Question des sucres (1843)

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et des variations si subites! U n e erreur, une circonstance fortuite, un tait inconnu, renverseront l'équilibre chancelant que vous aurez établi péniblement sur ces bases fragiles. Sans doute, dès que vous apercevrez l'inégalité, vous rétablirez le niveau, si cela est possible ; mais la secousse que vous imprimerez sera d'autant plus dangereuse que l'inégalité accidentelle aura été plus forte. L'industrie que vous aurez excitée, à votre insu, par une sorte de protection tacite, se sera développée sans mesure, et vous serez forcés de peser lourdement sur elle pour la faire rentrer dans ses limites. Tel est le système de l'équilibre. Si l'on veut un équilibre absolu, c'est une chimère. Si l'on veut un équilibre approximatif, c'est une balance sans cesse agitée et convulsive ; c'est l'étouffement légal des deux industries qu'on veut sauver. Appliquez ce système de l'équilibre à la situation présente ; faites un nouveau remaniement de tarifs : quelle base prendrez-vous ? Ne considérons que le sucre indigène : quel chiffre nouveau lui imposerez-vous ? Sur les trois cent soixante-six fabriques de sucre de betterave, soixante-six paraissent accepter une augmentation d'impôt ; les trois cents autres déclarent ne pouvoir supporter un centime de plus : on peut m ê m e dire que le droit actuel les tue. Qu'allez-vous faire? Prendrez-vous la moyenne des forces de l'industrie indigène, et abaisserez-vous l'impôt jusqu'à cette moyenne pour le mettre à la portée du plus grand nombre des fabriques? Si vous faisiez cela, vous tueriez les colonies. Loin d'abaisser l'impôt, vous l'exhausserez donc au contraire, puisque, dans le système de l'équilibre, vous voulez secourir les colonies, et que les colonies succombent devant le privilége actuel de la betterave. Vous commencerez donc, au n o m d'un système de conciliation et de justice, par renverser trois cents fabriques, dont vous livrerez les dépouilles à un petit nombre d'établissement privilégiés que des circonstances exceptionnelles ont protéges jusqu'ici. Enrichis par cette succession forcée, investis d'une sorte de monopole temporaire, ces établissemens pourront soutenir l'augmentation d'impôt; mais s'ils prospèrent, ils augmenteront forcement leur production; puis viendront à la suite l'encombrement, la baisse des prix, la gêne et le désespoir de tous ; les colonies montreront de nouveau leur pacte déchiré par la métropole ; le sucre indigène sera encore frappé ; mais de nouvelles ruines lui donneront de nouveaux vengeurs chargés de recommencer la lutte, et de perpétuer les crises fatales qu'on aura déjà éprouvées. O n a parle tout récemment d'un nouveau système de pondération, qui, au lieu de prendre pour base les prix de revient, ne chercherait l'équilibre qu'en égalisant les charges supportées par chaque produit. L'égalité des charges, en présence de l'inégalité de nature, serait encore un mensonge ; et nous ne pensons pas que ce système soit goûté de ceux qui cherchent sincèrement l'équilibre entre les deux industries. N o u s n'avons pas besoin, du reste, d'ajouter que tout système d'équilibre entre les deux sucres français suppose nécessairement l'exclusion des sucres


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