Question des sucres (1843)

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main-d'œuvre, les perfeclionnemens ou les souffrances de l'une ou l'autre industrie, nécessiteraient le lendemain de nouveaux calculs; le chiffre que l'on aurait établi sur les bases les plus justes pourrait cesser d'être vrai au m o m e n t m ê m e où il serait proclamé. Ce serait sans cesse à recommencer. Aussi les partisans d'un prétendu système d'équilibre reconnaissent que, dans ce système, la balance penchera presque toujours d'un côté ou de l'autre. Il ne peut y avoir, disent-ils, d'équilibre absolu; mais le gouvernem e n t est là pour surveiller sans cesse les m o u v e m e n s des deux industries, et pour établir entre elles, par des remaniemens de tarifs, par des combinaisons de dégrèvement et de surtaxe, une sorte d'équilibre approximatif. L e niveau de la balance sera sans cesse agité; mais il en est ainsi, dit-on, de tous les tarifs qui ont pour but d'équilibrer les industries de la France avec celles de l'étranger! O n a déjà réfuté cette objection. Oui, s'il s'agissait d'une situation ordinaire, s'il était question d'une concurrence entre deux produits similaires, l'un indigène, l'autre étranger, l'équilibre approximatif pourrait suffire ; dans les cas douteux, le gouvernement aurait ici, pour se déterminer, une règle fixe; il ferait pencher la balance d u côté de l'intérêt français, et tout danger serait évité; mais, en présence de deux industries nationales, la position d u gouvernement n'est plus la m ê m e . S'il pèse d'un côté ou de l'autre, c'est la France qui souffre, car c'est u n intérêt français qui est sacrifié. D a n s cette alternative cruelle, le gouvernement, forcé à chaque instant d'agir, ne sait quel parti prendre, et ses incertitudes compliquent la situation. Obligé de défendre le plus faible contre le plus fort, il est réduit à suivre le pire des systèmes en économie politique : il lui faut soutenir l'industrie qui languit contre celle qui prospère, encourager l'inertie ou l'impuissance contre le succès; nécessité déplorable, qui conduit à la ruine des intérêts m ê m e s que l'on voudrait ménager. Si d u moins les dérangemens perpétuels de cet équilibre factice n'étaient qu'une oscillation légère et sans secousse! Mais vous êtes en présence de deux industries dont les forces réelles sont inconnues, et dont les m o u v e m e n s sont incalculables d'une année à l'autre. D'une part, aux colonies, le rendement de la canne peut s'accroître d é m e s u r é m e n t en peu de temps; d'un autre côté, la production d u sucre de betterave est en quelque sorte sans limites. U n arrondissement suffirait, dit-on (1), pour approvisionner la France, un départem e n t pour approvisionner l'Europe, et peut être le m o n d e . Q u a n t à la consommation, son accroissement a dépassé jusqu'ici toutes les prévisions, et peut les dépasser encore. Depuis 1815, elle s'est élevée en France de dix-sept à cent vingt millions de kilogrammes, et, en Angleterre, elle est de deux cent millions de kilogrammes pour une population de vingt-cinq millions d'habitans! Essayez donc de gouverner vos tarifs d'après des différences si grandes (1) M.

Dumon.


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