Etude pratique sur les colonies anciennes et modernes

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— 91 — Malgré l'état déplorable où la peste avait réduit la population de Venise, une flotte de trente-cinq galères mit à la voile pour aller attaquer dans l'Archipel l'escadre des Génois, composée de quatorze navires. Les Vénitiens en prirent cinq, cinq autres furent coulés; le reste parvint à gagner la haute mer. Malheureusement, quelques années après, à la suite de la conquête de la Dalmatie par le roi de Hongrie, Venise perdit sa grande colonie, la Croatie, qu'elle était parvenue à rendre riche et florsisante, tâche facile à cause des grandes ressources de son territoire. En 1360, la peste désola de nouveau Venise et y fit autant de ravages que douze années auparavant. Vingt-trois ans après, en 1383, le même fléau enleva, en trois mois, dix-neuf mille de ses habitants.

Ces calamités publiques, frappant pour ainsi dire sans trève ni merci, avaient ruiné de nombreux commerçants et détruit beaucoup de modestes fortunes. Grâce à l'ancienne prospérité de la République, de grandes fortunes avaient été acquises et permettaient à un nombre considérable de citoyens de déployer un luxe extraordinaire. Celui-ci était en quelque sorte une insulte faite à ceux durement éprouvés par le malheur. Aussi, le gouvernement crut-il de son devoir d'édicter des lois somptuaires réglant la table, les vêtements et les principales dépenses des habitants. Des magistrats spéciaux furent créés pour faire respecter cette loi, car il importait d'empêcher l'aristocratie de mener un faste capable d'exciter la jalousie, de provoquer le blâme et la haine qui, trop souvent, conduisent à la révolte. En outre, une autre loi fut promulguée qui interdisait le commerce aux patriciens. Ces lois devaient avoir, d'après l'esprit des législateurs, deux effets importants; d'abord de consoler et d'indemniser, en quelque sorte, les malheureuses victimes d'infortunes imméritées; puis, de maintenir dans une juste modération les nobles et ceux qui étaient appelés à exercer le pouvoir. D'ailleurs, il n'eut pas été équitable que les patriciens qui excluaient les autres citoyens de l'autorité, eussent été admis à partager les profits de l'industrie ; ils auraient eu trop d'avantages et leur concurrence eut été fatale. En s'interdisant cette ressource,


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