Recueil de divers voyages faits en Afrique et en l'Amerique

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des Caraïbes.

qu'un peu de caffave feiche & de l'eau ; aprés il commence à boire un peu d'oüicou , mais ils s'abftient de toute autre cho­ fe , il ne mange que le milieu de la caffave & les garde toutes pour le jour du feftin qui fe fait à la fin de cette diette : Il ne fort que la n u i t , ne voit perfonne, crainte de fentir quel­ qu'un plein d'Oüicou, ou qui euft mangé du poiffon, cette odeur le pourroit tenter & faire rompre fon jeufne, la mere en deviendroit malade, & l'enfant ne feroit pas vaillant ; le temps expiré les plus anciens du Carbet font choix de deux Caraïbes des plus adroits pour ecorcher ce beau jeufneur, & le jour nommé on le fait venir dans la place publique, on le prendroit pour un fquelette, là il fe tient debout ayant deux belles caffaves blanches & bien eftenduës fous fes pieds, & pendant que deux Caraïbes luy levent les bras les Maiftres Bouchers commencent à luy déchiqueter & taillader la peau avec leurs dents d'agouty bien amanchez & tranchans com­ m e des lancettes , ils luy font des eftafilades premierement aux collez fort prés, aprés en fuite fur les épaules, depuis les bras jufques au coude, & depuis le coude jufques au poignet, fur les cuiffes jufques au genoüil, fans endommager les join­ tures, & fouffre ce tourment conftamment fans dire m o t , & non fans trembler, parce qu'apres un fi long jeufne il man­ que de chaleur naturelle , & cette effufion de fang le refroi­ dit encore d'avantage : leur penfée toutesfois eft qu'ils endu­ rent moins eftant maigres que gras ; enfin ils luy tirent tant de fang, que d'un malade imaginaire ils en font un reel. C e n'eft encore rien, pour l'achever de peindre on luy fait une faulce pire que le taumali, avec des feuilles de R o u c o u , des graines de Piman, & du jus de T a b a c , dont on luy frotte fes playes & cicatrices, & en cet équipage tout fanglant c o m m e une victime de Diable, on le met fur un ftege barbouillé de rouge qui luy eft preparé, & les femmes luy apportent à manger, que les vieillards luy prefentent & luy mettent à la bouche comme à un petit enfant, la caffave & le poiffon eftans par petits morceaux, il avalle la caffave, mais il re­ jette le poiffon aprés l'avoir mafché, il deviendroit malade s'il faifoit fi bonne chere tout d'un coup, ils le font boire de mefme luy tenant le c o l , & quand il a finy de manger, les vieillards fontlargeffede deux pieces de caffave que ce jeuf-

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