Géographie complète et universelle. Tome 4

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LIVRE QUATRE-VINGT-QUATRIÈME.

Syène, qui sous tant de maîtres divers fut le poste avancé de l'Egypte, présente plus qu'aucun autre point du globe ce mélange confus de monuments qui, jusque dans les destinées des nations les plus puissantes, rappelle la fragilité humaine. Ici les Pharaons et les Ptolémées ont élevé ces temples et ces palais à moitié cachés sous le sable mobile ; ici les Romains et les Arabes ont bâti ces forts, ces murailles; et au-dessus des débris de toutes ces constructions, des inscriptions françaises attestent que les guerriers et les savants de l'Europe moderne sont venus placer ici leurs tentes et leurs observatoires. Mais la puissance éternelle de la nature présente un spectacle encore plus grand. Voilà ces terrasses de syénite de couleur rose grisâtre, coupées à pic, et à travers lesquelles le Nil roule en écumant ses flots impétueux; voilà ces carrières d'où l'on a tiré les obélisques cl les statues colossales des temples égyptiens ; un obélisque ébauché en partie, attenant à son rocher natal, atteste encore les efforts de l'art et de la patience. Sur la surface lisse de ces rochers, des sculptures hiéroglyphiques représentent les divinités égyptiennes, les sacrifices et les offrandes de cette nation qui, plus qu'aucune autre, a su s'identifier avec son pays, et qui, dans le sens le plus littéral, a gravé sur le globe les souvenirs de sa gloire. Au milieu de cette vallée, généralement bordée de rochers arides, une suite d'îles riantes, fertiles, couvertes de palmiers, de dattiers, de mûriers, d'acacias et de napecas, ont mérité le nom de Jardins du Tropique. Celle nommée Djeziret-el-Sag, c'est-à-dire l'Ile fleurie, vis-à-vis de Syène, est l' Elephantine des anciens; on retrouve celle de Philœ dans l'île d'El-IIeil ou d'El-Birbé des modernes. L'une et l'autre, remplies de beaux restes de temples, de quais et d'autres monuments1, attestent l'ancienne civilisation dont elles ont dù être le siége. L'île d'Eléphantine est formée d'un rocher granitique, que le limon du Nil a recouvert jusqu'à une assez grande élévation. Son sol est parfaitement cultivé ; elle est habitée par des Berbères. Les anciens Egyptiens y avaient bâti une ville dont on voit encore les ruines sur le plateau qui la domine : on y voit aussi les restes du nilomètre dont parle Strabon ; mais les deux temples que les savants français de la commission d'Egypte ont si bien décrits, et dont la construction remontait au temps d'Aménophis III, ont été récemment détruits pour bâtir une caserne et des magasins à Syène. L'île de Philœ, longue de 384 mètres et large de 135, est entourée de palmiers qui s'élèvent çà et là au milieu des blocs de roches granitiques. C'est un des 1

Jomard : Description d'Eléphantine. Lancret : Description de Philæ. Girard : Mémoire sur le nilomètre d'Eléphantine, dans la Description de l'Egypte.


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