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Hiftoire
une chofe heureufe le paffer le refte de leur vie en paix & en re pos dans leur païs. Et je croy qu'il y en a peu d'entr'eux, à moins que d'éftre emportez par le lucre & par l'avarice, qui ne fuffent bien aifes de vendre à bon marché & de pouvoir s'eftablir pai fiblement en Angleterre. Outre les rifques que j'ay nommées, il y en a encor une autre qui eft de plus d'importance que toutes les autres, qui eft leur fanté, qu'on doit eftimer pardeffus toutes chofes; car les maladies y font plus fafcheufes, & la mortalité y eft beaucoup plus gran de qu'en Angleterre, & ces maladies-là font fort fouvent contagieufes : Que fi un homme riche, par fa débauche ou par in temperie ou par l'infection, devient malade, il luy fera impoffible de trouver la plufpart des remedes qui fe rencontrent en Angleterre. Ils ont encor d'autres raifons, & qui font confiderables, pour les induire à retourner en leur païs, qui font la fatisfaction de joüir de la compagnie de leurs anciens amis, & de fe mettre en famille, avec le bien qu'ils ont acquis par leur travail & par leur induftrie, & par les frequentes rifques de leur vie, dont les commencemens eftoient fi peu de chofe, qu'ils ne valoient pas la pei ne qu'on s'y arreftaft ; & partant que pouvoient-ils efperer da vantage de fatisfaclion pour eux ou pour les leurs, que de joüir d'un eftabliffement pareil à celuy qu'ils ont en ce païs-là ? Mais je ne dis pas cela pour divertir ceux qui auront deffein de faire valoir leur bien, en le hazardant en ces fortes d'acquifitions ; car quoy quec e l u yqui s'habitüe là apres avoir eu beaucoup de peine, employé toute fon induftrie,& paffé fa vie à acquérir ce qu'il a de fortune, neantmoins l'achepteur eft fi bienfitué,& fi heureufement eftably, qu'il n'a pas befoin d'endurer toutes ces rigueurs-là , mais il peut pourfuivre fes affaires aifement, & mefme avec plaifir,& dans une demie douzaine d'années, s'en re tourner avec une ample fortune, & peut emporter avec luy de l'Angleterre de meilleurs remedes pour fa fanté, que ceux qui par un long-temps n'ont eu ny les moyens de s'en pourvoir, ny de l'argent pour en achepter ; car quoy qu'il croiffe des fimples en ce païs-là, qui font plus propres pour les corps des Habitans qui y font nez, qu'aucuns qu'on y puiffe porter des païs eftrangers,& le feraient auffi pour les noftres, fi nous en fçavions le veritable ufage, parce que nous l'ignorons, nous fommes obli gez de nous fervir des noftres.