Recueil de divers voyages faits en Afrique et en l'Amerique

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Relation de l'Origine, des Mœurs

, &c.

m a n , qui eft une efpece de poivre tres-fort, dans la nature, luy en frottant les yeux, & la laiffent plufieurs jours fans man­ ger; enfin un de ces bourreaux vient à demy yvre qui luy caffe la tefte d'un bouton, ou maffuë,& la jettent à la mer. Je le fçay pour en auoir fauve deux de leurs mains. Ils font le Cheméen qu'ils effiment, comme a elle dit, leur bon efprit ; c'eft à dire qu'ils confultent le Diable par l'entremife de leurs Magiciens ou Medecins Piaye ou Boyé qui les abufe fous ces noms, & ils font cette damnable ceremonie en plufieurs rencontres. Premierement fur le fuccez de leurs ma­ ladies pour avoir la fanté, pour fçavoir où ils font lors qu'ils fe font perdus en mer par un mauvais temps, fur l'iffuë & eve­ nement de leurs guerres, & pour apprendre le nom de celuy o u de celle qui les a enforcelez, qu'ils tuent comme je viens de dire ; c'eft fouvent un pretexte pour fe défaire de leurs ennemis.Chaque Piaye ou Boyé a fon Cheméen particulier ou plûtoft un Demon familier, & fe gouvernent par les funefles avis de ces déteftables Oracles, ils leur donnent auffi le nom d'Eocheiri. Pour fçavoir donc l'evenement de leurs maladies ils font venir un Piaye la nuit, qui d'abord fait éteindre tout le feu de la Cafe,& fait fortir les perfonnes fufpecles : il fe retire en un c o i n , où il fait venir le malade, & apres avoir fumé un bout de petun il le broye dans fes mains,& le fouffle en l'air, fecoüant, & faifant cliqueter fes doigts. Ils difent que le Cheméen ne manque jamais de venir à l'odeur de cet en­ cens & parfum par le miniftere de ce Boyé, qui fans doute fait pact avec le Diable ; & là eftant interrogé , il répond d'une voix claire , comme venant de loin à tout ce qu'on demande. apres il s'approche du malade, tafte, preffe& m a ­ nie plufieurs fois la partie affligée, foufflant toujours deffus, & nés,ou petits morceaux de Manioc, du bois, des os ou d'arreftes du poiffon que ce Diable luy met dans la main, perfuadant au malade que c'eft ce qui luy caufoit de la douleur, Souvent il fucce cette partie dolente , & fort incontinant de la Cafe pour vomir à ce qu'il dit le venin; ainfi le pau­ vre malade demeure guery plus par imagination qu'en ef­ fet. Il eft à remarquer qu'il ne guerit pas les fiévres, ni les

bleffures


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