Recueil de divers voyages faits en Afrique et en l'Amerique

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de la Riviere du Nil.

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qu'elles faffent cet effet-là, U n e de ces Cataractes eft remar­ quable fur toutes les autres , c o m m e il paroiftra dans la Re­ lation par une chofe qui a furpris & attiré plufieurs perfonnes. A la premiere ou feconde Cataracte que le Nil fait, l'eau d'un haut Rocher pierreux eft précipitée avec toute fa maffe dans un grand & profond abyfme, le bruit s'en entend à trois lieuës delà, & le rebondiffement de l'eau, qui s'éparpil­ le en de petits atomes & en fumée fubtile, fe void d'auffi loin. L'eau eft pouffée avec tant de violence qu'à une certaine diftance elle fait une arcade, fous laquelle elle laiffe un grand chemin où on peut paffer fans eftre moüillé. Il y a des fieges bien propres taillez dans le R o c pour faire repofer les voya­ geurs, pendant qu'ils jouïffent de la plus agreable veuë que l'imagination pourroit jamais concevoir, qui fe fait parla re­ flexion du Soleil fur l'eau, qui produit les plus vives & les plus agreables couleurs qui fe puiffent voir, femblables à cel­ les de l'Arc-en-Ciel, & qui donnent d'autant plus de fatisfadion aux yeux que l'on eft proche de l'eau. L e Nil n'avoit jamais paffé fous aucun P o n t , devant que nous arrivaffions en Ethiopie ; le premier fut fait dans le Royaume d'Amara, où entre deux Rochers fort hauts, il y avoit un paffage dangereux & eftroit, l'eau eftant fort rapide en cet endroit-là, tous y coururent grand hazard, plufieurs fe per­ dirent en paffant, l'hiver augmentant les difficultez & rendant le paffage plus difficile : Les Abiffins eftoient incapables de remedier à ce mal, ne fçachant ce que c'eftoit de Ponts, & n'ayant point d'Ouvriers pour en faire, l'Empereur informé de ce que c'eftoit qu'un Pont, & commeilferoit commode dans un paffage fi eftroit, l'on commit cet ouvrage à un des deux Tailleurs de Pierre que nous avions amenez des Indes avec le Patriarche pour baftir des Eglifes en Ethiopie, lequel fit ce premier Pont d'une fort belle ftructure & fort c o m m o ­ de pour les paffagers : & de la forte le Nil fut mis fous une domination eftrangere. Il ne fera pas mal à propos de finir ce difcours par une re­ flexion qui ne déplaira pas ; & examiner pourquoy ancienne­ ment Alexandre le Grand & Jules Cefar ayant fait toute la diligence poffible pour découvrir la Source du Nil, n'en a-


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