Question des sucres (1843)

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15 de spéculation, par la ruine des petites fabriques, et par les embarras temporaires des colonies, supporteront le premier choc sansfléchir; et alors, tout ce qui s'est vu depuis 1837 se renouvellera. Le sucre indigène se développera sans limites, repoussera le sucre colonial, et ramènera la crise. C'est en effet le caractère singulier de celte situation que le sucre indigène, tant qu'il vivra, échappera par la force des choses à toutes les conditions qu'on voudra lui faire. Il se jouera impunément de tous les tarifs, soit par la fraude, que l'élévation des taxes excite de plus en plus, soit par des développemens rapides et imprévus, qui le rendront maître du marché et des consommateurs. Ne l'a-t-on pas vu depuis plusieurs années, à chaque nouveau tarif, presqu'aussitôt relevé qu'abattu ? En 1837, il déclarait qu'un impôt de 15 fr. tuerait toutes les fabriques : l'impôt a été voté, la production s'est à peine ralentie ; et deux ans après, écrasées par la concurrence, les colonies violaient le contrat qui les lie à la métropole en exportant leur sucre (1). E n 1839 le sucre colonial est dégrevé : le sucre indigènefléchitun peu et se relève : la crise recommence. E n 1840, le général Bugeaud vient déclarer qu'un droit de 2 5 fr. sera une spoliation inique : le droit est imposé, et le sucre de betterave, élevant sa production de 2 2 millions de kilogrammes à 4 0 ou 50 millions, ruine aujourd'hui les colonies! Tous ces faits prouvent évidemment que si le sucre indigène soutient l'égalité pendant quelque temps, il renouvellera contre le sucre colonial une lutte plus désastreuse que jamais, car il sera d'autant plus redoutable qu'il se croira désormais assuré d'une position conquise par de grands sacrifices et par des efforts inouis. Ajoutons enfin que si l'égalité, contre toutes nos prévisions, s'établissait sans secousse, et amenait un partage tranquille du marché national, cette fraternité inespérée des deux sucres ne pourrait jamais exister qu'au détriment des grands intérêts que nous avons déjà fait apparaître dans ce débat, et qui le dominent des qu'ils y entrent. L'égalité d'impôt, tout aussi bien que l'équilibre vainement cherché par les tarifs, est l'exclusion formelle des sucres étrangers. Vous ne pouvez frapper le sucre de betterave d'un droit égal au sucre colonial sans fermer la France aux sucres du Brésil, de Cuba, de Porto-Rico, du Bengale, de Manille, de la Chine, de la Cocbinchine. Or, nous avons déjà indiqué les résultats de cette exclusion impolitique, et nous y reviendrons. Aucun système intermédiaire ne vous présente donc des garanties suffisantes. L'équilibre absolu est une chimère. L'équilibre approximatif est u n fléau dont vous voyez aujourd'hui tous les ravages. L e maintien des deux sucres avec des conditions distinctes, savoir : une limite légale de production pour le sucre indigène, et une large carrière ouverte au développement des sucres exotiques, est un système ingénieux : mais il constitue u n monopole (1) Arrpêtés des gouverneurs de la Martinique et de la Guadeloupe, 15et27mai1839.


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