Journal du voyage fait par ordre du Roi à l'Equateur

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INTRODUCTION

fauvages faifoient ma reffource. La fièvre me prit ; je m'en guéris par une diette, qui m'étoit confeillée par la raifon & . Mai. ordonnée par la néceffité. Je fortis enfin de cette folitude, en fuivant une crête de montagnes, où le chemin ouvert trois ans après par feu Don Pedro Maldonado, Gouverneur de la province, n'étoit pas encore tracé. Le fentier où je marchois étoit bordé de précipices creufés par des torrens de neige fondue, qui tombent à grand bruit du haut de cette fameule chaîne de montagnes, connue fous le nom de Cordelière des Andes*, que je commençois à monter. J e trouvai à mi-côte, après quatre jours Villages in- de marche au milieu des bois, un village indien appelé Nidiens, & Ponts guas, où je m'arrêtai. J'y entrai par un ravin étroit, que les de lianes. eaux ont cavé de 18 pieds de profondeur : fes bords, coupés à pic, fembloient fè joindre par le haut, & laiffoient à peine le paffage d'une mule : on m'affura que c'etoit-là le grand chemin, & il eft vrai qu'alors il n'y en avoit point d'autre. J e paffai plufieurs torrens fur ces ponts, que j'ai Mém. de l'A- décrits ailleurs, formés d'un réfeau de lianes femblable à un cad. 1745, P. filet de pêcheur, tendu d'un bord à l'autre, & courbé par 402. fon propre poids. J e les vis alors pour la première fois, & je ne m'y étois pas encore familiarité. J e rencontrai fur ma route deux autres hameaux, dans l'un defquels l'argent m'ayant manqué, je laiffai mon Quart-de-cercle & ma malle en gagé chez le Curé, pour avoir des mulets & des Indiens jufqu'à Nouo autre village, où je trouvai un Religieux Francifcain qui me fit donner à crédit tout ce que je lui demandai. • Plus je montois, plus les bois s eclairciffoient : bien-tôt je ne vis plus que des fables; & plus haut, des rochers nus & calcinés, qui bordoient la croupe feptentrionale du volcan de Pitchincha. Parvenu au haut de la côte, je fus faifr d'un étonnement mêlé d'admiration, à l'aspect d'un long vallon de Afpect des cinq à fix lieues de large, entrecoupé de ruiffeaux qui fe environs de Quito. réuniffoient pour former une rivière : je voyois, tant que 1736.

* J e traduis le mot Efpagnol Cordillera (Cordon de montagnes) par celui de Cordelière, qui eft françois dans le même fens en Blafon & en Architecture.


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