Recueil de divers voyages faits en Afrique et en l'Amerique

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de l'Ifle des Barbades.

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m e le terroir qui les a produites, & douces c o m m e les fruits dont elles fe nourriffent, car m'en eftant approché affez prés pour pouvoir plus parfaitement difcerner leurs attraits, & la grace de leurs geftes, je creus en les voyant qu'il eftoit impoffible que la nature fans le fecours de l'Art euft peu former des beautez fi ac­ complies , non feulement des proportions & des traits de leurs vifages, mais auffi des mouvemens de leurs corps & de leur main­ tien, en quoy confifte la perfection de la beauté. Si la Danfe euft efté à la mode en cette Ifle , j'aurois creu fa­ cilement qu'elles auroient appris tous ces mouvemens-là de quel­ qu'un qui y auroit efté fort intelligent ; mais confiderant que la Mufique du Padre eftoit la meilleure qui fuft dans l'Ifle , cela m'ofta bien-toft cette penfée-là, pour l'attribuer à la nature toute feule. Elles eftoient auffi innocentes que jeunes, n'ayant pas paffé l'âge de quinze ans, de forte que les voyant fi jeunes & fi jolies, & ornées de toutes les perfections que j'ay dépeintes cy-deffus, j e voulus bien effàyer fi l'expreffion de leur parole feroit auflî douce & harmonieufe que leurs autres qualitez eftoient aimables. D e forte que par le moyen d'un Gentil - h o m m e qui parloit Portugais, je m'accoftay d'elles, & commençay a loüer leur beau­ t é , leur taille, & leur maniere de s'ajufter. Car leurs cheveux ne font pas coupez tout prés de la tefte , c o m m e ceux des Negres des lieux que j'ay n o m m e z cy-deffus, ny par quartiers, ou par refeaux, comme ils ont accouftumé de les porter , qui eft une chofe ridicule à voir à tous autres qu'à eux, mais d'une longueur raifonnable, & c o m m e ils font naturelle­ ment frifez, ils femblent tout autant d'adjuftemens artificiels à leurs vifages. Elles en laiffent tomber quelques-uns à cofté de leurs joués, pour y attacher un petit ruban, ou quelques petits grains d'am­ bre blanc, ou de raffade bleuë, o u par fois de ces belles fleurs qui croiffent en ce lieu-là. Elles portent des Pendants-d'oreilles, & leurs bras auffi bien que leur col font ornez de braffelets & de tours de Perles contrefaites, & de raffade bleuë, que les Portugais leur donnent. Raffade n'eft autre chofe que des grains d'émail enfilez pour fervir de colliers o u de braifelets, & il s'en fait de toutes couleurs. Car ces Negreffes font libres , & portent au tour du gras de la jambe la marque de leur liberté, qui eft une petite piece d'argent


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