Recueil de divers voyages faits en Afrique et en l'Amerique

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de l'Ifle des Barbades.

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Or ces gens-là eftoient des hommes auffi penetrans & auffi bien fenfez, qu'aucuns que j'aye connus entre tous ceux qui fe méloient de ces affaires-là. Que fi l'on peut acquérir de fi grands biens, en cultivant cette Plante , & en y appliquant fon induftrie& fa peine , pourquoy ne les pourra-ton pas conferver à la pofterité en les ménageant comme il faut, & en faifànt une dépence raifonnable, & toujours par le doux négoce du lucre ? Nous avons un végétal dans cette Ifle, à qui ne convient ny le nom d'un Arbre, ny celuy d'une Plante, car c'eft un Ozier, ( que les François appellent Liane ) qui eft en quelque façon la plus dommageable Plante qui puiffe croiftre fur la terre ; parce quelle renverfe tout ce à quoy elle fe peut joindre , tant les Cannes, que toutes les autres Plantes médiocres, car elle les méprife tou­ tes. Si on la fouffre dans un Jardin, elle tourne tout autour des Herbes& des Plantes qui ont des Tiges, les abat& les ruine; que fi elle trouve le chemin pour entrer dans un Verger, elle mon­ tera par le tronc jufques dans les branches des Arbres fruitiers, & les enveloppera de forte, qu'elle en fera par maniere de dire comme une bource, parce que de la principale tige, il en fortira plus de cent petits rejettons, & s'il y a quelqu'autre Arbre qui en foit fi proche, qu'il vienne à le toucher, elle trouvera le chemin pour y venir,& en renverfera la cime, desfigurant entierement les Arbres,& empefchant que le fruit ne croiffe. Que fi on en coupe la principale tige par le bas, & tout proche de la racine, efperant que cela fera mourir la Plante, l'humidité du haut des branches fait tomber en terre un rameau, qui prend d'abord une nouvelle racine; Mais ce n'eft pas-là tout le mal qu'il fait, car il monte jufqu'au haut des plus hauts Arbres,& en enveloppe & en­ tortille tellement les branches, qu'il les empefche de croiftre, ce plufieurs fois il lie & attache les Arbres les uns aux autres, en forte que l'un empefche l'autre de croiftre. Deux abatteurs de bois qui appartenoient au Colonel Drax, comme ils eftoient apres à abattre un Arbre, environ le temps qu'il commençoit à pancher, & voyant de quel cofté il devoit tomber, fe retirerent de l'autre cofté, s'eftimans eftre en feureté, mais cet Arbre eftant attaché à un autre par ces fortes de Lianes, entraîna apres foy une grande branche de cet Arbre-là, qui tomba fur ces bufcherons, & leur brifa tellement le corps, qu'à peine pûrent-ils s'empefcher d'en mourir. Faites nettoyer un chemin de dix pieds de large, qui parlé entre


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