Recueil de divers voyages faits en Afrique et en l'Amerique

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de l'Ifle des Barbades.

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neantmoins il donne des termes pour en faire le payement. L'on a adjoufté créance à toutes ou à la plufpart des defcriptions & des calculs que j'ay faits cy-devant touchant cette I f l e , & des moyens pour parvenir aux profits qu'on y peut faire ; mais quand je viens à cet article, perfonne ne me veut adjoufter foy, parce qu'il femble que c'eft une chofe impoffible, qu'un homme qui a de l'efprit & du jugement, qui poffe de une habitation de cette valeur, la veuille vendre pour une fomme fi peu confiderable que celle-là, & je ne blafme pas tout à fait l'incredulité de ces perfonnes-là, car fi l'experience ne m'avoit pas enfeigné le contraire, je ferois fans doute de leur opinion. Mais de peur que par une fuppofition, qu'on croiroit ne fubfifter qu'en ma penfée il femble que je veuille détourner les autres d'efcouter la raifon par laquelle tous les gens d'efprit fe doivent conduire, je veux fans la contraindre ny la forcer en façon quelconque dire ce qui eft de la pure verité auffi naifvement que le fujet le requiert, ce qui fans doute contribuera beaucoup à croire ce qui en eft. C'eft une vérité reconnue d'un chacun en ce lieu-là, que nul homme n'eft parvenu à une fortune pareille à celle-là d'un ft pe­ tit commencement, fans avoir rencontré plufieurs obftacles en fon chemin, & fans avoir efté mefme diverfes fois contraint de reculer en arrière quelque peine qu'il y ait prife, & quelque induftrie qu'il y ait apportée. J'appelle cela des retours en arrie­ re , lors que par le feu , qui y arrive fort fouvent, ou par la mort du Beftail, qui eft auffi frequente que l'autre, ou par des pertes en Mer, qui peuvent arriver par fois, dont je peux rapporter di­ vers exemples de gens encor vivans, fi les uns ou les autres de ces malheurs arrivent, la Balance eft égale, & il eft fort difficile foit d'un cofté foit de l'autre, qu'un homme fe puiffe remet­ tre , apres que quelques-uns de ces malheurs luy font arrivez ; mais s'il en arrive deux tout enfemble, ou que l'un fuive l'autre, il y a grande apparence qu'il ne s'en pourra pas jamais retirer, & que fa ruine eft inevitable. Car fi c'eft par le feu que ce mal arrive, fon fonds eft confumé, & par fois fa maifon ; fi fon Beftail meurt, l'ouvrage s'arrefte, & par l'un ou par l'autre de ces deux chofes l à , fon credit diminué de forte, que s'il n'eft bien appuyé par fes amis, il ne peut plus efperer de s'en relever jamais. Ces tracas & ces fatigues de corps & d'efprit & ces malheurs enfemble, font capables d'abattre & de laffer les meilleurs efprits du monde, & de leur remettre en la penfée combien c'eft

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