Etude pratique sur les colonies anciennes et modernes

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— 136 — nés denrées, et pour détourner l'attention de leur entourage sur les prévarications qu'ils commettaient, ils autorisaient les employés civils et militaires, en dépit des règlements, à faire le commerce pour leur propre compte. Leur avidité allait si loin que, non contents de s'exercer sur la fortune des Indiens qu'ils pressuraient sans pudeur, elle attaquait ces infortunés dans leurs moyens d'existence et jusque dans leur vie.

Mais en présence de pareils excès, une ligue formidable, formée à Amboine, dans les Moluques, s'organisa pour chasser les Portugais de l'Asie. Le gouvernement de Lisbonne, effrayé d'un mouvement qui mettait en péril son empire colonial, envoya pour l'arrêter un de ces meilleurs capitaines, Louis d'Alaïda, avec des troupes aguerries. Il soumit les révoltés, essaya de rétablir l'ordre dans l'administration, mais ses pouvoirs durèrent trop peu de temps, et après lui, les abus recommencèrent avec plus d'audace que jamais. Le Portugal, enrichi par l'or et les épices que ses caraques déversaient sur les marchés, et corrompu dans ses mœurs primitives par les jouissances que lui procurait ce trafic incessant avec l'Asie, allait subir lui-même la plus humiliante condition. Ses théories économiques l'avaient poussé à s'emparer du commerce de l'Inde à l'exclusion de tous les autres Etats et à se substituer à Venise pour l'échange des denrées de l'Orient avec l'Occident. Mais il n'avait pas songé à imiter jusque dans les moindres détails la conduite politique de la Reine de l'Adriatique, c'est-à-dire à profiter des richesses qu'elle tirait de l'extérieur pour imprimer à ses industries nationales une force nouvelle et l'activité et l'essor que donnent les capitaux et les débouchés. Cette faute, que l'Espagne allait bientôt commettre également, devait être le point de départ de sa ruine. Venise, comme nous l'avons vu, était un Etat libre et permettait au dernier de ses enfants de faire des transactions commerciales sans aucune restriction; il n'y avait d'entraves que pour les étrangers, et, lorsque la nécessité s'en fit sentir, pour les nobles; le Portugal, au contraire, avait incorporé à la couronne la propriété et la souveraineté du commerce au détriment du peuple et des droits nationaux. Pendant que la


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