Recueil de divers voyages faits en Afrique et en l'Amerique

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de l'Ifle des Barbades.

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de l'Europe, que fon gouft eft fans comparaifon plus excellent. Lors qu'on les recueille, on laiffe peu de la tige pour les por­ ter, & lors qu'on vient à les manger, l'on en ofte la couronne, qu'on envoyé planter en terre, puis avec un coufteau l'on en pare l'efcorce, qui eft ft belle que cela fafche de priver le fruit de cet ornement; auffi ne le feroit-on jamais fi ce n'eftoit pour avoir la precieufe fubftance qu'il couvre, & qu'il contient, comme un larron qui rompt un beau Cabinet, ce qu'il ne feroit fi ce n'eftoit à cau-fe du Threfor qu'il s'attend d'y trouver. Apres qu'on a ofté l'efcorce, l'on pofe le fruit dans un plat, & l'on le coupe par tranches d'un demy poulce d'efpaïs, & à mefure que le coufteau entre dedans, il fort des pores du fruit environ fix cueïllerées d'une liqueur claire comme eau de Roche, qu'on prend avec la cueillere, & comme ou la goufte on la trou­ ve extremement delicieufe, mais fi douce qu'on n'y fçauroit dif­ terner aucun gouft ; mais lors qu'on mange un morceau du fruit Il eft ft afore, qu'on s'imagineroit qu'il devroit enlever toute la bouche, mais devant que la langue en ait fait l'effay par deux fois dans le palais, on y remarque enfuite une telle douceur, qu'elle fait bien toft paffer cette violente afpreté. Et entre ces deux ex­ tremes de l'afpre & du doux, l'on trouve la faveur de tous les fruits qui font excellens :& ces goufts-là changent & vont & vien­ nent fi fouvent fur voftre palais, qu'à peine voftre imagination s'y peut-elle arrefter affez de temps pour les difcerner : ce qui arrive du moins jufqu'à la dixiéme fois, car cet Echo dure autant que cela. Ce fruit au dedans eft de la couleur d'un Abricot qui n'eft pas entierement meur, & en le mangeant on le trouve crefpu & court comme ce fruit-là, mais il eft plein de pores, & de tant de formes & de couleurs, que c'eft une chofe qui eft tres-belle à voir, & qui invite merveilleufement l'appetit, & l'on peut man­ ger une bonne quantité de ce fruit-là, fans aucun danger d'en avoir l'eftomach chargé. J'ay oüy faire divers raifonnemens pour fçavoir comme l'on pourroit tranfporter de ces fruits- là en Angleterre, mais je n'en ay oüy aucun qui m'ait fatisfait. On ne le fçauroit confire entier, parce que l'efcorce en eft fi ferme & ft dure, qu'il n'y a point de Sucre qui y puiffe entrer. Et ft on le partage par morceaux, le fruit eftant plein de pores, tout le gouft fe perdra en cuifant.

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