Recueil de divers voyages faits en Afrique et en l'Amerique

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de l'Ifle des Barbades.

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le moindre de tous, accablé d'une maladie languiffante & tirant a la m o r t , il a eu tant de bonté pour m o y , que je ne cefferay ja­ mais de luy en rendre mes remerciemens, & tiendray pour le plus grand bonheur de ma v i e , fi je puis trouver l'occafion de luy rendre fervice, ou aux fiens, en quelque maniere que ce puiffe eftre. Entre les autres Poiffons qu'on prit avec la Senne, comme ceux qu'on appelle teftes de V e a u , Cavallos, Maquereaux, Muges ou Mullets, & diverfes antres qui eftoient trés-fermes & trés-excel­ lents , on en prit quatre tout d'un c o u p , qui avoient du moins une aulne de l o n g , plus gros que des Saulmons, de la plus belle couleur qu'il fe peut voir , depuis la nageoire du dos qui eft le milieu du Poiffon jufqu'au bout de la queue, du plus beau verd naiffant qui fe puiffe voir, & auffi luifant que du fatin, mais les na­ geoires & la queue marquetées d'un vray feüille-morte, & depuis les nageoires du dos jufqu'à la tefte, de feuïlle-morte tachetée de verd, les efcailles pour la plufpart auffi grandes qu'une piece d'ar­ gent de trente fols. C e Poiffon ne vit pas de proye, mais de ce qu'il trouve au fond de la M e r , c o m m e je reconnus par ce que je trouvay en fa mulette. C'eftoit un trés-excellent Poiffon en quelque maniere qu'on le puiffe apprefter. Il manque une forte de Poiffon en cette Ifle, dont les efpeces font tres-frequentes fur la plufpart des Ifles des Caribes & des Lucayes, qui eft la Tortuë fraifche, qui eft la meilleure viande que la Mer produife, & dont il y a une plus grande quantité, mais j'en ay veu fort peu de cette forte aux Barbades, encor n'eftoient-elles ny graffes ny approchantes de la groffeur des autres. L a raifon vient de ce qu'il n'y a ny Sable ny Bancs pour pondre leurs œufs o u pour fe divertir à l'air, car ces Poiffons là fe plaifent fur le Sable & y peuvent demeurer douze heures, pendant que la M e r foit retirée, qu'ils fe laiffent emporter au retour de la plus pro­ chaine Marée. L'on en prend un nombre infini en les tournant avec des bâtons, car elles demeurent en cet eftat jufqu'à ce qu'on les vienne querir pour les emporter. U n e groffe T o r t u e aura dans fon corps pour le moins un demy boifléau d'œufs, qu'elle pond dans le Sable, où ils fe couvent & efclofent par la chaleur. Lors qu'on veut tuer un de ces Poiffons,la maniere eft de le met­ tre fur une table fur fon d o s , & lors qu'il void qu'on vient avec un coufteau à la main pour le tuer, il pouffe tant de foûpirs, H iij


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