées succomberont , je ne m e le dissimule pas ; il en sera de m ê m e tôt ou tard dans nos colonies pour un certain nombre de planteurs. Là et là le succès


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est à certaines conditions d'aptitude et d'assiette bien choisies ; mais en m ê m e temps que se fera ce travail d'épuration, ce qui devra survivre aura une existence plus affermie. Le fabricant de sucre indigène ne subira plus alors la loi de tout ce qui l'entoure. O n a exagéré le fermage de certaines terres, le prix des engrais , le prix de la betterave; quand l'agriculture parlait de ses progrès futurs sous le patronage d u sucre, on aurait d û supposer qu'à l'aide de ces progrès il lui serait possible d'abaisser le prix de la betterave ; chaque jour au contraire elle l'élevait. Tout rentrera dans sa condition normale; le fabricant sérieux sera débarrassé de la pire des concurrences, de la concurrence des gens qui se ruinent à faire de l'industrie, et en m ê m e temps qu'il trouvera u n marché moins disputé, il o b tiendra à des conditions plus raisonnables les éléments de sa production. L'égalité, c'est le droit c o m m u n . U n gouvernement est mal venu de vouloir pondérer par des droits différentiels des industries nationales ; il est malhabile à le faire. Régler leurs débats en en immolant u n e , simplifier par le sabre la question de rivalité, c'est dur et imprévoyant tout à la fois. La pondération est une source d'erreurs ; la


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suppression pourrait être un jour une source de regrets : en abandonnant les deux industries à leurs propres forces , le c h a m p de bataille restera à la mieux constituée, et la conscience d u juge sera plus à son aise. D U PROJET MINISTÉRIEL. R e m a n î m e n t s successifs d e la législation d e s s u c r e s . — N o u v e l l e r e s s o u r c e p o u r le b u d g e t . — Brésil. —

T r a i t é d e c o m m e r c e a v e c le

S a situation a v e c la F r a n c e et l'Angleterre. —

F r a n c e d e v e n a n t le g r a n d m a r c h é d e s u c r e d e l ' E u r o p e . V i c e d u projet m i s e n r e g a r d d e ses a v a n t a g e s . —

La —

Si les

C h a m b r e s p e u v e n t poser le p r i n c i p e d e l'expropriation , il n e l e u r appartient p a s d ' e n d é t e r m i n e r le chiffre. — cipation c o m p l i q u a n t la q u e s t i o n d e s sucres. —

D e l'éman-

P a y s a n s fran-

çais; esclaves d e s Antilles. — Effets é c o n o m i q u e s d e l ' é m a n c i p a t i o n d a n s les colonies a n g l a i s e s . — A c c r o i s s e m e n t d ' i m p o r tation , s i g n e e r r o n é d e l e u r prospérité. —

L'expérience des

colonies anglaises est u n e l e ç o n à m é d i t e r .

E n 1 8 8 7 et en 1840 la législation des sucres a été remaniée; à chaque tentative le sucre indigène s'est écrié qu'on allait le tuer. Dans la bouche de fabricants encore inexperts, cette appréhension était sincère ; ils ne voyaient que les mécomptes qui leur étaient personnels et ne soupçonnaient pas toute la vitalité de leur industrie bien pratiquée. Le sucre indigène a vécu , il a vécu malgré ses charges nouvelles; il a vécu malgré la déprécia-


— 41 — tion toujours croissante du marché ; il s'accommoderait du statu quo, pourvu qu'on le consacrât. Les colonies repoussent le statu que, après six années de souffrances la mesure de leurs sacrifices est épuisée ; elles ont une population nombreuse à faire vivre, et à faire vivre de la culture du sucre. Si les terres du département du Nord, si la population qui les cultive , peuvent produire le lin, le colza, la p o m m e de terre, tout aussi fructueusement que la betterave — quand une fois la betterave ne sera plus subventionnée, — les colonies ne peuvent produire utilement que d u sucre. Le ministère, n'espérant rien d'un troisième remanîment de tarifs, entrevoyant un vice radical dans la coexistence des deux industries, des embarras toujours renaissants dans leur antagonisme prolongé, propose la suppression d u sucre indigène avec indemnité. Il veut ramener le chiffre du revenu sur le sucre à ce qu'il devrait être , il veut m ê m e l'accroître par la contribution du sucre étranger. Il a raison , avec des budgets sans équilibre , de chercher de plus amples ressources dans une consommation que l'aisance se donne sans que le besoin la prescrive ; quand l'Angleterre reçoit 120 millions de cet impôt, la France peut bien en demander 60.


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Entre le sucre colonial et le sucre indigène, entre deux rivaux qui tous deux, il faut le reconnaître, échangent du travail national contre du travail national, soit que l'échange se fasse dans l'arrondissement de Valenciennes , soit qu'il se fasse à la Guadeloupe, il préfère celui qui lui paie une redevance de 45 fr. à celui qui ne la paie que de 25 fr., celui qui est dans l'impossibilité de frauder la redevance à celui qui la fraudera toujours, quoi qu'on fasse, et qui sera d'autant plus tenté de la frauder qu'elle s'est plus élevée. Il préfère celui qui est un aliment, une occasion de commerce extérieur, un moyen de nouvelles relations , un m o y e n d'entretenir, de remonter notre marine marchande , d'accroître au besoin le personnel de notre marine militaire. S'il s'exagère peut-être ce dernier avantage, — ce qu'après recherches faites je suis tenté de croire, — il est certain qu'il apprécie fort judicieusement dans la circonstance la situation du Brésil et le parti qu'il en peut tirer. Le marché du Brésil appartiendra à qui pourra lui acheter ses sucres, et les lui acheter régulièrement. L'Angleterre peut moins que jamais être son acheteur; la voilà contrainte, depuis l'émancipation accomplie à Maurice et aux Antilles, de procurer à ses planteurs des prix très élevés , des prix en harmonie avec les frais de la production


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libre, des prix en désaccord complet avec le cours des autres marchés. Ces planteurs sont ruinés si, à ces conditions privilégiées., la consommation anglaise ne leur est pas réservée tout entière: ils produisent déjà, l'Inde y compris, plus qu'elle ne peut absorber, et ils produisent trop chèrement, depuis le travail libre, pour qu'elle en absorbe davantage; cercle vicieux dans lequel ils sont condamnés à se mouvoir. Q u a n d le ministère wigh est venu proposer en mai 1841 de réduire les droits d'entrée sur les sucres étrangers de 63 sch. à 36 sch., sans modifier le droit de 2 4 sch. payé sur le sucre colonial, il a été renversé, et l'amendement de lord Sandon a été adopté c o m m e suit : « Considérant les efforts » et les sacrifices que le parlement et le pays ont » faits pour abolir la traite des noirs et l'escla» v a g e , avec l'espoir sincère que leurs exemples » détermineront tôt ou tard les autres nations à » entrer dans la même voie; considérant d'ail-

» leurs les ressources suffisantes qu'offrent a u » jourd'hui les possessions britanniques pour la » production du sucre, la chambre ne croit pas » devoir adopter la mesure proposée par le g o u » vernement de Sa Majesté pour l'abaissement d u » droit sur le sucre étranger. » Je fais remarquer en passant que la surtaxe sur le sucre étranger au profit du sucre colonial, qui est en France


— 44 — de 2 0 fr. par 1 0 0 kil., est en Angleterre de 9 7 f. 5 o c. Les circonstances ont donc fait à la France une situation favorable ; le sucre de ses colonies ne suffit pas à sa consommation, elle peut offrir une place au sucre du Brésil, si elle se détermine à racheter le sucre indigène, elle peut y trouver en échange de nombreux débouchés. Le gouvernement, qui, au point de vue des intérêts généraux, apprécie la nécessité d'une navigation réservée , la nécessité de points de relâche dans l'Atlantique ; qui au point de vue des intérêts particuliers veut respecter les droits légitimes des colons, soulager sérieusement leur détresse , se préoccupe beaucoup moins et avec raison de la rivalité du sucre étranger que de la rivalité du sucre indigène; celle-là, il est certain de la renfermer dans des limites raisonnables, au m o y e n de la faculté qu'il tient de la loi de rehausser à tous moments la surtaxe, et il est certain ainsi de prévenir un envahissement du marché intérieur chaque fois que l'encombrement des entrepôts ou l'avilissement des cours le lui signaleront. Quelque empirisme, quelque rudesse que l'on reproche donc au projet du gouvernement, on ne saurait lui refuser une parfaite netteté et une certaine ampleur dans les vues. C'est une grande


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idée que celle d'avoir voulu faire de la France le premier marché de sucres de l'Europe , de m ê m e qu'elle est déjà le second marché de cotons. U n pays ne saurait prétendre à jouer ce rôle commercial qu'autant qu'il est lui-même un grand consommateur de la denrée, et que ses détenteurs sont encouragés à de grandes affaires ou de grands approvisionnements par la double ressource d u marché intérieur et d u marché extérieur. C'est à cette condition, c'est parce qu'ils sont placés tous les deux au centre d'une immense consommation nationale, que Le Havre et Liverpool sont, en fait de coton, les grands pourvoyeurs d u dehors. L'Angleterre a suffisamment à faire de consomm e r son propre sucre. Sa consommation étant, depuis l'émancipation, plus que jamais fermée au sucre étranger, elle ne réunit donc pas les conditions nécessaires pour en devenir le grand entrepôt. La France, au contraire, à qui le sucre indigène mis hors de cause laisse une grande marge, a un autre avantage dans sa double position sur l'Océan et la Méditerranée. Il se fait sur la Méditerranée un grand commerce de sucre raffiné; la Hollande et la Belgique s'imposent de grands sacrifices pour y avoir part ; elles y tiennent assez pour donner par la combinaison du rendement de fortes primes aux exportateurs. Quoique


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notre drawback ne constitue qu'un avantage assez minime à nos raffineurs, le port de Marseille, à raison de sa situation et au moyen des quittances qu'il se procure au Havre, pratique ce commerce sur une assez large échelle. Le sucre devient ainsi l'occasion d'un double fret, et quand il arrive sous forme brute, et quand il s'exporte sous forme raffinée; ainsi il peut provoquer des exportations là où il s'importe , et des importations là où il s'exporte, et par conséquent entretenir un grand mouvement commercial, entretenir u n grand mouvement maritime. O n comprend donc tous les avantages d'un système qui ferait de la France le grand entrepôt du sucre étranger. Voyons à quel prix on les achète : Assurément ce n'est pas par le chiffre de 40 millions d'indemnité qu'il faudrait se laisser préoccuper. Remplaçant un sucre qui paie 2 5 fr. au trésor par un sucre qui en paie 65 fr., on a l'assurance , avec une consommation de 3o à 4° millions de kil., d'être remboursé en moins de trois ans ; on opère absolument c o m m e si on donnait aux fabricants indigènes mis en interdiction, et à titre d'indemnité, une licence pour importer pendant trois ans 30 à 40 millions de kil., et les importer à 25 fr. Le trésor reçoit d'une main, paie de l'autre , et à l'expiration des


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trois ans il a accru son revenu de plus de 15 millions de francs. C'est fort séduisant. Mais cette indemnité est-elle bien suivant la charte ? Le partage, c o m m e on l'entend , serait-il suffisamment équitable ? Là commencent mes doutes. Est-ce une expropriation? Mais, dans ce cas , qui peut assurer que le chiffre du projet est trop ou est trop peu ? qui peut dire qu'il satisfera l'exproprié? o ù est son consentement préalable ? La chambre a-t-elle le droit de faire l'office d u jury ? Si elle est compétente pour poser le principe de l'expropriation , est-elle également c o m pétente pour en fixer le chiffre ? Si c'est une indemnité amiable donnée à une industrie qu'on supprime de droit et de fait, prenez garde que toute autre que vous supprimerez de fait sans la supprimer de droit ne vienne s'autoriser de ce précédent et tendre la main : prenez garde que, lors m ê m e qu'elle n'aurait pas absolument la logique pour elle , les obsessions et les influences, si puissantes dans notre forme de gouvernement, ne viennent remplacer la logique. Si vous indemnisez sans expropriation m a t é rielle, si l'indemnité est le prix du préjudice causé, et non le prix de l'immeuble industriel, êtes-vous bien certain d'indemniser tous les préjudices?


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N'y a-t—il d'ayant droit que les fabricants actuellement en exercice ? Est-il tout à fait équitable que celui qui a suspendu ses travaux à la saison dernière sans démonter son atelier, qui les aurait peut-être repris à la prochaine saison s'il avait trouvé la betterave à meilleur marché et le sucre plus cher, est-il équitable qu'il soit exclu d u partage ? Voyez par là les difficultés où vous vous engagez. Par la loi actuelle, par la suppression d u sucre indigène, vous avez la prétention dérégler définitivement la question des sucres, définitivem e n t , quand vous laissez suspendue sur la tête des colonies une question plus grave , une question dans laquelle leur avenir et la production d u sucre se trouvent bien autrement impliqués ; L'ÉMANCIPATION. Rien de plus respectable que les sentiments qui l'ont fait soulever en France; étaient-ils aussi réfléchis? Avait-on bien calculé jusqu'à quel point on serait suivi dans cette voie par l'opinion publique? S'était-on rendu suffisamment compte des différences profondes qui distinguent le pays qu'on imitait d u pays que l'on voulait émouvoir? Si on devait être déserté dans cette propagande, si on devait échouer au vote devant la question d'argent, dans quelle fausse position plaçait-on le pays tout entier? Je doute au reste que les il-


— 49 — lusions qui dominaient alors les premiers promoteurs subsistent encore aujourd'hui aussi vives après les mécomptes des Antilles anglaises; Généralement on est assez porté à considérer l'émancipatinon c o m m e u n m o y e n machiavélique d u gouvernement anglais, c o m m e u n e e m b û c h e par lui dressée aux possessions de ses voisins , pour ruiner leurs établissements coloniaux, s'emparer de la production d u sucre et la concentrer aux Indes orientales. L e gouvernement anglais en cette circonstance n'a été ni machiavélique, ni philanthrope; il n e mérite ni cette injure ni cet éloge; il a subi l'émancipation ; le parti dévot la lui a imposée. Les expédients qu'il tente sur la côte d'Afrique pour réparer ses désastres coloniaux, y recruter sous le titre d'engagés libres les travailleurs qui leur m a n q u e n t , indique suffisamment ce qu'il ferait si l'œuvre était à recommencer (1). « Je n'ai jamais cherché à enflammer les es» prits au sujet de l'esclavage, je n'ai jamais pris » une part active et ostensible à cette question », disait dans la discussion de m a i 1841 Robert Peel, cet esprit é m i n e m m e n t judicieux, émin e m m e n t pratique.

(1) Voyez à la note 5, dans l'appendice, un extrait d'un discours de lord Stanley. 4


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L e trafic h o n t e u x de la traite u n e fois aboli et sérieusement aboli, l'humanité n'a-t-elle pas reçu sa plus éclatante et sa plus pressante satisfaction? N e saurait-on laisser a u temps et a u x m œ u r s , en y arrivant par des mesures prises d e longue m a i n , le soin de transformer l'état social de nos colonies ? L a traite abolie , l'esclavage a c h a n g é de face ; avec la traite l'esclave était u n e bête de s o m m e qu'on usait sans m é n a g e m e n t , qu'on usait d'autant plus vite q u e le revenu était plus p r o m p t à reconstituer le capital e n g a g é sur sa tête. Quelle civilisation était possible avec u n e race sauvage sans liens et sans cesse renouvelée par les i m p o r tations ? Depuis l'abolition de la traite, depuis q u e la race noire s'entretient par la reproduction, les traditions peuvent se léguer, c h a q u e g é n é ration laisser à celle qui la suit les progrès qu'elle a faits. L'esclave h u m a i n e m e n t traité s'est rapproché d u foyer domestique; il est le serviteur de la famille, et n o n plus le cheptel d u d o m a i n e . Q u e les affranchissements se poursuivent, q u e les p é cules se grossissent, q u e la charrue remplace le travail à la h o u e , et avec toutes ces préparations lentes, mais efficaces, la philanthropie pourra entrevoir plus sûrement le noble but qu'elle poursuit. O n parle d'esclavage, m a i s y a-t-il d e plus


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étroite dépendance, de plus rude chaîne que la misère? Pourquoi aller si loin se mettre en quête de détresses à soulager, d'abrutissements d'esprit à moraliser, quand autour de soi on a en France, — c o m m e en Angleterre , — tant d'occasions pour appliquer sa charité évangélique ? Allez visiter nos paysans d u Limousin et de la BasseBretagne , à l'ouvrage avant le lever du soleil et long-temps encore après son coucher, se sustentant avec de l'eau et du pain noir, et aussi pauvres à la tombe qu'ils l'étaient au berceau ; faites-vous rendre compte fidèle d u traitement actuel des laboureurs des colonies , comparez et jugez. Q u e si vous voulez soumettre le noir au saint n œ u d d u mariage, pourquoi alors ne c o m menceriez-vous pas votre œuvre régénératrice par les ouvriers de Paris , dont la moitié vivent en concubinage? O ù en sont les Antilles anglaises, où est le fruit de 5 o o millions distribués aux planteurs à titre de rachat? Les plantations, incomplètement, irrégulièrement cultivées à défaut de ces m ê m e s bras, qui libérés devaient fournir plus de travail qu'esclaves; la production rendue ruineuse, le sucre anglais en 1840 à 4 8 schel. à l'entrepôt, en regard d u sucre étranger, alors à 2 2 schel. , ce m ê m e sacre se vendant à la Guyane anglaise en 1 8 3 8 et 1 8 3 9 4 3 fr. 7 5 c. les 50 kil., pendant qu'à


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la Guyane française il se vendait 16 fr. ; la cons o m m a t i o n obligée de se restreindre devant cette hausse, et payant une seconde fois le tribut de l'émancipation dans le prix excessif de la denrée : voilà la situation. O n parle de la fréquentation régulière des écoles par les enfants des libérés, de la bonne tenue de ces écoles, Mais lisez les enquêtes, et là vous verrez, — dans toutes sans exception, et quels que soient le caractère et la position d u déposant,— que ces enfants, détournés, dégoûtés d u travail agricole par leurs parents, abandonnés en dehors de l'école à une complète oisiveté, préparent une génération encore plus rebelle à la culture d u sol, son unique destination, que la génération actuelle (1).

(1) A n t i g u e , n ' a y a n t p a s a c c e p t é le r é g i m e d e l'apprentissage, se t r o u v e , p a r c e fait, avoir u n e j e u n e g é n é r a t i o n p l u s a v a n c é e q u e celle d e s a u t r e s colonies. L e s e n f a n t s o n t d é j à plusieurs a n n é e s d ' é t u d e s assidues ; ils s o n t arrivés a u x d e r n i è r e s limites d e l'instruction p r i m a i r e . Il faut éclaircir les r a n g s p o u r faire place a u x exigences nouvelles. L ' o n c o n g é d i e d o n c c h a q u e j o u r d ' a n c i e n s écoliers p o u r e n p r e n d r e d e n o u v e a u x ; l e u r â g e , d'ailleurs, leur d é v e l o p p e m e n t p h y s i q u e , les r e n d r a i e n t ridicules s u r les b a n c s destinés à l'enfance. M a i s ces j e u n e s g e n s , q u e deviennent-ils ? Ils s a v e n t lire et é c r i r e , ils c o n n a i s s e n t les p r e m i è r e s règles d e l ' a r i t h m é t i q u e , ils o n t a p p r i s les c o m m a n d e m e n t s d e D i e u et d e l'Eglise, ils s a v e n t c h a n t e r d e s c a n t i q u e s à la l o u a n g e d u S e i g n e u r ; m a i s ils n e s a v e n t p a s se servir d u p l u s s i m p l e d e s i n s t r u m e n t s aratoires : ils o n t p a s s é l e u r j e u -


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U n e case, u n coin de terre, la liberté de ne rien faire, voilà ce qui suffit à u n nègre. Avec dé semblables éléments de production, les A n tilles ne seront pas long-temps de grandes fermes à sucre; ce n'est pas avec cette organisation so-

n e s s e s u r les b a n c s , et leurs p a r e n t s les o n t e n t r e t e n u s d a n s l'idée q u e le travail d e s c h a m p s , q u i l e u r r a p p e l l e s a n s cesse l'esclavage, n e doit p a s être p o u r e u x m o i n s h u m i l i a n t . Q u e d e s viendront-ils d o n c c e s j e u n e s g e n s , q u e d e s soins m a l e n t e n d u s d ' u n c ô t é , q u e d e s p r é v e n t i o n s injustes d e l'autre, o n t p l a c é s d a n s u n i s o l e m e n t q u i n e c o n v i e n t ni à l e u r p o i n t d e d é p a r t n i à l e u r f o r t u n e ? J e laisse les h a b i t a n t s d ' A n l i g u e r é p o n d r e à celte q u e s t i o n . Ils v o u s d i r o n t q u e c e s d e m i - s a v a n t s p e u p l e n t d e s villes , qu'ils participent a u x d é s o r d r e s et a u x v o l s , d e v e n u s f r é q u e n t s d e p u i s l ' é m a n c i p a t i o n , et q u e c'est d a n s cette i n d u s trie, à p e u p r è s n o u v e l l e d a n s les c o l o n i e s , qu'ils t r o u v e n t l e u r s m o y e n s d'existence. E n m a q u a l i t é d e v o y a g e u r et d ' é t r a n g e r , il n e m ' a p a s é t é p o s s i b l e d e c o n n a î t r e a u juste c e qu'il y a d e vrai d a n s cette a s sertion ; c e p e n d a n t j e sais assez c e q u i s e p a s s e d a n s le p a y s p o u r y donner quelque créance. M a i s si la direction q u e p r e n n e n t les j e u n e ; h o m m e s e n q u i t t a n t les b a n c s é c h a p p e a u x investigations o r d i n a i r e s , il n ' e n est p a s d e m ê m e d e celle d e s filles. J e n'ai p a s p o u r h a b i t u d e d e s o n d e r t r o p p r o f o n d é m e n t les plaies d e la société ; m a i s , q u a n d elles s u r g i s s e n t d e t o u t e s p a r t s , q u a n d elles s e p r é s e n t e n t d'ell e s - m ê m e s , j e n e p u i s e n n i e r l'existence : d'ailleurs, m a q u a lité d ' o b s e r v a t e u r i m p a r t i a l m ' i m p o s e le d e v o i r d e d é v o i l e r le m a l c o m m e d e s i g n a l e r le b i e n . S o u s l ' e s c l a v a g e , les m œ u r s é t a i e n t loin, s a n s d o u t e , d'être r é g u l i è r e s ; m a i s le spectacle d é g o û t a n t d u vice n e s e m o n t r a i t p a s c o m m e il le fait a u j o u r d ' h u i . L a ville d e S a i n t - J e a n a d é p l o y é à m e s y e u x c e q u e j e n ' a v a i s e n c o r e r e n c o n t r é q u ' a u m i l i e u d e la civilisation d e la vieille E u r o p e . N u l l e p a r t , d a n s les c o l o n i e s , j e n'avais t r o u v é


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ciale que l'on fonde de grandes cultures, de grandes industries, de grandes choses : la civilisation, le progrès, demandent la division du travail, non moins qu'elles repoussent la division d u sol au delà de certaines limites. Le nègre ne fera jamais rien à moins que d'être

les r u e s c o u v e r t e s d e filles , o u p o u r m i e u x dire d'enfants s p é c u l a n t s u r les a v a n t a g e s p h y s i q u e s q u e la n a t u r e leur a d o n n é s : je d e v a i s v o i r cela p o u r la p r e m i è r e fois à A n t i g u e , et j e suis f o r c é d ' a v o u e r q u e j e l'ai v u s u r u n e g r a n d e échelle. M a i s , d i s j e a u x h a b i t a n t s , d ' o ù p r o v i e n n e n t d o n c c e s j e u n e s prostituées q u i , le soir, r e m p l i s s e n t v o s r u e s , c o u v r e n t v o s q u a i s , a s s i è g e n t les v o y a g e u r s s u r la p o r t e d e v o s hôtels ? A cela j e n'ai j a m a i s o b t e n u d'autre r é p o n s e q u e celle-ci : Elles sortent des écoles. Q u e c o n c l u r e d e tout c e c i , s i n o n qu'il y a q u e l q u e c h o s e d e vrai d a n s u n e assertion q u e l'on t r o u v e d a n s toutes les b o u c h e s : c'est q u e la p h i l a n t h r o p i e s'est t r o m p é e e n a d o p t a n t d e s m o y e n s d e m o r a l i s a t i o n d o n t les résultats s o n t si d é p l o r a b l e s . J'avais t o u j o u r s p e n s é q u ' u n e instruction o r a l e était suffisante p o u r la m a j o r i t é d e s p o p u l a t i o n s n o i r e s . C e q u e j'ai v u d a n s ces d e r n i e r s t e m p s m ' a c o n v a i n c u d u d a n g e r d e s écoles p e r m a n e n t e s , et m e c o r r o b o r e d a n s m a p r e m i è r e i d é e . L e s A n g l a i s c o m m e t t e n t c h a q u e j o u r u n e a u t r e faute : c'est celle d e n e p a s relever d a n s l'esprit d e s e n f a n t s le travail d e s c h a m p s , c'est d e n e p a s l ' e n c o u r a g e r p a r d e s p r i m e s , c'est d e n e p a s faire tant d e c h o s e s q u i p o u r r a i e n t être faites d a n s l'intérêt d e l'agriculture et d e s a g r i c u l t e u r s , a u lieu d e d é p e n s e r d e s s o m m e s é n o r m e s à ériger d e s écoles et à é b a u c h e r d e s é d u c a t i o n s q u i t e n d e n t à plac e r la j e u n e s s e d a n s celte position: qu'elle est t r o p s a v a n t e p o u r aller a u x c h a m p s , et qu'elle n e l'est p a s assez p o u r p r e n d r e la c o n d i t i o n sociale qu'elle v o u d r a i t avoir. ( Extrait d'un rapport adressé au ministre de la marine en France par le capitaine de corvette Layrle. )


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dirigé et dominé par le blanc. Si on a voulu constituer une société de philosophes africains, Diogènes noirs, vivant sans soucis c o m m e sans besoins à l'ombre d'un ajoupa, à la bonne heure; mais 500 millions dépensés, c'est u n peu cher pour cette œuvre philosophique. Je sais bien que , pour affaiblir l'impression produite par la diminution d u travail aux A n tilles anglaises et la diminution de leurs exportations , on a fait sonner bien haut dans le parlement anglais le chiffre croissant des marchandises importées par la métropole, tout en le présentant c o m m e u n signe de prospérité. D'abord, on oubliait de tenir compte des consommations extraordinaires provoquées aux colonies par la distribution des 5oo millions, qui tous n'avaient pas été employés à solder les créanciers de la métropole; puis on raisonnait sans logique quand on s'applaudissait d'avoir reçu moins de marchandises, et d'en avoir donné davantage pour les payer. Si le nègre, depuis qu'il est libre, exige, pour le court espace de temps qu'il consent à donner au travail, u n salaire exagéré; s'il ne produit plus qu'une livre de sucre, quand auparavant il en produisait deux; si la métropole se croit obligée de payer cette livre plus cher qu'elle ne payait les deux ensemble, assurément le travailleur noir


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a une condition fort douce et fort enviable : il travaille peu, il gagne beaucoup; le voilà en position de devenir un admirable consommateur , mais aux dépens de qui ? Le planteur, la métropole , la société tout entière, veut-on faire leur compte ? E n 1830 , sous le régime de l'esclavage, les Antilles anglaises ont produit 3,941,551 quint, de sucre; — il valait en Angleterre à l'entrepôt 30 sch.; — elles ont produit en 1840, sous le régime libre, 2,210,226 quint. Le sucre valait à l'entrepôt 49 sch. Entre ces deux années si diversement rémunérées, veut-on dire de quel côté est la richesse? Cette digression sur l'émancipation a son actualité; on annonce cette question c o m m e devant être incessamment à l'ordre du jour. D'ailleurs , au nombre des arguments contre l'existence du sucre indigène, le gouvernement fait valoir la nécessité de le supprimer si on veut rendre possible l'émancipation. A ceux qui lui disent : Comment songez-vous à supprimer la production indigène , comment songez-vous à vous priver de cette ressource, avant de savoir si l'émancipation n'empêchera pas ou du moins n'affaiblira pas la production coloniale, il répond : Je ne puis émanciper qu'à la condition préalable de supprimer, c'est-à-dire je ne tiens à vous faire payer une première indemnité de 40 millious que


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pour vous en faire payer bientôt plus facilement une seconde de 150 ; je ne tiens à m e débarrasser de la fabrication indigène, qui aurait prévenu la rareté et la cherté d u sucre, que pour vous obliger plus sûrement à subir plus tard cette rareté et cette cherté au profit des colonies. Nous voilà bien avertis, nous voilà bien prévenus ; accoutumés que nous étions à consommer le sucre à bon marché, préparons-nous aux conséquences qui se sont produites en Angleterreà la suite de l'émancipation, à la nécessité de soutenir les colonies que cette mesure aura ébranlées par une prime imposée à tous les consommateurs. L'argument sera employé. Je crois qu'on pouvait choisir mieux ; je doute qu'il persuade de la nécessité de supprimer la fabrication indigène ; je doute qu'il fasse des partisans bien chauds à l'émancipation. Le projet de loi n'a pas m o n assentiment : à deux conditions seulement je le concevrais ; la C h a m b r e votant l'expropriation matérielle et individuelle de toutes les fabriques de sucre indigène en exercice, en m ê m e temps que l'interdiction de l'industrie en général ; votant u n crédit à valoir sur la dépense qui serait ultérieurement réglée après les estimations d u jury : l'émancipation abandonnée , ou d'avance formulée sur des bases qui ne devront ni bouleverser les condi-


— 58 — tions de la production aux Antilles, ni onérer le trésor. Encore une fois il ne faut pas répéter l'expérience anglaise, il ne faut pas donner une première indemnité pour tuer la production du sucre en France , et avoir bientôt à en donner une seconde pour tuer la production d u sucre aux A n tilles ; c'est assez d'une si déjà ce n'est pas trop. U n e dernière considération à l'encontre d u projet de loi, c'est qu'il y a de la témérité, dans u n temps où la science par ses progrès déjoue tous les calculs, à proscrire une industrie parce qu'on ne la suppose pas assez riche d'avenir. Qu'on en fasse u n monopole au profit de l'état, cela se défend; mais, dans u n temps où la liberté a été si favorable à nos industries, prononcer l'interdiction de l'une d'entré elles, décider de ses destinées futures, que nous ne connaissons pas plus qu'elle ne les connaît elle-même , il y a tout au moins de l'imprévoyance. Laissons-la vivre à ses périls et risques ; traitons-la à l'égal du sucre colonial ; soyons bon père à tous les deux : une fois mis sous le m ê m e régime, à eux le reste.

DU PROJET DE LA COMMISSION. Il c o n s a c r e l'inégalité ; l'égalité d e droits d e v i e n t facullative pour

le p r o d u c t e u r

indigène. —

Il p r o v o q u e

doublement

la f r a u d e . — Il p e u t être l é g a l e m e n t é l u d é . — D a n s certains


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c a s il f r a p p e i n j u s t e m e n t . — Il est c o n t r a i r e a u x vrais p r i n c i p e s é c o n o m i q u e s . — Il c r é e u n e c o r p o r a t i o n . — Il est d e structif d e tout p r o g r è s . — L'association a l l e m a n d e , q u i n ' e n fait q u ' u n essai t e m p o r a i r e , est d a n s d'autres c o n d i t i o n s c o m m e r c i a l e s q u e la F r a n c e . — L a q u e s t i o n n e saurait être a j o u r n é e . — L'égalité d e s droits c'est le m o y e n le p l u s n e t et le p l u s l é g i t i m e d e la r é s o u d r e .

La majorité de la commission a repoussé successivement et la suppression d u sucre indigène, que proposait le projet ministériel, et l'égalité des droits , que la minorité y voulait substituer. Jusque alors , et dans toutes les occasions solennelles, l'égalité avait été proclamée c o m m e le principe, l'inégalité c o m m e une condition temporaire , c o m m e u n ménagement transitoire qui chaque jour s'approchait davantage de son term e . Ce terme paraissait atteint si on prenait en considération les besoins du trésor toujours croissants, et les colonies acculées au dernier degré de la détresse par u n rival subventionné. La loi de 1 8 4 0 semblait donc devoir être sérieusement m o difiée. La majorité de la commission en a jugé autrement ; moins frappée probablement que la minorité de la gravité des souffrances coloniales, elle s'est montrée beaucoup plus préoccupée de prévenir l'étendue d u mal que de guérir le mal déjà fait ; elle a stipulé plutôt pour l'avenir que pour le présent.


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Ainsi elle laisse, à peu de chose près, au sucre indigène son immunité actuelle ; à peu de chose près elle consacre à jamais les chiffres temporaires de 1840 : l'inégalité devient le principe, l'égalité n'est plus que la faculté. L'industrie indigène choisira elle-même le m o m e n t où il lui conviendra de payer le chiffre de l'impôt colonial. Elle le retardera, elle le précipitera à son gré ou l'ajournera indéfiniment. La situation actuelle, voilà son droit; on lui en consent titre; on ne la surtaxera que si elle veut s'agrandir. Aujourd'hui donc le système et le langage sont changés; on dit au sucre indigène : Ne vous gênez pas, nous sommes riches à millions ; nous ne comptons avec personne , pas plus avec vous qu'avec l'Algérie ; vous valez bien l'Algérie , et l'Algérie vous vaut bien. Q u e si vous faites étatalage de vos richesses, nous serons obligé de vous rappeler que nous sommes vos créanciers, et vos créanciers déjà un peu arriérés ; mais s'il vous convient, au contraire, de garder les apparences modestes sous lesquelles vous vous produisez, nous vous laisserons en paix, nous oublierons que vous existez. Le sucre colonial pourra bien en garder souvenance; mais, après tout, c'est son affaire. Tenez-vous donc pour averti, réglez vousm ê m e votre situation, faites-la ce que vous voulez qu'elle soit; avec cette liberté, vous serez bien


— 61 — mal habile si vous nous donnez jamais un sou de plus. Par sa résolution, la commission m e semble avoir admis au moins implicitement la série des propositions suivantes : 1° Les colonies , qui vendaient leur sucre a u Havre 62 fr. les 5o kilos en 1840, au m o m e n t o ù la législation se remaniait, — 62 fr. qui en représentaient 7 3 , puisque le droit colonial avait été dégrevé de 11 fr.; — les colonies, qui, en 1838 et 1839, avaient p u dégorger sur les marchés voisins le trop-plein de nos entrepôts, ne sont pas plus souffrantes aujourd'hui qu'en 1 8 4 0 ; aujourd'hui qu'elles ne le vendent que 56 fr., malgré ce qu'on fonde d'espoir sur de nouveaux tarifs, aujourd'hui qu'elles ne trouveraient pas à réexporter avec [avantage un seul kilo de leur sucre brut sur les marchés voisins , aujourd'hui enfin que trois ans d'agonie prolongée sont venus ajouter à leur épuisement. 2° L'avilissement d'une denrée, quand ses frais de production n'ont pas diminué, quand son prix de revient est demeuré le m ê m e pour le producteur, n'est pas u n signed'encombrement,u n symptôme de plénitude; il ne faut pas conclure de cet avilissement , quand les éléments des prix n'ont pas varié, que le vendeur est plus pressé de réaliser, le consommateur moins pressé d'acheter,


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et par conséquent qu'il y a rupture d'équilibre entre l'offre et la demande. 3° Le sucre des colonies n'est pas, c o m m e le sucre indigène, une industrie nationale ; il n'a pas droit, c o m m e son concurrent, au traitement national; ou mieux encore, il est d'un bon système économique pour u n pays de faire le décompte de ses industries nationales, de se constituer leur régulateur, d'ajouter un poids là où la balance est légère, d'alléger le plateau là où il est trop lourd, au lieu de les abandonner à leur pondération naturelle. 4° Entre ces deux produits également français, l'un qui vivifie nos ports, met en m o u v e m e n t notre matériel naval, entretient notre commerce extérieur, répond à des intérêts nombreux sur tous les points de la France; l'autre qui, dans u n coin du territoire, fait sarcler 18 mille hectares de betteraves, là où on sarclerait tout aussi bien des p o m m e s de terre ou du colza , une administralion judicieuse et jalouse de servir les grands intérêts généraux d u pays doit faire pencher sa prédilection et sa faveur vers le second. 5° Le sucre indigène est une industrie agricole bien autrement importante pour le pays que la production d u blé, des bestiaux, de la laine, etc., puisqu'on se croit obligé de continuer à le protéger contre le sucre étranger par u n droit diffé-


63 —

rentiel de 2 2 fr. les 5o kilos, ce qui, sur la valeur du sucre étranger à 26 fr. dans nos entrepôts, constitue une protection de . 85 p. 100 Tandis que le blé étranger, le BLÉ au dessous du prix régulateur de chaque zone, ne paie que 4 fr. 75 cent par hectolitre , ce qui fait en moyenne 25 Les bêtes à corne et à laine u n droitqui ne va pas à 20 Les laines 20 Les suifs 20 Le lin 5 Les graines oléagineuses . . . 2 à 3 Les fécules de p o m m e s de terre . 25 Le salpêtre 3o Le fer (au charbon de bois) . . 35 — Quel fait inconnu vient de dévoiler le tarif des douanes ! Qui se serait douté, avant de le consulter, de cette grande importance d u sucre indigène ! qui se serait douté d u rôle qu'il joue dans nos besoins sociaux et politiques, de sa prééminence sur L E B L É , L E F E R E T L A P O U D R E , ces trois ressources si nécessaires à fixer sur le sol national quand on veut sauvegarder son indépendance î 6° Enfin, — pour sixième et dernière proposition,— on peut tout à la fois, sans cesser d'être


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logique, sans cesser d'être conséquent, poser en principe qu'une industrie intéresse au plus haut degré la prospérité du pays, et en m ê m e temps la limiter et la menacer dans ses progrès. — C'est ce qu'a fait la commission. — Quelque paradoxales que semblent ces propositions, il faut cependant toutes les admettre si l'onveut se constituer le défenseur d u système la commission. Je le suppose accueilli par la chambre, voyonsle à l'exécution : C o m m e on le sait, il comporte la mobilité de l'impôt sur le sucre indigène ; échelle ascendante à partir de 30 fr. les cent kilog. et de 30 millions de production, par degré de 5 fr. de droit et de 5 millions de production. U n inventaire de la fabrication quifinit,arrêté chaque année en juillet, règle d'après le chiffre trouvé le droit de la fabrication qui commencera au mois d'octobre de l'année suivante. U n e fois arrivé à 4 5 millions, liberté pleine et entière pour le sucre indigène, qui paie alors 4 5 fr., toutefois sans perdre pour cela la faculté de faire réduire le droit s'il lui convient plus tard de réduire sa production, et de reprendre pour redescendre à 3 o fr. la m ê m e échelle par laquelle il est monté à 4 5 fr. O n voit déjà u n nouvel encouragement, une nouvelle prime à la fraude ; à la pratiquer, en ef-


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fet, le fabricant trouve dans ce système u n double intérêt : d'abord il épargne les droits actuels des quantités qu'il ne déclare pas; puis en dissimulant ces quantités, il réduit d'autant le chiffre régulateur de l'inventaire, et affaiblit ainsi en faveur de sa future fabrication le droit de l'année qui va suivre. Ce n'est pas tout, une autre voie lui est offerte pour éluder la loi, en toute honnêteté, en toute conscience. U n des vices de ce projet, et il est saillant, c'est, tout en voulant prévenir l'extension démesurée d u sucre indigène, de n'user de la répression que long-temps après que le mal s'est produit, et souvent quand il aura semblé disparaître. Les fabricants, en mettant de concert dans leur fabrication une intermittence habilement calculée , s'organiseront pour récolter beaucoup dans les années qui régleront le droit, et pour récolter peu dans les années qui le subiront. Ainsi s'ils commencent à 3 o millions c o m m e point de départ en juillet 1 8 4 6 , il leur sera loisible de fabriquer 8 0 millions de 1 8 4 6 à 1 8 4 7 , 8 0 millions encore de 1 8 4 7 à 1 8 4 8 , sous l'empire d u droit de 3 o fr. qu'aura déterminé l'inventaire de 1 8 4 6 . Puis, en préparant leurs semences en conséquence , ils réduiront à 3 o millions et leur fabrication de 1 8 4 8 - 1 8 4 9 , et celle de 1 8 4 9 - 1 8 5 0 , qui 5


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doivent subir les 45 fr. de droit, en telle sorte qu'ils n'auront payé dans quatre ans sur une fabrication de 2 2 0 millions qu'un droit en m o y e n n e de 3 7 fr. 5 o c , au lieu de payer 4 5 fr. c o m m e ils auraient d û le faire dans l'esprit d u projet, si leur production eût été répartie sur les quatre années, et l'effet d'encombrement qu'on voulait prévenir ne s'en serapas moins produit sur le marché. Dans une autre supposition, ce n'est pas le fisc, c'est le fabricant qui pourra être victime à son tour. La betterave aura rencontré de magnifiques conditions de végétation dans une saison à la fois chaude, et légèrement pluvieuse ; elle sera abondante, sucrée. U n automne précoce permettra de cueillir de bonne heure et de fabriquer rapidement. O n était entre 3 o et 3 5 millions, on n'avait pas touché la limite de 3 5 , et par conséquent on ne payait encore que 3 o fr. Cette abondance imprévue atteint et dépasse les 3 5 millions , et voilà l'industrie, qui ne l'avait pas souhaitée, contrainte à l'avenir de payer 3 5 fr. sur des récoltes que des contrariétés atmosphériques feront peutêtre les plus misérables d u m o n d e . La voilà obligée de m u r m u r e r contre un événement qu'avec une autre législation elle eût accueilli avec bénédictions , elle eût accepté c o m m e u n bienfait de la Providence.


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Voilà à quoi aboutit u n système sans fixité, qui met le producteur à la merci des éléments ; système en désaccord avec les véritables principes économiques, car il incrimine l'abondance et décourage le progrès, car il limite et réglemente le commerce intérieur, car il oblige les fabricants à recommencer en quelque sorte les corporations, à se réunir en syndicat pour se partager le chiffre licite de production. G o m m e n t , en effet, se garer sans cette précaution d u surcroît d'impôt, de l'espèce d'amende qui les frapperait si , opérant chacun isolément et sans évaluation préalable d u résultat général, ils franchissaient involontairement la limite ? L a commission a voulu n'atteindre le progrès industriel par l'élévation de l'impôt qu'après qu'il se serait clairement manifesté ; mais il n'aura garde de se manifester. O n comprendrait en effet que l'esprit inventif se mît à la torture jour et nuit pour sortir d'une mauvaise situation ; mais pour la voir empirer il ne prendra pas tant de peine ; pour passer de 30 fr. d'impôt à 45 fr., il n'y a pas de hâte, il n'y a pas d'impatience à avoir. Pourquoi le fabricant poursuivrait-il le progrès par des recherches laborieuses, par de nouvelles mises hors souvent aventurées, pour le faire confisquer par le fisc à


— 68 — mesure qu'il se produirait? Sagement inspiré, il se tiendra pour satisfait de l'immunité qu'on lui a faite : sans labeurs d'esprit, sans dépenses n o u velles, il en jouira à jamais, et jamais ne vous paiera cette égalité d'impôt que vous nous présentiez c o m m e le couronnement futur de votre système. D e m a n d e z aux maîtres de forges combien ils employaient de charbon de bois, il y a vingt ans, pour mettre le minerai en fusion, pour battre la loupe, quand il y a vingt ans le fer se vendait plus cher et le bois à bien meilleur marché qu'aujourd'hui : beaucoup plus qu'ils n'en emploient. Si le bois n'avait pas doublé de valeur, si le prix d u fer n'avait pas diminué, ils travailleraient encore avec tout aussi peu d'économie; la nécessité leur a mis l'épée dans les reins; la nécessité, ce génie auquel l'industrie vient demander ses inspirations , ce stimulant obligé sans lequel elle s'arrête et s'endort en chemin. Le système que propose la majorité de la commission est emprunté à l'association des douanes allemandes , il y est nouveau, et il y est temporairement à l'essai jusqu'en mai 1 8 4 4 , époque à laquelle les états qui la composent statueront définitivement sur le régimefiscalà appliquer au sucre. Il est fort remarquable que l'Allemagne, pays


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é m i n e m m e n t agricole, qui n'a pas donné à ses manufactures ce développement qui comporte et c o m m a n d e des débouchés extérieurs; l'Allemagne, obligée de demander encore à l'Angleterre et à la France une portion des produits industriels qu'elle c o n s o m m e ; l'Allemagne, située au milieu des terres et n'ayant qu'un commerce maritime restreint sur la Baltique ; l'Allemagne , sans colonies à sucre et en parfaite liberté par conséquent de donner sur son fertile sol une grande extension à la culture de la betterave , ait été si vite préoccupée du besoin de gêner et de limiter cette extension , se soit empressée de restreindre la part du sucre indigène au cinquième de sa consommation. Mais l'Allemagne veut se ménager l'avenir, mais elle songe à se garder des moyens de c o m merce extérieur, mais elle songe à se donner des ports de mer, à attirer B r ê m e et H a m b o u r g dans sa grande sphère d'action î A quoi bon des ports de mer, c o m m e n t u n commerce extérieur, si d'avance elle s'ôtait la ressource d u sucre étranger ? Elle songe aussi à se conserver des moyens financiers et elle sait bien qu'elle les obtiendra beaucoup plus sûrement d u sucre des Tropiques que d u sucre d'Europe. Si en Allemagne on a raisonné avec cette pré-


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voyance, c o m m e n t en France devrions-nous raisonner ? Assurément c'est u n e arithmétique fort ingénieuse, c'est u n e relation de chiffres fort c o m m o d e que cette concordance, que cette consonnance entre 30 fr. de droit et 30 millions de sucre, entre 35 fr. et 35 millions , entre 40 fr. et 40 millions, ainsi de suite; mais, en affaires bien plus encore qu'en poésie, il faut que rime et raison s'accordent ensemble. Je le dis en toute conviction, le système proposé n'aura qu'un résultat : l'aliénation indéfinie de 5 à 6 , 0 0 0 , 0 0 0 francs de rente au profit de l'industrie d u sucre indigène, sans profit aucun pour les grands intérêts généraux d u pays , au détriment d u trésor, qui, dans la situation financière actuelle, est peut-être le premier de ces intérêts : 5 à 6 millions, — la moitié de l'économie qu'on s'étaitpromise de la conversion de la rente, de cette conversion qui a tant agité le pays et qui aujourd'hui le trouverait si indifférent. — N'estce rien quand on en est aux expédients pour aligner u n budget ? C e serait peu de chose à la vérité si la betterave avait p u ramener dans nos c h a m p s cet âge d'or qu'on nous avait tant promis. Qui de nous n'a entendu ces délicieuses idylles qu'elle inspi-


— 71 — rait à ses adeptes ? Qui peut-être u n m o m e n t ne s'en est laissé charmer? L'abondance sur toutes les tables rustiques, l'aisance sous tous les chaumes, et la moralité dans toutes les familles: ces rêves sont si d o u x , notre imagination s'en bercerait sivolontiers! Quelques esprits illusionnés les nourrissent encore. Q u e Dieu les exauce, mais que la loi qu'on présente n'essaie pas d'en faire les frais 1 E n résumé, sur la question des sucres, il faut qu'elle se tranche, qu'elle se tranche dans cette session ; il le faut, car elle tient tout en suspens , n o n moins par l'importance qu'elle a réellement que par l'importance plus grande encore qu'on lui attribue en l'exagérant. Elle entretient l'erreur dans les esprits, parce qu'elle n'a jamais été nettement résolue, parce que toujours on a espéré d'une future et meilleure solution au delà de ce qu'on en devait raisonnablement espérer. Les planteurs de nos colonies souffrent et souffrent par le fait d u sucre indigène; mais ils lui attribuent absolument toutes leurs souffrances, et là n'en est pas la seule source. Les ports de m e r font cause c o m m u n e avec les planteurs ; à titre de créanciers, naturellement ils surveillent leur gage; trop souvent d'ailleurs, tantôt


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c o m m e affréteurs pour le compte des colons, tantôt c o m m e importateurs pour leur propre compte, leurs opérations sur le sucre ont été désastreuses. Toutefois les ports de m e r ne sauraient oublier que jusqu'en 1 8 4 1 nos affaires maritimes ont été toujours croissant. Si leur résultat liquide n'a pas répondu à leur n o m b r e , il faut reconnaître qu'une cause générale de dépréciation depuis quelques années pèse en Europe sur toutes les denrées importées d u dehors, en Angleterre c o m m e en France, en Angleterre plus qu'en France, cause qui remonte aux désordres financiers et commerciaux des États-Unis. Q u e l'on rentre dans le droit c o m m u n , et toutes les récriminations cesseront. Si les deux sucres nationaux ont le m ê m e traitement, si tous les deux ils paient 45 fr., les colons et les ports de mer seront mal venus à demander la suppression d u sucre indigène , et chambres et ministère ne perdront plus leur temps à rechercher chaque année la cause du mal, uniquement là où elle n'est pas tout entière. C'est cette égalité à laquelle il faut sincèrement revenir, qu'il faut écrire dans la loi, avec u n terme suffisamment ménagé sans être trop long. E n rachetant ce terme, en escomptant l'é-


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chéance accordée , on aurait dès à présent rend u beaucoup plus nette la position de tous les intéressés. J'en ai la conviction, mais elle n'est pas assez partagée ailleurs pour m e faire insister.

FIN.



APPENDICE. № 1 (page 8 ) . Marchandises d'encombrement importées en France par mer. Tonneaux (de l000 kil.)

Houille. . . . . . . . . . . . . Sucres coloniaux 85,000 — étrangers 22,000 __. Céréales. Coton Graines Morue . . : H u i l e d'olive Cuivre , p l o m b C a f é , c a c a o et p o i v r e . F o n t e , fer C h a n v r e , lin e n m a s s e et e n fil. . . . . Tabac Suif. Lame H u i l e d e baleine .

448,000

107,000 91,000 73,000 54,000 37,000 32,000 27,000 24,000 22,000 18,000 14,000 11,000 11,000 9,000

2 (page 8 ) .

Tonnage des importations anglaises par bâtiments du lieu de provenance et bâtiments anglais. SUÈDE. Vaisseaux suédois

anglais

tonneaux.

NORWÈGE. DANEMARCK Vaisseaux n o r w é g . anglais tonneaux.

Vaisseaux danois

PRUSSE. Vaisseaux

anglais prussiens

tonneaux.

anglais

tonneaux.

ÉTATS-UNIS. Vaisseaux américains

anglais

tonneaux.

4835 55,061 12,036 95,049 2,592 49,008 6,007 124,144 15,514 236,395 82,453 4836 42,439 10,865 125,875 1,575 51,907 2,152 174,459 42,567 226,483 86,383 4837 42,692 7,608 88,004 1,055 55,961 5,557 145,742 67,566 275,815 81,023 1838 58,991 10,425 110,817 1,564 57,554 5,466175,643 86,754 357,467 83,205 108,960 5,556229,208 111.470 282,005 92,482 4839 45,270 8,559 ! 09,228 2,582 4840 53,537 11,955 114,241 3,106^105,067 6,327257,984 112,700 426,887 138,201


— 76 — № 3

CONSOMMATION Consommation en Angleterre. Années.

Prix à Londres du sucre de Brésil, à l'entrepôt.

Quantités.

Prix en entrepôt.

quintaux .

le quintal anglais.

le quintal anglais.

1820

2 901 000

53Sh.3d.

1821

3 056 000

50

1822

2 989 000

28

1823

3 218 000

29

5

»

1824

3 367 000

28

6

24

1825

3 079 000

55

9

55

1826

3 573 000

52

5

50

1827

3 340 000

»

1828

3 601 000

31

8

28

1829

3 539 000

23

9

21

1830

3 722 000

25

1831

3 787 000

25

1832

3 655 000

51

21

1833

3 651 000

29

22

1854

3 741 000

29

25

1835

3 856 000

55

27

1836

5 488 000

40

9

28

1837

3 954,000

54

5

21

1838

3 909 000

55

7

21

1839

5 825 000

39

4

22

1840

3 594 000

49

21

1841

3 600 000

41

21

inconnu

54

21

1842

* Le quintal anglais vaut50k et une fraction,

2

» sh.

» »

50

19 8

18


— 77 — (page 2 0 ) . DU

SUCRE.


78

N. 4 ( p a g e 2 6 ) .

SUCRE. PRODUCTION

PRODUCTION

DES COLONIES ANGLAISES. Maurice. Indes orientales. kilog.

1816 1817 1818 1819 1820 1821 1822 1823 1824 182S 1826 1827 1828 1829 1830 1831 1852 1833 1834 1855 1836 1857 1838 1859 1840 1841 1842

170,000,000 175,000,000 180,000,000 190,000,000 180,000,000 185,000,000 165,000,000 180,000,000 185,000,000 190,000,000 185,000,000 165,000,000 195,000,000 190,000,000 195,000,000 190,000,000 185,000,000 180,000,000 190,000,000 175,000,000 180,000,000 165,000,000 175,000,000 140,000,000 110,000,000

25,000,000 25,000,000 25,000,000 25,000,000 25,000,000 30,000,000 50,000,000 25,000,000

D E S COLONIES FRANÇAISES. Inde. kilog.

5,000,000 3,750,000 5,000,000 7,500,000 15,000,000 20,000,000 25,000,000 21,500,000

17,600,000 31,400,000 29,800,000 34,300,000 40,700,000 43,500,000 52,500,000 38,500,000 58,800,000 53,600,000 73,200,000 65,800,000 78,400,000 80,900,000 80,609,000 87,800,000 77,300,000 75,300,000 83,000,000 84,200,000 79,300,000 66,500,000 86,900,000 87,600,000 75.500,000 85,800,000 89,000,000

C e tableau montre 1° la production toujours croissante jusqu'en 1830 dans les colonies françaises ; 2° L'immobilité de la production dans les Antilles anglaises jusqu'en 1836, et sa décroissance depuis celte époque ; 3° L e développement de la production dans l'Inde depuis l836.


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Extrait d'un discours de lord Stanley, secrétaire d'état au département des colonies. ... M a l g r é la g r a n d e p r o s p é r i t é d e s n è g r e s , o n n e p e u t n i e r q u e les c a u s e s q u i l'ont p r o d u i t e o n t été d ' u n g r a v e p r é j u d i c e p o u r les p l a n t e u r s , et o n t fait u n tort c o n s i d é r a b l e a u c o m m e r c e d e la G r a n d e - B r e t a g n e . L e s p l a n t e u r s s u p p o r t e n t a c t u e l l e m e n t d e g r a n d e s p e r t e s qu'il est d u d e v o i r d e la c h a m b r e d e p r e n d r e e n c o n s i d é r a t i o n e n c h a r g e a n t u n e c o m m i s s i o n d ' e n p r é c i s e r la s o u r c e . Si ces p e r t e s s o n t susceptibles d e r e m è d e , o n e x a m i n e r a q u e l s s o n t les m e i l l e u r s m o y e n s à a d o p t e r p o u r les d i m i n u e r . D e s r e n s e i g n e m e n t s font c o n n a î t r e q u e d a n s certaines c o l o n i e s le t a u x d e s salaires s'est é l e v é d ' u n e m a n i è r e si e x a g é r é e , ainsi q u e les a u t r e s d é p e n s e s d e c u l t u r e , q u ' à m o i n s q u e le g o u v e r n e m e n t n ' a d o p t e d e s m e s u r e s c o n v e n a b l e s , les propriétaires d e p l u s i e u r s p l a n t a t i o n s s e r o n t obligés d e les laisser e n friche. U n e c i r c o n s t a n c e , e n t r e a u t r e s , m é r i t e t o u t e l'attention d ' u n e c o m m i s s i o n , et d e m a n d e à être vérifiée c o n t r a d i c t o i r e m e n t . D ' a p r è s u n r a p p o r t e n v o y é à la T r i n i t é , u n c o m i t é d e p l a n t e u r s a r é u n i les p r e u v e s d e s frais é n o r m e s o c c a s i o n n é s p a r la c u l t u r e d e s p r o p r i é t é s . U n c o m i t é s e m b l a b l e s'est f o r m é à D é m é r a r i . Si les r e n s e i g n e m e n t s q u i o n t été f o u r n i s a p p r o c h e n t s e u l e m e n t d e l a v é r i t é , il paraît i m p o s s i b l e d e c o n t i n u e r à cultiver. Il a été é t a bli q u e les d é p e n s e s d e s o i x a n t e - d e u x p l a n t a t i o n s à s u c r e , d e p u i s le 1er j a n v i e r j u s q u ' a u 3 1 o c t o b r e 1 8 4 1 , o n t été d e 5 , 4 5 5 , 0 0 0 f r a n c s , t a n d i s q u e le p r o d u i t n e s'est é l e v é q u ' à 1 , 0 8 5 , 0 0 0 fr., c e q u i a c o n s t i t u é u n e p e r t e d e 4 , 3 7 0 , 0 0 0 fr. p o u r c e s p r o p r i é tés r é u n i e s . L e m ê m e c o m i t é p o r t e les d é p e n s e s d e n o v e m b r e et d é c e m b r e à 6 , 4 2 5 , 0 0 0 f r . , et le r e v e n u total 1 , 5 6 0 , 0 0 0 f r a n c s , d ' o ù il résulte 4 , 6 1 5 , 0 0 0 fr. d e déficit. S a n s s e fier t r o p l é g è r e m e n t à l'exactitude s c r u p u l e u s e d e c e s r e n s e i g n e m e n t s , o n doit c e p e n d a n t p r e n d r e e n c o n s i d é r a t i o n q u e le c o m i t é q u i les a f o u r nis a s u r t o u t i n t e r r o g é les p l a n t e u r s q u i j u s q u e alors a v a i e n t dirigé l e u r s p r o p r i é t é s a v e c le p l u s d e s u c c è s . L e g o u v e r n e u r L i g t , q u e l'on n e p e u t a c c u s e r d'être a v e u g l é m e n t p r é v e n u e n f a v e u r d e s p l a n t e u r s , n e s'est p u s b o r n é à t r a n s m e t t r e les r a p -


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p o r t s a u x c o m i t é s , il y a joint d e s r e n s e i g n e m e n t s f o u r n i s p a r u n e p e r s o n n e m o d é r é e et d é v o u é e a u g o u v e r n e m e n t s u r q u a t r e p l a n tations d o n t les d é p e n s e s o n t été r u i n e u s e s . Si toutes les autres p l a n t a t i o n s étaient d a n s la m ê m e position , l'avenir d e s p r o p r i é taires serait e n vérité d é s a s t r e u x . L ' u n e d e s q u a t r e p l a n t a t i o n s a p u o b t e n i r q u e l q u e s b é n é f i c e s , tandis q u e les trois a u t r e s o n t e u à s u p p o r t e r u n e p e r t e . Il e û t été à désirer q u e ces r e n s e i g n e m e n t s fussent vérifiés p a r u n c o m i t é , et ils s e m b l e n t m é r i t e r l'investigation d ' u n e c o m m i s s i o n n o m m é e p a r la c h a m b r e T o u t e f o i s d e s obstacles s é r i e u x s e m b l e n t s'opposer à u n e i m m i g r a t i o n illimitée p r o v e n a n t d e la côte d ' A f r i q u e ; c e serait faire s o u p ç o n n e r le r e t o u r a u x a b u s d e la traite et exciter la d é f i a n c e d e s p u i s s a n c e s é t r a n g è r e s . S a n s d o u t e les i m m i g r a t i o n s libres p l a c e r a i e n t les i n d i v i d u s d a n s u n e position p r é f é r a b l e à celle qu'ils o n t d a n s l e u r p r o p r e p a y s , si le flot d e s i m m i g r a n t s était c o n s t a m m e n t dirigé v e r s les c o l o n i e s , a v e c la facilité d u r e t o u r e n A f r i q u e ; rien n e p o u r r a i t être p l u s f a v o r a b l e a u x intérêts d e l ' h u m a n i t é , ainsi q u ' a u x p r o g r è s d e la civilisation et d e la relig i o n p a r m i les t r i b u s africaines ; m a i s c'est u n objet q u i e x i g e les p l u s g r a n d e s p r é c a u t i o n s .


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