Précis de législation et d'économie coloniale

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PRÉCIS

LÉGISLATION ET

ÉCONOMIE COLONIALE

PAR

J . - C . Paul PROFESSEUR

A

LA

ROUGIER

FACULTÉ

DE

DROIT

DE

LYON.

AVOCAT A LA COUR D'APPEL

PARIS LIBRAIRIE

CUEIL GÉNÉRAL DES LOIS ET DES ARRÊTS ET DU JOURNAL DU PALAIS

L.

LAROSE,

ÉDITEUR

2 2 , RUE SOUFFLOT, 22

MANIOC.org

Bibliothèque Alexandre Franconie

Conseil général de la Guyane


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PRÉCIS

DE

LÉGISLATION ET

D ' É C O N O M I E COLONIALE

MANIOC.org

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Conseil général de la Guyane


Du même

auteur.

L e s a s s o c i a t i o n s o u v r i è r e s , in-8°. P a r i s , Guillaumin, éditeur. Ouvrage

couronné

1 8 6 4 , 4 6 7 pages,

de Lyon

par l ' A c a d é m i e ,

Les assurances populaires. Commentaire de la loi du 11 juillet 1868, in-8°, 156 pages, 1869. Paris, Guillaumin. Les invalides du travail à Lyon, vieillards et incurables, in-8° L y o n , 7 0 p a g e s , 1 8 7 5 . M o n g i n - R u s a n d , éditeur. La liberté commerciale, les douanes et les traités de com merce, in-8°, 734 pages, 1879. Paris, Guillaumin. Les conditions du travail en France et les syndicats profes sionnels, i n - 8 ° , 32 p a g e s , 1 8 7 9 , P a r i s , Guillaumin. L'assistance à domicile. L e Dispensaire général

de

Lyon,

grand in-8°, 8 0 p a g e s , 1 8 8 7 . P a r i s , Guillaumin. Les sociétés de secours mutuels du Rhône. L e u r

situation

les progrès et réformes qu'elles ont à réaliser, in-8°, 1 8 8 9 . Lyon M o n g i n - R u s a n d , imprimeur. L'économie politique à Lyon. L e s Économistes lyonnais, 1 7 5 0 1 8 9 0 , i n - 8 ° , L y o n , 1 8 9 0 , 3 0 0 p a g e s . P a r i s , Guillaumin. Les femmes dans les sociétés de secours mutuels, 6 0 pages, grand in-8°, 1 8 9 3 . Lyon, R e y , imprimeur. Etc., etc.


P

R

É

C

I

S

DE LÉGISLATION ET

D'ÉCONOMIE COLONIALE PAR

J.-C.

Paul

ROUGIER

PROFESSEUR A LA FACULTÉ DE DR OIT DE LYON AVOCAT A LA COUR

D'APPEL

P A R I S L I B R A I R I E DU R E C U E I L L.

GÉNÉRAL DES LOIS E T DES A R R Ê T S ET DU JOURNAL DU PALAIS

L A R O S E , 22,

É D I T E U R

RUE SOUFFLOT,

1895

22



P

DE

R

É

C

I

S

LÉGISLATION

E T D'ÉCONOMIE COLONIALE.

LIVRE PREMIER. PRINCIPES.

CHAPITRE

PREMIER

D É F I N I T I O N S , CLASSIFICATION D E S

2.

COLONIES

1 Variété des colonies à raison de leur origine et leur objet. Définitions. 3. Les causes de colonisation : insuffisance des moyens d'existence : besoin matériel d'extension. 4. Désir d'indépendance. Esprit de conquête. Esprit de commerce. auses prédominantes depuis le x v siècle. Esprit d ' a v e n t u r e , d'ambition, désir d'enrichissement. 9. Absence primordiale de règles dans la colonisation. 10. Science moderne de la colonisation. 11. Nécessité d'en rechercher et d'en vulgariser les conditions normales. 2. Classification des d i v e r s e s colonies. 13. 1° Colonies de commerce. 14. 2° Colonies agricoles ou de peuplement. . 3° Colonies de plantation ou d'exploitation. . Combinaison possible de ces trois types d e colonies. e

1. Il est difficile de donner en quelques mots une définition énérale et suffisamment compréhensive des colonies. R .


2

L I V R E

I.

P R I N C I P E S .

Il en existe, en effet, de différentes sortes avec des caract qui leur sont p r o p r e s , suivant les motifs qui ont déter leurs fondateurs à quitter leur pays d'origine; le but qu' sont p r o p o s é ; la nature des contrées qu'ils ont a b o r d é e s ; suivant les institutions qu'ils apportaient de la m è r e - p a t r i e Ainsi s'explique la variété des définitions qu'on en a don neés. 2 . On les a définies : « Un établissement fondé par le citoyens d'un p a y s , en dehors des limites actuelles de leur p a t r i e , dans un territoire non encore approprié et destin dans leur pensée, à devenir leur patrie nouvelle (Nouveau dict. d'Econ. polit.). » On a dit encore : « Les colonies s des contrées séparées d'un État à la domination duquel en se rattachent et ordinairement soumises à un régime partie lier. » Cette définition, que nous avons adoptée dans no; c o u r s , se rapproche de celle un peu plus b r è v e , donnée re cemment dans le Répertoire de M. Ed. F u z i e r - H e r m a n Colonie, n° 1). 3 . Les colonies remontent aux premiers temps de l'histoi Elles eurent des causes et des effets très divers. La l cause fut un besoin matériel d'extension. Devenus trop n o m b r e u x , se trouvant à l'étroit dans l e u r s moyens d'existence, les hommes n'ont pu continuer à vivre ensemble sur le même point du globle. Cette impossibilité s'est m festée pour eux en des temps et des lieux bien divers. Dans l'antiquité, comme de nos jours on a v u , et on encore, des populations agglomérées sur un espace trop restreint, ou mal cultivé, ou mal partagé s u r lequel par exemple un petit nombre de propriétaires concentrant le sol e n t a leurs mains, y substitue les pâturages au labourage, s'en alle loin du territoire natal p o u r chercher des champs nouveaux C'est ce même sentiment qui, dans un a u t r e ordre de fait déterminait le départ de ces essaims qui se détachaicnt de sociétés taisibles, quand les familles devenaient trop non breuses sur un même domaine. re


CLASSIFICATION

DES

COLONIES.

3

Les diverses é p o q u e s de l'histoire n o u s m o n t r e n t des effets alogues r é s u l t a n t de l'insuffisance d e s m o y e n s d'existence s u r un point d é t e r m i n é . Ainsi s o u s la pression d ' u n e m ê m e nécessité se c o n s t i t u e n t des centres n o u v e a u x p l u s ou m o i n s d o m i n é s par le pays d ' o r i g i n e , p l u s ou moins s é p a r é s de l u i , et dont q u e l q u e s - u n s deviennent le b e r c e a u de populations et de n a t i o n s nouvelles q u i deviennent e n s u i t e distinctes de la m è r e - p a t r i e . 4. 2 cause. L e désir d'indépendance et d'ambition expliq u e aussi les tentatives de formation de sociétés p l u s c o n formes au g o û t , a u g é n i e , a u x besoins d'activité et de liberté des é m i g r a n t s , lesquels e n t e n d e n t d ' a i l l e u r s conserver des relations et c o m m u n i c a t i o n s diverses avec la m é t r o p o l e . D a n s l ' a n t i q u i t é la fondation des villes de T h è b e s , d ' A r g o s , d ' A t h è n e s , n'ont pas d ' a u t r e origine. E n d ' a u t r e s t e m p s l'opp r e s s i o n de certaines c l a s s e s , ou de c e r t a i n e s sectes fit n a î t r e u n s e m b l a b l e d é s i r . Ainsi a g i r e n t , p a r e x e m p l e , n o m b r e d ' a v e n t u r i e r s dont le nom est resté p l u s ou m o i n s célèbre et dont les tentatives furent a u s s i p l u s ou m o i n s p r o s p è r e s . 5 . 3 cause : L'esprit de conquête e u t a u s s i son influence. L e besoin d ' a p p r o p r i a t i o n de terres n o u v e l l e s , et de d o m i n a tion sur d ' a u t r e s p e u p l e s crée des conflits e n t r e des sociétés distinctes. L e p e u p l e v a i n q u e u r se p a r t a g e les terres c o n q u i s e s et disperse ou asservit les v a i n c u s ; ou bien il c o n s t r u i t chez e u x ou fortifie des villes q u ' i l p e u p l e de ses soldats ou de ses excédants de p o p u l a t i o n . Ainsi firent la Grèce et R o m e q u i semait R o m e p a r t o u t . 6. 4 cause : L'esprit commercial a créé d e s colonies q u i ont répondu à u n e double nécessité : 1 ° a v a n t l'invention de la boussole, les n a v i g a t e u r s ne p o u v a i e n t se h a s a r d e r trop loin des côtes. Il leur fallait des retraites s û r e s , d e s lieux d ' a b r i , les points de r e p a i r e ; 2 ° il était i n d i s p e n s a b l e aussi d e créer les e n t r e p ô t s , des comptoirs où se fît le trafic avec l ' i n t é r i e u r l e s pays n o u v e l l e m e n t explorés. C'est là s e u l e m e n t q u e les vaisseaux pouvaient o p é r e r leurs é c h a n g e s . m

e

me

m

e


4

LIVRE

I.

PRINCIPES.

Ainsi dans l'antiquité se sont fondées les colonies d'Afrique, de Sicile et d ' E s p a g n e . Les P h é n i c i e n s , les P h o c é e n s , ont créé Carthage et Marseille. Ces créations offrent u n e analogie avec les comptoirs que n o u s voyons s'établir au moyen â g e , et dans les t e m p s modernes s u r des rivages lointains. De nos j o u r s , sous d'autres formes, les besoins du commerce i n s p i r e n t de semblables entreprises. La nécessité de trouver de nouveaux placements aux capitaux qui d e m e u r e n t sans emploi et dont la r é m u nération disparaît p r e s q u e s u r le continent européen ; l'ambition de faire fortune ailleurs stimulent à leur tour l'expansion des entreprises coloniales. 7 . Toutes ces causes ont agi surtout depuis le x v siècle j u s q u ' à nos j o u r s , mais q u e l q u e s - u n e s s u r t o u t ont prévalu. C'est l'esprit de c o m m e r c e , de c o n q u ê t e , d ' a m b i t i o n , qui ont poussé les Hollandais dans les Indes orientales, les E s p a gnols en A m é r i q u e , les aventuriers français au C a n a d a , et s u r les côtes d'Afrique. 8. P a r t o u t l'esprit de déprédation fut le m ê m e , on voulut exploiter les pays e x p l o r é s , on en tirait tous les avantages possibles : d'abord p a r la force brutale puis par des procédés tyranniques en soumettant les établissements nouvellement créés à des conditions commerciales exceptionnelles. Les expédients se s u c c é d è r e n t , souvent au h a s a r d , sans direction m é t h o d i q u e en d e h o r s de tout sentiment de justice. Parfois, suivant les entraînements d ' u n égoïsme aveugle. Comme il fallait lutter contre des conditions de c l i m a t , de s o l , inconn u e s , on s'explique q u e les métropoles aient laissé d'abord les explorateurs a u x prises avec les difficultés; on comprend qu'ensuile elles soient intervenues à l'aide de règlements oppressifs, tantôt p a r des concessions à des compagnies p r i vilégiées, tantôt p a r une action directe, subordonnée aux incidents et aux s u r p r i s e s de la politique continentale. 9 . La science de la colonisation ne pouvait être q u ' u n e œuvre d'expérience, de sang-froid. Aux procédés violents e


CLASSIFICATION

DES

COLONIES.

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l'observation s e u l e a d é m o n t r é la nécessité de s u b s t i t u e r des tutelles h a b i l e s , m o d é r é e s , s ' a t t é n u a n t p r o g r e s s i v e m e n t , et devant cesser à p r o p o s . C'est ainsi q u e le procédé des protectorats est d'invention r é c e n t e . On s'explique donc les vicissitudes des c o l o n i e s , leur e n fance t o u r m e n t é e qui d u r e quelquefois des s i è c l e s , et déconcerte ou lasse les esprits i m p a t i e n t s et irréfléchis. 1 0 . II y a a u j o u r d ' h u i u n e science de la colonisation. Elle s'est l e n t e m e n t formée par les r e c h e r c h e s et les t r a v a u x de tous c e u x q u i en ont abordé l'élude d e p u i s A d a m S m i t h j u s q u ' à M. P a u l Leroy-Beaulieu dont le l i v r e , s u r la Colonisation des peuples modernes, p e u t être c o n s i d é r é c o m m e le traité le p l u s complet s u r la m a t i è r e . Nous ferons différents e m p r u n t s à ces a u t e u r s a u point de v u e de l ' h i s t o i r e , des lois et des faits. P o u r se r e n d r e u n compte exact de ce q u ' a été de ce q u ' e s t a c t u e l l e m e n t , et p e u t être la colonisation d a n s n o t r e p a y s , il faut en effet, en r e t r a c e r l ' h i s t o i r e , et en e x a m i n e r l'organisation légale et é c o n o m i q u e . Tel s e r a le plan n a t u r e l de notre précis q u i n'est q u e la r e p r o d u c t i o n de notre e n s e i g n e m e n t s u r la législation et l'économie coloniales. 1 1 . L a nécessité d'un tel e n s e i g n e m e n t d a n s les F a c u l t é s de droit et a i l l e u r s , s'affirme p l u s q u e j a m a i s . Il y a e n v i r o n vingt a n s on l'eût c o n s i d é r é c o m m e u n a n a c h r o n i s m e . L a colonisation n'était le souci q u e d ' u n petit n o m b r e . On l'abandonnait à la G r a n d e - B r e t a g n e c o m m e le monopole d ' u n e p u i s s a n c e m a r i t i m e . P e u à peu l'opinion est r e v e n u e de cette indifférence. On a p e n s é q u e la moitié du m o n d e , encore à l'état s a u v a g e , sollicitait non pas s e u l e m e n t le zèle de l ' é v a n g é l i s a t i o n , mais u n e action m é t h o d i q u e et p e r s é v é r a n t e des peuples civilisés. Nous justifierons p l u s loin l'utilité de la colonisation. Quelle q u ' e l l e soit, les g r a n d e s n a t i o n s ne s'en d é s i n t é r e s s e n t p a s et veulent y p r e n d r e leur p a r t . Notre pays ne pouvait rester é t r a n g e r à ce m o u v e m e n t . C'est donc à u n m o m e n t


6

LIVRE

I.

PRINCIPES.

opportun q u e l'étude de la colonisation est venue p r e n d r e sa place dans l'enseignement. 1 2 . L'observation fait naître u n e question primordiale q u e n'ont pu se poser les colonisateurs du p a s s é . Quel est le genre de colonies qui est le p l u s a p p r o p r i é aux r e s s o u r c e s , a u x m œ u r s , au génie de la m è r e - p a t r i e ? Le moindre coup d'œil s u r l'histoire coloniale n o u s montre que les colonies se divisent en trois classes n e t t e m e n t tranchées, qui correspondent à des aptitudes distinctes. Sans d o u t e , p l u s i e u r s classifications ont été proposées par des historiens et des économistes. M a i s , on reconnaît qu'il y a trois types irréductibles entre lesquels il ne peut y avoir a u c u n e confusion : 1 ° les colonies, ou comptoirs de comm e r c e ; 2° les colonies agricoles ordinaires ou de peuplement ; 3 ° les colonies de plantation ou d'exploitation. P r é cisons l e u r s caractères distinctifs. 1 3 . 1 ° Colonies de commerce. Ce sont des c o m p t o i r s , ou factoreries, c'est-à-dire suivant L i t t r é , le siège des b u r e a u x des facteurs d'une c o m p a g n i e de commerce à l'étranger. Ces comptoirs s'établissent d'ordinaire dans u n e contrée déjà p e u p l é e , et offrant des r e s s o u r c e s , mais primitive e n c o r e , où le commerce n'est q u ' à l'état d'enfance et a besoin de débouchés. De telles colonies ne peuvent être fondées avec succès q u e par un peuple possédant des moyens d'expansion, c'està-dire avancé c o m m e r c i a l e m e n t , ayant u n e m a r i n e m a r chande et militaire d ' u n e certaine i m p o r t a n c e . L a science économique montre quel lien étroit unit la m a r i n e militaire, la m a r i n e m a r c h a n d e et les colonies. L a première condition de succès de ces colonies est dans leur situation. Il i m p o r t e peu qu'elles c o m p r e n n e n t des t e r r e s , pourvu qu'elles aient un bon p o r t , placé s u r le p a r c o u r s des grandes voies m a r i t i m e s . Une émigration considérable ne leur est p a s nécessaire. Elles n'emploient q u ' u n personnel r e s t r e i n t , en comparaison des capitaux qu'elles occupent et font fructifier. Les stations des P o r t u g a i s en


C L A S S I F I C A T I O N

D E S

C O L O N I E S .

7

Afrique et en A s i e , des Hollandais d a n s la mer des I n d e s , des Anglais en O r i e n t , des diverses maisons françaises sur la Côte d'Ivoire en sont des exemples. Rien n'est simple comme cette colonisation. Elle naît s p o n tanément de l'initiative privée et des relations commerciales qui s'imposent à certains peuples m a r i t i m e s . Les deux autres catégories de colonies sont bien p l u s complexes et réclament u n e étude plus attentive. 1 4 . 2° Les colonies agricoles ou de peuplement sont soumises à deux conditions : a) Elles ne peuvent s'établir, d'ord i n a i r e , q u e dans des pays vacants ou peu h a b i t é s , comme l'était le Canada p o u r nos p r e m i e r s explorateurs français. Elles supposent des conditions de climat à peu près analogues à celles de la nation colonisatrice. b) La métropole doit être importante et peuplée de manière à fournir u n e émigration abondante et variée. S'il en est a u t r e m e n t , les colonies à peine nées lui échappent et tombent aux mains d ' a u t r e s p e u p l e s , q u i l e u r fournissent un courant p l u s dense d ' é m i gration et de p e u p l e m e n t . La croissance des colonies agricoles est lente. Il faut des années p o u r y développer successivement les industries d i verses. Elles sont l'œuvre de p l u s i e u r s générations et ont besoin d'être longtemps soutenues par la m è r e - p a t r i e , q u i doit les pourvoir d ' u n double é l é m e n t , savoir : un personnel agricole et un a u t r e composé de s a v a n t s , d ' a r t i s a n s , de comm e r ç a n t s , d'agents de t r a n s p o r t , ainsi q u e l'a très bien démontré Wakefield dans son Essai sur l'art de la colonisation. Nous verrons p l u s loin combien ce double élément a m a n q u é à notre colonisation du Canada. Une fois arrivées à l ' a i s a n c e , les colonies de p e u p l e m e n t , images de la m è r e - p a t r i e , tendent à s'éloigner d'elle à m e s u r e qu'elles n ' o n t p l u s besoin d'en recevoir les éléments de vitalité. Se recrutant par le mouvement de leur propre p o p u l a t i o n , d'autant plus rapide qu'elles ont devant elles p l u s d'esp a c e , elles marchent à l ' i n d é p e n d a n c e , surtout si la mère-


8

LIVRE

I.

PRINCIPES.

patrie l e u r fait trop d u r e m e n t s u b i r son j o u g . Elles réalisent celte parole que faisait entendre T u r g o t , trente ans avant l'indépendance des États-Unis d'Amérique : « L e s colonies sont comme des fruits qui ne tiennent à l'arbre que j u s q u ' à leur m a t u r i t é ; devenues suffisantes à e l l e s - m ê m e s , elles font ce q u e fit jadis C a r t h a g e , ce q u e fera un j o u r l ' A m é r i q u e . » Le moyen p o u r les métropoles de r e t a r d e r le moment où se brisera le lien q u i retient à elles l e u r s colonies agricoles et de p e u p l e m e n t , est de se les r a t t a c h e r , à la fin s e u l e m e n t , p a r u n lien nominal et volontaire. 1 5 . 3 ° Les colonies de plantation ou d'exploitation ont u n e physionomie spéciale. Ce sont celles q u i , p a r la n a t u r e de leur sol et de leur c l i m a t , ont la faculté de produire des denrées d'exportation et q u i , dès l o r s , s'adonnent d'une m a nière p a r t i c u l i è r e , si ce n'est exclusive, à la c u l t u r e de c e r tains produits destinés au commerce extérieur. Il en est ainsi de nos colonies de la G u a d e l o u p e , de la M a r t i n i q u e , de la R é u n i o n , de toutes les terres tropicales qui fournissent au vieux monde le s u c r e , le c a f é , le c a c a o , etc. Ces colonies, on le c o m p r e n d , diffèrent notablement des précédentes. Elles réclament de g r a n d s capitaux et s e m b l e n t , dès leur enfance, avoir besoin d'une organisation artificielle de t r a v a i l , c'est-à-dire d'une m a i n - d ' œ u v r e peu exigeante et peu c h è r e . Elles ont été a m e n é e s à se la p r o c u r e r soit par l'esclavage, soit p a r l'émigration avec e n g a g e m e n t , comme l'émigration des coolies, c'est-à-dire des travailleurs de l'Inde et de la C h i n e , q u i vont s'engager à bas p r i x ; soit par la d é portation des c r i m i n e l s , comme à la Guyane et à la NouvelleCalédonie. Les colonies de plantation ou d'exploitation arrivent bien p l u s p r o m p t e m e n t q u e les a u t r e s à l'aisance et à la p r o s p é r i t é , mais elles sont soumises à beaucoup p l u s de crises écon o m i q u e s et c l i m a t é r i q u e s . Elles ont u n état social p a r t i c u lier, souvent plein de p é r i l s , par suite de l'inégalité des c o n ditions e n t r e les colons et ceux q u ' i l s emploient.


C L A S S I F I C A T I O N

D E S

9

C O L O N I E S .

1 6 . Ces trois types de colonies ont une physionomie et un caractère très distincts. Mais, en fait, ils ne s'offrent pas toujours à l'état pur, et plusieurs d'entre eux peuvent se combiner s u r un même point, ainsi que nous le verrons plus loin. On ne les a donc discernés qu'avec le temps et l'expér i e n c e , parfois même à raison des fautes qui ont été commises. A u j o u r d ' h u i , il est indispensable de les distinguer, parce que les conditions de leur développement diffèrent en raison de leurs caractères propres.

CHAPITRE II. UTILITÉ

DES

COLONIES.

17. L a colonisation est-elle utile et légitime ? 1 8 . Opinions d i v e r g e n t e s . 1 9 . Motifs i n v o q u é s en f a v e u r d e la colonisation. — A v a n t a g e s g é n é r a u x et p a r t i c u l i e r s . 2 0 . I n t é r ê t général. 2 1 . I n t é r ê t particulier p o u r les m é t r o p o l e s : 1° au p o i n t de v u e m a t é r i e l . 2 2 . D é m o n s t r a t i o n p a r les faits et p a r l ' h i s t o i r e . 2 3 . L e s m é t r o p o l e s ont-elles p l u s d ' i n t é r ê t à v e n d r e qu'à a c h e t e r a u x colonies ? 24. Les m ê m e s r é s u l t a t s n e p e u v e n t - i l s p a s ê t r e o b t e n u s p a r la simple e x t e n s i o n d e s é c h a n g e s et s a n s le s e c o u r s d e s colonies ? 2 5 . Les faits d é m o n t r e n t les liens étroits que les m é t r o p o l e s ont a v e c l e u r s colonies, même a v e c celles q u i se sont d é t a c h é e s d'elles. 2 6 . Emploi d e s m é t r o p o l i t a i n s plus s û r et p l u s f r u c t u e u x d a n s les c o l o nies qu'en p a y s é t r a n g e r s . 27. I m p a t i e n c e e x c e s s i v e d e s r é s u l t a t s . — N é c e s s i t é d e s e n s e i g n e m e n t s d e l'histoire. 2 8 . 2° A v a n t a g e s d ' o r d r e m o r a l et politique.

1 7 . L'œuvre q u i consiste à porter à des peuples nouveaux les bienfaits de la civilisation, la connaissance des arts utiles, ne saurait laisser la mère-patrie indifférente. Il y va de son 1*


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L I V R E I.

PRINCIPES.

intérêt et de son h o n n e u r . Elle ne peut se désintéresser de l'exportation d'hommes et de capitaux que comportent les tentatives de ses nationaux. On doit donc se demander ce qu'il faut penser de la colonisation. Faut-il l'encourager, ou l'entraver? est-elle utile et légit i m e ? est-elle condamnable en soi, ou même relativement? vaut-elle les sacrifices qu'elle coûtera à la métropole en hommes et en a r g e n t ? 18. Les opinions ont é t é , sont encore très partagées sur ces questions. De nos jours on a vu J.-B. Say, Richard Cobben, et d ' a u t r e s , combattre les entreprises coloniales. Tandis que Ad. Smith, John S t u a r t Mill, M. Paul Leroy-Beaulieu les approuvent et les soutiennent. On met en discussion leur utilité, même leur légitimité. Des esprits élevés en affirment la nécessité dans l'intérêt de la civilisation, de la justice, de l'expansion des vérités morales. Il faut, dit-on, amener à nous les peuples barbares, créer au loin des sociétés nouvelles aussi policées et évangélisées et capables de faire le bien, que nous-mêmes; capables aussi de vivre dans les conditions de bien-être m a t é r i e l , mor a l , intellectuel dont jouissent les peuples civilisés. Mais volontiers aussi on traite d'illuminés et de théoriciens, les partisans de la colonisation. Le bonheur de l'humanité, d i t - o n , est une u t o p i e ; le bien-être universel dans l'ordre matériel et moral est une chimère. On en arrive, pour juger la question, à la poser en ces termes : « Combien telle entreprise rapportera-t-elle à notre pays ? » 1 9 . Voyons d o n c , sur quels motifs s'appuient ceux qui préconisent le mouvement colonial. Ils invoquent d'abord des considérations d'intérêt général, pour le genre h u m a i n . Adam Smith y voit un progrès de l'espèce h u m a i n e . Il expose avec le plus grand soin les « motifs pour établir de nouvelles colonies » et « les bienfaits que l'Europe a retirés de la découverte et des colonies d ' A m é r i q u e , et du passage aux Indes par le cap de Bonne-Espérance. » Il énumère les


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avantages généraux, q u e l'Europe considérée comme u n seul et vaste pays, a retirés de ces g r a n d s é v é n e m e n t s , et les avantages particuliers, q u e c h a q u e pays a obtenus des colonies qui lui a p p a r t i e n n e n t (Richesses des nations, liv. II, c h a p . VII). Il constate q u e la vie en devient p l u s facile m ê m e dans les contrées q u i ne se sont en rien associées aux efforts de la colonisation, et il conclut q u e , i n d é p e n d a m m e n t des m é t r o p o l e s , l ' h u m a n i t é tout entière doit s ' a p p l a u d i r de ce résultat. 2 0 . M. P a u l Leroy-Beaulieu estime q u e le bon m a r c h é des matières p r e m i è r e s e x o t i q u e s , u t i l e s , et m ê m e a u j o u r d ' h u i indispensables à nos i n d u s t r i e s , est u n e conséquence du développement des colonies, et q u e ce bon m a r c h é agit à la façon d'une invention nouvelle, d'une m a c h i n e , d'un p r o g r è s . L'effet en est général et u n i v e r s e l ; et p u i s , l'expansion des races e u r o p é e n n e s s u r le reste du monde est u n e loi naturelle et providentielle : c'est le remède à l'encombrement de la p o p u lation ; c'est la solution de b e a u c o u p de questions difficiles chez le vieux m o n d e ; c'est l ' e n r i c h i s s e m e n t de l ' h u m a n i t é par la mise en valeur de pays nouveaux. Au point de vue moral et social, la colonisation n'est pas a u t r e chose que l'action rationnelle m é t h o d i q u e des p e u p l e s organisés sur les peuples ou les races dont l'organisation plus ou moins défectueuse est incomplète et défectueuse. A p r è s les considérations d'intérêt g é n é r a l , q u ' i l ne n o u s paraît pas nécessaire de développer d a v a n t a g e , viennent celles de l'utilité particulière pour c h a q u e métropole. 2 1 . Nous y avons déjà fait allusion en citant l'opinion d'Adam S m i t h qu'il a basée s u r des faits p r é c i s , tels q u ' i l avait pu les constater en son t e m p s . Les avantages q u e peuvent activer des e n t r e p r i s e s colon i a l e s , les métropoles qui en s u p p o r t e n t les dépenses sont d'ordre matériel, m o r a l et p o l i t i q u e . Au point de vue matériel, q u a t r e avantages attirent tout d'abord l'attention : La colonisation soulage la métropole d ' u n excès de population ; — elle lui offre u n débouché pour les


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LIVRE

I.

PRINCIPES.

produits nationaux; — elle lui fournit un trafic r é m u n é r a t e u r pour sa m a r i n e , et en a s s u r e la prospérité. L'Angleterre en est un e x e m p l e ; — elle lui a s s u r e la consommation des p r o duits coloniaux. Cependant sur le p r e m i e r p o i n t , une restriction s'impose. Il ne faut pas attendre de la colonisation u n e x u toire d'un effet absolu pour u n e population trop dense. Ce qu'on voit c'est le bateau q u i part et e m m è n e un certain nombre de passagers qu'on n ' a u r a p l u s à n o u r r i r ; mais il est constaté q u e la population allégée a u g m e n t e de nouveau et d'autant plus vite qu'il s'est produit des vides p l u s considér a b l e s . Ce n'est donc ni à l'émigration, ni à la colonisation q u e le vieux monde peut d e m a n d e r un remède contre l'excédant des naissances (ce q u e d'ailleurs en France nous n'avons pas à craindre p u i s q u e nous occupons le dernier r a n g dans la natalité européenne). — C'est au travail, et à l'extension des moyens de s u b s i s t a n c e , par l'activité et le commerce C'est là ce qui remédie bien plus q u e la transplantation de la population à son défaut d ' é q u i l i b r e . 2 2 . C'est donc bien plus p a r les relations commerciales, et les échanges avec la mère-patrie que la colonisation p o u r r a être utile à celle-ci et étendre ses ressources. A ce point de vue, l'utilité matérielle des colonies est incontestable. Entre tant d'exemples qui s'offrent à l ' e s p r i t , il suffira de rappeler un célèbre discours de B u r k e , s u r les relations de la G r a n d e Bretagne avec l ' A m é r i q u e , d a n s l e q u e l , devant la C h a m b r e des c o m m u n e s , il démontrait q u e de 1807 à 1 8 7 5 , le seul commerce que l'Angleterre entretient avec ses colonies d ' A m é r i q u e est aussi important q u e tout le commerce q u e l'Angleterre faisait en 1807 avec le monde entier. « Ainsi, disait-il, en un espace de temps qui tient dans la vie d ' u n seul h o m m e , nous avons conquis autant de terrain que dans les 1700 ans q u i avaient précédé. » En fait, d'ailleurs tous les peuples ont apprécié le profit matériel que les métropoles retirent du commerce avec leurs


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c o l o n i e s , c'est p o u r q u o i , comme n o u s le v e r r o n s p l u s l o i n , ils ont tenu à se les réserver, et m ê m e à les multiplier d ' u n e m a n i è r e exagérée et factice au moyen de r é g l e m e n t a t i o n s excessives. Nous avons a u t r e p a r t fait l'historique des luttes de tarifs et à main a r m é e par l e s q u e l l e s p e n d a n t plus de trois siècles, les États e u r o p é e n s se sont d i s p u t é s les possessions lointaines en vue du profit matériel q u ' e n attendaient les m é t r o p o l e s 1 . Qu'en c o n c l u o n s - n o u s ? c'est q u e la d é m o n s t r a t i o n est faite de l'importance extrême q u e , de tout t e m p s , tous les peuples ont attaché au commerce colonial, et à son influence s u r les moyens d ' e x i s t e n c e , l ' a i s a n c e , et la p r o s p é r i t é des m é t r o poles. 2 3 . Toutefois, ce qu'on p e u t se d e m a n d e r c ' e s t , si on a plus d'intérêt à vendre a u x colonies, q u ' à l e u r a c h e t e r , question q u i a préoccupé b e a u c o u p d ' e s p r i t s , m a i s qu'on ne peut r é s o u d r e , à priori, et s a n s consulter les faits. C'est l'intérêt du m o m e n t , ce sont les b e s o i n s , et les moyens d'action q u i , suivant les c a s , fourniront la r é p o n s e , c ' e s t - à - d i r e , n d i q u e r o n t s'il vaut mieux d o n n e r la préférence à l'achat s u r la v e n t e , ou à la vente sur l'achat. L a question n'est pas nouvelle. Montesquieu se l'était posée (Esprit des lois, X X I , 7), et la résolvait p a r cette considération : nous ne faisons le commerce avec les I n d e s q u e p a r l'argent q u e n o u s y envoyons. « L e s R o m a i n s y envoyaient toutes les a n n é e s environ 50 millions de s e s t e r c e s , q u i étaient convertis en m a r c h a n d i s e s q u ' i l s r a p p o r t a i e n t en Occident. T o u s les p e u p l e s qui ont négocié aux Indes y ont toujours porté des m é t a u x , et en ont r a p p o r t é des m a r c h a n dises. Les I n d i e n s ont leurs a r t s qui sont a d a p t é s à l e u r

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V o y . n o t r e o u v r a g e : La liberté commerciale, les douanes et les traités de commerce. P a r i s , G u i l l a u m i n , é d i t e u r , i n - 8 ° , 734 p . , 1879, d o n t M. M a u rice B l o c k a b i e n v o u l u p u b l i e r un c o m p t e - r e n d u é t e n d u d a n s le Journal des débats d u 16 a v r i l 1 8 7 9 .


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LIVRE 1. P R I N C I P E S .

manière de vivre; notre luxe ne saurait être le l e u r , ni nos besoins être leurs besoins. L e u r climat ne leur demande ni leur permet p r e s q u e rien de ce qui vient de chez n o u s . . . Ils n'ont besoin que de nos métaux qui sont les signes des valeurs, et pour lesquels ils donnent des marchandises q u e leur frugalité, et la n a t u r e de leur pays leur procurent en abondance. Les Indes ont été, les Indes seront ce qu'elles sont à p r é s e n t ; d a n s tous les temps ceux q u i envoient aux Indes y porteront de l'argent et n'en rapporteront pas. » Cela peut être v r a i , — a j o u t e r o n s - n o u s , — mais q u ' i m porte. Si on achète c'est qu'on a plus besoin des marchandises q u e du n u m é r a i r e avec lequel on les p a y e . 2 4 . On objecte que pour atteindre les m ê m e s r é s u l t a t s il n'est pas nécessaire d'avoir des colonies en p r o p r i é t é ; — q u e les colonies, sauf les colonies de p l a n t a t i o n , s'émancipent u n j o u r ou l'autre et q u e l'entrée en devient accessible au c o m merce de tous les p e u p l e s ; — que les pays neufs q u i d e p u i s le commencement du siècle se sont accrus d'éléments E u r o p é e n s , se civilisent et offrent, p a r l e u r s relations avec le vieux continent, autant d'avantages q u e les colonies p r o p r e s . L a conclusion serait donc q u ' i l nous vaudrait mieux développer nos industries d'exportation, et nous orientant dans le sens de la liberté commerciale, acheter, ou vendre là où nous aurions intérêt à le faire. A quoi bon, dès lors, dépenser nos ressources pour nous créer très c h è r e m e n t des colonies q u a n d de celles créées par d ' a u t r e s nous pourrions obtenir les m ê m e s avantages. La r é p u b l i q u e de la P l a t a , par exemple, entretient avec les pays d ' E u r o p e un commerce é n o r m e dont tout le monde profite. 2 5 . Ces a r g u m e n t s contre la colonisation sont s p é c i e u x , bien loin d'être décisifs. Il faut r e m a r q u e r q u e les colonies, même émancipées, continuent d'entretenir des relations très étroites avec les pays de qui elles é m a n e n t . On peut citer les É t a t s - U n i s qui font un gros chiffre d'affaires avec l'Angleterre l e u r ancienne métropole et les pays de l'Amérique espagnole


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qui sont en r a p p o r t suivis avec l ' E p a g n e et le P o r t u g a l , le C a p , q u o i q u e passé sous la domination anglaise ayant u n mouvement actif d'échanges avec la métropole à qui il a dû ses p r e m i e r s éléments de civilisation. Quant au commerce avec les nations j e u n e s et i n d é p e n d a n t e s , si la concurrence s'y exerce bien plus aisément et efficacement q u e dans les anciennes colonies, cela dépend des c o n s u l s , de l'activité et de l'initiative des nations e u r o p é e n n e s ; on ne p e u t donc p r é t e n d r e y r é u s s i r à coup s û r et l'emporter s u r les r i v a u x . Il en est a u t r e m e n t vis-à-vis des colonies, m ê m e s é p a r é e s de leur m è r e - p a t r i e . Il est rare q u e son influence, son esprit n'y s u b s i s t e n t p a s , et que les affaires ne s'y fassent pas avec p l u s d e confiance et de sûreté qu'avec les é t r a n g e r s . 2 6 . De m ê m e , les capitaux métropolitains ne sont-ils pas plus en sûreté dans les colonies nationales q u ' a i l l e u r s ? N'eston pas fondé à d i r e , avec M. P . Leroy-Beaulieu, q u ' i l s y sont exposés à moins de s u r p r i s e s , de s u b t e r f u g e s , de pertes d ' i n t é r ê t s ? Il estime m ê m e à p r è s de cent millions en r e v e n u s et à deux milliards en capital les s o m m e s dont nos nationaux ont été spoliés dans des placements en pays lointains é t r a n gers. « En e û t - i l été de m ê m e si ces capitaux avaient été engagés p a r des capitalistes français d a n s des colonies f r a n ç a i s e s , où ils eussent rencontré les g a r a n t i e s de la loi française? » Enfin, les c a p i t a u x , employés d a n s les entreprises coloniales nationales, n'exercent-ils pas u n e action utile s u r le m a r c h é intérieur, par la perspective et la possibilité de p l a cements n o u v e a u x , à un m o m e n t où le g r a n d o u t i l l a g e , créé chez n o u s et nos voisins dans la seconde moitié de ce siècle, laisse les capitaux e u r o p é e n s en q u ê t e d ' e m p l o i s . 2 7 . Les avantages matériels de l'expansion coloniale ne p e u v e n t donc être n i é s , mais ce q u ' o n exige c'est q u ' i l s soient immédiats. On ne veut pas a t t e n d r e , on m a n q u e de patience, on oublie q u e pour le développement n o r m a l d ' u n e colonie il faut des siècles. On ignore les v i c i s s i t u d e s , les l u t t e s , les


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L I V R E I.

PRINCIPES.

spoliations, les fautes q u i ont compromis les entreprises du passé. P o u r la F r a n c e , p l u s particulièrement p e u t - ê t r e , est-il vrai de dire q u e l'histoire de ses colonies est indispensable pour l'éclairer s u r tout ce qu'elle aurait pu garder et qu'elle a perdu par défaut de p a t i e n c e , d ' e n t e n t e , de m é t h o d e , et par des exigences hâtives. C'est ce q u e , p l u s loin, sans parti-pris, et par l'étude impartiale des faits, nous nous efforcerons de mettre en lumière. 2 8 . Les avantages d'ordre moral et politique s o n t , peutêtre encore, plus considérables et ils o n t , d ' a i l l e u r s , u n effet direct sur les avantages d'ordre matériel. « Ce qui fait une nation puissante et respectée la fait généralement prospère » (Chailley-Bert, Nouveau diction. d'Économie politique). Les h o m m e s d'État a n g l a i s , a u x q u e l s on ne peut dénier des v u e s p r a t i q u e s et i n t é r e s s é e s , considèrent presque aussi volontiers l'intérêt futur de la race anglo-saxonne que l'intérêt présent de la Grande-Bretagne. N'est-il pas évident que l'Empire du monde appartiendra a u x races, non seulement les plus actives, mais les p l u s expansives, à celles qui auront le plus et mieux exporté et colonisé? Appartient-il à la F r a n c e q u i , d'année en a n n é e , restreint chez elle si m i s é r a b l e m e n t son action prolifique, de se confiner s u r son sol, de s'isoler, de se renfermer dans un cercle étroit de tarifs d o u a n i e r s , de compter sur son goût si v a n t é , sur ses articles de l u x e , pour se croire dispensée de rayonner au dehors et de coloniser? L'action colonisatrice, l'histoire le m o n t r e , est celle qui exerce le plus d'influence s u r le m o n d e ; elle est l'affirmation la p l u s virile, la p l u s incontestable de la p u i s s a n c e , du t r a vail et du génie. Devons-nous rester à l ' é c a r t ? Nous verrons p l u s loin quelle part nous avons dû p r e n d r e dans les conventions de 1885 et 1890 avec les grandes puissances. Voulonsn o u s nous en retirer et les laisser a g i r ? N'avons-nous pas (comme d'autres p e u p l e s ) , des esprits aventureux, incapables


UTILITÉ DES

COLONIES.

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de d i s c i p l i n e , t u r b u l e n t s , des déclassés dont il c o n v i e n d r a i t , dans l e u r intérêt propre comme dans l'intérêt g é n é r a l , de tourner les vues vers des r é g i o n s dont les réglementations sont moins strictes, où il y a p l u s de latitude pour se mouvoir et tenter f o r t u n e ? L'Australie n'a-t-elle pas é t é , p o u r l ' A n gleterre, u n e soupape de sûreté et un c h a m p d'expérience, au point de vue m o r a l , social et é c o n o m i q u e ? L'act T o r r e n s , ce procédé nouveau de transfert de la propriété f o n c i è r e , qui se présente si timidement dans les pays civilisés, q u e la Tunisie et l'Algérie a u r o n t expérimenté avant la F r a n c e , n ' a - t - i l p a s fait son apparition dans cette région lointaine par u n e assimilation avec les conventions m a r i t i m e s en usage p o u r la vente des navires ? Notre conclusion est celle de M. P . Leroy-Beaulieu : « D a n s la période d'histoire q u e nous t r a v e r s o n s , dit-il (v° Colonisation, Nouveau diction. d'Écon. politique), u n g r a n d État p r é voyant et riche ne peut a b s o l u m e n t se désintéresser de la colonisation. Elle r e n t r e dans la mission des g r a n d s États occidentaux. » Quels sont les moyens d'accomplir cette g r a n d e tâche? Estce l'initiative individuelle? l'action des g r a n d e s c o m p a g n i e s ? l'action militaire? l'action des missions r e l i g i e u s e s ? l'action directe de l ' E t a t ? P o u r n o u s , a u c u n de ces moyens n'est à exclure, c'est l'histoire, c'est l'expérience q u i nous éclaireront sur leur utilité s u c c e s s i v e , et parfois s i m u l t a n é e .


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L I V R E

II.

L ' H I S T O I R E .

LIVRE

II.

L'HISTOIRE. — LES COLONIES FRANÇAISES e

AVANT LE XIX SIÈCLE.

CHAPITRE

PREMIER.

COLONIES F R A N Ç A I S E S D E L ' A M É R I Q U E DU N O R D .

1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15.

e

E x p a n s i o n de la F r a n c e d a n s la colonisation a n t é r i e u r e a u x i x siècle. P r e m i è r e s t e n t a t i v e s au xiv s i è c l e . N o u v e l l e s e x p l o r a t i o n au x v i siècle. — L e C a n a d a . L a colonisation s o u s H e n r i I V . — Champlin v é r i t a b l e f o n d a t e u r de la c o l o n i e française d u C a n a d a . C o m p a g n i e s d e c o l o n i s a t i o n s o u s Richelieu et Colbert. L e u r tâche complexe. H i s t o r i q u e de la colonie d u C a n a d a . — L e n t e u r de l ' i m m i g r a t i o n . — Constitution f é o d a l e d e la p r o p r i é t é au C a n a d a . V i c e s d e l ' a t t r i b u t i o n p r i v i l é g i é e d e s t e r r e s . — Insuffisance d e t r a v a i l leurs agricoles. R e c h e r c h e r e g r e t t a b l e d e s profits i m m é d i a t s . J u g e m e n t d ' A d . S m i t h s u r le C a n a d a f r a n ç a i s . A b s e n c e de libertés p r o v i n c i a l e s et m u n i c i p a l e s . — R i v a l i t é s et conflits e n t r e les f o n c t i o n n a i r e s . P a s s i o n d é s o r d o n n é e d e s a v e n t u r e s . — C o n s t i t u t i o n d e la « n o u v e l l e France ». D é v e l o p p e m e n t d u C a n a d a et d e la L o u i s i a n e a p r è s la s u p p r e s s i o n d e s compagnies privilégiées. Belles p e r s p e c t i v e s p o u r la colonisation f r a n ç a i s e en 1755. R i v a l i t é d e l ' A n g l e t e r r e . — L a F r a n c e lui c è d e l ' A c a d i e . — N o u v e l l e s prétentions de l'Angleterre. e

e


COLONIES FRANÇAISES

DE L'AMÉRIQUE

DU

NORD.

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16. L a g u e r r e d e s e p t a n s . — Hostilités m a r i t i m e s e n t r e la F r a n c e et l'Ang l e t e r r e . — N o s colonies l i v r é e s à l e u r s p r o p r e s f o r c e s . — G l o r i e u x é c h e c d e M o n c a l m . — P e r t e d u C a n a d a et d e l a L o u i s i a n e . 17. D e r n i e r s v e s t i g e s de la d o m i n a t i o n de la F r a n c e d a n s l ' A m é r i q u e d u N o r d . — I l e s d e S a i n t - P i e r r e et M i q u e l o n , et d r o i t s d e p ê c h e s u r T e r r e - N e u v e . — R e n v o i d e la q u e s t i o n .

1 . L a France lient dans l'histoire de la colonisation une place infiniment p l u s g r a n d e q u e celle q u ' e l l e occupe d a n s l'État actuel de l'expansion coloniale. D ' u n e p a r t , nos trafiquants et nos c h a s s e u r s ont pénétré partout dans le continent a m é r i c a i n ; ils se sont établis dans es solitudes les p l u s reculées p a r m i les t r i b u s sauvages. Ils ont devancé de deux siècles les colonisateurs a n g l a i s , et, s u i vant divers t é m o i g n a g e s , sur les rives des p l u s g r a n d s cours d'eau q u i traversent l'Amérique du Nord on découvre des villages où « l'aspect et les u s a g e s sociaux des h a b i t a n t s forment u n contraste frappant avec les m œ u r s a n g l o - a m é r i c a i n e s , et révèlent u n e origine française » (Merival). 2 . D ' a u t r e part, d ' a p r è s J u l e s D u v a l , nos p r e m i è r e s créalions coloniales en Afrique r e m o n t e r a i e n t au r è g n e de Charles V, c'est-à-dire au xiv siècle. Des m a r i n s d i e p p o i s , en 1364, a u r a i e n t fait voile vers les C a n a r i e s , déjà découvertes, seraient arrivés au Cap-Vert en S é n é g a m b i e , a u r a i e n t p a r c o u r u la côte et échangé l e u r s m a r c h a n d i s e s contre de l'or, de l'ivoire et du poivre. L ' a n n é e s u i v a n t e , devançant les G é n o i s , les P o r t u g a i s , les E s p a g n o l s , des m a r c h a n d s de R o u e n et de Dieppe se seraient dirigés j u s q u ' à la Côte d'Or ( a u x rivages a c t u e l s du D a h o m e y ) . Nous a u r i o n s donc été les pères de la colonisation m o d e r n e . Il faut en r a b a t t r e en ce sens q u e des voyages de d é c o u v e r t e , des comptoirs fondés p o u r l'échange des m a r c h a n d i s e s , de simples e s c a l e s , des dénominations françaises données au pays ne suffisent pas p o u r constituer des colonies. Le pavillon 1

e

1

Les colonies

et la politique

de la France,

p . 1.


20

LIVRE

II.

L'HISTOIRE.

Français d ' a i l l e u r s , dès 1410, ne reparaît plus s u r la côte d'Afrique j u s q u ' e n l'année 1488 où le capitaine Cousin renoua des relations commerciales avec le Sénégal et la Guinée. 3 . Cependant au commencement du xvie siècle, nos p ê cheurs bretons poursuivent la morue j u s q u ' à l'île de T e r r e Neuve, et P a u l m i e r de Gonneville, marin de Honfleur, double le cap de B o n n e - E s p é r a n c e et se voit jeté p a r la tempête en Australie. Vingt-cinq ans plus tard les frères P a r m e n t i e r d é b a r q u e n t à S u m a t r a , visitent les Moluques et reviennent à Dieppe avec u n e riche cargaison. Ces entreprises isolées, sans suite et sans plan, ont entretenu l'activité de nos m a r i n s , mais n'ont donné a u c u n t e r r i toire à la F r a n c e . Après une v a i n e tentative sous François I qui fit visiter p a r V e r a z z a n o , explorateur florentin, les régions du Nord de l ' A m é r i q u e , J a c q u e s Carlier de S a i n t - M a l o , en 1535, d é b a r q u e de nouveau à l'île de T e r r e - N e u v e , aborde le c o n t i n e n t , remonte le S a i n t - L a u r e n t , et p r e n d , au n o m de la F r a n c e , possession de ses deux rives. De ce jour le Canada devinl terre française. Mais nos g u e r r e s civiles et religieuses devaient détourner les p a r t i c u l i e r s , aussi bien q u e la r o y a u t é , des entreprises coloniales. Si nous mentionnons les g é n é r e u x efforts de Coligny q u i fit visiter la G u y a n e , le Brésil et la F l o r i d e , nous devons constater q u e ses vues qui tendaient à fonder avec les réformés u n e F r a n c e protestante au delà des m e r s , échouèrent devant l'indifférence de la noblesse calvin i s t e , et l'abstention de la couronne. 4 . Sous Henri IV u n e nouvelle expansion est donnée à la colonisation. Une seconde fois on visite le Brésil, on découvre ce qui p l u s tard sera la L o u i s i a n e , mais nos explorateurs ne s'y fixent pas et leurs efforts se portent plus au nord. En 1598, Henri IV nomme le sieur de Laroche l i e u t e n a n t - g é n é r a l , ès pays de Canada et a u t r e s ; en 1604, il confère des privilèges étendus au sieur de Mentz qui fonde, s u r la côte de l'Acadie, u n e petite colonie dont les privilèges excessifs font naître des e r


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conflits avec les pêcheurs basques et rochellois, et amènent l'échec de l'entreprise. Une nouvelle expédition est tentée sur le Canada sous la conduite de C h a m p l i n , gentilhomme de Saintonge, qui éleva Québec et fut le vrai fondateur de la colonie du Canada. Sans négliger les pêcheries et le commerce des p e l l e t e r i e s , il s'efforça d'y attirer les a g r i c u l t e u r s , mais il se h e u r t a à des difficultés de toutes sortes, notamment à l'opposition de Sully qui voyait avec peine une désertion d'hommes et d ' a r g e n t dans les pays du Nouveau-Monde dont il estimait qu'on ne devait rien espérer au delà du 4 0 degré de latitude. La mort de Henri IV plongea ces nouveaux établissements dans un abandon dont Richelieu veut les tirer. Sa pensée constante fut, comme celle de Colbert, de doter la F r a n c e de puissantes colonies. Mais le r u d e climat du Canada n'exerçait qu'une faible attraction s u r les Français bien p l u s séduits par la beauté des Antilles. 5 . On s'explique q u e l'intervention de l'État sous Richelieu et Colbert se soit manifestée, selon les idées du t e m p s , par la création de compagnies pourvues de privilèges extraordinaires. Nous en voyons douze créées avant Colbert pour la colonisation du C a n a d a , de l'Acadie, de S u m a t r a , de J a v a , des Mol u q u e s , des Indes o r i e n t a l e s , de Madagascar, de la G u i n é e , du Cap-Vert. Sous Colbert c'est u n e recrudescence de privièges. Quatorze compagnies principales s'établissent de 1664 à 1718 sous les dénominations de compagnies des Indes orient a l e s , occidentales, du N o r d , du L e v a n t , du S é n é g a l , de la G u i n é e , de l'Acadie, de S a i n t - D o m i n g u e , de la baie d ' H u d son, de la C h i n e , du Canada; la p l u p a r t d'entre elles disparaissent, puis se reconstituent avec q u e l q u e s modifications, j u s q u ' à ia C du Mississipi qui de 1718 à 1720 sous l'administration du banquier Law fit ouvrir les y e u x , et dissipa bien des illusions. 6. La création ou le maintien de compagnies privilégiées ne continua pas moins, et l'abbé Morellet, en 1769, eu c o m p e

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tait 5 5 , la p l u p a r t françaises, q u i avaient complètement échoué. Il faut voir dans l'onvrage de Caillet (Histoire de l'administration de Richelieu) quelle tâche complexe on assignait d'ordinaire à ces compagnies. Elles devaient entreprendre des v o y a g e s , faire des découvertes, fonder des colon i e s , négocier, trafiquer en tous pays qui ne seraient pas ennemis déclarés de la c o m m u n e . Mais les d i r e c t e u r s n ' a c ceptaient ces beaux p r o g r a m m e s qu'avec la pensée de tirer parti des monopoles p o u r q u e l q u e s objets s e u l e m e n t , en vue de réaliser de g r o s bénéfices immédiats. Les esprits éclairés déploraient le caractère exclusif et tyrannique des privilèges, et l e u r s funestes r é s u l t a t s . C h a m p l i n , l'illustre p r o p a g a t e u r de la colonisation française au C a n a d a , s'en plaignait. Bien p l u s t a r d , Adam S m i t h en a condamné les excès. Nous en examinerons plus l o i n , dans un chapitre s p é c i a l , les résultats c o m p l e x e s , ainsi q u e les enseignements qu'il faut en tirer p o u r l'époque actuelle. 7. Plusieurs causes expliquent la perte de notre colonie du C a n a d a , nous devons en présenter le rapide a p e r ç u . Le fait primitif et dominant fut la lenteur de l ' i m m i g r a tion. P o u r y r e m é d i e r il était dit dans la charte de la c o m pagnie créée en 1628 q u e seraient r é g n i c o l e s , c'est-à-dire jouissant de tous les droits des n a t i o n a u x , tous les descendants des colons français, tous les indigènes q u i se convertiraient au christianisme. On voulait favoriser l'émigration et le peuplement par toutes sortes de faveurs. Mais u n e e r r e u r capitale devait entraver le mouvement : des gentilshommes recevaient à titre de seigneuries d ' é normes étendues de terre q u ' i l s rétrocédaient p a r parcelles à des paysans moyennant des charges et redevances féodales, et sous condition môme de retrait ultérieur de la propriété en certains cas. Or, comme l'a très bien indiqué Adam Smith (Recherches sur la richesse des nations, liv. IV, ch. VII) : « Si une partie quelconque d'un bien noble ou tenu à titre de fief, reste assujettie p e n d a n t un certain temps à un droit


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de retrait ou de rachat, soit envers l'héritier du seigneur, soit envers l'héritier de la famille, tous les plus gros domaines sont tenus en fiefs, ce qui gène nécessairement les aliénations... L a quantité et le bon marché des bonnes terres, comme on l'a o b s e r v é , sont les principales sources de la prospérité rapide des colonies nouvelles. Or, la réunion des terres en grandes propriétés détruit cette quantité et ce bon marché. » 8 . Il résulta de la constitution féodale de la propriété t e r ritoriale au Canada q u e la classe d e s paysans cultivateurs ne s'y constitua q u e très tard. La production agricole était donc très faible, et l'on fut obligé s o u v e n t , comme en d ' a u t r e s colonies f r a n ç a i s e s , ainsi q u e nous le v e r r o n s , de faire venir des vivres de France. Sans ce système privilégié d'attribution des t e r r e s , il est probable qu'aux xviie et xviii siècles on aurait pu recruter chez les paysans français un bon nombre de colons pour le Canada. 9 . Les compagnies ne songeaient pas d'ailleurs à développer l'agriculture, elles s'appliquaient à obtenir des profits immédiats par tous les moyens possibles. Elles n'importaient souvent q u e des produits européens de qualité inférieure qu'elles prétendaient faire payer très cher par les c o l o n s , et par les i n d i g è n e s , et elles achetaient à aussi bas prix q u e possible les produits q u e la colonie pouvait fournir. 1 0 . Adam Smith a j u s t e m e n t appliqué cette observation au Canada. « La colonie française du Canada, dit-il (en 1780), a été pendant la plus grande partie du dernier siècle, et une partie de celui-ci sous le régime d'une compagnie exclusive. Sous une administration aussi n u i s i b l e , les progrès furent nécessairement l e n t s , en comparaison de ceux des autres colonies; mais ils devinrent beaucoup plus rapides lorsque cette compagnie fut dissoute a p r è s la chute de ce qu'on appelle l'affaire du Mississipi. » 1 1 . L'absence de libertés provinciales et municipales a


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été aussi signalée comme une entrave à l'essor de notre colonie du Canada. L'institution des intendants dont M. de Tocqueville a si bien décrit le despotisme souple et artificieux dans son livre l'Ancien régime et la Révolution, avait passé les m e r s . Jamais les colons n'étaient consultés et bien q u e ce gouvernement autoritaire donnât p l u s d'unité et de r é g u larité à l'administration de la colonie, il n'y eut nulle part autant de divisions et de rivalités parmi les fonctionnaires d'ordres différents. Au milieu des rivalités de l'autorité a d m i nistrative et militaire a u c u n plan n'était suivi d a n s la direction des affaires, dont les dépenses étaient hors de proportion avec les résultats (V. G a m e a u , Histoire du Canada, t. III, p . 80 et 282, et M. P . L e r o y - B e a u l i e u , p . 190 et suiv.). 1 2 . Enfin la passion des armes et des aventures chez les colons les entraînait hors de la production agricole (V. Gam e a u , t. II, p . 179). Le Canada regorgeait d'aventuriers et manquait d'agriculteurs ( P . Leroy-Beaulieu, loc. cit.). L ' a t tention se portait de préférence, dans la m è r e - p a t r i e , sur les voyages d'exploration, les découvertes, les conquêtes sur les Indiens non encore s o u m i s . La population se dispersait ainsi sur des milliers de lieues. Les découvertes successives de F r o n t e n a c , remontant au centre de l'Amérique septentrionale au delà des g r a n d s lacs d'où sort le S a i n t - L a u r e n t , celles en sens inverse de Cavelier de la Salle suivant le cours du Mississipi j u s q u ' a u golfe du M e x i q u e , et la prise de possession par lui de cette contrée que du nom de Louis XIV il appela la L o u i s i a n e , enflammèrent les e s p r i t s , c'était une « nouvelle F r a n c e » qu'on voulait relier par des postes milit a i r e s , depuis le golfe du Mexique j u s q u ' a u x rives du SaintL a u r e n t . Mais pour s o u m e t t r e , a p p r é h e n d e r , p e u p l e r cette é t e n d u e , à peine avions-nous p l u s de dix mille colons, et il aurait fallu défricher les forêts, cultiver les t e r r e s , fonder des villes. Les ambitions g é n é r e u s e s , hardies étaient illimitées, les moyens presque n u l s . Malgré ces vices de la colonisation française dans le nord de l ' A m é r i q u e , il ne faut pas


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moins admirer ces tentatives et constater les résultats obtenus. 1 3 . Comme nous l'enseigne le témoignage d'Adam Smith, d'accord avec les faits, c'est après la chute de Law, avec la suppression des privilèges de la compagnie, que le Canada commença à g r a n d i r , et il le fit r a p i d e m e n t . En 1759, il comptait plus de 80 mille colons, mais son commerce était resté faible. L a Louisiane n'avait commencé aussi à prospérer q u e lorsque la compagnie qui l'exploitait la retrocéda a u gou_ vernement. Telles furent les fautes économiques dont les résultats auraient p u , avec le t e m p s , grâce à la suppression des privilèges, et à l'extension de la liberté du commerce, s'atténuer et faire place à une ère nouvelle de progrès réel et de prospérité. Il nous faut rappeler les faits politiques qui nous ont enlevé ce magnifique empire colonial de l'Amérique du Nord. 1 4 . En 1755 la F r a n c e était dans u n état relatif de p r o s p é rité. On avait, p a r quelques années de paix, cicatrisé les plaies des g u e r r e s précédentes. Notre marine avait été r é g é nérée p a r u n ministre habile Machault, nos colonies des Antilles, de Bourbon et Maurice, comme nous le v e r r o n s , étaient en bonne voie. La Louisiane et le Canada donnaient des espérances. Dupleix, nous le verrons aussi, s'efforçait de faire de nos possessions de l'Inde le noyau d'un grand empire. Jamais la F r a n c e n'avait eu de plus belles perspectives comme puissance coloniale. 1 5 . Mais l'Angleterre, en même temps qu'elle arrêtait nos progrès dans les I n d e s , émettait les prétentions les plus ardentes en A m é r i q u e , d'abord pour la possession de quelq u e s - u n e s des A n t i l l e s , puis p o u r la fixation des limites de nos territoires a u - d e s s u s du S a i n t - L a u r e n t avec ses propres colonies. Cependant déjà dans celte région nous lui avions cédé la presqu'île de l'Acadie par les traités d'Utrech (1713) et d'Aix-la-Chapelle ( 1 7 4 8 ) . Les limites de l'Acadie semblaient fixées par la n a t u r e , R.

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l'Angleterre prétendit les étendre j u s q u e sur le Saint-Laurent, pour se donner la navigation du fleuve et cerner le Canada. Les Français avaient découvert le Mississipi, déclaré qu'ils prenaient possession de tout son b a s s i n , et établi des forts sur l'Ohio. Les Anglais prétendirent que cette rivière appartenait à leurs colonies de la Nouvelle-Angleterre. On négocia. Mais le ministère anglais envoya quatre corps d'armée en Amérique, fit sortir 18 vaisseaux à la poursuite de l'escadre du Canada, et lança ses corsaires s u r toutes les mers pour surprendre les navires marchands français qui naviguaient tranquillement s u r la foi des traités. En quelques semaines deux frégates de notre escadre et trois cents bâtiments de commerce furent capturés. La Chambre des communes elle-même déclara ces prises illégitimes comme entachées de piraterie, et faites hors d'une guerre déclarée. Mais le ministère dirigé par Pitt se garda bien de les rendre. 1 6 . Pendant ce temps s'allumait entre la France et la Prusse alliée à l'Angleterre la guerre de sept ans. Nous eûmes d'abord sur l'Océan de brillants succès qui vengèrent les surprises brutales dont nous avions été victimes. L a flotte anglaise de 17 vaisseaux commandée par l'amiral Bing était battue près de l'Ile Minorque par l'amiral français La Galissonnière (28 juin 1756). Mais par suite de nos revers sur le continent nos colonies se trouvaient abandonnées à leurs propres forces. Un homme du plus haut mérite, l'illustre marquis de Montcalm, était chargé de défendre le Canada. On sait qu'avec 4,000 hommes il battit 20,000 anglais près du lac Saint-Georges. Mais il ne put empêcher la prise du fort D u quesne sur l'Ohio, ni celle de Louisbourg (27 juillet 1758). Les désastres maritimes qui nous survinrent alors ne nous permirent d'envoyer aucun secours au Canada. Notre flotte de Toulon s'égarait vers le détroit de Gibraltar (17 août 1759). Notre flotte de Brest de 21 vaisseaux essuyait près de BelleIsle (30 novembre) une douloureuse défaite due à l'impéritie


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de l'amiral Conflans. P e n d a n t ce t e m p s les A n g l a i s envoyaient à l e u r aise d e s renforts d a n s le C a n a d a . Ils y m i r e n t s u r pied j u s q u ' à 40 mille h o m m e s , tandis q u e l e u r s b â t i m e n t s p r e n a i e n t ou c h a s s a i e n t les vaisseaux f r a n ç a i s . M o n t c a l m , s u r ce t h é â t r e o b s c u r , avait déployé d e s talents de p r e m i e r o r d r e . A b a n d o n n é par la m é t r o p o l e , il c h e r c h a des r e s s o u r c e s chez les i n d i g è n e s . Mais il devait s u c c o m b e r . Dix mille Anglais a s s i é g e a n t Québec il l e u r livra bataille avec 4,000 h o m m e s , fut b a t t u et t u é (10 sept. 1 7 5 9 ) . Q u é b e c d u t se r e n d r e : ce petit n o m b r e de F r a n ç a i s , r e s s e r r é d a n s M o n t r é a l fut contraint à c a p i t u l e r . L e C a n a d a était p e r d u p o u r n o u s . Nous avions encore la L o u i s i a n e , m a i s elle fut cédée à l ' E s p a g n e p a r le traité de P a r i s de 1 7 6 3 . 1 7 . Il n o u s restait encore dans l ' A m é r i q u e du Nord l ' a r chipel de S a i n t - P i e r r e et M i q u e l o n , d e r n i e r s vestiges de notre domination a u C a n a d a . L ' i n d u s t r i e de la p ê c h e y était exercée avec succès p a r nos colons et les m a r i n s b r e t o n s . On y e m p l o y a i t , p a r a î t - i l , p l u s de 200 b â t i m e n t s . P e n d a n t la g u e r r e de l ' I n d é p e n d a n c e , alors q u e la F r a n c e était allée p o r t e r des forces et des s e c o u r s a u x colons révoltés c o n t r e la G r a n d e B r e t a g n e , les A n g l a i s s ' e m p a r è r e n t de S a i n t - P i e r r e et M i q u e lon dont ils d é t r u i s i r e n t les c o n s t r u c t i o n s de fond en c o m b l e forçant les h a b i t a n t s , a u n o m b r e de 1,200, à se réfugier en France. Le traité de paix conclu à V e r s a i l l e s , en 1 7 8 3 , n o u s les rendit en toute p r o p r i é t é , en r e c o n n a i s s a n t n o s droits de p è c h e s u r la côte d e T e r r e - N e u v e ( F r e n c h - S h o r e ) , d u cap S a i n t - J e a n à la côte E s t , et j u s q u ' a u cap R o u g e à l'extrémité S u d - O u e s t . Les h a b i t a n t s q u i a v a i e n t été forcés de q u i t t e r la colonie y furent r a m e n é s a u x frais de l ' É t a t , a u n o m b r e de 1,223 et l'année s u i v a n t e p l u s de 3 1 8 n a v i r e s p r e n a i e n t p a r t à la p è c h e s u r les b a n c s de T e r r e - N e u v e . Cette p r o s p é r i t é n e devait m a l h e u r e u s e m e n t p a s d u r e r . D e u x fois e n c o r e , en 1 7 9 3 , et 1 8 0 3 , les A n g l a i s s ' e m p a r è r e n t d e ces î l e s , q u i n o u s furent définitivement r e n d u e s en 1814 p a r le traité de P a r i s , l e q u e l


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stipulait en outre que les droits de pêche s u r les côtes de Terre-Neuve nous appartiendraient dans les mêmes conditions qu'en 1783. L'archipel comprend avec S a i n t - P i e r r e , la g r a n d e , et la petite Miquelon, et les îles de L a n g l a d e , l'île aux C h i e n s , le grand et le petit Colombier, l'île Massacre, l'île aux Vainq u e u r s , etc. Depuis 1 8 1 6 les expéditions de pêche ont pour nous repris une grande activité. Quant à la pèche dans les eaux de l'île de Terre-Neuve, qui appartient à l'Angleterre, la France prétend l'exercer. Les négociations encore pendantes avec la Grande-Bretagne s u r nos p r é t e n t i o n s , semblent liées a u j o u r d ' h u i , ainsi q u e nous l'exposerons plus loin, à une question douanière qui intéresse l'Angleterre en Tunisie.

CHAPITRE LES A N T I L L E S F R A N Ç A I S E S A V A N T

II. LE X I X e SIÈCLE.

18. Situation et division des A n t i l l e s . 1 9 . D é c o u v e r t e d e s p e t i t e s Antilles p a r Colomb. 2 0 . L e u r p r i s e d e p o s s e s s i o n p a r la F r a n c e . — Création de privilégiées.

compagnies

2 1 . Vaines e n t r e p r i s e s d e l ' A n g l e t e r r e . — Dissolution d e la c o m p a g n i e et r e t o u r à la c o u t u m e . 22. Désir d ' e n r i c h i s s e m e n t hâtif p a r la culture exclusive d e s p r o d u i t s d ' e x portation. — L'esprit d'aventures. 2 3 . Histoire de Saint-Domingue. — B o u c a n i e r s et flibustiers français. 2 4 . I n t e r v e n t i o n de la C o u r o n n e . — Succès de la colonie française d e S a i n t - D o m i n g u e . — T é m o i g n a g e d'Ad. S m i t h . 2 5 . A b u s d e la m a i n - d ' œ u v r e s e r v i l e . — S o u l è v e m e n t d e s g e n s de c o u l e u r . 2 6 . T r a i t é d e 1814. — R e c o n n a i s s a n c e des d r o i t s de la F r a n c e . — N é g o ciations i n f r u c t u e u s e s . 27. Traité d e 1825 : p e r t e d e S a i n t - D o m i n g u e p o u r la F r a n c e . — I n d e m n i t é s t i p u l é e p o u r les c o l o n s . 2 8 . P e u p l e m e n t d e s p e t i t e s Antilles. 2 9 . H e u r e u s e influence d u c l e r g é .


LES

ANTILLES

AVANT

LE

XIX

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30. É l é m e n t s d i v e r s d e la p o p u l a t i o n . — P r o s p é r i t é d e s Antilles d u e à l ' i n i t i a t i v e i n d i v i d u e l l e . — P a r a l l è l e d ' A d . S m i t h e n t r e les c o l o n i e s à sucre de l'Angleterre et celles de la F r a n c e . 3 1 . Motifs d e l'insuccès d e s c o m p a g n i e s . 32. L a p r o s p é r i t é des p l a n t e u r s a m a l h e u r e u s e m e n t p o u r b a s e la c u l t u r e s e r v i l e e t la t r a i t e d e s n o i r s . 3 3 . A b a n d o n d e l ' a g r i c u l t u r e au profit d e s c u l t u r e s p u r e m e n t i n d u s t r i e l l e s . — Humanité relative d e s planteurs français vis-à-vis des esclaves. — Témoignage d'Ad. Smith. 3 4 . L e s A n t i l l e s f r a n ç a i s e s et le p a c t e c o l o n i a l . 3 5 . L e u r p r o s p é r i t é a p r è s la s u p p r e s s i o n d u m o n o p o l e d e s c o m p a g n i e s . 36. Vicissitudes politiques des Antilles françaises j u s q u ' e n 1815.

1 8 . D a n s l'Océan a t l a n t i q u e , a v a n t de p é n é t r e r d a n s le golfe du M e x i q u e , e n t r e les d e u x g r a n d e s A m é r i q u e s du Nord et du Sud existe u n a r c h i p e l q u i se divise en d e u x g r o u p e s : 1° les g r a n d e s A n t i l l e s c o m p r e n a n t p r i n c i p a l e m e n t l'île de C u b a , a u j o u r d ' h u i aux E s p a g n o l s , Haïti ou S a i n t - D o m i n g u e , j a d i s f r a n ç a i s e , a u j o u r d ' h u i p a r t a g é e en d e u x r é p u b l i q u e s i n d é p e n d a n t e s , la J a m a ï q u e a u x A n g l a i s , P o r t o - R i c o aux E s p a g n o l s ; 2° les petites Antilles c o m p r e n a n t l'île S a i n t T h o m a s a u x D a n o i s , la G u a d e l o u p e , chef-lieu B a s s e - T e r r e , la M a r t i n i q u e , c h e f - l i e u F o r t - d e - F r a n c e , t o u t e s d e u x aux F r a n ç a i s , p u i s a u t o u r de la G u a d e l o u p e ses s a t e l l i t e s , les îles de M a r i e - G a l a n t e , de la D é s i r a d e , des S a i n t e s et q u e l q u e s petits î l o t s . L e s p e t i t e s Antilles f o r m e n t p r e s q u e t o u t e s le g r o u p e d e s îles d u V e n t , au S u d d e s q u e l l e s sont les îles sous le V e n t q u i c o m p r e n n e n t les petites îles p l u s r a p p r o c h é e s des côtes de la G u y a n e . 1 9 . Découverte des petites Antilles. D a n s la nuit d u 27 octobre 1 4 9 3 la v i g i e de la corvette M a r i a - G a l a n d a s u r l a q u e l l e C h r i s t o p h e Colomb effectuait son d e u x i è m e voyage s i g n a l a u n e terre à l'avant du n a v i r e , on l ' a p p e l a la D o m i n i c a , le j o u r q u i venait de se lever é t a n t un d i m a n c h e . Bientôt u n e a u t r e île a p p a r u t ; C h r i s t o p h e Colomb l ' a p p e l a du n o m de son navire Maria-Galanda ( M a r i e - G r a c i e u s e ) , dont n o u s avons fait M a r i e Gralante. L e 4 n o v e m b r e s u i v a n t il a b o r d a i t à l'île de T u r u -


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quéra peuplée de Caraïbes qu'il appela du nom du couvent de N.-D. de Guadalupe dans l'Estramadure. Quelques j o u r s plus tard, il découvrait l'île Madiana à laquelle il donna le nom de Martinico ( S a i n t - M a r t i n ) d'où l'on a fait : la Mart i n i q u e , puis un petit archipel qu'en souvenir de la T o u s saint il appela les Saintes. 2 0 . Déjà maîtres d'un continent immense les Espagnols ne pensèrent pas à fonder dans ces îles de nouveaux établissements. Cent a n s plus tard nous y voyons les Français. E n 1624 un petit gentilhume de N o r m a n d i e , Pierre B e l c a i n , sieur d ' E n a m b u c , s'établit dans l'une des petites Antilles (Saint-Christophe) qu'il quitta pour apparaître à la cour de France avec un faste extraordinaire (1626). Il déterminera Richelieu a créer la compagnie des îles d'Amérique pour la propriété et le commerce exclusif pendant vingt années de toutes les îles du nouveau monde qu'on mettrait en valeur. S u c c e s sivement la compagnie mit la main sur la Martinique et la Guadeloupe ( 1 6 3 0 - 1 6 3 5 ) , mais ne retirant pas de l'exercice de ses privilèges les avantages qu'elle avait e s p é r é s , elle se décida à vendre ses îles. Elles furent achetées au prix de 60,000 l'une, en 1640, par Dyel Duparquet, neveu de d'Enamb u c qui en devint ainsi propriétaire et seigneur. A sa m o r t , ensuite des désordres survenus dans ces îles dont p r e s q u e tous les indigènes avaient été massacrés ou e x p u l s é s , la Cour résolut de les donner à une compagnie nouvelle. Rachetées aux héritiers de D u p a r q u e t elles devinrent la propriété de la compagnie des Indes occidentales, pourvue du droit exclusif de commerce et de navigation pendant q u a r a n t e ans dans les mers d'Amérique (1664). 2 1 . La g u e r r e qui éclata en 1665 entre la France et l'Angleterre d é t e r m i n a , de la part de nos e n n e m i s , des t e n tatives de mainmise sur la Martinique, victorieusement r e poussées en 1667, 1674 et 1 6 9 3 , par le courage des colons français. Au cours de ces hostilités la compagnie en décadence fut dissoute p a r un édit du mois de décembre 1674 q u i


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a t t r i b u a à la c o u r o n n e la p r o p r i é t é de t o u t e s nos îles des Antilles d é s o r m a i s accessibles sans distinction à t o u s les F r a n çais q u i v i e n d r a i e n t s'y fixer. 2 2 . J u s q u e - l à la c o m p a g n i e avait u s é de tous ses privil è g e s p o u r r é u s s i r ; des faveurs n o m b r e u s e s é t a i e n t accord é e s a u x nobles q u i p o u v a i e n t y e n t r e r s a n s d é r o g e r , et a u x a r t i s a n s a u x q u e l s était accordée de p l e i n droit la m a î t r i s e p o u r l'exercice de l e u r métier en F r a n c e a p r è s u n séjour a u x colonies. Mais ni le c o m m e r c e , ni l ' a g r i c u l t u r e n e tent a i e n t les colons. On n ' a v a i t q u ' u n d é s i r , celui de s ' e n r i c h i r h â t i v e m e n t p a r la c u l t u r e d e s d e n r é e s d ' e x p o r t a t i o n , en d é laissant les c u l t u r e s v i v r i è r e s , c ' e s t - à - d i r e celle d e s s u b s i s tances. Plus d'une fois, des navires é t r a n g e r s , surtout h o l l a n d a i s , a u m é p r i s des droits e x c l u s i v e m e n t accordés à la c o m p a g n i e , d u r e n t ravitailler les îles e n l e u r p o r t a n t d e s a p p r o v i s i o n n e m e n t s de vivres e u r o p é e n s . L a c o m p a g n i e réclam a i t , elle p r é t e n d a i t seule faire le c o m m e r c e et p o u r v o i r a u x besoins de la colonie, m a i s la c u p i d i t é de s e s associés exigeait u n e exploitation r a p a c e d u s o l , q u i c o m p r i m a i t l'essor de la colonisation. L e s p e t i t s g e n t i l s h o m m e s f r a n ç a i s , n o r m a n d s ou p i c a r d s , étaient s u r t o u t en q u ê t e d ' a v e n t u r e s et de r e n o m m é e ; c'est à e u x , n o t a m m e n t à D u p a r q u e t , à l ' O l i v e , à du P l e s s i s et a u t r e s , q u ' é c h u t l ' œ u v r e de s o u m i s s i o n ou p l u t ô t de d e s truction des i n d i g è n e s ; c'est à eux aussi q u e l'on d u t la r é s i s tance c o u r a g e u s e , souvent h é r o ï q u e , a u x a g r e s s i o n s d e s Anglais et des E s p a g n o l s . 2 3 . Il faut voir a u s s i c o m m e n t , à u n e c e r t a i n e é p o q u e , Haïti ou S a i n t - D o m i n g u e fut o c c u p é p a r les F r a n ç a i s . C h r i s tophe C o l o m b en avait fait la découverte le 4 d é c e m b r e 1 4 9 2 . L a s p l e n d e u r d u c l i m a t , la fertilité du sol a u r a i e n t pu d é t e r miner la c r é a t i o n d ' u n e colonie e s p a g n o l e o p u l e n t e . Mais les c o m p a g n o n s et p l u s t a r d les s u c c e s s e u r s de C h r i s t o p h e Colomb c h e r c h a i e n t de l'or et non d e la t e r r e . Ils se m o n t r è r e n t tels q u e les vit b i e n t ô t le c o n t i n e n t a m é r i c a i n . L e u r avidité insatiable poussa au désespoir les i n d i g è n e s , qui essayèrent


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d'opposer la force à la violence, une partie d'entre eux fut exterminée dans cette lutte inégale; le reste succomba rapidement aux travaux et aux misères dont ils furent accablés après leur soumission. L e u r race entière disparut en moins d'un siècle. Les destructeurs méritaient une punition qui ne se tit pas attendre. L ' î l e , d'abord ravagée par une expédition anglaise, fut bientôt conquise par des aventuriers sortis des ports de la G r a n d e - B r e t a g n e et de la France. C'étaient les flibustiers, enfants perdus de l'Europe q u i , eux a u s s i , dédaigneux des richesses naturelles du sol, passaient leur vie à chasser et, au cours de leurs e x p é d i t i o n s , se réunissaient pour boucaner, c'est-à-dire faire sécher à la fumée, selon le procédé des sauv a g e s , les bœufs qu'ils avaient tués. De là le nom de boucaniers qu'ils r e ç u r e n t ; mais ces hardis chasseurs s'aperçurent que la piraterie et la contrebande leur seraient d'une ressource plus grande q u e la poursuite du bétail sauvage. Ils s'adonnèrent avec succès à celte industrie nouvelle et en reçurent le nom de flibustiers. Cette vie irrégulière exerçait u n e vive attraction sur des natures indépendantes. Deux troupes, arrivées par des côtés opposés, convinrent de garder le terrain qu'elles avaient p a r c o u r u ; elles firent des alliances offensive et défensive pour s'en garantir mutuellement la possession. M a i s , après des lutles et vicissitudes diverses entre F r a n ç a i s , Espagnols et Anglais, nos compatriotes seuls se maintinrent dans la plus grande partie de l'île. 2 4 . La France entrevit alors les avantages que pouvait offrir Saint-Domingue à raison de sa situation et de ses p r o d u i t s . L a couronne intervint et voulut donner une administration régulière à la partie française de l'île qui r e ç u t , en 1GG5, son premier g o u v e r n e u r . Successivement le territoire fut cédé, avec force privilèges, à deux compagnies, qui ne surent pas tirer parti de ses r i chesses naturelles. Malgré leurs r e v e r s , malgré les attaques du dehors, des révoltes à l'intérieur, des fléaux climatériques,


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des maladies qui e m p o r t è r e n t une partie de la p o p u l a t i o n , m a l g r é l'incapacité des a d m i n i s t r a t e u r s , S a i n t - D o m i n g u e a r r i v a , au xviii s i è c l e , à u n e prospérité qui lui fit décerner le titre de Reine des Antilles. Adam S m i t h a constaté ce succès de notre colonie de S a i n t - D o m i n g u e : « F o n d é e , dit-il, par des pirates et des flibustiers qui y d e m e u r è r e n t longtemps sans recourir à la protection de la F r a n c e et m ê m e sans reconn a î t r e son a u t o r i t é ; et q u a n d celte race de b a n d i t s eut assez pris le caractère de citoyens p o u r reconnaître l'autorité de la m è r e - p a t r i e , p e n d a n t l o n g t e m p s encore il fut nécessaire d'exercer cette autorité avec b e a u c o u p de prudence et de circonspection. D u r a n t cette p é r i o d e , la c u l t u r e et la p o p u l a tion de la colonie p r i r e n t u n accroissement relativement r a p i d e . Quoique l'oppression de la c o m p a g n i e exclusive à laquelle elle fut soumise avec toutes les a u t r e s colonies françaises ait r e t a r d é son a v a n c e m e n t , elle n ' a pu l'arrêter e n t i è r e m e n t . Délivrée de cette o p p r e s s i o n , elle r e p r i t aussitôt le cours de sa prospérité. De toutes les colonies à s u c r e des Indes occidentales, elle est a u j o u r d ' h u i la p l u s i m p o r t a n t e et on dit que son p r o d u i t vaut seul p l u s q u e celui de toutes les colonies anglaises à sucre prises e n s e m b l e . T o u t e s celles qui a p p a r t i e n n e n t à la F r a n c e s o n t , en g é n é r a l , d a n s un état de prospérité » (Adam S m i t h , liv. IV, c h a p . V I I , p . 105 et 106, édition en 2 vol. i n - 8 ° , 1788). e

2 5 . L'illustre économiste anglais a u r a i t p u , pour c o m p l é ter ce t a b l e a u , ajouter q u e le b a s prix de la c u l t u r e était u n des éléments de la prospérité qu'il s i g n a l e , et il était dû à la traite et à l'esclavage q u i r é g n a i e n t à S a i n t - D o m i n g u e avec une extrême r i g u e u r . En 1 7 9 1 , u n cri d ' i n d é p e n d a n c e et d'égalité y parvint de la métropole et eut u n i m m e n s e r e t e n t i s s e m e n t . Il y eut u n soulèvement terrible des n o i r s , m a i s s u r t o u t des m u l â t r e s libres auxquels on refusait des droits p o l i t i q u e s . Les incendies ravagèrent les p l a n t a t i o n s , les massacres d é c i m è r e n t les colons. Ceux qui é c h a p p è r e n t à ce b o u l e v e r s e m e n t y t r o u v è r e n t


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une ruine complète. En 1802, une expédition française fut confiée au général L e c l e r c , dans le b u t de rétablir l'ordre et d'assurer la sécurité des colons. Elle tourna contre ceux-ci. Le nègre Toussaint-Louverture se mit à la tête des noirs et eut de nouveau r e c o u r s à l'incendie et aux massacres. La retraite de l'armée française, en 1803, consomma la misère des colons. 2 6 . Cependant le traité de paix conclu s u r le continent, le 30 mai 1814, reconnut à la France ses droits sur Saint-Dom i n g u e . Des envoyés du gouvernement français tentèrent de traiter, en 1816, avec les dominateurs de l'île. Ils la trouvèrent divisée en deux États dont l ' u n , sous forme de R é p u b l i q u e , reconnaissait pour chef le président Petion; l ' a u t r e , sous forme de m o n a r c h i e , était tyrannisé par le nègre Christophe. Les négociations des envoyés français ne purent aboutir. Cependant en 1816 une nouvelle révolution réunit sous u n même gouvernement tout le territoire autrefois occupé par la France et celui q u i , j u s q u e - l à , était resté fidèle à la domination espagnole. L'île entière ne forma plus q u ' u n e seule souveraineté sous le nom de la République d'Haïti. Ce nouvel état de chose favorisa la reprise des négociations. Souvent i n t e r r o m p u e s , elles ne purent aboutir q u e le 17 avril 1825 au résultat suivant : a) Le gouvernement français renonçait à tous ses droits s u r l'île de Saint-Domingue et concédait à ses habitants l'indépendance pleine et entière de leur gouvernement; b) une indemnité de 150 millions payable, en cinq vers e m e n t s , était stipulée en faveur des anciens colons français dépossédés; c) les ports seraient ouverts au commerce de toutes les nations ; d) les droits perçus à l'entrée ou à la sortie des navires seraient uniformes pour tous les pavillons, mais réduits de moitié pour les navires français. 2 7 . Le gouvernement haïtien accepta ces conditions le l septembre 1825. Tel est l'acte par lequel la F r a n c e , se contentant d'une indemnité au profit d'un certain nombre de particuliers et de droits différentiels en faveur de sa marine marchande, abandonna sa souveraineté sur la Reine des Antilles. e r


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Ce traité ne satisfit m ê m e pas les intérêts q u ' o n avait voulu sauvegarder. Une loi française du 30 avril 1826 fut nécessaire pour régler la répartition de l'indemnité entre les colons d é possédés de leurs biens-fonds immobiliers et refusa tout droit aux propriétaires d'établissements i n d u s t r i e l s tout aussi bien ruinés que les p r e m i e r s . Des difficultés s u r g i r e n t encore s u r le règlement et la répartition de l ' i n d e m n i t é . Un traité intervint à ce sujet entre la F r a n c e et la R é p u b l i q u e d'Haïti le 12 février 1838, une a u t r e loi fut r e n d u e le 18 mai 1840 s u r les formalités à r e m p l i r p a r les colons c r é a n c i e r s . De n o m b r e u s e s questions s'élevèrent enfin s u r les droits respectifs des créanciers, des l é g a t a i r e s , des d o n a t a i r e s , des c o l o n s , et tout s'est terminé par des a r r ê t s de la Cour de cassation relatés au Répertoire de Dalloz (v° Organisation des colonies, n 922 à 941). 2 8 . Cet épisode de notre domination trop p a s s a g è r e s u r la plus belle île des Antilles étant e x p o s é , n o u s devons revenir à nos a u t r e s îles et retracer leur situation j u s q u ' a u x i x siècle. Le p e u p l e m e n t des petites Antilles fut p o u r nous infiniment plus rapide q u e celui du Canada. Toutes les classes de la nation y e u r e n t des r e p r é s e n t a n t s : la n o b l e s s e , le c l e r g é , la bourgeoisie, les a r t i s a n s . Les cadets de famille, q u i n'avaient pu faire fortune dans la mère-patrie, q u i fuyaient leurs c r é a n c i e r s , ou étaient poursuivis pour duels ou a u t r e s pécadilles, a p p o r t è r e n t l'esprit de s p é c u l a t i o n , d ' a v e n t u r e , et le c o u r a g e p o u r se créer un sort dans notre colonie : « Grâce à ces é m i g r a t i o n s , dit J u l e s Duval (Les colonies et la politique coloniale de la France, p . 142), et à ces alliances ( m a r i a g e s e n t r e des nobles et des créoles dont la beauté et la richesse avaient séduit les gentilhommes à la Cour de F r a n c e ) il n'y avait g u è r e , au siècle dernier, de famille en F r a n c e q u i n'eût son r e p r é s e n t a n t aux colonies. » 2 9 . A ce premier élément qui se caractérisait par l'entrain et l'audace souvent trop affranchis de s c r u p u l e s , venaient s'en joindre d'autres qui « t e m p é r a i e n t , par un h e u r e u x alliage, l'esprit général de la société coloniale » ( P . L e r o y - B e a u l i e u , o s

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p. 160). Le clergé se montrait plein d'activité et d'intérêt pour les progrès de la c u l t u r e , l'amélioration de l'industrie, l'extension du commerce. Dominicains et Jésuites se pliaient à de nombreuses industries bienfaisantes et r é m u n é r a t r i c e s , construisaient des églises, des forts et des écoles, faisaient l'office d ' i n g é n i e u r s , de g é o m è t r e s , architectes, mécaniciens, p l a n t e u r s , etc. La faillite môme du P . Lavalelte, préfet apostolique de la Martinique, en 1762, est une preuve de l'impulsion q u e le clergé cherchait à donner à l'industrie et à la c u l ture. Bien antérieurement le P. L a b a t , célèbre dominicain, écrivait au supérieur de la mission de la Guadeloupe qui avait scrupule de se servir d'un l u t h é r i e n , natif de H a m b o u r g , de le lui envoyer bien vile à la Martinique, parce qu'il lui était indifférent que le sucre qu'il ferait fût luthérien ou catholique, pourvu qu'il fût bien blanc. La canne à sucre de l'île de Batavia avait été importée à la Martinique et aux Antilles par un juif Benjamin Dacosta, venu du Brésil. L'esprit de tolérance réunissait dans un môme élan les efforts de t o u s , et après l'édit de N a n t e s , nombre de calvinistes firent pénétrer dans les îles françaises, une activité sévère et scrupuleuse. On se montrait tout aussi accueillant envers les juifs q u i , à la suite de Dacosta, firent en grand nombre à la Martinique de grandes dépenses pour la culture des terres. La bourgeoisie, composée de négociants et artisans, qu'entravait dans la métropole l'organisation étroite des corporations, apporta aussi aux Antilles l'esprit de p r u d e n c e , de patience pratique, de laborieuse p e r s é v é r a n c e , de parcimonie bien entendue. Il y avait enfin des engagés blancs recrutés en France parmi les domestiques congédiés, les paysans las de la corvée, les cadets déshérités dans les villes et les campagnes. L e u r r e crutement devint u n e industrie régulière à Dieppe, au Hâvre, à Saint-Malo, qui créa un courant continu d'émigration de 1626 à 1774.


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3 0 . On peut donc affirmer q u e la prospérité de nos Antilles fut u n e œ u v r e d'initiative privée é m a n a n t de toutes les classes de notre p o p u l a t i o n , bien plus qu'elle ne fut due à l'influence des c o m p a g n i e s . Ici vient se placer l o g i q u e m e n t u n e observation d'Adam Smith qui n'a pas moins bien j u g é nos possessions aux A n tilles q u e celles du Canada. « Le capital q u i a servi à améliorer les colonies à sucre de la F r a n c e , — d i t - i l , — et en particulier la g r a n d e colonie de S a i n t - D o m i n g u e , est p r o v e n u p r e s q u e en totalité de la culture et de l'amélioration progressive de ces colonies. Il a été p r e s que en entier le produit du s o l , et de l'industrie des c o l o n s , ou, ce q u i revient au m ê m e , le prix de ce produit g r a d u e l l e ment a c c u m u l é par une sage économie, et employé à faire naître toujours un nouveau surcroît de produit. Le capital qui a servi à faire naître et à améliorer les colonies à sucre de l'Angleterre a été en g r a n d e partie envoyé d ' A n g l e t e r r e , et ne peut n u l l e m e n t être r e g a r d é comme le produit seul du territoire et de l'industrie des colons. La prospérité des colonies à sucre de l'Angleterre a été en grande partie l'effet des immenses richesses de l ' A n g l e t e r r e , dont u n e p a r t i e , d é b o r dant pour ainsi dire de ce pays, a reflué s u r les colonies; mais la prospérité des colonies à sucre de la France est entièrement l'œuvre de la bonne conduite des colons, qui doit par conséquent l'avoir emporté de quelque chose sur celle des colons anglais ; et cette supériorité de bonne conduite s ' e s t , par d e s s u s tout, fait r e m a r q u e r d a n s leur m a n i è r e de traiter les esclaves. » On ne p e u t , dit à ce propos M. P. Leroy-Beau lieu (p. 162), mieux rendre justice à la vitalité des colonies d e s Antilles, 3 1 . Comme on le voit, celte prospérité ne fut nullement attribuée par Adam Smith a l'action des c o m p a g n i e s . Cellesci furent o p p r e s s i v e s , et entravaient l'initiative individuelle. La première constituée par R i c h e l i e u , la seconde par Colbert, toutes deux sous la dénomination de c o m p a g n i e des I n d e s , présentèrent le même caractère réglementaire et exclusif. Bien R.

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L'HISTOIRE.

que Colbert estimât, comme il l'avait manifesté pour le Canada, que des Français même ne faisant pas partie de la société fussent admis à la qualité de colons, la compagnie usa de ses privilèges avec vigueur. Plus d'une fois elle exaspéra les colons en abusant de son monopole pour leur vendre les marchandises deux tiers plus cher q u e ne le faisaient les Hollandais. Les colons de Saint-Domingue, nous l'avons v u , s'étaient ouvertement révoltés, ceux de la Martinique et de la Guadeloupe menaçaient de le faire. Leurs instances obtinrent de Colbert un arrêt du conseil autorisant tout navire français à faire le commerce des Antilles avec la permission de la compagnie et moyennant u n droit. 3 2 . C'est que, d'autre part, par un déplorable aveuglement, les planteurs se renfermaient dans la culture des produits d'exportation, tabac, cacao, indigo qui leur donnaient plus de profits immédiats q u e les cultures alimentaires, et qui s'adaptaient mieux à la moyenne et à la petite propriété, alors très divisée. L'introduction de la canne à sucre donna lieu à une industrie encore plus lucrative qui transforma les cultures individuelles en grandes exploitations. La prospérité s'en accrut, les planteurs s'enrichirent, mais au point de vue moral et social les conditions de la colonisation se pervertirent. De grands capitaux et la main-d'œuvre servile devenant n é cessaires pour la production à bon m a r c h é , on eut recours à l'esclavage et à la traite qui fut approuvée par Louis XIV. Il en était partout de même dans les colonies de plantation. On vit la servitude s'y établir de toutes parts, les nègres remplacer les « petits Blancs » engagés volontaires, et ces vastes ateliers établis dans les campagnes sous le nom d'habitations, « prisons sans murailles — dit M. Augustin Cochin dans son histoire de l'abolition de l'esclavage, — manufactures odieuses produisant du t a b a c , du café, du s u c r e , et consommant des esclaves. » 3 3 . L'agriculture

proprement dite se restreignit

encore


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pour faire place aux plantations de denrées exotiques. La c h a r r u e que les é m i g r a n t s français avaient introduite à l'origine d i s p a r u t devant la traite des noirs et la m a i n d'œuvre à vil prix. « Du j o u r où le r a n g social se m e s u r a au nombre des nègres que l'on possédait, le dédain de tout a u t r e instrument q u e la houe de l'esclave devint à la mode p e n dant deux cents ans (Jules D u v a l , Les colonies de la France, p . 155). Cependant suivant u n passage d'Ad. S m i t h , cité plus h a u t , les colons français m o n t r è r e n t une h u m a n i t é toute spéciale envers leurs esclaves, et ils en recueillirent les fruits, car l'illustre a u t e u r , confirmant p l u s loin son témoignage a p r è s avoir démontré avec u n e précision toute b r i t a n n i q u e le profit que l'on a à traiter, avec modération, ses bestiaux aussi bien que ses esclaves, ajoute : « c'est u n e chose, je crois, g é n é r a l e ment r e c o n n u e , q u e du côté des bons t r a i t e m e n t s envers l e u r s esclaves les p l a n t e u r s français r e m p o r t è r e n t sur les a n g l a i s , » et suivant lui : « l'administration des colonies françaises a toujours été conduite avec plus de d o u c e u r et de modération que celle des colonies espagnoles et p o r t u g a i s e s . Cette s u p é riorité de conduite est conforme au caractère de la nation française... (Ad. S m i t h , édition de 1788, citée c i - d e s s u s , t. II, p. 123). 3 4 . Les colonies des Antilles devinrent donc d ' i m m e n s e s fabriques dont le but était de produire à outrance des denrées d'exportation en vue du profit présent. Mais l e u r prospérité dépendait des d é b o u c h é s q u i leur seraient ouverts. Ils étaient limités aux m a r c h é s français, m a i s en r e t o u r ce marché leur était garanti par des droits différentiels q u i frappaient les produits é t r a n g e r s . C'était ce môme système de pacte colonial q u i existait entre l'Angleterre et ses colonies, dont n o u s étudierons plus loin (à l'occasion du régime g é n é r a l des d o u a n e s ) les pernicieux effets. Ce pacte a u r a i t inévitablement conduit à la ruine les Antilles françaises en les b o r n a n t au m a r c h é de la métropole.


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LIVRE

ii.

L'HISTOIRE.

A partir de 1717, un revirement se manifesta dans l'administration coloniale sous les auspices de Law. Un règlement libéral affranchit de tous droits les marchandises françaises destinées aux îles. Ce même règlement diminua les droits sur les marchandises des îles destinées à la consommation française, et autorisa, ce qui valait encore mieux pour les colon i e s , les denrées des î l e s , amenées en France à en ressortir moyennant un droit de 3 p . cent (Voir P . Leroy-Beaulieu, p. 167 et s.). 3 5 . Enfin, le monopole des compagnies fut radicalement aboli. Aussi rien n'a égalé, depuis cette époque j u s q u ' à la fin du siècle, la prospérité des Antilles françaises. Il fut même de mode en Angleterre de vanter leurs relations avec leur métropole, et nous nous expliquons qu'Ad. S m i t h , comme nous l'avons déjà i n d i q u é , préférât la situation de nos îles à celle des colonies anglaises. Enfin, sous divers rapports, les règlements de la France devinrent moins restrictifs q u e les règlements d'Angleterre. La conséquence fut, selon M. Augustin Cochin, que même après la perte du Canada, le mouvement de nos opérations coloniales l'emportait sur celui de tous les Étals Européens, y compris celui de l'Angleterre (Voir pour les détails et les chiffres à l'appui, P. Leroy-Beaulieu, p. 169 et 170). Cette situation due à un régime économique plus l i b é r a l , est d'autant plus remarquable que nos îles des Antilles avaient eu à subir, dans l'ordre politique, de redoutables épreuves. 36. Réunie au domaine de l'État par la suppression de la compagnie des Indes occidentales en 1675, la Guadeloupe avait été placée sous la dépendance de la M a r t i n i q u e , siège du gouvernement civil et militaire des Antilles. Associée aux vicissitudes politiques de la métropole, assaillie par les Anglais en 1691 et 1703, elle était tombée sous leur puissance en 1759 pendant q u a t r e années, et nous avait été rendue par le traité de paix de 1763. Peu après le gouvernement métropolitain


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l'avait constituée en colonie i n d é p e n d a n t e de la Martinique, mais après 1793, la g u e r r e ayant été déclarée p a r la F r a n c e à l'Angleterre, la G u a d e l o u p e nous é c h a p p a en 1 7 9 4 ; reprise p a r nous sur les Anglais elle retomba sous leur p u i s s a n c e en 1810, et nous fut restituée par le traité du 30 mai 1814, m a i s ne r e n t r a définitivement sous la domination de la F r a n c e q u e le 25 juillet 1816. L a Martinique, exploitée s a n s succès comme n o u s l'avons vu par deux compagnies, fut r é u n i e en 1675 au d o m a i n e de l'Etat et tous les F r a n ç a i s sans distinction e u r e n t la liberlé de s'y fixer. La F r a n c e , dépouillée en 1 7 1 3 , par le traité d'Utrech de Terre-Neuve, de l'Acadie et de Saint-Christophe, avait reporté toute sa sollicitude s u r les colonies d ' A m é r i q u e qui lui r e s taient, particulièrement s u r la Martinique q u i avait reçu sous sa dépendance tout l'archipel de nos A n t i l l e s , et grâce à sa situation et à la s û r e t é de ses ports devint le m a r c h é général de ces îles. P r i s e par les Anglais le 13 février 1 7 6 2 , elle n o u s avait été restituée par eux avec la Guadeloupe en juillet 1 7 6 3 . Mais les Anglais s'en e m p a r è r e n t le 3 février 1794 et la g a r d è r e n t j u s qu'à la paix d ' A m i e n s ( 1 8 0 2 ) . Reprise par eux le 24 février 1809, elle nous a été définitivement r e n d u e en 1 8 1 5 . N o u s étudierons plus loin la situation des Antilles françaises au x i x siècle. e

CHAPITRE LA

GUYANE

III.

JUSQU'EN

1818.

3 7 . Sa s i t u a t i o n . — S a d é c o u v e r t e , p r e m i è r e s t e n t a t i v e s d ' a v e n t u r i e r s français. 38. C o m p a g n i e s d e c o l o n i s a t i o n f o n d é e s s o u s R i c h e l i e u et a p r è s l u i . — Leur insuccès. 39. N o u v e l l e s o c i é t é f o n d é e Hollandais.

en 16G3. — I n v a s i o n

d e s Anglais

et

des


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LIVRE

I I . L'HISTOIRE.

40. L a G u y a n e sous le p o u v o i r royal direct (1676). — Vicieuse a t t r i b u tion d e s t e r r e s . — P r é d o m i n a n c e e x c l u s i v e de la c u l t u r e d e s p r o duits d ' e x p l o i t a t i o n . — Insuffisance d e s t r a v a u x d ' a s s a i n i s s e m e n t . 4 1 . D é p l o r a b l e tentative d'exploitation due au d u c de Choiseul. 42. H e u r e u s e institution d e s a s s e m b l é e s coloniales. — Brillante tentative de Malouet e n t r a v é e p a r u n e opposition fondée s u r de pitoyables calculs. 43. V i c i s s i t u d e s politiques de la G u y a n e de 1789 à 1818.

3 7 . Bien qu'appartenant au continent de l'Amérique du S u d , la Guyane française par sa proximité se rattache aux Antilles ses voisines. Mais combien différentes ont été ses destinées. La partie du territoire américain comprise entre le fleuve des Amazones et celui de l'Orénoque avait été visitée en 1498 par Christophe Colomb qui la laissa dans sa solitude sauvage. Cent ans plus t a r d , la Guyane était reconnue pour la p r e mière fois par le breton la B e v a r d i è r e , et après lui par divers navigateurs normands sans qu'ils y aient fondé d'établissement durable. Les aventuriers qui cinglaient vers l'Amérique du Sud étaient plutôt attirés vers les régions du P é r o u , et les montagnes des Andes au pied desquelles l'imagination rêvait le pays de l'or, el dorado. 3 8 . Cependant une compagnie fut créée à Rouen p a r Richelieu avec un droit exclusif de commerce et de navigation dans les pays arrosés par l'Orénoque et le fleuve des Amazones, ainsi nommé sur les récits fabuleux de nos premiers explorateurs. Mais cette compagnie échoua misérablement par la folie de son chef, Poncet de Bretigny q u i , au lieu de coloniser, terrorisa sa propre troupe par la tyrannie et guerroya contre les indigènes qui le massacrèrent. Une nouvelle compagnie se fonda à Paris sous le titre de « France équinoxiale, » elle fut subrogée dans tous les droits et privilèges de la p r e m i è r e ; mais l'expédition comprenait un contingent de 7 à 800 h o m m e s , mal commandée par son chef de Royville qui fut massacré par les s i e n s , se


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perdit dans les compétitions violentes de chefs improvisés et par la résistance exaspérée des indigènes. 3 9 . La Guyane fut a b a n d o n n é e par les colonisateurs européens j u s q u ' e n 1 6 5 3 . Des Hollandais s'y i n s t a l l è r e n t , et plus h a b i l e s , plus i n d u s t r i e u x , plus patients y introduisirent la c u l t u r e de la canne à s u c r e et de l'indigo. L a Guyane vit se fonder son commerce et s'accroître sa population. Colbert alors accorda en 1663 à u n e nouvelle société française érigée comme la seconde sous le nom de « F r a n c e équinoxiale » les mêmes droits q u ' a u x précédentes. Celle-ci p l u s h e u r e u s e sous la direction de de la B a r r e , et avec le concours de TrouvilleT r a c y , g o u v e r n e u r des A n t i l l e s , traita avec les i n d i g è n e s , et s'établit d a n s le pays, mais elle eut à lutter contre les colons hollandais installés s u r le littoral à l'Ouest; la Hollande était alors en g u e r r e avec la F r a n c e . Deux fois la ville de Cayenne fut prise p a r les Anglais d'abord (1668), et par les Hollandais. 4 0 . R e n t r é e en 1676 sous la domination française, la G u y a n e fut désormais gouvernée au nom du roi p a r ses officiers comme les autres provinces du r o y a u m e ; elle perdit u n e partie de son t e r r i t o i r e , ainsi q u e ses droits de n a v i g a tion sur le fleuve des Amazones réservés aux P o r t u g a i s maîtres du B r é s i l , tandis q u e d ' a u t r e part les Hollandais s'étaient solidement implantés s u r la rive g a u c h e de l'Orénoque. Comme colonie la Guyane était l a n g u i s s a n t e . L'Etat y faisait de vastes concessions de t e r r a i n g r a t u i t e m e n t , niais s a n s limites précises et à titre provisoire : L a propriété était ainsi dépourvue de s é c u r i t é , et l'administration imposait aux concessionnaires les c u l t u r e s de profits immédiats et de produits d'exportation, d a n s l'intérêt de la métropole à laquelle ils étaient réservés de préférence aux cultures vivrières. Il en résultait d'extraordinaires anomalies. La Guyane très riche en p â t u r a g e s n'en tirait p a s parti et recevait de la France la viande qui devait n o u r r i r ses colons. Sous u n régime moins a n t i - é c o n o m i q u e , la G u y a n e eût pu alimenter


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L I V R E

II.

L ' H I S T O I R E .

une population n o m b r e u s e , et même approvisionner pour partie les Antilles. Gomme colonie agricole elle manqua donc son but. Gomme colonie de plantation elle resta médiocre, à défaut de travaux d'assainissement du sol que les colons négligeaient peu encouragés à les faire sur leurs propriétés dépourvues de garanties. 4 1 . C'est alors que le duc de Choiseul imagina une tentative de colonisation qui devait dépasser en importance toute les expéditions antérieures. Il rêvait d'un grand établissement militaire et agricole. On n ' e m b a r q u a pas moins de quinze mille colons embrigadés sous les noms divers de s e i g n e u r s , vassaux et m a n a n t s ; ils furent dirigés sur un point de la côte d'ailleurs bien choisi, K o u r o u , plage sablonneuse et boisée, l'une des plus salubres de la colonie ; mais où ne se trouvaient ni abris pour les recevoir, ni magasins pour les approvisionnements. Il fallut se réfugier en partie dans les b o i s , les vivres s'altéraient, les m a l a d i e s , les épidémies, et la disette survinrent, les violences suivirent. Le plus grand nombre des émigrants p é r i t , ceux des derniers convois échappèrent au désastre en se sauvant dans les îlots du Diable q u i , dès cette é p o q u e , reçurent et ont gardé le nom d'îles du Salut. Le surplus se retira dans l'intérieur. Vingt ou trente millions avaient été engloutis dans cette lugubre aventure qui jeta sur la colonie un sinistre renom. 4 2 . Cependant sous le règne de Louis XVI étaient instituées les assemblées coloniales par l'initiative de Turgot et de Necker. La Guyane reçut avec enthousiasme cette innovation heureuse. En môme temps le gouvernement envoyait M. de Malouet, commissaire général pour organiser le développement de la colonie. Il faut constater q u ' à côté de la Guyane française qui végétait misérablement, la Guyane hollandaise acquérait chaque jour plus d'importance. Malouet eut la pensée d'étudier les procédés économiques de cette dernière colonie pour les appliquer à la nôtre. Mais il eût fallu modifier


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le mode d'appropriation des t e r r e s , entreprendre des travaux d'assainissement, et de défrichement, tirer u n sage parti des immenses savanes si propres à l'élève du bétail, et adapter les plaines à la culture du blé. Malouet concevait admirablement le plan qui eût pu faire de la Guyane tout à la fois une colonie agricole et une colonie de plantation, mais il eût fallu comme il demandait qu'on le fit, à l'exemple des A n g l a i s , au lieu de céder gratuitement des terres sous des conditions arbitraires, à des gens misérables, les vendre à un prix modique à des colons sérieux projetant des établissements durables. Malheureusement Malouet était seul de son avis au milieu de l'ignor a n c e , de la routine, et des âpres calculs qui se portaient vers les cultures de profits immédiats, et même vers la recherche et l'exploitation aléatoire des mines d'or. Malouet dut revenir en France. La Guyane dévoyée fut replacée sous la pitoyable administration d'un de ses anciens gouverneurs Bessner qui échoua dans l'exécution de ses plans aventureux et c h i m é r i q u e s , et mourut au bout d'un an blâmé par le Ministre des colonies. 4 3 . La Révolution de 1789 éclatait dans ces circonstances. Trois races étaient en présence dans la Guyane, les Européens, les Indiens indigènes, les Noirs transplantés de la côte d'Afrique. En même temps il y avait trois classes : les maîtres, les affranchis, les esclaves. Les Européens constituaient une sorte d'aristocratie à deux degrés : les grands Blancs planteurs fabricants de sucres; les petits Blancs commerçants, petits propriétaires, trafiquants, artisans. Des discussions prirent naissance, à l'occasion de la loi du 9 août 1790, qui avait concédé sans distinction les droits politiques a u x habitants âgés de 25 a n s . Vint ensuite le décret de la Convention qui abolissait l'esclavage (4 janvier 1794). Les moyens d'existence m a n quaient aux noirs affranchis, et les moyens de culture aux propriétaires de plantations. On dut imposer aux noirs l'obligation de travailler et de mettre en culture des domaines que les maîtres avaient abandonnés. L'esclavage fut réta3*


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LIVRE

Ii.

L'HISTOIRE.

bli ; plusieurs de ces ferments de discorde troublèrent la colonie, les Portugais y firent diverses tentatives de d é b a r quement plutôt dans un but de pillage q u e de conquête. Plusieurs fois repoussés ils réussirent en 1809. La Guyane française fut occupée par eux j u s q u ' a u mois de novembre 1817. La colonie avait passé huit ans sous la domination étrangère. Nous étudierons plus loin les tentatives nouvelles de colonisation dont elle fut l'objet, sa situation actuelle, et ce qu'il est possible d'en espérer.

CHAPITRE

IV.

A N C I E N N E S COLONIES DE COMMERCE. S É N É G A L . I L E S DE MADAGASCAR ET DE BOURBON.

I L E DE F R A N C E .

44. L e c a r a c t è r e d e s colonies d e c o m m e r c e . 4 5 . F o n d a t i o n de c o m p t o i r s français s u r la côte occidentale d e l'Afrique. — P r e m i e r s é t a b l i s s e m e n t s français au S é n é g a l . 46. C o m p a g n i e s d i v e r s e s . — É l é m e n t s et p r o s p é r i t é de leur trafic au siècle dernier. 47. Vicissitudes politiques d e s é t a b l i s s e m e n t s du S é n é g a l de 1758 à 1 8 1 7 . 4 8 . L'île de M a d a g a s c a r ou île D a u p h i n e . — P r e m i è r e s t e n t a t i v e s des marins français. 49. Exploitation tentée p a r la c o m p a g n i e des I n d e s o r i e n t a l e s (1661). — Causes d ' i n s u c c è s , m a l g r é les ingénieux efforts d e L a C a s e . 50. L'île S a i n t e - M a r i e , c é d é e à la F r a n c e par les i n d i g è n e s . 5 1 . L'île B o u r b o n , et l'Ile d e F r a n c e . — L e u r c a r a c t è r e comme colonies de p l a n t a t i o n . 52. L e u r s é p a r a t i o n de la F r a n c e a p r è s 1789. 5 3 . L e u r r é i n t é g r a t i o n en 1803. — A d m i n i s t r a t i o n d u g é n é r a l D e c a e n . — I n v a s i o n anglaise. — P e r t e de l'Ile de F r a n c e (île Maurice) en 1814.

4 4 . Nous avons vu que les colonies de commerce ont pour but le trafic avec les indigènes. Elles ne poursuivent donc pas la formation de sociétés de colons; le mode d'appro-


LE SÉNÉGAL.

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priation du sol, les lois, les libertés n'ont ici q u ' u n e importance secondaire. Dans les colonies anciennes de ce g e n r e , notre nation ne réussit guère mieux que dans les colonies agricoles. « Là encore, dit P. Leroy-Beaulieu, nous avons à enregistrer, après quelques succès à l'origine, un échec définitif. » Cependant, dans cette douloureuse histoire, il faut tenir compte des fautes économiques et des événements politiques. 4 5 . C'est sur la côte occidentale de l'Afrique que les marins de Dieppe firent d'abord connaître le nom français; ils y devancèrent les Portugais et fondèrent, ainsi que nous l'avons déjà mentionné, quelques comptoirs vers la seconde moitié du xiv siècle. Mais les guerres civiles et étrangères qui désolèrent la France dans les siècles suivants arrètèrent en Normandie l'essor des entreprises maritimes. Les comptoirs français devinrent la proie des P o r t u g a i s , des A n g l a i s , des Hollandais, des Espagnols. e

C'est seulement en 1626 que naît le Sénégal comme colonie française. Sans aucune concession, sans a u t r e encouragement qu'une approbation tacite de R i c h e l i e u , une association fut formée par quelques marchands de Rouen et de Dieppe, sous le nom de Compagnie normande. Dans un îlot situé à l'embouchure du Sénégal elle fonda un établissement, qui devint plus tard la ville de S a i n t - L o u i s . La prospérité de ce c o m p toir ne cessa de croître, mais les Hollandais, dont la puissance maritime était considérable, déjà maîtres de plusieurs points du littoral ( G o r é e , A r g u i n , Rufisque), surveillaient au nord et au sud l'embouchure du Sénégal. Pour la défendre, il fallait une organisation plus puissante q u e celle de la comgnie normande. En 1664, elle vendit ses établissements à la Compagnie des Indes occidentales, qui venait d'être créée au capital de 7 millions de livres, avec le privilège exclusif de faire le commerce sur toutes les côtes de l'Océan Atlantique, depuis le Canada j u s q u ' a u cap de Bonne-Espérance. 4 6 . A partir de ce moment nous voyons les compagnies de


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II.

L'HISTOIRE.

colonisation, en Afrique, se transformer, d i s p a r a î t r e , et se multiplier dans le but louable, d ' a i l l e u r s , de concentrer plus spécialement leurs efforts sur un point déterminé. C'est ainsi que se forment, par voie de cession, ou a u t r e m e n t , la compagnie du Sénégal (1672), celles du cap V e r t , du cap Blanc, de G u i n é e , et enfin la compagnie des Indes fondée par Law. Les opérations de celle-ci furent très habilement dirigées par son directeur, André Brüe et ses successeurs. M a l h e u r e u s e ment ils ne songèrent pas à tirer parti de leurs explorations nombreuses pour s'asseoir solidement dans le Sénégal et à prendre possession du sol. Ils firent le trafic de la gomme, de l'ivoire, de la c i r e , des c u i r s , de la poudre d'or et des esclaves, moins cependant que les Portugais q u i , des côtes de Loanda, fournissaient de noirs le Brésil et les colonies d'Amérique. Nous voyons, dans les notices officiellement publiées sur les colonies françaises, sous la direction de M. Louis H e n r i q u e , qu'en une a n n é e , avec 900,000 livres consacrées aux achats, la compagnie gagnait 7,200,000 livres, c'est-à-dire 800 pour 100. Il est à r e m a r q u e r , en o u t r e , q u e les opérations commerciales étaient bien plus fructueuses que le commerce des esclaves (sur 4,500 esclaves achetés au prix de 202,400 livres, 3,000 s e u l e m e n t , soit les 2 / 3 , arrivaient aux îles d'Amérique ou de la mer des Indes et y étaient revendus 400 livres l ' u n , soit, e n s e m b l e , 1,200,000 l i v r e s , chiffre auquel il fallait ajouter la gratification de 10 livres que la couronne accordait par tête de nègre importé dans les colonies françaises). 4 7 . En 1758, les Anglais s'emparèrent du Sénégal et de l'île de Gorée. Le traité du 10 février 1763 nous rendit seulement l'île de Gorée; m a i s , le 30 janvier 1779, les Français reprirent le Sénégal de vive force et le traité de paix du 3 septembre 1783 nous en confirma la possession. L a guerre déclarée à l'Angleterre le 8 février 1793, par la Convention, eut pour résultat de faire renaître les prétentions des Anglais, qui prirent l'île de Gorée en 1800, recommencèrent les hosti-


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MADAGASCAR.

lités après la r u p t u r e de la paix d ' A m i e n s , contraignirent la ville de Saint-Louis à capituler malgré une défense héroïque (1807) et s'emparèrent de tout le Sénégal (1809). Le traité de P a r i s , du 30 mai 1814, nous restitua tous les établissements q u e nous possédions au 1 janvier 1792 s u r la côte occidentale d'Afrique, c'est-à-dire le bassin du Sénégal et le littoral compris entre le cap Blanc et l'embouchure de la Gambie. Ce n'est que le 25 juin 1817 q u e nous en reprîmes la possession effective. Nous reviendrons à cette région dans l'étude ultérieure de nos colonies au siècle actuel. Nous allons examiner nos expéditions coloniales à l'est de l'Afrique et dans les Indes. Trois compagnies furent successivement créées sous Henri IV et Richelieu pour l'exploitation de ce lointain marché. On jeta d'abord les yeux s u r Madagascar. 4 8 . Au commencement du xvie siècle des navires p o r t u gais se rendant aux Indes furent poussés vers les côtes de Madagascar, grande île à laquelle Marco Polo avait le premier donné ce nom. Une tentative de colonisation par les Portugais n'eut aucun succès. Elle ne découragea pas les marins dieppois q u i , sous la conduite du capitaine Bigault, l'un d'eux, créèrent dès 1635 une société, sous la dénomination de Compagnie de l'Orient. Ils obtinrent de Louis XIII, le 24 juin 1612, des lettres patentes leur concédant Madagascar, désignée sous le nom d'île D a u p h i n e , pour y ériger des colonies avec le privilège d'y faire exclusivement le commerce pendant dix a n s . 49. Cette compagnie lit place, en 1664, à celle des Indes orientales, qui fut créée avec toutes les faveurs et le retentissement possibles. Discours pompeux prononcé par l'académicien Charpentier, célébrant les richesses de l'Orient, la gloire et l'opulence qui nous y attendaient; souscriptions nombreuses provoquées chez les courtisans et les gens en place; publicité officielle à laquelle coopérèrent par ordre les agents du g o u vernement, des provinces et des villes; subventions royales qui devaient mettre les associés à l'abri de tout r i s q u e , tout e r


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L'HISTOIRE

fut employé pour donner l'éclat e t , on l'espérait du moins, des bases solides à la nouvelle compagnie. Elle devait jouir, pendant 50 ans, du privilège du commerce et de la navigation dans les Indes orientales et dans toutes les mers de l'Orient et du Sud. Elle obtenait à perpétuité la concession de toutes les terres, places et îles qu'elle pouvait conquérir, y compris Madagascar. Ce pompeux programme n'aboutit pour cette région qu'à de tristes résultats. Divers chefs d'expédition et aventuriers déployèrent autant d'audace que d'intrépidité pour se rendre maîtres de Madagascar, mais ils se heurtèrent à des obstacles qu'on n'avait pas prévus. C'était d'abord la résistance d'un peuple nombreux et guerrier, l'insalubrité des côtes, la difficulté de navigation sur des cours d'eau barrés à leur embouchure par des bancs de sable et qui auraient exigé pour être rendus navigables des travaux patients, prolongés et coûteux; c'était des forêts immenses difficilement p é n é trables. Il fallait conquérir l'île lentement, et habilement sur les indigènes et sur la nature. Cependant des postes furent successivement créés à Fort-Dauphin qui devint le siège principal des opérations et des quelques établissements créés sur la côte, à Sainte-Luce, à Autongil, Tamatave, Foulpointe, Tintingue, etc. Un instant on put espérer prendre pied dans l'île Grâce à l'ascendant que l'aventurier La Case, originaire de la Rochelle, s'acquit sur les populations malgaches en épousant une princesse du pays qui fut déclarée souveraine à la mort de son père. Mais son succès fit naître d'odieux sentiments d'envie chez ses compatriotes qui mirent sa tête à prix. Le désordre et la confusion ne cessèrent de régner parmi les Français. Le massacre des blancs à Fort-Dauphin, et divers événements malheureux déterminèrent la compagnie des Indes orientales à renoncer à ses droits sur Madagascar qui par arrêt du conseil du 4 juin 1686 fut annexée à la couronne. « Si l'on considère les causes des échecs de la colonisation française à Madagascar — dit un auteur —


ILE

BOURBON

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DE

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sans s'arrêter à l'incurie qui fit presque toujours correspondre l'arrivée des envois de la Métropole avec la saison des fièvres, on voit qu'il faut les attribuer au mauvais choix des gouverneurs... « En somme, il n'y eut qu'un seul h o m m e dont la capacité soit hors de conteste, c'est La Case. Si, lorsqu'il se révéla, la compagnie avait suivi ses idées, n u l doute q u e la colonisation eût réussi » (Louis P a u l i a t , Madagascar, P a r i s , C. Lévy, 1884). 5 0 . L'île Sainte-Marie située sur la cote orientale dont elle est séparée par un b r a s de m e r de quelques kilomètres, avait été cédée à la France par les indigènes. Fort-Dauphin fut relevé par les ordres du ministre Choiseul mais la situation de nos établissements n'en devint pas plus prospère. Ils furent pour la plupart délaissés. En 1789-90 nous n'occupions plus que Tamatave. 5 1 . L'île Bourbon ou de la Réunion à l'est de Madagascar avait été appréhendée au nom du roi par la compagnie des Indes orientales en 1643. Elle reçut en 1649 son nom d'île Bourbon. La colonie y acquit une certaine i m p o r t a n c e , mais elle manquait d'un port. L'attention se porta sur une autre île voisine successivement occupée puis abandonnée par les Portugais et les Hollandais qui lui avaient donné le nom d'île Maurice. Une colonie toute spontanée composée de Français et de créoles, la plupart de l'île B o u r b o n , s'y fixa en 1712. Elle fut occupée au nom du roi par la compagnie des Indes et reçut le nom d'Ile de F r a n c e . Les deux îles eurent alors comme colonies françaises de sérieux succès. Elles se couvrirent de plantations de cannes à sucre, d'épices et de café. Il se produisit le m ê m e fait qu'aux colonies de plantation des Antilles : presque toutes les terres destinées d'abord à l'élevage ou à la production du r i z , furent peu à peu transformées en plantations plus lucratives, de sorte que les habitants durent compter s u r le dehors pour leurs vivres. C'est Madagascar qui, par suite de la prospérité et de l'abon-


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dance du bétail et du r i z , eût été le lieu d'approvisionnement le p l u s naturel. Mais on se heurta aux difficultés, et à la mauvaise administration q u i , ainsi q u e nous l'avons vu, liront échouer la colonisation dans l'île Malgache. Les îles de Bourbon et Maurice furent toutes deux rétrocédées à la couronne par la compagnie en 1767. Délivrées du monopole de celle-ci, elles atteignirent une prospérité réelle. 5 2 . La révolution qui éclata en France eut une influence considérable s u r l'Ile de France et l'île Bourbon laquelle reçut le nom d'île de la Réunion. Une assemblée coloniale dont les noirs devenus libres pouvaient faire p a r t i e , déposa le gouverneur siégeant à Bourbon et le remplaça par un gouvernement local qui se substitua complètement à l'autorité de la métropole. 53, J u s q u ' e n 1803 la colonie se gouverna elle-même. A cette époque, sous la main du premier consul, les deux îles rentrèrent sous l'obédience de la métropole et reçurent une nouvelle organisation. Le gouvernement en fut confié au capitaine général Decaen; Bourbon prit en 1805 le nom d'île Bonaparte. En 1810, toutes deux furent appréhendées par les Anglais, qui ensuite du traité de paix du 30 mai 1814 ont gardé Maurice et nous ont restitué seulement l'île de la Réunion qui reprit son nom d'île Bourbon. Cependant le gouvernement impérial avait affirmé les droits de la France sur l'île de Madagascar. Le capitaine général Decaen avait déclaré par ordre de l ' e m p e r e u r , T a m a tave chef-lieu de nos possessions à Madagascar. Le traité de Paris du 30 mai 1814 a de nouveau reconnu les droits de la France sur Madagascar. C'est de là que nous affirmons notre souveraineté ou tout au moins nos droits de protectorat s u r cette île ainsi que sur l'Ile Sainte-Marie q u i , occupée par les Anglais en 1810, nous a été rendue par le même traité de 1814. Nous verrons plus loin nos droits confirmés en 1885 et notre situation actuelle.


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De l'autre côté (septentrional) de la grande île de Madagascar existe l'archipel des Comores parmi lesquelles les îles Mayotte et Nossi-Bé. Elles nous appartiennent mais ne nous ont été a c q u i s e s , comme nous le v e r r o n s , q u e dans le courant de ce siècle.

CHAPITRE V. L ' I N D E

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5 4 . P r e m i è r e s t e n t a t i v e s d e la F r a n c e et d e l ' A n g l e t e r r e d a n s l e s I n d e s — S i m u l t a n é i t é de l e u r s d é b u t s . 5 5 . P l a n d e colonisation de Colbert. — C o m p a g n i e d e s I n d e s o r i e n t a l e s . — Débuts infructueux. 56. H e u r e u s e direction de F r a n ç o i s M a r t i n . — Influence fâcheuse d e s faits politiques du c o n t i n e n t . 57. Bonne a d m i n i s t r a t i o n du g o u v e r n e u r D u m a s . — Concours utile de L a Bourdonnais. 5 8 . Dupleix (1742). — P r o s p é r i t é de la colonie. — Hostilités a v e c l'Angleterre. 59. F â c h e u x d é s a c c o r d . — Disgrâce imméritée de La B o u r d o n n a i s . — S u c cès d e Dupleix. 60. Paix d ' A i x - l a - C h a p e l l e (1748). — S y s t è m e des p r o t e c t o r a t s i n a u g u r é p a r Dupleix. — A p o g é e de la c o m p a g n i e . 6 1 . F a u t e s d e Dupleix. — Il est i n t e m p e s t i v e m e n t r a p p e l é . 6 2 . F u n e s t e s effets d u d é p a r t d e D u p l e i x . 6 3 . G u e r r e d e s e p t a n s s u r le continent. — Hostilités avec l ' A n g l e t e r r e d a n s les I n d e s . — Q u a l i t é s et défauts d u g o u v e r n e u r L a l l y - T o l l e n d a l . 6 4 . Défaillances d e s e s s u b o r d o n n é s . — S e s d é f a i t e s . — Sa d i s g r â c e . 6 5 . Traité d e P a r i s d u 10 février 1763. — C e s s i o n s c o n s e n t i e s par la F r a n c e . — S a d é c a d e n c e coloniale en A m é r i q u e et aux I n d e s . 6 6 . Quelle r e s p o n s a b i l i t é faut-il en a t t r i b u e r a u G o u v e r n e m e n t f r a n ç a i s ? 67. F a u t e s et r e s p o n s a b i l i t é s c o m m u n e s . — Opinion d e MM. P . L e r o y B e a u l i e u et L e v a s s e u r . — E n s e i g n e m e n t à t i r e r du p a s s é .

5 4 . Les relations de l'Europe avec l'Inde devaient rester difficiles et intermittentes tant qu'elles n'auraient lieu que par


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la voie de terre. Elles n'ont pu prendre un caractère commerçai qu'à dater du jour où Vasco de Gama ouvrit, pour y accéder, une voie maritime (17 mai 1498). Encore les p r e mières tentatives donnèrent-elles bien des mécomptes. La France et l'Angleterre furent devancées par les Portugais et les Hollandais. Elles ne songèrent sérieusement à exploiter le commerce des Indes orientales qu'au commencement du xviie siècle. Presque simultanément on vit une charte accordée par la reine Elisabeth à une association de marchands a n g l a i s , et un privilège octroyé par Henri IV à une société de négociants français (1604). Leur origine fut aussi modeste pour les deux compagnies rivales q u i , plus t a r d , pendant deux cents a n s , se sont disputé la possession des Indes. Les premières expéditions de la compagnie française des Indes ne sont que des voyages d'exploration. Des Rouennais s'avancèrent jusqu'à Java sans résultats p r a t i q u e s , de même que les Dieppois s'étaient arrêtés à Madagascar sans trouver profit à s'y maintenir. 5 5 . C'est Colbert q u i , en 1664, soumet à Louis XIV un plan raisonné. Une « nouvelle compagnie des Indes orientales » reçut un privilège exclusif pour cinquante ans avec divers avantages : a) Les étrangers qui prenaient dans la compagnie un intérêt de 20,000 livres devenaient régnicoles, c'est-à-dire jouissaient des mêmes droits que les Français (comme au Canada) sans se faire naturaliser. b) Aux mêmes conditions, les officiers étaient dispensés de la résidence, sans rien perdre des prérogatives et gages de leurs places. c) Tous objets de constructions, d'armement, de ravitaillement des vaisseaux, étaient exempts de toutes taxes d'entrée et de sortie. d) Des primes étaient accordées, de 50 livres par chaque tonneau de marchandises porté de France aux I n d e s , et de 75 livres par tonneau rapporté de Inde en France.


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e) Le service de la compagnie était assimilé à celui du r o i , et devait rapporter à ceux q u i s'y distingueraient des h o n n e u r s et des titres héréditaires. Ces avantages considérables s'expliquent : il fallait soutenir le commerce national dans ses efforts naissants. Nous avons vu que les premiers efforts se p o r t è r e n t , chemin faisant, sur Madagascar, de là sur la côte de Malabar où on espérait se créer des ressources immédiates. Un premier comptoir fut fondé à S u r a t e par Caron, chef de la compagnie. Puis il enleva aux Hollandais la baie de Trinquemalé dans l'île de Ceylan; mais ceux-ci s'y r é i n t é g r è r e n t , c'était des efforts p e r d u s . Caron passa alors à la côte de Coromandel où il s ' e m p a r a , en 1672, de S a i n t - T h o m é , ancienne ville p o r t u g a i s e , dont H fut délogé en 1674. Après ces essais infructueux, la r u i n e de la compagnie était imminente. Elle fut conjurée par l'habileté d'un de ses agents François Martin, demeuré justement célèbre. 5 6 . Actif et e n t r e p r e n a n t , il rallia q u e l q u e s F r a n ç a i s , d é bris des expéditions de Ceylan et de Saint-Thomé et vint se fixer sur la même côte de Coromandel dont il obtint la cession du souverain de Beidjapour (1683). Celte petite colonie devint florissante, la situation de la compagnie se raffermit et François Martin fut nommé gouverneur de Pondichéry. Il obtint du grand Mogol des firmans l'autorisant, à faire le commerce dans les provinces du Bengale, de Bahar, et d'Orissa. La compagnie fonde de nouveaux comptoirs et acquiert Chandernagor sur la rive d'Hougly (1688), mais les Hollandais prennent ombrage de ces progrès r a p i d e s , ils s'emparent de Pondichéry qu'ils fortifient. Le traité de Riswick (1696), conclu sur le continent, les obligent à en faire la restitution à la compagnie et François Martin est de nouveau nommé gouverneur. Fondateur de la colonie, il y donna tous ses efforts et la conduisit à une grande p r o s p é r i t é , mais vinrent sur le continent des vicissitudes politiques. L a g u e r r e de la succession d'Espagne eut un retentissement fâcheux sur la compagnie


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q u i , de p l u s , faillit être entraînée dans la chute du système de Law (1721). 5 7 . Elle se releva sous le ministère du cardinal Fleury et acquit Mahé sur la cote de Malabar (1726). A partir de 1735, l'administration de D u m a s , gouverneur, jeta un aussi vif éclat q u e celle de François Martin. Ayant obtenu du grand Mogol l'autorisation de battre m o n n a i e , il réalisa un bénéfice de 4 à 5 millions. En 1739, il fit l'acquisition de Karikal et de son territoire. L a compagnie s'étend, et a des comptoirs importants à Ayanoum et à Balassor. Ses établissements à D a k n a , P a t n a , Cassimbazzar, Calicut, M a h é , S u r a t e , rivalisent d'activité avec Chandernagor et Pondichéry. D ' a u t r e p a r t , La Bourdonnais nommé gouverneur des îles Mascareignes, avec l'esprit d'initiative et les vues d'un homme supérieur, s'efforce de faire de l'île Bourbon et de l'Ile de France des étapes de toute sûreté et de grand profit entre la métropole et les établissements indiens. 5 8 . Les affaires de la compagnie française des Indes étaient donc en g r a n d e prospérité. L a dernière impulsion leur fut donnée par D u p l e i x , le génie colonial le plus complet p e u t être que l'on rencontre dans l'histoire. Fils d'un ancien directeur de la compagnie et né en 1696, il est chargé en 1730 d'administrer le comptoir de Chandern a g o r ; il en fait un des p r e m i e r s marchés du Bengale. Ses talents lui valent un peu p l u s tard le gouvernement de P o n dichéry avec le titre de directeur général des établissements français de l'Inde (1742). Il rêve des projets d ' a g r a n d i s s e ment; il expédie des vaisseaux à S i a m , au C a m b o d g e , en Cochinchine. Il organise l'armée et la renforce en y faisant entrer l'élément indigène. Malheureusement l'horizon va s'assombrir et les difficultés s'accroître. La g u e r r e éclate sur le continent entre la France et l'Angleterre (1744). Le ministère français propose au cabinet anglais que les colonies respectives des belligérants restent en dehors des h o s t i l i t é s , mais l ' A n g l e t e r r e , jalouse de nos


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succès dans les Indes, refuse et la flotte anglaise menace Pondichéry. Ici survient le plus lamentable désaccord entre Dupleix et La Bourdonnais, commandant général des forces navales. Celui-ci équipe une escadre de six navires; il rencontre et disperse la flotte anglaise (6 juillet 1 7 4 6 ) ; il délivre Pondichéry, met le blocus devant Madras, principal établissement de la compagnie anglaise sur la côte de Coromandel et force cette ville à capituler. Ici commit-il une faute? Devait-il ruiner Madras? Il ne le crut pas et lui concéda la faculté de se racheter moyennant une rançon de 10 millions 700 mille livres. 5 9 . Mais Dupleix intervient; il se prévaut de son titre de directeur général, il désavoue La Bourdonnais, il annule la capitulation et livre Madras au pillage et à l'incendie. Il fait plus : il dénonce La Bourdonnais comme prévaricateur. La Bourdonnais, destitué de son commandement après avoir perdu une partie de ses vaisseaux dans une violente tempète, revient en France pour se justifier. Il subit une captivité préventive de plus de trois ans à la Bastille. Son innocence fut reconnue, mais il mourut de chagrin. Dupleix, pendant ce temps, poursuit avec succès le cours de ses audacieuses entreprises. Les Anglais avec le nabab d'Arcate marchent sur Madras pour la reprendre sur les Français qui les mettent en déroute. Mais les Anglais avec une escadre de 32 bâtiments et près de 5 , 0 0 0 hommes auxquels se j o i gnent les contingents indiens, parviennent à rentrer dans Madras et assiègent Pondichéry. Dupleix les oblige enfin à battre en retraite ( 1 7 4 8 ) . 60. La paix d'Aix-la-Chapelle met fin aux hostilités, et Dupleix peut reprendre son œuvre grandiose de colonisation Son but est d'asseoir la suprématie de la compagnie française sur la possession d'un vaste territoire. Pour se rendre maître de la partie méridionale de l'Indoustan il s'immisce adroitement dans les querelles politiques des provinces et les compétitions locales. D'un prétendant qu'il soutient il obtient un


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tribut considérable et des territoires étendus autour de Pondichéry et de Karikal. P a r m i les lieutenants qui le secondent, nous devons mentionner le marquis de Bussy. Cette période marque l'apogée de notre domination dans l'Inde. En quelques a n n é e s , la France y a conquis un degré de puissance auquel ses rivaux n'arriveront qu'après q u a rante ans d'efforts et de victoires. Elle r è g n e , directement ou indirectement, de l'assentiment du grand Mogol (par le rég i m e , que Dupleix avait pressenti, des protectorats), sur un tiers de l'Inde. Nous occupions ainsi 200 lieues de côtes, et notre commerce pouvait compter sur un revenu net de 20 millions de francs. 6 1 . Que faut-il, à ce moment, reprocher à Dupleix? Fut-il enivré par son succès, par les titres de nabab et de rajah qu'il avait obtenus? Par le luxe de la cour dont il s'était entouré? M. P. Leroy-Beaulieu lui reproche son insatiable ambition, son désir effréné de fonder un vaste empire colonial quel qu'en fût le prix. C'est qu'en effet pour soutenir son faste de souverain oriental, et étendre à l'infini ses ressources, il s'engage dans de colossales spéculations, et y emploie les fonds de la compagnie. Aux actionnaires qui s'attendaient à d'énormes dividendes, il fait annoncer un déficit de deux millions et il leur demande de les combler par des versements nouveaux. Par suite des mécontentements et des intrigues de cour entretenues à Paris par l'or a n g l a i s , on lui expédie au lieu le renforts l'ordre d'entrer dans des voies pacifiques, et en 1754 on le rappelle brutalement alors que son lieutenant de Bussy parcourait l'Inde en vainqueur. Dupleix dut revenir, il se débattit pendant neuf ans contre les refus de la compagnie de lui rembourser 7,580,000 livres qu'il avait avancées, et à l'exemple de L a w , dont, sur un autre théâtre, le crédit et la puissance avaient presque égalé les s i e n s , il mourut dans la détresse en 1763. 6 2 . Le départ de Dupleix avait été funeste à la colonie.


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Pour maintenir la paix, le gouvernement fit de déplorables concessions aux Anglais dans l'Inde. Un traité préparé à Londres fut signé portant les conditions suivantes : a) interdiction pour les deux compagnies d'intervenir dans la politique intérieure de l ' I n d e , leur but devant être exclusivement commercial; b) renonciation de leurs agents, à toutes dignités, charges et honneurs conférés par les princes du pays; c) r e s titution au grand Mogol de la plupart des places et territoires occupés par les deux nations; d) égalité de territoire et de revenu entre les possessions des deux compagnies. C'était pour nous un marché de dupes : l'Angleterre cédait quelques b o u r g a d e s , la F r a n c e renonçait à un empire. L a compagnie française déchue de son influence, de ses possessions, était vouée à la ruine. L a compagnie anglaise sut bientôt prendre sa place en profilant de l'expérience du passé. 6 3 . S u r ces entrefaites, la guerre de sept ans éclatait sur le continent. L e s deux compagnies stipulèrent entre elles la neutralité. Mais nonobstant cette convention, lord Clive, sur les ordres du gouvernement A n g l a i s , a s s i é g e a , p r i t , et détruisit Chandernagor ( 1 7 5 7 ) . Il étendit sa domination sur le B e n gale, fit déposer et périr le souverain du pays qu'il remplaça par son premier ministre créature des Anglais et qu'il installa comme souverain des provinces du B e n g a l e , de B a h o r , et d'Orissa. On venait d'élever au gouvernement général de l'Inde francise le comte Lally-Tollendal. Irlandais d'origine au service de la F r a n c e , homme d'honneur, d'une loyauté et d'un courage incontestables, mais h a u t a i n , impatient de toute observation, incapable de se plier aux nécessités de la guerre et de la politique coloniales. En môme t e m p s , le gouvernement français, bien qu'il dût réserver toutes ses ressources pour la g u e r r e continentale, envoya deux mille hommes aux Indes avec une escadre commandée par le comte d'Aché. L e s navires anglais lurent battus, et Lally-Tollendal enflammé d'orgueil et d'es-


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pérance s'écriait déjà : « plus d'Anglais dans la Péninsule. » Il oubliait que le succès ne peut être obtenu q u e par la b r a voure unie à l'habileté, à la souplesse des chefs, et au dévouement des troupes. Détesté de ses subordonnés habitués à la licence et au pillage, dur et inflexible v i s - à - v i s d ' e u x , il amoncela contre lui des haines qui le conduisirent à la défaite et amenèrent en partie la perte de nos possessions. 64. Abandonné par d ' A c h é , mal obéi par ses troupes, il était allé assiéger Madras, qu'après trois mois d'efforts il dut abandonner. Il continua à lutter avec une violence croissante contre la licence, la l â c h e t é , la trahison qu'il voyait autour de lui. Les colons lui refusaient des s e c o u r s , ses soldats se révoltèrent, le gouvernement le laissait sans vaisseau, sans renforts. D'Aché après deux combats inutiles contre la flotte anglaise s'était retiré à l'Ile de F r a n c e . Lally n'en put obtenir aucun aide. L e s Anglais, battirent ses troupes à W a n d a b a c h i , s'emparèrent d'Arcate, investirent Pondichéry, q u i a p r è s une défense h é r o ï q u e , n'ayant plus que 7 0 0 hommes contre 22 m i l l e , se rendit à discrétion ( 1 0 janvier 1 7 6 0 ) . L e s vainqueurs détruisirent les m u r s , les f o r t s , les édifices de la capitale de l'Inde f r a n ç a i s e , ne laissant debout que les cabanes indiennes. Lally emmené prisonnier en Angleterre obtint du gouvernement anglais de se rendre en F r a n c e pour se disculper de ses défaites. A son arrivée il fut j e t é à la Bastille, sous l'inculpation de trahison. Il se présenta devant le parlement de P a r i s , fort de son innocence. Après un procès, qui couvre d'opprobre ses j u g e s il fut condamné à mort et conduit au supplice un baillon à la bouche. Son fils, aidé de Voltaire, fit en 1 7 7 8 réhabiliter sa mémoire. 6 5 . L e traité de Paris du 10 février 1 7 6 3 mit fin aux hostilités entre la F r a n c e et l'Angleterre et à la guerre de SeptA n s . Par ce traité, la F r a n c e renonçait à devenir une puissance commerciale et maritime. Elle cédait aux Anglais, en Amériq u e , ainsi que nous l'avons v u , l'Acadie ou nouvelle Ecosse, le Canada, le fleuve et le golfe du S a i n t - L a u r e n t , les îles de


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Sainte-Lucie, de la Dominique et de Tabago q u i j u s q u ' a l o r s avaient été indivises entre les deux p e u p l e s . Elle cédait la Louisiane à l'Espagne pour la d é d o m m a g e r de la Floride q u e l'Espagne donnait aux Anglais moyennant la restitution de Cuba et des Philippines. Nous cédions encore aux Anglais les rives du Sénégal (vid. sup., n° 4 7 ) . Nous ne gardions nos colonies de l'Inde q u ' à la condition de ne pas les fortifier, et de les laisser sans g a r n i s o n . 66. Quelle responsabilité de ce traité désastreux faut-il attribuer au gouvernement f r a n ç a i s ? L ' a u t e u r d'un ouvrage récent très d o c u m e n t é , M. Léon Deschamp (Histoire de la question coloniale, 1 vol. in-8°, Plon et Nourrit, édit., Paris, 1891), répond en ces t e r m e s ( p . 233) : « Louis XV porte dans l'histoire la responsabilité de notre r u i n e coloniale. On accuse son insouciance, son ignorance, celle de ses ministres. On aime à citer le mot de Berryer à Bougainville d e m a n d a n t , en 1759, des secours pour le Canada : « E h , m o n s i e u r , quand le feu est à la maison on ne s'occupe pas des é c u r i e s . » On tire môme du traité de Paris des conséquences générales et l'on dit q u e les F r a n ç a i s ont cessé d'être colonisateurs après la perte de leurs colonies. « Celte opinion nous semble mal fondée. Qu'on accuse la politique européenne de Louis X V ; qu'on flétrisse la lâcheté d'un gouvernement avili; nous n'avons g a r d e de contredire. Mais nous ne pouvons a d m e t t r e , même pour L o u i s X V , l'accusation d'ignorance ou d'indifférence dans l'action coloniale. Louis XV et ses m i n i s t r e s , pas plus q u e le Régent et Louis XVI n'ont à a u c u n e époque dédaigné ou ignoré les avantages des colonies. Ils o n t , au c o n t r a i r e , brillamment s u i v i , puis hardiment réformé le système de Colbert et de Louis XIV. Le traité de Paris, si déplorable qu'il soit, n'est pas plus r é p r é hensible q u e le traité d ' U t r e c h t . A ces deux d a t e s , l'intérêt commercial et colonial a d û être sacrifiéà l'intérêt continental mal engagé, voilà tout. Or, combien de fois d e p u i s , et n o t a m ment sous l ' E m p i r e , la F r a n c e ne s'est-elle pas trouvée dans H.


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une semblable alternative? à l'heure actuelle même, beaucoup d'hommes politiques n'agiraient-ils pas. le cas échéant, comme Louis XV ? Le découragement dont on a parlé a si peu été provoqué par l'acte de 1763 qu'à aucune époque on n'a montré, dans la pensée et dans l'action, une activité plus féconde au profit des colonies qu'entre les années 1763 et 1789. » 67. Quoi qu'il en soit et en résumé, suivant M. P . LeroyBeaulieu, la faute commune aux ministres, aux gouverneurs, aux chefs d'entreprises coloniales, a été de rechercher non pas les résultats féconds pour le commerce et l'industrie, non pas le développement pratique de notre trafic mais les profits immédiats, les aventures, les conquêtes et la gloire. « En repassant notre histoire coloniale au C a n a d a , à la Louisiane, à Madagascar, aux Indes, en voyant combien de nobles et grandes intelligences, combien de vies et de forces ont été inutilement gaspillées dans ces vastes entreprises... nous ne pouvons q u e nous écrier : le principal obstacle au succès et à la grandeur de la F r a n c e , c'a été l'esprit exagéré d'aventure, l'impatience des résultats progressifs et lents, la dissémination des forces sur un territoire trop indéfini. » Ces observations ne doivent-elles p a s , de nos jours encore, être sérieusement méditées? D'autre p a r t , suivant un historien économiste, M. Levasseur : « la nation française n'avait pas encore des mœurs propres au grand commerce : elle ne connaissait pas la puissance de l'association. « Vous m'alléguez, écrivait Colbert, les Anglais et les Hollandais qui font dans le Levant pour 10 ou 12 millions de commerce, ils le font avec de grands vaisseaux. Messieurs de Marseille ne veulent que des barques afin que chacun ait la sienne, et ainsi l'un réussit et l'autre non. La nation manquait non seulement de l'esprit de suite et d'économie, chacun voulait s'enrichir en un jour sans s'assujettir à de longs labeurs. On mettait à la tête des compagnies des administrateurs que la faveur plus que leur expérience portait à ces


L'INDE FRANÇAISE.

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postes élevés » ( L e v a s s e u r , Hist. des classes ouvrières, t. I I , p . 229). De tels témoignages éclairent de vives l u e u r s le passé de nos colonies, m a i s ils sont aussi de g r a n d s e n s e i g n e m e n t s pour le p r é s e n t , aussi doit-on t e n i r compte de cette d e r n i è r e réllexion de M. P a u l L e r o y - B e a u l i e u c o n s t a t a n t q u e notre domaine colonial s i n g u l i è r e m e n t a g r a n d i à l ' h e u r e présente est encore en voie d ' a g r a n d i s s e m e n t : « C'est contre les mômes obstacles q u e n o u s a u r o n s à lutter, la faiblesse de l'esprit d'association p a r m i nos compatriotes et le défaut de p e r s é v é rance aussi bien chez l'État q u e chez les p a r t i c u l i e r s » ( p . 1 8 1 , en note).


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LIVRE III. ORGANISATION DES COLONIES.

LIVRE

III.

ORGANISATION CIVILE DES COLONIES.

CHAPITRE PREMIER. APERÇU

HISTORIQUE SUR LE GOUVERNEMENT

E T LA

LÉGISLATION DES COLONIES.

1. Observation générale. — Diversité inévitable dans la législation des colonies. 2. l période. — Les compagnies privilégiées. — Leurs privilèges et leurs droits de souveraineté. 3. Puissance gouvernementale et administration intérieure. — Droits réservés à la royauté. — Les gouverneurs lieutenants-généraux. 4. Administration de la justice. — Juridictions de premier degré : a) amirautés pour les affaires maritimes ; b) sièges royaux pour les affaires civiles. 5. Juridiction de second d e g r é , en matière c i v i l e , commerciale et criminelle : a) Conseils souverains; 6) Tribunal terrier. — Pouvoirs des intendants. 6. Attributions spéciales des conseils souverains en matière de police. 7. 2 période. — Gouvernement royal direct. — Effets divers de la suppression des compagnies. 8. 3 période. (1789-1825). — Situation constitutionnelle des colonies réglée par décret du 24 septembre 1791. — Institution d'assemblées coloniales électives. — Leurs fonctions s u c c e s s i v e s . 9. Constitution du 5 fructidor an III. — Idée nouvelle : Assimilation des colonies à la métropole. 10. Constitution du 22 frimaire an VIII : abandon du principe d'assimilation. — Administration et lois spéciales. r e

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PREMIÈRE

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PÉRIODE.

1 1 . C o n t i n u a t i o n d e ce s y s t è m e s o u s l ' e m p i r e . 12. C h a r t e d e 1 8 1 4 . — R e t o u r a u r é g i m e a n t é r i e u r à 1 7 8 9 . — G o u v e r n e u r s , i n t e n d a n t s , c o n s e i l s s u p é r i e u r s . — L o i s et r è g l e m e n t s p a r ticuliers. 13. O r d o n n a n c e d u 21 a o û t 1 8 2 5 . — T e n d a n c e à u n e l é g i s l a t i o n u n i f o r m e p o u r les g r a n d e s c o l o n i e s . 14. 4 période. ( 1 8 2 5 - 1 8 5 2 ) . — O r d o n n a n c e s o r g a n i q u e s d e 1825 à 1 8 3 3 . — C h a r t e d e 1830. — C o n s e i l s c o l o n i a u x a y a n t p o u v o i r de l é g i f é r e r d a n s quatre colonies. 15. D i s t i n c t i o n d e s c o l o n i e s en d e u x c a t é g o r i e s . — L e s g r a n d e s et l e s p e tites. 16. R é g i m e d e s o r d o n n a n c e s p o u r les p e t i t e s c o l o n i e s . 17. C o l o n i e s a c q u i s e s s o u s le g o u v e r n e m e n t d e J u i l l e t . 18. 1 8 4 8 . — A b o l i t i o n d e l ' e s c l a v a g e . — S u p p r e s s i o n d e s c o n s e i l s c o l o n i a u x . — Suffrage u n i v e r s e l . — E l e c t i o n s l é g i s l a t i v e s . — C o n s t i t u tion d u 4 n o v e m b r e . 19. 5 période ( 1 8 5 2 - 1 8 7 0 ) . — C o n s t i t u t i o n d u 14 j a n v i e r 1 8 5 2 . — R é g i m e n o u v e a u . — S u p p r e s s i o n d e la r e p r é s e n t a t i o n au P a r l e m e n t . 2 0 . S é n a t u s - c o n s u l t e c o n s t i t u t i o n n e l p o u r l e s t r o i s g r a n d e s colonies d u 3 m a i 1854. — R é g i m e d e s d é c r e t s a p p l i q u é a u x a u t r e s c o l o n i e s . 2 1 . Motifs d e la d i s t i n c t i o n é t a b l i e d é s o r m a i s e n t r e l e s g r a n d e s et les petites colonies. 2 2 . C a r a c t è r e d e la l é g i s l a t i o n c o l o n i a l e d u s e c o n d E m p i r e . — E m a n c i p a t i o n et a s s i m i l a t i o n p r o g r e s s i v e d e s g r a n d e s c o l o n i e s à la m é t r o p o l e . — L. 3 j u i l l e t 1 8 6 1 . — S u p p r e s s i o n d u p a c t e c o l o n i a l . 23. Extension d e s pouvoirs des conseils g é n é r a u x des colonies. — Loi du 4 juillet 1866. — Octroi de m e r . — Décrets s u r des matières diverses. 2 4 . E x t e n s i o n d e s c o l o n i e s f r a n ç a i s e s s o u s le s e c o n d E m p i r e . 2 5 . 6 période ( 1 8 7 0 - 1 8 9 3 ) . — P r o f e s s i o n d u m o u v e m e n t d ' a s s i m i l a t i o n d e s c o l o n i e s à la m é t r o p o l e . 26. R é g i m e d e s d é c r e t s c o n t i n u é j u s q u ' e n 1 8 8 0 . — D e p u i s 1880 e x t e n s i o n d e s lois m é t r o p o l i t a i n e s n o u v e l l e s p a r d e s a r t i c l e s s p é c i a u x . e

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1 . Nous avons vu l ' h i s t o r i q u e des colonies françaises d a n s le p a s s é , j u s q u ' a u xixe siècle, l e u r développement é c o n o m i q u e , les causes de l e u r s i n s u c c è s , les fautes c o m m i s e s , les é v é n e m e n t s qui ont modifié, t r a n s f o r m é , a m o i n d r i notre e m p i r e colonial. Nous abordons l'étude de leur organisation c i v i l e , c'est-à-dire la législation coloniale. U n e observation g é n é r a l e domine celte m a t i è r e , d a n s le 4*


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LIVRE I I I . O R G A N I S A T I O N

DES

COLONIES.

passé comme dans le présent : les colonies ne peuvent p a s , comme leur métropole, être assujetties à un régime uniforme, toujours légal, toujours régulier. La distance à laquelle elles sont placées, les dangers auxquels elles sont exposées pendant la guerre maritime, les conditions intérieures de leur existence diffèrent. On doit tenir compte aussi de leur climat, de leurs variétés géologiques, topographiques, des éléments de leur population, de leurs besoins. Ces circonstances si diverses ont fait de tout temps considérer pour elles, comme une nécessité, l'établissement de règles particulières. Il faut donc distinguer dans la législation des colonies les règles générales qui peuvent leur être communes, les règles particulières propres à chacune et qui complètent leur physionomie. Pour les unes et les autres on a procédé par voie d'essai. Ainsi avant, comme depuis 1789, les mesures prises pour les Antilles, et pour la R é u n i o n , c'est-à-dire pour celles qu'on appelle les grandes colonies, ont été plus ou moins étendues à nos autres possessions. C'est ce que nous préciserons en étudiant les règles générales. L'examen ultérieur de nos diverses colonies nous permettra, en signalant leur état actuel, d'indiquer sommairement les lois absolument spéciales qui répondent plus directement à leurs conditions économiques. L'histoire de la législation et du gouvernement des colonies s'impose tout d'abord à notre attention. 2 . Les colonies furent d'abord soumises à l'autorité fort arbitraire des compagnies. Celles-ci fonctionnaient sous le contrôle de l'autorité royale, mais dans cette mesure elles jouissaient d'une très large indépendance. Les édits de mai et d'août 1664 qui ont créé les deux compagnies : 1° des Indes orientales concernant les possessions d'Amérique, les Antilles, la Guyane; 2° des Indes occidentales concernant le privilège de navigation et de colonisation dans la mer des I n d e s , et la mer du Sud et un droit exclusif sur Madagascar et les îles voisines reconnaissaient à toutes


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PREMIÈRE P É R I O D E .

deux la p r o p r i é t é , la seigneurie de ces contrées et le droit d'y r e n d r e la j u s t i c e . Les a u t r e s compagnies furent constituées et régies par des édits ou déclarations a n a l o g u e s . 3 . L e roi se réservait le droit de se faire r e p r é s e n t e r par un v i c e - r o i , ou un l i e u t e n a n t - g é n é r a l q u i avait s u r t o u t dans ses attributions les pouvoirs militaires. L ' a d m i n i s t r a t i o n i n t é r i e u r e était confiée aux g o u v e r n e u r s q u e la c o m p a g n i e d'ordinaire désignait à la nomination royale. Nous voyons aux Antilles le roi envoyer deux g o u v e r n e u r s l i e u t e n a n t s - g é n é r a u x , l'un p o u r les îles du Vent, l'autre pour les îles sous le Vent (cid. sup.). Il leur était défendu de connaître de l'exercice de la j u s t i c e , afin de respecter le principe de la séparation du pouvoir souverain et du pouvoir judiciaire ( A r r ê t du C o n s . d'État du 21 mai 1769, et Ord. du 1 févr. 1766). Ils avaient sous l e u r s ordres comme a g e n t s d'exécution des c o m m a n d a n t s en seconds et des c o m m a n d a n t s de q u a r t i e r s , chargés les p r e m i e r s de la mise à exécution des o r d o n nances royales et des a r r ê t é s des g o u v e r n e u r s ou l i e u t e n a n t s - g é n é r a u x ; et les seconds de l'exécution des ordres du g o u v e r n e u r . Ces deux sortes d'agents exerçaient aussi les fonctions municipales relatives a u x c h e m i n s , a u x corvées, a u x recensements. e r

A u point de vue m i l i t a i r e , la direction et la discipline des corps d'armée a p p a r t e n a i e n t entièrement au g o u v e r n e u r lieut e n a n t - g é n é r a l , qui a v a i t , en o u t r e , en m a t i è r e de police, des pouvoirs assez é t e n d u s . L e roi intervenait encore indirectement d a n s les affaires des compagnies en leur n o m m a n t parfois des d i r e c t e u r s de son c h o i x , mais souvent aussi son a u t o r i t é fut contestée et subit q u e l q u e s échecs. 4. L'administration de la j u s t i c e était confiée à des j u g e s désignés p a r les c o m p a g n i e s , mais n o m m é s p a r le roi. On distinguait en p r e m i è r e instance d e u x j u r i d i c t i o n s : a) les a m i r a u t é s c o n n a i s s a n t , au premier d e g r é , de tous actes


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LIVRE

III.

ORGANISATION

DES

COLONIES.

passés pour le commerce de mer et p o u r la navigation; b) des sièges royaux ayant compétence en matière civile, c'est-à-dire statuant sur les règlements de p o l i c e , tous conflits a u t r e s que ceux nés pour le commerce de mer et la navigation. 5. Pour rendre la justice au second d e g r é , Louis XIV i n s titua des conseils souverains placés sous la direction d'intendants. Les causes civiles et commerciales en appel et la j u r i diction criminelle leur étaient confiées. Exceptionnellement, certaines matières (clauses de concession, réunion de d o m a i n e s , distribution des eaux, servitudes, c h e m i n s , p o n t s , p a s s a g e s , e t c . ) , étaient dévolues en appel à un tribunal terrier qui était composé du g o u v e r n e u r lieuten a n t - g é n é r a l , de l'intendant président du conseil s o u v e r a i n , et de trois m e m b r e s du m ê m e conseil nommés par le conseil lui-même. Ces divers t r i b u n a u x devaient j u g e r conformément aux lois et ordonnances du royaume et conformément à la coutume de Paris (Edit de 1664). 6. Le conseil souverain n'était pas seulement un tribunal de second d e g r é , il avait une part de souveraineté en matière de police. Ainsi il délibérait et ordonnait des m e s u r e s g é n é rales de police et de j u s t i c e , avec liberté de suffrages, et à la pluralité des voix (Règlement du 4 nov. 1641 sur les colonies). Mais les g o u v e r n e u r s , en tant q u ' i l s étaient c h a r g é s de la police g é n é r a l e , pouvaient p r e n d r e des arrêtés pour les cas u r g e n t s , n'admettant ni t r ê v e , ni délais (Ord. de 1766). 7. Aux compagnies privilégiées a succédé le g o u v e r n e m e n t royal direct. La s u p p r e s s i o n , à diverses d a t e s , des c o m p a gnies privilégiées, eut un double effet : l ° de rendre à tous les métropolitains la liberté du commerce avec les colonies, et 2° de r é u n i r au domaine du roi la pleine propriété et seigneurie des îles. Elles étaient dès lors la propriété du r o i , et cette situation p l u s t h é o r i q u e qu'effective déjà j u s q u ' à la constitution de 1840 qui déclara les colonies territoires français. Mais les édits de suppression des compagnies déclaraient


D E U X I È M E ET T R O I S I È M E P É R I O D E S .

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confirmer toutes délibérations, ordonnances, o r d r e s , mandements, etc., faits j u s q u ' à ce jour (Edit de déc. 1674). Les conseils souverains subirent des modifications dans leur composition. Les intendants partagèrent, à certains égards avec le gouverneur, la direction administrative. Ces mesures m a n quant d'ensemble ont fait naître des confusions de pouvoirs et des conflits qui ne furent pas étrangers aux revers dans lesquels nous avons perdu l'Inde et le Canada. De nouvelles ordonnances (1704, 1766, 1781) furent rédigées après la s u p pression des c o m p a g n i e s , p o u r mieux préciser les pouvoirs des p r o c u r e u r s , des i n t e n d a n t s , des conseils s o u v e r a i n s , et éviter les conflits d'attribution. Tel fut le système général de l'administration des colonies avant 1789. 8 . Une troisième période doit être distinctement envisagée. Elle s'étend de 1789 à 1825. A la nouvelle des événements qui suivirent 1789, les colonies s'étaient soulevées et avaient tenté de se donner u n e organisation indépendante. C'est n o tamment, comme nous l'avons vu, ce que réalisa la Réunion. L'Assemblée constituante estima q u ' u n e assimilation absolue des colonies avec la métropole n'était pas possible. Elle décida, par une première loi (8 mars 1790), qu'elles émettraient ellesmêmes l e u r s vœux sur leur constitution et l e u r législation, et provoqua dans ce but l'élection d'assemblées coloniales. Plus t a r d , l'Assemblée constituante déclara que la Constitution du 3 septembre 1791 ne leur serait pas applicable, elles n'étaient donc pas admises à envoyer des représentants à l'Assemblée législative. Leur situation constitutionnelle fut déterminée par un d é cret du 24 septembre 1 7 9 1 , qui donna aux assemblées coloniales l'initiative des lois à proposer au Corps législatif de France. Mais ces a s s e m b l é e s , cherchant à dépasser les p o u voirs qui leur étaient reconnus, des commissaires civils furent envoyés pour rétablir l'ordre dans diverses colonies (Décrets des 28 m a r s , 22 j u i n , 2 j u i l l . , 17 août 1792).


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LIVRE III.

ORGANISATION C E S COLONIES.

9. L a constitution républicaine du 4 fructidor an III i n a u g u r a u n a u t r e ordre de choses, avec la pensée d'assimiler les colonies au territoire de la R é p u b l i q u e u n e et indivisible, elle les soumit à la m ê m e loi constitutionnelle q u e le territoire métropolitain. Une loi du 12 nivôse an VI régla leur organisation p o l i t i q u e , administrative et j u d i c i a i r e , e t , not a m m e n t , les divisait en d é p a r t e m e n t s . 1 0 . Au c o n t r a i r e , avec le g o u v e r n e m e n t c o n s u l a i r e , et la constitution du 22 frimaire an V I I I , le principe d'assimilation fut a b a n d o n n é . L'article 91 décide q u e le r é g i m e des colonies françaises sera d é t e r m i n é par des lois particulières. C'était u n retour aux p r e m i è r e s idées de la C o n s t i t u a n t e . En exécution de cette d i s p o s i t i o n , on o r g a n i s a p o u r les colonies u n e administration q u i avait, avec la p r é c é d e n t e , une certaine affinité. Il fut établi dans c h a c u n e d'elle ( p a r un trait de r e s s e m b l a n c e avec le g o u v e r n e m e n t consulaire), un capitaine g é n é r a l ayant les pouvoirs des anciens g o u v e r n e u r s , l i e u t e n a n t s - g é n é r a u x , u n préfet colonial, c h a r g é de l'administration et de la h a u t e p o l i c e , u n c o m m i s s a i r e de justice, ou g r a n d j u g e c h a r g é de l'inspection et de la g r a n d e police des t r i b u n a u x . L e s lois et r è g l e m e n t s r é g i s s a n t la métropole étaient exécutoires aux c o l o n i e s , avec ce t e m p é r a m e n t qu'il pouvait être s u r s i s à l e u r application par le capitaine g é n é r a l après délibération avec le préfet colonial et le g r a n d j u g e (Arrêtés 22 g e r m i n a l an IX, 6 prairial a n X, 13 pluviôse an XI). Une loi du 20 floréal an X (20 mai 1802) laissant a u g o u v e r n e ment un pouvoir discrétionnaire vis-à-vis des c o l o n i e s , y maintint l'esclavage et décida q u e « n o n o b s t a n t toutes lois antérieures le régime des colonies est soumis p e n d a n t dix ans aux r è g l e m e n t s q u i seront faits p a r le g o u v e r n e m e n t . » 1 1 . Ce r é g i m e resta celui de l ' E m p i r e , q u i d'ailleurs oublia les colonies, ou n e s'occupa d'elles q u ' a u point de vue statistique; aussi les d o c u m e n t s législatifs de cette époque sont-ils peu n o m b r e u x . Cependant q u e l q u e s a r r ê t é s du capi-


QUATRIÈME P É R I O D E .

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taine général D e c a e n , dans la R é u n i o n , font encore loi dans cette colonie. 1 2 . A l'exemple de l'Assemblée et du Gouvernement du Consulat et de l ' E m p i r e , la charte de 1814 (art. 73) dispose que les colonies seront régies par des lois et r è g l e m e n t s p a r ticuliers. En conséquence, u n e ordonnance du 12 décembre 1816 rétablit le régime antérieur à 1789 des g o u v e r n e u r s , des intendants, et des conseils s u p é r i e u r s . 13. Mais en 1825 le Gouvernement estima l u i - m ê m e que ce régime était s u r a n n é , peu en r a p p o r t avec le régime c o n s titutionnel institué p a r la Charte. D é j à , d ' a i l l e u r s , des g o u verneurs a r m é s de pouvoirs très larges avaient par arrêtés promulgué p l u s i e u r s des lois nouvelles : le Code civil aux Antilles (6 et 7 b r u m . an XIV), à la Guyane (1er vendém. an XIV), à la Réunion (23 oct. 1805) et d a n s l'Inde (6 janv. 1819), et le Code de procédure civile à la Réunion (20 juill. 1808) et d a n s l'Inde (6 j a n v . 1819). On se proposa donc de donner aux principales colonies une législation uniforme, autant q u e le permettaient leur situation, leur importance et les éléments de leur population. 1 4 . Les ordonnances organiques de 1828 et des a n n é e s suivantes font entrer les colonies dans une voie nouvelle qui forme comme une quatrième période j u s q u ' e n 1852. Ces ordonnances sont : pour l'organisation a d m i n i s t r a t i v e , du 9 février 1827 (Antilles), celles du 21 août 1825 (Bourbon), du 27 août 1828 (Guyane) et pour l'organisation judiciaire, celles du 30 septembre 1827 ( B o u r b o n ) , du 24 septembre 1828 (Antilles), du 21 décembre 1828 (Guyane), du 26 juillet 1833. C'est dans cette période q u e se place aussi la promulgation dans plusieurs colonies du Code pénal et des Codes d ' i n s t r u c tion criminelle et de procédure civile. D'autres ordonnances ont été aussi rendues sur des matières de d é t a i l ; contentieux administratif, e n r e g i s t r e m e n t , successions vacantes, h y p o thèques, exercice de la profession d'avocat, etc. Cependant la Charte de 1830 s u p p r i m a n t le mot « r è g l e -


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L I V R E III. O R G A N I S A T I O N D E S C O L O N I E S .

ment » q u i se trouvait d a n s la Charte de 1 8 1 4 , disposait q u e les colonies seraient r é g i e s p a r des lois p a r t i c u l i è r e s , et M. D u p i n a î n é , r a p p o r t e u r , c a r a c t é r i s a i t en ces t e r m e s l ' e s prit de cette modification : « Nous s o m m e s r e n t r é s dans la légalité en d i s a n t que les colonies seront r é g i e s p a r des lois particulières. » Mais cette disposition ne pouvait être a b s o l u e , car s o u mettre les colonies au r é g i m e législatif, m ê m e pour les intérêts les plus m i n i m e s , eût été abusif. C'est p o u r q u o i la loi du 24 avril 1833 i n t e r v i n t , et eut p o u r objet d ' a m é l i o r e r le r é g i m e législatif des colonies en r é s e r v a n t au l é g i s l a t e u r métropolitain certaines m a t i è r e s d é t e r m i n é e s (art. 2), et en plaçant les a u t r e s sous le r é g i m e d ' o r d o n n a n c e s royales (les conseils coloniaux ou l e u r s d é l é g u é s étant e n t e n d u s ) et do décrets r e n d u s p a r le conseil c o l o n i a l , s u r la proposition du g o u v e r n e u r , ou m ê m e p a r le g o u v e r n e u r s e u l . On donnait ainsi a u x colonies une c e r t a i n e a u t o n o m i e p a r la création de conseils coloniaux ayant pouvoir de légiférer. Mais il faut r e m a r q u e r q u e cette loi du 24 avril 1833 n e fut a p p l i q u é e q u ' a u x q u a t r e g r a n d e s colonies : la M a r t i n i q u e , la G u a d e l o u p e , l'île B o u r b o n , la G u y a n e . L e s a u t r e s colonies r e s t a i e n t placées comme p r é c é d e m m e n t sous le r é g i m e des o r d o n n a n c e s (art. 25). 1 5 . Il en r é s u l t e q u e la loi de 1833 i n a u g u r a i t u n e distinction des colonies en d e u x catégories : celle des grandes ou anciennes colonies et celle d e s petites ou nouvelles c o l o nies. C'est ce q u i nous e x p l i q u e encore q u e les colonies de la seconde catégorie ont été l'objet de p l u s i e u r s o r d o n n a n c e s , de 1833 à 1848 savoir : r e l a t i v e m e n t à l ' o r g a n i s a t i o n a d m i nistrative les o r d o n n a n c e s du 2 3 j u i l l e t 1 8 4 0 , p o u r les é t a blissements de l ' I n d e ; d e s 26 j u i l l e t 1 8 3 3 , 6 août 1835 et 28 s e p t e m b r e 1844, p o u r S a i n t - P i e r r e et M i q u e l o n ; 27 m a r s 1844 et 4 d é c e m b r e 1 8 4 7 , pour l'organisation j u d i c i a i r e d u S é n é g a l ; 30 s e p t e m b r e 1 8 4 3 s u r l'instruction p u b l i q u e d a n s les é t a b l i s s e m e n t s de l ' I n d e ; s u r le r é g i m e h y p o t h é c a i r e et


QUATRIÈME PÉRIODE.

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l'administration à S a i n t - P i e r r e et M i q u e l o n , 18 septembre 1844. 1 6 . Le régime des ordonnances appliqué aux petites colonies ou colonies nouvelles s'explique d'autant plus à cette époque que c'est sous le gouvernement de Juillet que se sont créées nos colonies des îles M a r q u i s e s , des îles de la Société, de Mayotte et Nossi-Bé, p o u r lesquelles diverses ordonnances ont dû être r e n d u e s (Dalloz, voy. Org. des colonies, n° 19). I c i , rentrant pour u n instant d a n s l'historique de notre mouvement colonial, nous croyons utile de faire connaître en quelles circonstances ces possessions nous ont été acquises. 1 7 . Les îles Marquises, comprises dans les établissements français de l'Océanie ont été occupées pour la France en 1842 par l'amiral D u p e t i t - T h o u a r , sans opposition de la part des habitants. Les îles de la Société appartenaient à la reine P o m a r é qui pour se soustraire aux difficultés suscitées à son g o u v e r n e ment par les résidents ou missionnaires anglais d e m a n d a , le 9 septembre 1842, le protectorat de la F r a n c e . Une convention passée avec l'amiral Dupetit-Thouars fut ratifiée par le gouvernement français en m a r s 1843. Des difficultés survenues à ce sujet avec l'Angleterre se lient à l'histoire politique civile et judiciaire de cette colonie s u r laquelle n o u s reviendrons plus loin. Mayotte, d a n s le canal Mozambique, fait p a r t i e de l'archipel des Comores. P r e s q u e ignorée des E u r o p é e n s elle é t a i t , en 1840, l'enjeu de p l u s i e u r s prétendants indigènes q u i s'en disputaient la souveraineté. L'un d'eux alors en possession du pouvoir la céda à la F r a n c e (23 avril 1841) moyennant une rente (5,000 fr.) et le droit de faire élever deux de ses enfants à la Réunion. La prise de possession, ratifiée par les Chambres le 10 février 1843, devint définitive le 13 j u i n . Nossi-Bé, bien plus Rapprochée de M a d a g a s c a r , lire de ce voisinage sa principale importance. Envahie par les SakaR. 5


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LIVRE III. ORGANISATION CIVILE DES C O L O N I E S .

loves i n d i g è n e s de M a d a g a s c a r c h a s s é s p a r les H o v a s , elle se voyait encore m e n a c é e de l e u r s i n c u r s i o n s . L a r e i n e de NossiBé p o u r s'y s o u s t r a i r e r é c l a m a le p r o t e c t o r a t de la F r a n c e . Par convention du 14 juillet 1 8 4 0 , elle n o u s céda t o u s ses droits de s o u v e r a i n e t é s u r le B o u e r i e , province de la côte Nord-Ouest de M a d a g a s c a r et s u r les îles q u i en d é p e n d e n t : Nossi-Bé, N o s s i - C u m b a , N o s s i - F a l y , Nossi-Mitzion, dont la prise de possession eut lieu p o u r n o u s le 5 mai 1 8 4 1 . D i v e r s e s ordonn a n c e s furent r e n d u e s s u r ces possessions n o u v e l l e s . 1 8 . Nous a r r i v o n s à 1 8 4 8 . Un des p r e m i e r s actes du gouv e r n e m e n t provisoire fut l'abolition de l ' e s c l a v a g e , vainement tentée a p r è s 1790 d a n s q u e l q u e s colonies. Si louable qu'elle fût au point de v u e de l ' h u m a n i t é , cette m e s u r e devait avoir de g r a v e s c o n s é q u e n c e s . T o u t d'abord elle d é t e r m i n a la suppression des conseils c o l o n i a u x . On ne pouvait y a d m e t t r e les esclaves affranchis qui y a u r a i e n t a c q u i s u n e p r é p o n d é r a n c e d a n g e r e u s e , ni les en é c a r t e r ce q u i leur e û t d o n n é des motifs de résistance et d'opposition. E n c o m p e n s a t i o n on donne aux colonies, avec le suffrage u n i v e r s e l , le droit d'avoir des r e p r é s e n t a n t s au P a r l e m e n t . L a concession de d r o i t s p o l i t i q u e s aux n è g r e s à peine sortis de l'esclavage était u n a u t r e écueil. Il fallut divers décrets p o u r o r g a n i s e r le t r a v a i l , l ' i n s t r u c t i o n , les caisses d ' é p a r g n e , p o u r r é p r i m e r la m e n d i c i t é , le vagabond a g e , frapper d ' u n impôt les s p i r i t u e u x , r é g l e m e n t e r l'expropriation forcée, la saisie i m m o b i l i è r e , c r é e r des é t a b l i s s e m e n t s de crédit. L a constitution du 4 n o v e m b r e 1 8 4 8 ( a r t . 109) déclarait en outre territoires français les c o l o n i e s , qui j u s q u ' a l o r s a v a i e n t été considérées c o m m e a p p a r t e n a n t au d o m a i n e royal, ce qui entraînait pour le souverain le d r o i t de les a l i é n e r . 19. U n e cinquième période s'ouvre de 1852 à 1 8 7 0 . La Constitution du 14 j a n v i e r 1852 institua, en effet, u n r é g i m e n o u v e a u p o u r les c o l o n i e s . D ' a b o r d elle leur enleva leur r e p r é s e n t a t i o n au P a r l e m e n t , considérée c o m m e p r é m a t u r é e , et déclara (art. 27) q u e l e u r Constitution serait d é t e r m i n é e


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par un s é n a t u s - c o n s u l t e . Eu a t t e n d a n t , p l u s i e u r s décrets furent r e n d u s pour l'application de diverses lois aux colonies (Décr. des 27 janv. L852, 15 j a n v . , 19 m a r s , 27 avr. 1853 ; pour l'organisation de la justice à Mayotte, Nossi-Bé, S a i n t e Marie ( 3 0 janv. 1852 ) ; le r é g i m e commercial du Sénégal (8 févr. 1 8 5 2 ) ; l'immigration des travailleurs libres (13 févr., 27 mars 1852) ; le régime de la presse (20 févr., 30 avr. 1842); la répression des délits d ' a t t r o u p e m e n t s (5 m a r s 1 8 5 2 ) ; les livrets d'ouvriers (4 sept. 1 8 5 2 ) ; l'assistance j u d i c i a i r e à la Martinique, la G u a d e l o u p e , la Réunion (16 j a n v . 1 8 5 4 ) . 20. Le s é n a t u s - c o n s u l t e promis par la Constitution du 14 janvier 1852 fut rendu le 3 mai 1854. Il donna u n e constitution à la M a r t i n i q u e , à la G u a d e l o u p e , à la R é u n i o n . Les autres colonies, p a r m i lesquelles désormais se trouvait la Guyane, restaient soumises au simple régime de décrets r e n d u s par l ' E m p e r e u r . C'était maintenir la division signalée plus haut, des colonies en deux catégories, g r a n d e s et petites, division i n a u g u r é e en 1 8 3 3 . Toutefois ce sont des s é n a t u s - c o n sultes qui ont étendu à toutes les colonies les lois de la m é tropole s u r certaines m a t i è r e s (Exp. pour utilité p u b l i q u e , S.-C. 3 mai 1 8 5 6 ; transcription, 7 juill. 1 8 5 6 ; Code de j u s t i c e militaire, 4 j u i n 1 8 5 8 ; désaveu de p a t e r n i t é en cas de s é p a r a tion de corps, 7 m a r s 1883, e t c . ) . 2 1 . Cette distinction entre les g r a n d e s et les petites colonies s'explique par p l u s i e u r s considérations : la population principale des g r a n d e s colonies a u n e origine e u r o p é e n n e , tandis que chez les a u t r e s l'élément indigène tient une plus large p l a c e ; les unes sont p l u s anciennes et peuvent être c o n sidérées comme des colonies f a i t e s ; chez d ' a u t r e s , la colonisation est encore à faire, etc. Mais on comprend combien la distinction r i s q u e d'être a r b i t r a i r e , aussi la législation q u i la consacre a déjà reçu et recevra plus d'une dérogation. 22. Le caractère général de la législation du second E m pire consiste dans l'émancipation des colonies, et leur assimilation progressive à la m é t r o p o l e .


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LIVRE III. ORGANISATION CIVILE DES COLONIES.

La loi du 3 j u i l l e t 1861 d é t r u i t les v e s t i g e s de l'ancien pacte colonial q u i s u b o r d o n n a i t si é t r o i t e m e n t les i n t é r ê t s des colonies à celui d e la m é t r o p o l e . On e s p é r a i t q u e s o u s l'influence de la l i b e r t é c o m m e r c i a l e on v e r r a i t se r é t a b l i r la f o r t u n e des colonies d i m i n u é e p a r l ' é m a n c i p a t i o n des esclaves, et la c o n c u r r e n c e du s u c r e i n d i g è n e . L e s colonies a v a i e n t u s é avec m o d é r a t i o n des d r o i t s q u e l e u r accordait le s é n a t u s - c o n s u l t e d e 1 8 5 4 . Il s e m b l a i t j u s t e de les a p p e l e r à p r e n d r e u n e p a r t p l u s g r a n d e à la discussion de l e u r s p r o p r e s i n t é r ê t s . On a p e n s é a u s s i q u ' e n les laissant m a î t r e s s e s des tarifs de d o u a n e s a p p l i c a b l e s aux p r o d u i t s é t r a n g e r s , elles p o u r r a i e n t t r o u v e r des c o m b i n a i s o n s p r o p r e s à a u g m e n t e r l e u r s r e s s o u r c e s s a n s a p p o r t e r des e n t r a v e s à leur consommation. 23. En c o n s é q u e n c e , u n s é n a t u s - c o n s u l t e d u 4 j u i l l e t 1866 a a u g m e n t é l a r g e m e n t les a t t r i b u t i o n s de l e u r s c o n s e i l s g é n é r a u x et en a fait u n e s o r t e de l é g i s l a t u r e locale. Il l e u r donne le p o u v o i r de voter, s o u s la d é n o m i n a t i o n d'octroi de mer, des tarifs de d o u a n e s u r les p r o d u i t s é t r a n g e r s , s a u f l ' a p p r o b a tion de l ' a u t o r i t é s u p é r i e u r e . E n f i n , il fait u n e nouvelle r é p a r t i t i o n des d é p e n s e s d e s c o l o n i e s , en m e t t a n t les p r i n c i p a l e s d ' e n t r e elles à la c h a r g e de la m é t r o p o l e . E n e x é c u t i o n de l'article 3 du s é n a t u s - c o n s u l t e du 4 j u i l l e t 1 8 6 6 , un décret du 4 août s u i v a n t d é t e r m i n e le m o d e d ' a p p r o b a t i o n d e s d é l i b é r a t i o n s p r i s e s p a r les c o n s e i l s g é n é r a u x . D a n s les colonies q u i s o n t r e s t é e s p l a c é e s s o u s le r é g i m e d e s d é c r e t s i m p é r i a u x , d e s p r o g r è s a n a l o g u e s ont été r é a l i s é s . L e second E m p i r e se p r é o c c u p e a u s s i d ' a m é l i o r e r la l é g i s lation coloniale s u r divers p o i n t s , n o t a m m e n t s u r l ' é m i g r a t i o n ( D é c r . d e s 13 f é v r . , 27 m a r s 1 8 5 2 , 10 a o û t 1 8 6 1 ) ; s u r les s u c c e s s i o n s v a c a n t e s ( D é c r . 2 7 j a n v . 1 8 5 5 ) ; s u r le r é g i m e h y p o t h é c a i r e ( D é c r . 7 j u i l l . 1 8 5 6 ) ; s u r le service financier (Décr. 31 mai 1 8 6 2 ) . 24. E n f i n , d a n s la m ê m e p é r i o d e , la F r a n c e s'est e n r i c h i e dos colonies s u i v a n t e s : la N o u v e l l e - C a l é d o n i e , d a n s l ' O c é a n i e ,


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dont la prise de possession eut lieu sans résistance des n a t u rels; la Cochinchine, conquise en 1858-1859 d o n t , plus loin, nous étudierons le développement. 2 5 . Une sixième période s'étend de 1870 à 1893. D e p u i s 1870, le mouvement d'assimilation des colonies à la métropole s'est progressivement a c c e n t u é . Nous nous bornons ici à en signaler, en ce s e n s , les dispositions législatives les p l u s caractéristiques. P r e s q u e toutes les colonies ont un conseil général pour gérer leurs affaires locales. La loi municipale du 5 avril 1884 a été appliquée à la moitié d'entre elles. Le Gode pénal métropolitain a remplacé presque partout les dispositions particulières q u i les régissaient en matière c r i m i nelle. Les g o u v e r n e u r s ont vu restreindre les pouvoirs qui leur étaient conférés s u r les colons et les fonctionnaires par les ordonnances organiques de 1825 et des a n n é e s suivantes. La législation métropolitaine sur la presse est a p p l i q u é e à la presse coloniale. 2 6 . Il y a lieu de r e m a r q u e r q u e , j u s q u ' e n 1880, c'est le gouvernement q u i , par des d é c r e t s , étend a u x colonies le bénéfice des lois métropolitaines a n t é r i e u r e s . Depuis 1880, le législateur prend s o i n , par des articles spéciaux insérés dans les lois civiles, commerciales ou pénales qu'il r e n d , de les déclarer exécutoires dans les colonies. Dans les cas où il n'a statué q u e pour les g r a n d e s c o l o n i e s , des décrets ont étendu les lois nouvelles aux petites colonies, toutes les fois qu'elles ont p a r u susceptibles de leur être a p p l i q u é e s (Voy. F u z i e r - H e r m a n , v° Colonie, n 42 et 43). On conçoit que des dispositions spéciales continuent à régir nos établissements coloniaux, à raison des éléments complexes de leur population, de leur é l o i g n e m e n t , de leur climat et de leurs m œ u r s . L'assimilation à la métropole se h e u r t e r a toujours à des différences irréductibles. On ne p e u t uniformiser les b e soins de tant de territoires dissemblables. D'ailleurs, la variété de leurs aptitudes est u n élément m ê m e de richesse pour notre domaine colonial. o s


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LIVRE III. ORGANISATION CIVILE DES C O L O N I E S .

CHAPITRE II. RÉGIME LÉGISLATIF DES COLONIES.

2 7 . Questions relatives au régime législatif des colonies. 2 8 . 1° Q u e l e s t le p o u v o i r c o m p é t e n t p o u r é d i c t e r d e s d i s p o s i t i o n s l é g i s latives applicables a u x colonies. — P o u v o i r législatif d a n s l'ancien droit. 29. P o u v o i r législatif de l ' A s s e m b l é e n a t i o n a l e , des a s s e m b l é e s coloniales et d e s g o u v e r n e u r s a p r è s 1 7 8 9 . — P o u v o i r l é g i s l a t i f v i s - à - v i s d e s colonies j u s q u ' e n 1833. 3 0 . L o i d u 2 4 a v r i l 1 8 3 3 . — P o u v o i r s d u P a r l e m e n t , d u roi et d e s c o n seils coloniaux. 3 1 . R é g i m e t r a n s i t o i r e en 1 8 4 8 . 3 2 . S é n a t u s - c o n s u l t e du 3 mai 1834. — P o u v o i r s législatifs du S é n a t , du C o r p s l é g i s l a t i f et d e l ' E m p e r e u r . 3 3 . R é g i m e actuel. — S o u v e r a i n e t é du P a r l e m e n t d e p u i s 1870. 3 4 . M a t i è r e s p o u r l e s q u e l l e s s u b s i s t e le d é c r e t d e 1 8 5 4 . 3 5 . 2° C o m m e n t la loi m é t r o p o l i t a i n e d e v i e n t - e l l e a p p l i c a b l e a u x c o l o n i e s ? — Ancien régime. 30. Constitutions postérieures à 1789. 3 7 . 3° C o m m e n t la p r o m u l g a t i o n d o i t - e l l e ê t r e faite. — A n c i e n r é g i m e : t r a n s c r i p t i o n s u r les r e g i s t r e s d e s c o n s e i l s s o u v e r a i n s . 3 8 . A p r è s 1789 p r o m u l g a t i o n p a r l e s a u t o r i t é s l o c a l e s . 3 9 . D é c r e t d u 15 j a n v i e r 1 8 3 3 . — P r o m u l g a t i o n p a r i n s e r t i o n s d a n s l e Journal officiel local e t , à d é f a u t , p a r le g o u v e r n e u r , s u i v a n t d e s délais de distance. 4 0 . C i r c o n s t a n c e s e x c e p t i o n n e l l e s . — P u b l i c a t i o n p a r affiches o u à s o n d e trompe. 4 1 . A p p r é c i a t i o n p a r l ' a u t o r i t é l o c a l e d e l ' o p p o r t u n i t é d e la p u b l i c a t i o n i n t é g r a l e et m ê m e d ' u n e n o u v e l l e p u b l i c a t i o n d e s a c t e s d é j à p u b l i é s en F r a n c e . 4 2 . R è g l e s s p é c i a l e s p o u r c e r t a i n e s c o l o n i e s . —- D é c r e t s d e 1874 et 1 8 8 3 c o n c e r n a n t la N o u v e l l e - C a l é d o n i e et la C o c h i n c h i n e . 4 3 . D é c r e t d u 27 m a r s 1823 c o n c e r n a n t la T u n i s i e . 4 4 . P r o m u l g a t i o n en A l g é r i e . — O r d o n n a n c e s d e s 1 s e p t e m b r e 1 8 3 4 , 16 a v r i l 1 8 4 5 , et a r r ê t é s d e s 14 j a n v i e r 1 8 6 1 et 27 d é c e m b r e 1 8 7 6 . e r


R É G I M E L É G I S L A T I F DES C O L O N I E S .

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45. Distinction e n t r e la p r o m u l g a t i o n et la p u b l i c a t i o n . — E x e m p l e t i r é d e la loi du 23 juillet 1873 s u r l a p r o p r i é t é en A l g é r i e . 46. 4° Quelle est la situation au point de v u e législatif d e s colonies t o m bées momentanément sous une domination étrangère ? — Principes et j u r i s p r u d e n c e . 47. 5° Lois a p p l i c a b l e s a u x colonies en voie de formation.

2 7 . L'étude du régime législatif des colonies comporte l'examen des questions suivantes : 1° à qui appartient le pouvoir législatif vis-à-vis des colonies? 2° comment la loi métropolitaine y d e v i e n t - e l l e applicable? .3° par qui et de quelle manière doivent être faites aux colonies la p r o m u l g a tion et la publication des lois, décrets ou r è g l e m e n t s ? 4° quelle est la situation des colonies tombées m o m e n t a n é m e n t sous une domination étrangère? 5° quelles lois sont applicables aux colonies en voie de formation? 2 8 . Sous l'ancien régime, le pouvoir législatif appartenait au roi dans les colonies comme en F r a n c e . Pendant la période des compagnies privilégiées, la législation coloniale se compose : 1° des ordonnances, lettres p a tentes, édits du roi; 2° des déclarations des directeurs des compagnies; 3° des édits du gouvernement g é n é r a l ; 4° des arrêts de règlement des conseils s u p é r i e u r s qui visaient surtout l'organisation intérieure de chaque colonie (Vide sup., liv. III, n° 6 ) . Après la suppression des compagnies, les règlements émis par leurs directeurs restèrent momentanément en vigueur (Édit de déc. 1674 s u r la suppression de la comp. des Indes occidentales. Le gouverneur général et les conseils souverains conservèrent leurs attributions r é g l e m e n t a i r e s , mais elles se trouvèrent amoindries par l'extension des p o u v o i r s , des intendants (Vid sup., liv. I I I , n 5 et 7 et c i - a p r è s , liv. 1

o s

1

Nous n o u s b o r n o n s à e x p o s e r les p r i n c i p e s en cette m a t i è r e ; p o u r l e s ducuments d i v e r s et les d é c i s i o n s d e j u r i s p r u d e n c e , V. F u z i e r - H e r m a n , Rép., v ° Colonie, n 36 et suiv. Voyez a u s s i D a l l o z , Org. des colonies, n ° 3 1 , 32 et s. o s

s


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LIVRE III. ORGANISATION CIVILE DES COLONIES.

IV, n° 6), on s'explique les conflits d'attributions qui s'élevèrent entre les gouverneurs généraux, les conseils souverains et les intendants (V. sup., liv. II, n° 11 et liv. III, n° 7). D'après les édits du 24 mars 1763, et 1 févr. 1766 pour les Antilles et 26 sept. 1766 pour les îles de France et de Bourbon, le gouverneur général devait avoir le dernier mot, mais l'intendant ou le conseil supérieur avaient le droit de faire parvenir au Roi leurs observations (V. Fuzier-Herman, n° 49). 2 9 . Après 1789, le pouvoir législatif, d'abord concentré aux mains de l'Assemblée nationale, fut ensuite délégué par elles pour certaines matières aux assemblées coloniales qui avaient été créées, on s'en souvient, par l'initiative de Turgot et de Necker, et qui désormais devenaient complètement électives (V. sup., liv. II, n° 42). En fait, elles abusèrent de leurs pouvoirs réglementaires. Les commissaires civils envoyés aux colonies à partir de 1792 (Décr. 22 mars et 15 juin 1792. V. sup., liv. III, n° 8), et après eux les agents du Directoire, eurent la faculté de suspendre les arrêtés des assemblées coloniales qu'ils jugeaient excessifs, sauf recours au pouvoir législatif métropolitain. Sous le gouvernement consulaire et le gouvernement impérial, le pouvoir législatif fut exercé vis-à-vis des colonies par le chef de l'État, mais la plupart des règlements émanèrent dans chaque colonie du capitaine général (V. sup., liv. III, n° 11). Après 1814 bien que le droit de légiférer continuât à appartenir au chef de l'État, les gouverneurs exercèrent un pouvoir qui bientôt fut reconnu exorbitant (V. le rapport qui précède l'ordonnance du 21 août 1825, Moniteur du 25 août), aussi les ordonnances organiques dont nous avons déjà parlé (V. sup., liv. III, n° 14), rendues en 1825, 1827, 1828, enlevèrent aux gouverneurs le droit de faire des règlements si ce n'est en matière de police et d'administration. Le pouvoir législatif appartint aux Chambres et au Roi. Il fut plus explicitement organisé par la loi du 24 avril 1833. er


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C O L O N I E S .

3 0 . Désormais les C h a m b r e s étaient a p p e l é e s à faire : 1° les lois s u r l'exercice des droits p o l i t i q u e s ; 2° les lois civiles et criminelles concernant les h o m m e s l i b r e s ; 3° les lois pénales d é t e r m i n a n t les cas de peine capitale c o n t r e les personnes non l i b r e s ; 4° les lois s u r les p o u v o i r s spéciaux des gouverneurs en matière de h a u t e police et d e s û r e t é g é n é r a l e ; 5° les lois s u r l'organisation de la j u s t i c e ; 6° les lois sur le c o m m e r c e , les d o u a n e s , la répression de la traite des n o i r s , les relations e n t r e la métropole et les colonies (art. 2. Pour le t e x t e , V. Dalloz, v° Org. des col., p . 1094). En second lieu, il devait être s t a t u é par ordonnances royales (les conseils coloniaux ou leurs d é l é g u é s é t a n t p r é a l a b l e m e n t entendus) s u r l'organisation a d m i n i s t r a t i v e , excepté le r é gime m u n i c i p a l ; — s u r la police de la p r e s s e ; — l ' i n s t r u c tion p u b l i q u e ; — le service des m i l i c e s ; — s u r les r e c e n s e m e n t s , les a f f r a n c h i s s e m e n t s ; — l'amélioration du sort des esclaves; — les peines non capitales qui l e u r étaient a p p l i q u é e s ; — l'acceptation des dons et legs a u x é t a b l i s s e m e n t s publics ( a r t . 3). En troisième lieu, des décrets pouvaient ê t r e r e n d u s par le conseil colonial (que la môme loi dans son litre II s u b s t i t u a i t au conseil g é n é r a l , V. sup., liv. III, n° 1 4 ) , s u r les matières q u e les articles 213 de la loi de 1833 n ' a v a i e n t pas réservées aux lois de l ' É t a t , et aux o r d o n n a n c e s . Ce r é g i m e législatif ne s'appliquait q u ' a u x g r a n d e s colonies. Celui des o r d o n n a n c e s royales subsistait pour les a u t r e s . 3 1 . Les commissaires g é n é r a u x s u b s t i t u é s aux g o u v e r n e u r s en 1848 r e ç u r e n t l e u r s a t t r i b u t i o n s et en o u t r e la faculté de statuer s u r les m a t i è r e s réservées a u x conseils colon i a u x , désormais s u p p r i m é s (Décr. 27 avril 1848). D ' a u t r e p a r t , c o m m e n o u s l'avons d i t , les colonies étaient a d m i s e s à se faire r e p r é s e n t e r p a r des d é p u t é s au P a r l e m e n t . 3 2 . S o u s le second E m p i r e , le sénatus-consulte du 3 mai 1854 forme la base du r é g i m e législatif des Antilles et de la Réunion (Pour le t e x t e , V. D a l l o z , n° 6 3 ) . L e pouvoir de lé5*


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LIVRE III. ORGANISATION CIVILE DES COLONIES.

giférer se partage désormais entre le Sénat, le Corps législatif, et l'Empereur. Le Sénat a le pouvoir de statuer seul sur : 1° l'exercice des droits politiques, 2° l'état civil des p e r s o n n e s , 3° les droits de propriété, 4° les contrats et les obligations en génér a l , 5° les transmissions de propriété par successions, donations, testaments, contrats de m a r i a g e , v e n t e , é c h a n g e , prescriptions, 6° l'institution du jury, 7° la législation criminelle, 8° le recrutement des armées de terre et de mer (art. 3). Le Corps législatif vote les lois, se référant au régime commercial. L'Empereur statue soit par simples décrets, soit par décrets rendus en la forme des règlements d'administration publique. Il en devait être ainsi dans les matières suivantes : 1° civile, criminelle, et de simple police (sauf les attributions réservées au Sénat par l'art. 3 ) , 2° l'organisation judiciaire, 3° l'exercice des cultes, 4° l'instruction p u b l i q u e , 5° le mode de r e crutement, 6 la presse, 7° les pouvoirs extraordinaires à conférer aux gouverneurs, 8° l'administration m u n i c i p a l e , sauf les cas réservés au Sénat, 9° le domaine p u b l i c , 10° le régime monétaire, le taux de l'intérêt, les établissements de crédit, 11° les pouvoirs administratifs, 12° le notariat, 13° l'administration des successions vacantes. Par simples décrets, l'Empereur statue sur : 1° les milices locales, 2° la police municipale, 3° la grande et la petite voirie, 4° la police des poids et m e s u r e s , 5° et toutes autres matières qui ne sont attribuées ni au Sénat, ni au Corps législatif, ni soumises à des décrets rendus en Conseil d'État. Les petites ou nouvelles colonies restaient soumises au régime des décrets simples et des arrêtés des gouverneurs. 33. Depuis 1870, le sénatus-consulte de 1854 a perdu son caractère constitutionnel. Le Parlement est souverain a u j o u r d'hui pour légiférer sur toutes les matières intéressant les colonies. Cependant le régime des décrets subsiste sur tous 0


RÉGIME LÉGISLATIF DES COLONIES.

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les points q u ' i l s ont r é g l é s , tant q u ' u n e loi n'intervient p a s , pour les r é g l e r à n o u v e a u , en abrogeant les dispositions en vigueur. Ainsi le s é n a t u s - c o n s u l t e de 1 8 5 4 , p e r m e t t a i t de modifier l'organisation judiciaire des g r a n d e s c o l o n i e s , par décret rendu en Conseil d'État (art. 6). Or, la loi des 15-16 juin 1 8 9 0 , ayant reconstitué l'organisation j u d i c i a i r e , il ne peut plus y être a p p o r t é do modifications à l'avenir que par une loi nouvelle. Par application du m ê m e p r i n c i p e , le P a r l e m e n t a pu d é posséder les conseils g é n é r a u x des pouvoirs q u e le s é n a t u s consulte du 4 juillet 1866 l e u r avait attribué de s t a t u e r sur le commerce extérieur. Nous verrons p l u s loin, à cet é g a r d , la loi du 11 janvier 1 8 9 2 , r e n d u e s u r le tarif douanier. 3 4 . Mais les matières q u i , a u x termes du s é n a t u s - c o n sulte du 3 mai 1854 peuvent être réglées par des décrets rendus en Conseil d ' E t a t , ou m ê m e p a r de simples d é c r e t s , restent soumises à ce régime tant q u e le P a r l e m e n t ne se les est pas a p p r o p r i é e s p a r u n e loi. Donc les matières q u e le sénatus-consulte de 1854 attribuait au pouvoir législatif ne pouvaient lui être soustraites p o u r être réglées p a r de simples décrets. Telles seraient par exemple les modifications a p p o r t é e s à des lois criminelles, d a n s les grandes colonies. Ainsi la substitution du Code pénal m é t r o politain au Gode pénal colonial dans les g r a n d e s colonies n'a pu être édictée que p a r u n e loi (L. du 8 janvier 1877), tandis qu'un décret a suffi p o u r les petites. De m ê m e , les matières s i m p l e m e n t correctionnelles ou de simple police n ' a y a n t pas été attribuées au pouvoir législatif par le s é n a t u s - c o n s u l t e de 1 8 5 4 , peuvent encore être réglées par de s i m p l e s décrets d a n s toutes les colonies. Enfin, lorsque le domaine colonial comprend u n e contrée nouvelle, le c o m m a n d a n t militaire est considéré comme exerçant le pouvoir exécutif et législatif, et ses décisions ont la même valeur q u e les simples décrets ou les a r r ê t é s des gouv e r n e u r s q u i régissent les petites colonies.


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LIVRE III. ORGANISATION CIVILE DES COLONIES.

3 5 . Une seconde question est celle de savoir comment les lois métropolitaines sont rendues applicables aux colonies. Avant 1 7 8 9 , les colonies furent d'abord soumises aux lois et ordonnances du royaume à dater du moment où le roi y établissait des tribunaux ( M e r l i n , Répertoire, v° Colonies, § 1 , n° 4). En matière civile, les juges devaient suivre la coutume de P a r i s . Plus t a r d , il fut défendu aux tribunaux des colonies d ' a p pliquer les lois métropolitaines tant que les conseils supérieurs n'auraient pas reçu l'ordre de les enregistrer (Ord. de 176G et 1771 concernant l'île Bourbon et l'Ile de France). 3 0 . Après 1789 la Constituante considérant qu'on ne peut assujettir les colonies à des lois qui pouvaient être incompatibles avec leurs convenances locales et particulières décréta que chaque colonie serait autorisée à faire connaître son vœu sur la Constitution, la législation et l'administration qui conviennent à sa prospérité (Décr. du 8 mars 1790). Toutes les constitutions postérieures ont proclamé ce p r i n cipe que les colonies ne peuvent être régies par les lois, ordonnances et règlements de la métropole en vertu des seuls arrêtés des gouverneurs sans que le droit de les promulguer leur ait été conféré. A i n s i , si les Godes ont été r e n d u s exécutoires dans les colonies, sous le premier empire, c'est qu'il y a été pourvu par les capitaines généraux qui, ainsi que nous l'avons vu, avaient alors le pouvoir législatif. Le même principe a été consacré implicitement par la Constitution de 1 8 7 5 , et n o u s avons vu plus h a u t (liv. I I I , n° 26) que c'est le gouvernement qui étend par des décrets l'application des lois métropolitaines aux colonies, et que depuis 1880, lorsque le Parlement estime qu'il y a lieu de rendre des lois générales applicables aux colonies, il a soin de leur en étendre le bénéfice par u n e déclaration expresse. Ainsi les lois métropolitaines ne peuvent être de plein droit applicables aux colonies.


R É G I M E L É G I S L A T I F DES C O L O N I E S .

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3 7 . Comment la promulgation doit-elle être faite ? On sait q u ' e n France sous l'ancien régime l ' e n r e g i s t r e m e n t , c'est-à-dire la transcription des lois et ordonnances s u r les registres du P a r l e m e n t , tenait lieu de p r o m u l g a t i o n , et nous avons vu q u ' a u x colonies l'enregistrement s'opérait s u r les registres des conseils s u p é r i e u r s . Pour les colonies q u i n'avaient pas de conseil s u p é r i e u r il suffisait que l'enregistrement eût été fait dans la m é t r o p o l e , généralement au P a r l e m e n t de P a r i s . 3 8 . Après 1789, l'enregistrement devint u n simple moyen de publication. Les autorités locales des colonies, furent chargées de la promulgation (Décr. 5 nov. 1789). Cette règle a été m a i n t e n u e , nonobstant l'application du Code civil, p a r les ordonnances o r g a n i q u e s des 21 août 1825 (art. 63) et 9 février 1827 (art. 6 6 ) . 3 9 . Actuellement depuis le décret du 15 j a n v i e r 1853 (D. 53. 4. 9 8 ) , la promulgation a lieu par l'insertion de l'acte législatif dans le Journal officiel local. L à où il n ' e n existe p a s , elle se fait de la façon que détermine le g o u v e r n e u r (art. 3). Les actes p r o m u l g u é s sont obligatoires dans le chef-lieu de la colonie le j o u r m ê m e de l'insertion au Journal officiel; partout ailleurs dans les délais déterminés p a r un a r r ê t é du gouverneur proportionnellement aux distances ( m ê m e Décr., art. 3 , et D é c r . 14 j a n v . 1865). 4 0 . Dans les circonstances exceptionnelles si l'autorité locale juge nécessaire de hâter la mise à exécution des actes législatifs en les faisant parvenir par voie accélérée d a n s les localités, ces actes y sont exécutés le lendemain du j o u r où ils auront été publiés à son de trompe ou par affiches (Décr. 11 j a n v . 1 8 6 5 , art. 2). 4 1 . E n f i n , la publication intégrale des textes législatifs déjà publiés en F r a n c e n'est pas indispensable. L ' a r r ê t é de promulgation portant q u e le texte obligatoire sera celui q u i résulte de telle loi sera suffisant. C'est à l'autorité locale chargée de la promulgation qu'il appartient d e décider si les


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L I V R E I I I . ORGANISATION CIVILE D E S C O L O N I E S .

actes, déjà publiés en F r a n c e , doivent être l'objet, dans la colonie, d'une nouvelle publication (V. H u c , Commentaire théorique et pratique du code civil. P a r i s , P i c h a r d , éditeur, 1892, t. I , p . 53). 4 2 . Ces règles sont applicables à toutes les colonies, sauf à tenir compte des dispositions relatives à une colonie d é t e r minée et qui peuvent être différentes. Ainsi pour la nouvelle Calédonie le décret du 12 déc. 1874 (art. 72, § 1 ) , décide que la promulgation par le gouverneur résulte de l'inscription dans la feuille officielle, et que les actes législatifs sont exécutoires au chef-lieu le lendemain de cette insertion. Il en est de même pour la Cochinchine (Déc. 3 oct. 1883, art. 4, Conf. Déc. 14 janv. 1865). Quelquefois une loi nouvelle contiendra elle-même une règle spéciale pour sa propre exécution; ainsi la loi du 27 mars 1883, relative à l'organisation de la justice en Tunisie porte (art. 19) qu'elle sera exécutoire dans les trois jours après son insertion dans le Journal officiel du gouvernement de T u n i s (IIuc, p . 54). 4 4 . En ce qui concerne l'Algérie le fait seul de la conquête a eu pour résultat d'y rendre le Gode civil exécutoire sans promulgation spéciale. Il en est de même de toutes les lois françaises antérieures à l'ordonnance du 1 septembre 1834 qui a réglé pour l'avenir le mode de publication des lois en Algérie. A partir de cette d a t e , les lois métropolitaines n'ont pu devenir exécutoires en Algérie q u ' e n vertu d'une promulgation spéciale. Il en est autrement des lois qui ont eu seulement pour but de modifier d'autres lois en v i g u e u r a n t é r i e u r e m e n t . Elles n'ont pas besoin pour être exécutoires d'une p r o m u l g a tion spéciale. Donc toute modification législative du Gode civil est de plein droit exécutoire en Algérie sans q u ' u n e p r o mulgation spéciale soit nécessaire. La Cour de cassation en a toujours ainsi décidé (pour les arrêts voir H u c , n° 43). L'ordonnance précitée, du 1 septembre 1834, a été depuis e r

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RÉGIME LÉGISLATIF DES COLONIES.

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longtemps confirmée par une ordonnance du 16 avril 1844 et par les arrêtés des 14 janvier 1861 et 27 décembre 1876. Il en résulte que les actes législatifs (lois, d é c r e t s , arrêtés) ne deviennent exécutoires en Algérie que par la publication qui en est faite au Bulletin officiel des actes du gouvernement (Huc, loc cit.). 4 5 . On sait qu'il existe entre la promulgation et la p u b l i cation des lois une différence profonde qui empêche de les confondre. La promulgation atteste officiellement l'existence d'un texte législatif avec ordre de le faire exécuter. La p u b l i cation, au contraire, a pour objet la détermination du m o ment précis où la loi est réputée connue de tous et par conséquent obligatoire. Cette distinction trouve son application en Algérie, ainsi la loi du 26 juillet 1873, relative à l'établissement et à la conservation de la propriété en A l g é r i e , offre l'exemple d'un cas où la publication se détache nettement de la promulgation. L'article 31 de cette loi déclare en effet qu'elle ne sera provisoirement appliquée qu'à la région d u Tell algérien, et q u e , en dehors du Tell des décrets spéciaux détermineront successivement les territoires où elle deviendra exécutoire (Huc, n° 43). 4 6 . Quelle est la situation au point de vue législatif des colonies tombées momentanément sous une domination é t r a n gère? On comprend que cette importante question se soit posée vis-à-vis de nos colonies qui après les vicissitudes p o l i tiques que nous avons exposées (V. sup., liv. II) ont été r e s tituées à la France en suite du traité de Paris de 1814. La question s'est élevée non seulement à l'égard des actes législatifs mais des décisions de justice émanant de la p u i s sance étrangère pendant sa domination temporaire. Il est hors de doute q u e l'occupation de fait par l'étranger n'a opéré a u c u n changement de nationalité pour les h a b i tants; ils restent les sujets de la puissance momentanément exclue. Il a été jugé aussi que les colonies pendant l'occupation de fait ont conservé en principe la loi française. Cepen-


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LIVRE III. ORGANISATION CIVILE DES C O L O N I E S .

dant le retour en possession de la métropole n'efface pas d'une manière absolue les actes d'autorité et de justice résultant de la domination étrangère (V. Dalloz, v° Lois, n 108 et suiv.). Il a été jugé que les lois et règlements promulgués par l'occupant étranger sont valables s'ils ne portent pas atteinte à des droits antérieurement acquis et s'ils sont justifiés par un intérêt général de sécurité et de justice. Il en est de môme des décisions judiciaires rendues dans l'intérêt privé des particuliers (V. les nombreux arrêts à l'appui, Dalloz, v° Org. des colonies, n 3 1 , 32, 34, 35, 42 et Fuzier-Herman, v° Colonie, n 127 et suiv.). Ces décisions seraient encore applicables si, en cas de guerre, une colonie française tombait momentanément au pouvoir de l'ennemi. 47. 5° Quelles sont les lois applicables aux colonies en voie de formation? Nous avons vu que lorsqu'une contrée nouvelle s'ajoute au domaine colonial, le commandant de la force armée est considéré comme investi de tous les pouvoirs et par conséquent du pouvoir législatif et réglementaire. Mais à défaut d'arrêtés fixés par les chefs des troupes d'occupation, et à défaut de lois spéciales concernant ces possessions nouvelles, lorsque plus tard des tribunaux sont institués quelles lois doivent-ils a p p l i q u e r ? Il a été jugé que les indigènes conservent leur législation civile tant qu'elle n'a pas été abrogée par le nouveau souverain (Cass., 10 mars 1841, S. 4 1 . i. 505). La Cour de cassation a décidé en outre que les lois françaises destinées à protéger nos nationaux dans leur personne et leurs propriétés sont devenues obligatoires par le seul fait de la conquête et de l'occupation, dans la mesure où les circonstances le permettent, sans qu'on puisse opposer le défaut de promulgation locale (Cass., 17 nov. 1875, S. 66. 1. 267 et D. 66. 1. 95). — Il en serait ainsi môme pour les lois a d m i nistratives (Cass., 14 déc. 1846, S. 47. 1. 49). o s

os

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LÉGISLATION

89

CIVILE.

CHAPITRE III. DE LA L É G I S L A T I O N E N V I G U E U R D A N S L E S C O L O N I E S . LOIS C I V I L E S .

48. Sources d e la législation actuelle d a n s l e s colonies f r a n ç a i s e s . 49.

50. 51. 52. 53. 54. 55. 56. 57. 58. 59. 60. 61. 62. 63. 64. 65. 66. 67. 68. 69.

71. 72.

PERSONNES RÉGIES PAR LA LOI FRANÇAISE,

sujets

f r a n ç a i s , n a t i o n a u x ou

indigènes. E t r a n g e r s d e r a c e e u r o p é e n n e e t d e race a s i a t i q u e . Affranchis e t gens d e c o u l e u r . LÉGISLATION CIVILE. — Code civil. — A . Naturalisation d a n s les g r a n d e s colonies. Naturalisation en Algérie — (renvoi) et d a n s les a u t r e s colonies. Dans l'Inde française. En Cochinchine. Dans la N o u v e l l e - C a l é d o n i e . Dans les p a y s p r o t é g é s . A Taïti. Dans les a u t r e s p o s s e s s i o n s françaises. Observations de M. Huc. B. Les actes de l'état civil d a n s les d i v e r s e s colonies. C. R è g l e s s u r le domicile, v i s - à - v i s d u colon r é s i d a n t m o m e n t a n é m e n t en F r a n c e . Colon e x p u l s é d e s a r é s i d e n c e p a r m e s u r e d e police mais c o n s e r v a n t son domicile d a n s l a colonie. D. Le mariage a u x colonies. — P o u v o i r s d e s g o u v e r n e u r s r e l a t i v e ment a u x formalités. E . L'adoption en A l g é r i e , d a n s l ' A n n a m — d a n s l e s p o s s e s s i o n s d e l'Inde. F . La tutelle — chez les A n n a m i t e s — en Algérie c h e z l e s m u s u l m a n s . L a loi d u 27 février 1880 d é c l a r é e a p p l i c a b l e a u x c o l o n i e s . G . L'émancipation d a n s l ' A n n a m , et en A l g é r i e . H. Conseil judiciaire et interdiction d a n s l'Annam e t e n A l g é r i e . I. Propriété mobilière — objets mobiliers placés d a n s le d o m a i n e d e l'Etat, d a n s l'Algérie et d a n s les p a y s d e p r o t e c t o r a t . J . Domaine public, cours d'eau — « pas géométriques. » K. Biens vacants, successions vacantes. — Hérédité.


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L I V R E III. ORGANISATION CIVILE DES COLONIES.

73. 74. 75. 7G. 77. 78.

L . Expropriation pour cause d'utilité publique. M. Du droit d'accession à l'égard des ouvrages faits au-dessous N . Législation minière. I n d e , T o n k i n , Algérie. O. Régime hypothécaire. P . Lois complémentaires sur le Code civil. P r o c é d u r e civile.

du sol.

4 8 . La législation en vigueur aux colonies se compose : 1° des Codes métropolitains qui y ont été p r o m u l g u é s ; 2° du sénatus-consulte du 3 mai 1 8 5 4 ; 3° de toutes les lois, ordonnances et décrets légalement promulgués dans le territoire respectif de chaque colonie, soit a v a n t , soit après l'acte cons_ titutionnel de 1854, et enfin des arrêtés et règlements rendus par les gouverneurs dans les limites de leurs pouvoirs. 49.

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§ 1 .

PERSONNES RÉGIES PAR LA LOI FRANÇAISE. — Il y

a aux colonies trois catégories de personnes : des Français d'origine, des indigènes, des étrangers. L e u r situation au point de vue des lois qui leur sont applicables est nécessairement différente. Les Français naturellement sont régis par la loi française sous réserve des modifications qu'elle comporte dans chaque colonie, et de certaines règles concernant leur domicile légal. Les indigènes des colonies françaises bien q u e sujets français, en principe ne sont pas soumis aux lois de la métropole. Ils gardent leurs lois propres et leurs coutumes. Le statut personnel résultant de ces coutumes doit être respecté à l'égal d'une loi française, et sa violation donnerait ouverture à cassation (Cass., 6 juin 1866, D . P . 66. 1. 295). La circonstance que le statut indigène serait contraire à l'ordre public établi en France ne ferait même pas obstacle à son application aux indigènes dans la colonie (même arrêt). Il en serait autrement pour l'indigène qui se trouverait hors de la colonie à laquelle il appartient. Les indigènes des colonies françaises, nonobstant le statut personnel conforme à leurs lois et coutumes dont on leur maintient le bénéfice, ont la qualité de sujets français, mais


LEGISLATION C I V I L E .

91

non de citoyens français; ils n'ont pas la jouissance des droits politiques. Il en est a u t r e m e n t de ceux q u i ont renoncé à l e u r statut. Ils deviennent alors citoyens français et peuvent exercer leurs droits civils et politiques soit dans la métropole soit dans toute colonie (Cass., 29 juillet 1889 et 18 j u i n 1 8 9 0 , D. 89. 1. 457). Toutefois dans q u e l q u e s colonies, comme nous le verrons plus loin, bien que gardant leur s t a t u t , ils jouissent dans u n e certaine m e s u r e d'un droit de r e p r é s e n t a tion. 50. Les étrangers de race européenne jouissent des mômes droits qu'en F r a n c e conformément à l'article 11 du Code civil. Ils sont soumis aux obligations imposées aux étrangers dans la métropole, et aux lois pénales françaises, mais ils peuvent être expulsés p a r les g o u v e r n e u r s en cas d'infraction a u x conditions de séjour ( L . 29 mai 1874, D. 75. 4. 8). Enfin les étrangers ne jouissent des droits électoraux ni dans les élections législatives, ni dans les élections au conseil général ou aux conseils locaux, sauf exceptions particulières (V. F u z i e r Herman, n° 158). Les étrangers de race asiatique ont en Indo-Chine une situation spéciale q u e nous indiquerons p l u s loin. 51. Enfin les esclaves affranchis et les gens de couleur ne subissent a u c u n e restriction dans leurs droits conformément à l'article 1 de la loi du 24 août 1833 portant q u e « toute personne née libre ou ayant acquis légalement la l i b e r t é , jouit dans les colonies : 1° des droits civils; 2° des droits p o litiques, dans les conditions prescrites par les lois. 52. § 2. LÉGISLATION CIVILE. — Code civil. — Le Code civil ayant été p r o m u l g u é dans toutes les colonies, il n'y a lieu d'indiquer que les modifications qui y ont été apportées Par suite de considérations locales, ou par application de lois nouvelles. A. De la naturalisation dans les colonies. — La Martinique, la Guadeloupe, la Réunion ont été soumises à l'application des lois de 1849 et 1867 en vertu d'une loi spéciale du 10 e r


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L I V R E . III ORGANISATION CIVILE DES C O L O N I E S .

juin 1874. D'autre p a r t , elles sont également régies par la loi du 26 juin 1889 en vertu d'un des articles de cette loi. L'île Saint-Barthélemy a été rétrocédée par la Suède à la F r a n c e , et rattachée à la Guadeloupe par un traité du 10 août 1877. Par s u i t e , les sujets suédois domiciliés dans l'île sont devenus français, mais ils ont pu conserver la nationalité suédoise par une déclaration faite dans l'année qui a suivi la prise de possession. 5 3 . Quant aux autres colonies, la même loi du 20 juin 1889 déclare (art. 2) : « Continueront de recevoir leur application le sénatus-consulte du 14 juillet 1865 et les autres dispositions spéciales à l'Algérie. » Nous traiterons de la naturalisation en Algérie dans l'étude consacrée plus loin à cette colonie. La loi du 26 juin 1889 déclare en outre q u ' u n règlement d'administration publique déterminera les conditions auxquelles ses dispositions seront applicables aux colonies autres que la Martinique, la Guadeloupe, la Réunion. Quels sont donc les textes qui actuellement régissent chez elles la naturalisation ? 5 4 . Inde française. — Les indigènes des établissements français de l'Inde présentent cette particularité qu'ils demeurent soumis aux lois et coutumes de leur caste (Règlement du 23 févr. 1878), mais ils sont français et jouissent du droit de vote dans l'Inde, qui leur a été reconnu en 1848 et 1849 ( H u c , I, n° 242), cependant ils ne sont pas éligibles. Il ne peut être question à leur égard de naturalisation puisqu'ils sont français, mais ils peuvent renoncer à leur statut personnel (Décr. du 21 sept. 1881). Même avant 1881 les natifs de l'Inde avaient la faculté d'adopter les lois françaises par des actes de leur libre volonté notamment par le mariage contracté devant l'officier de l'état civil français. 5 5 . Cochinchine, Annam et Tonkin. — L'indigène annamite né et domicilié en Cochinchine est français; néanmoins il continue à être régi par les lois annamites. Il p e u t , sur sa de-


LÉGISLATION

CIVILE.

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mande, à partir de 21 a n s , être appelé à jouir des droits de citoyen français, eu vertu d'un décret r e n d u , le Conseil d'Etat entendu. Le bénéfice du décret s'étend à la femme et aux enfants m i n e u r s . Les étrangers établis en Cochinchine peuvent être n a t u r a lisés français s'ils d e m e u r e n t depuis trois ans dans le p a y s , et s'ils parlent la langue française. Le délai de la naturalisation pour les natifs des pays de l'Extrême-Orient placés sous le protectorat de la F r a n c e est réduit à un a n , et tout stage peut être s u p p r i m é en cas de services r e n d u s aux intérêts français ( H u c , I, n° 244). Les mêmes règles ont été édictées par décret du 29 juillet28 août 1887, en ce qui concerne la naturalisation en A n n a m et au Tonkin (Dalloz, 1887. 4. 8 1 ) . 5 6 . Nouvelle-Calédonie. — De même les é t r a n g e r s établis en Nouvelle-Calédonie depuis trois ans peuveut obtenir la naturalisation à partir de 21 ans (Décr. 10 nov. 1882). 5 7 . Pays protégés : T u n i s i e et Indo-Chine. — Aux ternies de deux décrets du 29 juillet 1887, peuvent être a d m i s à jouir des droits de citoyens français : — 1° l'étranger q u i justifie de trois années de résidence soit en T u n i s i e , soit en F r a n c e ou en Algérie et en dernier lieu en T u n i s i e ; — 2° l'étranger qui justifie de trois ans de résidence soit en Annam ou au Tonkin, soit en Cochinchine et en dernier lieu en A n n a m ou au T o n kin; — 3° le sujet tunisien q u i , pendant le môme t e m p s aura servi d a n s les a r m é e s de terre ou de m e r , ou qui a u r a rempli des fonctions ou emplois civils rétribués p a r le Trésor français; — 4° l'indigène annamite ou tonkinois qui sera dans le même cas. Il est statué s u r la demande p a r un décret (Dalloz, 87. 4. 80). 5 8 . Taïti. — D'après la loi du 30 décembre 1880 la nationalité française est a c q u i s e de plein droit à t o u s les anciens sujets du roi de Taïti. Quant aux é t r a n g e r s , la même loi dispose que ceux qui sont nés dans les anciens Étals du protectorat ainsi que les


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étrangers qui y sont domiciliés depuis une année au moins peuvent demander la naturalisation. Mais il est dit (art. 4) q u e « les demandes doivent être adressées aux autorités coloniales dans le délai de un an à partir du jour où la présente loi sera exécutoire dans la colonie. » D'où il résulte que la naturalisation à la Taïti n'a été q u ' u n e mesure temporaire, prise en vue d'une certaine catégorie de p e r s o n n e s , et limitée à l'année qui a suivi le jour où la loi a été rendue exécutoire (Huc, I, 247). 5 9 . Autres possessions françaises. — Les autres possessions françaises pour lesquelles il n'est intervenu aucun décret spécial, et auxquelles les lois de la métropole sur la naturalisation n'ont pas été déclarées applicables, se trouvent par la force des choses soustraites à la pratique de la naturalisation. Les étrangers qui y sont domiciliés ne peuvent donc l'obtenir quelle que soit la durée de leur résidence et le caractère de leurs titres. 6 0 . Au sujet des dispositions q u e nous venons sommairement de rappeler, M. Huc présente les observations suivantes (I, n° 249) : 1° la naturalisation obtenue dans les colonies peut être invoquée partout, même dans la métropole, et y produit ses effets entiers (Rapport de M. Delangle au Sénat sur le S.-C. du 14 juillet 1865), or la naturalisation est bien plus facile à obtenir dans les colonies q u ' e n F r a n c e . 2° Sauf en ce q u i concerne l'Algérie depuis la loi de 1889 qui y est applic a b l e , la naturalisation confère tous les droits d'un citoyen français d'origine sans condition ultérieure d'un stage supplémentaire. « Par conséquent un étranger naturalisé en Nouvelle-Calédonie, dans l'Indo-Chine, en Tunisie, en Cochinchine, deviendra immédiatement électeur et éligible eu F r a n c e , tandis q u ' u n étranger naturalisé en France ne deviendra éligible qu'après dix ans de résidence. On comprendrait à ia rigueur la situation inverse, un étranger naturalisé dans les colonies prénommées n'offrant pas les mêmes garanties qu'un étranger naturalisé en France. »


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6 1 . B. Actes de l'état civil. — D a n s nos trois g r a n d e s colonies, et au S é n é g a l les actes de l'État civil sont d r e s s é s c o m m e en France par les maires conformément a u x règles du Gode civil. Pour l'Algérie nous i n d i q u e r o n s p l u s loin la législation spéciale relative aux actes de l'état civil des i n d i g è n e s . Dans nos é t a b l i s s e m e n t s de l'Inde u n décret du 24 avril 1880 a déclaré applicable aux i n d i g è n e s le titre II du livre 18 du Gode civil sous certaines modifications et r é s e r v e s . Ainsi les déclarations de naissance doivent être faites d a n s les dix jours de l ' a c c o u c h e m e n t , — les déclarations de décès dans [les huit j o u r s . — Le m a r i a g e célébré selon le culte brahmanique doit être déclaré d a n s les q u i n z e j o u r s de la célébration. Parmi les dispositions nouvelles relatives à l'état civil citons encore : 1° le décret (12 février 1874) q u i c h a r g e le directeur de l'administration pénitentiaire de la Nouvelle-Calédonie de tenir l'état civil des c o n d a m n é s ; 2° un a u t r e décret (3 oct. 1883, D. 84. 4. 77) relatif à l'état civil des A n n a m i t e s en Cochinchine; 3° u n décret d u 28 j u i n 1889 (Off. du 29 j u i n ) attribuant les fonctions d'officiers de l'état c i v i l , à des officiers, ou agents désignés p a r le c o m m i s s a i r e du g o u v e r n e ment. 6 2 . C. En matière de domicile, le domicile réel est au lieu du principal établissement et le domicile élu au lieu choisi expressément dans u n acte. L e s usages ne s a u r a i e n t porter atteinte à ce p r i n c i p e . Ainsi le F r a n ç a i s q u i vient h a biter les colonies n'est pas par cela seul r é p u t é y avoir t r a n s féré son domicile s'il est établi p a r les circonstances qu'il avait l'intention de r e n t r e r en F r a n c e et d'y conserver son domicile. En sens inverse, le colon q u i est m o m e n t a n é m e n t en F r a n c e , ne peut être distrait de ses j u g e s n a t u r e l s , c'est-à-dire du tribunal de son domicile colonial. On ne s a u r a i t l'assimiler à un étranger et invoquer l'article 14 du Code civil pour l'assi-


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g n e r en F r a n c e devant le tribunal du d e m a n d e u r (Jurisp. Conf., Dalloz, v° Org. des colonies, n° 181). 6 3 . Un colon contre l e q u e l a u c u n e condamnation n ' a été prononcée p e u t , dans les Antilles françaises, être expulsé de sa résidence p a r m e s u r e de police. U n e telle décision ne doit être prise par le g o u v e r n e u r q u ' e n conseil privé avec l'adjonction à ce conseil de deux m e m b r e s de la Cour d'appel et avec u n e majorité de six voix s u r h u i t . L'exclusion ne p e u t être q u e t e m p o r a i r e à l'égard de ceux q u i ont d a n s la colonie des intérêts de famille ou de fortune. En tout c a s , l'expulsé conserve son domicile ( H u c , I, n° 377. Voy. Ord. des 9 févr. 1827 et 22 août 1833). U n pouvoir a n a l o g u e a été r e c o n n u au résident g é n é r a l en A n n a m et au Tonkin (Cons. d ' É t a t , 8 août 1888, S. 90. 3. 55). 6 4 . D . E n ce q u i concerne mariage. L'éloignement de la France rendait impossible le strict accomplissement des formalités exigées p a r le Gode. Aussi les g o u v e r n e u r s ont reçu le droit d'accorder les d i s p e n s e s d a n s les cas p r é v u s par les articles 145 et 164 du Gode civil (Ord. du 21 a o û t 1825, 9 févr. 1 8 2 7 , 27 août 1 8 2 8 , citées p l u s h a u t ; — Décrets des 12 déc. 1874 et 17 déc. 1885). De m ê m e le g o u v e r n e u r est investi de pouvoirs spéciaux q u i lui p e r m e t t e n t d'habiliter à se m a r i e r les i m m i g r a n t s d'origine i n c o n n u e , ou dont la famille n'est pas c o n s t i t u é e . Quant aux é t r a n g e r s i m m i g r a n t s a p p a r t e n a n t à des E t a t s où la famille est c o n s t i t u é e , u n s é n a t u s - c o n s u l t e du 20 juillet 1867 les a u t o r i s e , s'ils sont m i n e u r s et sous p u i s s a n c e de p a r e n t s , à justifier de l e u r capacité et du c o n s e n t e m e n t de leurs parents suivant les règles de leur statut p e r s o n n e l (art. 4), e t , s'ils sont m a j e u r s et non en p u i s s a n c e , à établir seulement par un acte de notoriété leur â g e , leur a p t i t u d e , l'impossibilité de r a p p o r t e r le consentement de l e u r s parents (art. 5 ) . 6 5 . E. L'adoption dans les colonies. — Les F r a n ç a i s habitant


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les colonies sont s o u m i s , q u a n t à l'adoption, a u x règles du Gode civil. Il n'y a d'observation à faire q u e relativement a u x indigènes qui ont conservé leur statut personnel. En Algérie la question de savoir si l ' a d o p t i o n , telle q u e l'entend la loi française, existe en droit m u s u l m a n , est c o n troversée. Le Koran fait à peine mention d'enfants adoptifs. En tout c a s , il ne saurait être question pour les indigènes que de l'adoption filiale, c'est-à-dire de l'acte p a r lequel un individu en reconnaît un a u t r e pour son enfant, ou de l'adoption ordinaire p r a t i q u é e en faveur de celui qui n'a ni père ni mère (V. H u c , III, n° 152). Pour l'Annam, le précis de législation a n n a m i t e rédigé e n exécution de l'article 3 du décret du 3 octobre 1883 contient sur l'adoption des règles e m p r u n t é e s à la fois au Gode civil et à la législation locale. Nous nous bornons à r é s u m e r succinctement ces règles exposées par M. Huc dans son Commentaire du Code civil (t. III, n° 153). Il est permis d'adopter : 1 ° en vue de se créer u n e postérité; 2° pour recueillir et élever de j e u n e s e n f a n t s , mais ce genre d'adoption n'est p r a t i q u é q u e par les h o m m e s , les femmes n'ayant i n t é r ê t , d ' a p r è s les traditions religieuses a n namites, ni à a d o p t e r , ni à être adoptées. L'adoption pour continuer la postérité n'est p e r m i s e q u e si l'adoptant est m a r i é depuis dix ans et n'a point de fils. L o r s que l'époux meurt sans avoir institué sa p o s t é r i t é , sa veuve peut, au nom et d a n s l'intérêt du mari d é f u n t , et avec l'assistance des trois principaux parents de c e l u i - c i , choisir u n e personne pour lui servir de postérité. L'adopté e n t r e dans la famille de l'adoptant dont il prend le nom et perd tous droits dans la sienne. L a déclaration d'adoption se fait devant l'officier de l'état civil de l'adoptant et doit être homologuée par le tribunal civil à la diligence du p r o c u r e u r de la R é p u b l i q u e . Le m ê m e précis de législation a n n a m i t e réglemente ce qu'il appelle l'adoption officieuse. Elle consiste dans la faculté pour tout individu majeur de vingt-cinq ans d'adopter un R. 6


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m i n e u r de l'un ou l ' a u t r e sexe avec le consentement des par e n t s sous l'autorité desquels il est placé, des administrateurs de l'hospice ou de la m u n i c i p a l i t é . S'il s'agit d ' u n enfant a b a n d o n n é de moins de trois a n s , il passe d a n s la famille de l'adoptant et en p r e n d le n o m . S'il s'agit d'un enfant ayant u n e famille il en g a r d e le n o m , et y conserve ses droits. L ' a d o p t i o n , qui se fait par u n e déclarat i o n , en présence de deux notables devant l'officier de l'état civil, est s u b o r d o n n é e à la ratification qui en sera faite par l'adopté d a n s l'année a p r è s sa majorité. Elle est immédiatem e n t définitive pour les enfants a b a n d o n n é s de m o i n s de trois ans. D a n s les possessions de l'Inde française, l'adoption est adm i s e pour les natifs s u r des b a s e s a n a l o g u e s à celles qui viennent d'être indiquées p o u r l ' A n n a m (Voy. a r r ê t é s locaux des 6 j a n v . 1819, 26 mai 1 8 2 7 , 29 déc. 1 8 5 5 . H u c , I I I , n° 153). 6 6 . F . L a tutelle chez les A n n a m i t e s est réglée suivant les p r i n c i p e s formulés au titre X du précis de législation annamite rédigé en exécution du décret du 3 octobre 1 8 8 3 . La tutelle est exercée sous la surveillance et l'autorité du chef de famille ( T r u o n g - t o é ) soit p a r le p è r e ou la m è r e , soit p a r un t u t e u r t e s t a m e n t a i r e ou u n t u t e u r datif désigné par un conseil de famille. L e s principales r è g l e s du Gode civil s u r la composition du conseil de f a m i l l e , les obligations du t u t e u r , etc., ont été adaptées a u x besoins de la population indigène (Huc, I I I , n° 3 6 6 ) . L a tutelle en Algérie p o u r les i n d i g è n e s qui ont conservé leur statut personnel est régie par la c o u t u m e a r a b e conform é m e n t à la j u r i s p r u d e n c e m u s u l m a n e , qui, s u i v a n t M. Huc, est elle-même fortement pénétrée des principes du droit rom a i n . On y retrouve la tutelle légitime du p è r e (dans certains cas de la mère), la tutelle t e s t a m e n t a i r e , là tutelle d a t i v e , la tutelle j u d i c i a i r e du Gadi. Les pouvoirs du t u t e u r s u r la personne et les b i e n s du m i n e u r r e p o s e n t s u r l e s distinctions admises par le droit romain et le droit français ( H u c , loc. cit.)


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67. L a loi du 27 février 1880 s u r l'administration des meubles incorporels a p p a r t e n a n t a u x m i n e u r s a é t é , par son article 1 1 , déclarée applicable à l ' A l g é r i e , aux Antilles et à la Réunion. Un décret du 8 avril 1880 l'a également é t e n d u e à la Guyane, au S é n é g a l , a u x établissements français de l'Inde et de l'Océanie, à la C o c h i n c h i n e , à la Nouvelle-Calédonie, à Saint-Pierre et M i q u e l o n , Mayotte, Nossi-Ré et au Gabon. Les délais, q u a n d il y a u r a l i e u , seront a u g m e n t é s des délais supplémentaires fixés, à raison des d i s t a n c e s , par la loi d u 3 mai 1864. 68. G. L'émancipation. — D ' a p r è s le précis de législation annamite, les m i n e u r s a n n a m i t e s sont émancipés de plein droit par le m a r i a g e , ou p a r une déclaration faite p a r le père ou la mère devant le chef d u canton, ou devant deux notables. Le conseil de famille peut également accorder l'émancipation au mineur. En A l g é r i e , la j u r i s p r u d e n c e m u s u l m a n e et les c o u t u m e s admettent, p o u r l'individu q u i a encore son p è r e , u n e é m a n cipation de fait à l'époque de la pleine p u b e r t é . Il y a , en outre, l'émancipation expresse p a r le p è r e , confirmée par jugement du C a d i , et l'émancipation p a r le t u t e u r t e s t a m e n taire ou le t u t e u r q u e le Cadi a n o m m é d'office. 69. H. Conseil judiciaire et interdiction. — Le précis de la législation a n n a m i t e n'admet l'interdiction ni pour cause de démence, ni p o u r cause de prodigalité. Il se borne à décider que le défendeur n e p o u r r a accomplir certains actes qu'avec l'assistance d'un c o n s e i l , q u i devra être désigné par le t r i bunal. La partie p u b l i é e du précis de législation annamite s'arrête à cet objet. En A l g é r i e , le droit m u s u l m a n ne connaît pas l'institution du conseil j u d i c i a i r e , m a i s il a p p l i q u e le principe de l'interdiction à l'individu en état de démence ou reconnu incapable d'administrer, ou atteint de maladie m o r t e l l e , au failli, enfin


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C I V I L E DES C O L O N I E S .

à la femme en puissance de m a r i . Selon les a u t e u r s a r a b e s , la prodigalité r e n t r e dans les cas ci-dessus (Huc, I I I , n° 500). 7 0 . I. Propriété mobilière. — Objets mobiliers placés dans le domaine de l'Etat par la loi du 30 mars 1 8 8 7 . — On sait que la loi dont il s'agit a eu p o u r objet de prescrire certaines m e s u r e s pour a s s u r e r la conservation des objets d'art ayant u n intérêt h i s t o r i q u e ou a r t i s t i q u e . D ' a p r è s l'article 8 de celte loi, il doit être fait, p a r les soins du m i n i s t r e de l'instruction p u b l i q u e et des b e a u x - a r t s , un classement des objets mobiliers a p p a r t e n a n t à l ' É t a t , aux dép a r t e m e n t s , aux c o m m u n e s , etc., dont la conservation prés e n t e , au point de vue de l'histoire ou de l ' a r t , u n intérêt national. L e s objets classés, a p p a r t e n a n t dès lors à l ' E t a t , sont inaliénables et i m p r e s c r i p t i b l e s . L e s articles 16 et 17 étendent ces dispositions à l'Algérie et aux pays de protectorat. On en comprend aisément l'utilité. Il y a en A l g é r i e , il peut y avoir au Cambodge et d a n s l ' A n n a m u n g r a n d n o m b r e d'objets d ' a r t , b a s - r e l i e f s , s t a t u e s , m é d a i l l e s , v a s e s , c o l o n n e s , etc., existant s u r le sol ou d a n s le sol des i m m e u b l e s concédés à des établissements publics ou dans des t e r r a i n s m i l i t a i r e s , et dont il importe d ' a s s u r e r la conservation. Déjà des dispositions a n a l o g u e s avaient été édictées pour la T u n i s i e p a r un décret du 7 m a i 1 8 8 6 . 7 1 . J. Domaine public. — Cours d'eau « pas géométriques. » — D ' a p r è s le Code civil, les c o u r s d'eau navigables et flottables font seuls partie du d o m a i n e public. L a législation coloniale, p a r dérogation à l'article 538 du Code civil, y fait r e n t r e r m ê m e les petites rivières q u i , s o u s l'ancien r é g i m e , étaient considérées comme a p p a r t e n a n t au roi. A i n s i , on écarte l'application aux c o u r s d'eau non navigables ni flottables de l'article 644 du Code civil, qui p e r m e t a u x riverains de s'en servir à leur p a s s a g e p o u r l'irrigation de leur prop r i é t é . Dans les c o l o n i e s , cette faculté est enlevée a u x river a i n s , les c o u r s d'eau dont il s'agit étant considérés comme a p p a r t e n a n t au domaine p u b l i c (Voir les d é c i s i o n s , en ce


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sens du Conseil d ' É t a t , citées p a r F u z i e r - H e r m a n , v° Colonie, n° 186). En F r a n c e , les rivages de là m e r font partie du domaine public. Dans les colonies, le roi s'était r é s e r v é , en o u t r e , une bande de terrain dite des « c i n q u a n t e pas d u roi. » Quel en était le motif? A la Réunion cette réserve se justifiait p a r les besoins de la défense et pour les pacages et p a r c o u r s d'animaux. Aux A n t i l l e s , on se proposait à la fois de faciliter la défense et de fournir aux artisans les moyens de se loger sur ces terrains temporairement cédés. Quoi q u ' i l en soit, cette réserve a été m a i n t e n u e a p r è s la R é v o l u t i o n , et elle fait partie du domaine public (En ce sens : Cour de la Martinique, 14 avril 1 8 7 4 ; F u z i e r - H e r m a n , voy. les arrêtés et ordonnances à l ' a p p u i , n 191 et 192). S u r la réserve des cinquante p a s , l'État p e u t consentir des concessions, q u i sont précaires et révocables sans indemnité. La dimension de ces pas géométriques a varié. L e s anciennes ordonnances la fixaient, au m a x i m u m , à trois pieds et demi pour c h a q u e p a s . A la suite d'un arrêté du capitaine g é n é r a l Decaen (5 m a r s 1807) elle fut fixée, à la R é u n i o n , à cinq pieds p o u r c h a q u e pas, ce qui donnait 859 mètres pour la totalité. 7 2 . K. Biens vacants et successions vacantes. — Une législation spéciale a existé de tout t e m p s aux colonies, relativement aux successions vacantes. L e s m e s u r e s édictées p a r le Code civil (art. 811 à 814) seraient insuffisantes pour protéger les intérêts des héritiers qui habitent la métropole. U n édit d u 24 novembre 1781 avait confié l'administration des successions vacantes à des c u r a t e u r s en titre d'office. A u j o u r d ' h u i , les fonctions de c u r a t e u r s sont r e m p l i e s , dans c h a q u e a r r o n dissement, par u n receveur de l ' e n r e g i s t r e m e n t , désigné par le ministre de la m a r i n e et des colonies. L e u r s fonctions ont été réglementées par u n décret du 27 janvier 1 8 5 5 , édicté pour les grandes colonies; mais il a été successivement étendu à la plupart des a u t r e s par des actes postérieurs et a été définitivement rendu exécutoire dans toutes les colonies (Décr. du o s

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14 m a r s 1890). Quand les biens vacants n'ont pas été réclam é s par les ayants-droit d a n s les cinq a n s , à c o m p t e r du jour où le c u r a t e u r en a pris l ' a d m i n i s t r a t i o n , la succession est r é p u t é e en d é s h é r e n c e , la curatelle p r e n d f i n , le curateur r e n d ses comptes et r e m e t les biens à l'administration du d o m a i n e . Mais la possession de ceux-ci n'est encore q u e provisoire. T r e n t e ans s e u l e m e n t a p r è s le d é c è s , les droits des héritiers sont éteints et les b i e n s deviennent la p r o p r i é t é de la colonie ou de l ' É t a t , suivant q u e le défunt était domicilié d a n s la colonie ou au dehors (art. 26, Décr. de 1855). D a n s la G u y a n e et la Nouvelle-Calédonie c'est l'administration pénitentiaire qui est c h a r g é e de gérer les successions et biens vacants des c o n d a m n é s (V. H u c , V, n° 255). En Algérie, la curatelle des successions vacantes des Français, des israélites a l g é r i e n s , et des é t r a n g e r s a été organisée s u r des b a s e s a n a l o g u e s p a r l'ordonnance du 16 décembre 1842 q u i , d ' a i l l e u r s , en règle avec soin les p l u s petits détails (V. H u e , V, n° 256). L e s successions des m u s u l m a n s , a r a b e s , kabyles ou étrang e r s sont d ' a i l l e u r s régies p a r la loi m u s u l m a n e (Convention du 5 j u i l l . 1 8 3 0 ) . L'article 7 de la loi du 8 août 1 8 3 3 , confirmant les dispositions a n t é r i e u r e s , déclare : « Qu'il n'est pas dérogé au s t a t u t p e r s o n u e l ni a u x règles de succession des indigènes e n t r e eux (Conf. Décr. du 10 sept. 1886 pour les m u s u l m a n s r é s i d a n t en A l g é r i e , non a d m i s à la j o u i s sance des droits de citoyens français. — Il en est de même p o u r les indigènes de la Kabylie (Décr. du 29 août 1874). D a n s les établissements de l'Inde, la t r a n s m i s s i o n des biens est régie p a r le Code civil qui y a été déclaré a p p l i c a b l e par a r r ê t é local du 6 janvier 1 8 1 9 , m a i s cette législation est modifiée et complétée par les lois et c o u t u m e s h i n d o u e s que l'administration locale a m a i n t e n u e s et q u e les t r i b u n a u x appliquent journellement. 7 3 . L. L'expropriation pour cause d'utilité p u b l i q u e a été réglementée d a n s les g r a n d e s colonies p a r le sénatus-


LÉGISLATION CIVILE.

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consulte du 3 mai 1854 qui reproduit les dispositions de la loi du 3 mai 1841 en a b r é g e a n t toutefois la p r o c é d u r e d'expropriation. Les règles s u r la matière p o s t é r i e u r e m e n t a p p l i quées aux autres colonies diffèrent peu de celles du s é n a t u s consulte de 1854 (V. p o u r S a i n t - P i e r r e et M i q u e l o n , Décr. 6 juin 1 8 6 3 ; la C o c h i n c h i n e , Décr. 16 févr. 1 8 7 8 ; le Sénégal, Décr. 21 avr. 1 8 8 0 ; établissements de l ' I n d e , Décr. 14 sept. 1880; la G u y a n e , Décr. 2 j u i n 1 8 8 1 ; les é t a b l i s s e m e n t s d'Océanie, Décr. 18 août 1890). Ces décrets s u p p r i m e n t la formalité préalable du décret déclaratif d'utilité p u b l i q u e et confèrent aux g o u v e r n e u r s le pouvoir de constater et de déclarer, en conseil p r i v é , l'utilité p u b l i q u e après u n e e n quête administrative. L e s t r i b u n a u x prononcent ensuite l'expropriation, et u n j u r y de cinq m e m b r e s reste chargé de fixer les i n d e m n i t é s . En Algérie l'expropriation a fonctionné assez longtemps par simple voie de fait ou prise de possession opérée par l'administration sans formalités protectrices de la propriété privée. Un système r é g u l i e r d'expropriation donnant des garanties suffisantes y a été ensuite institué par un a r r ê t é du 9 décembre 1 8 4 1 , et u n e ordonnance du 1 octobre 1844 (Huc, IV, n° 103). 7 4 . M. Du droit d'accession à l'égard des ouvrages faits au-dessous du sol. — L e s droits du propriétaire s u r le soussol de son terrain sont limités en Tunisie par un décret du 7 mars 1888 d ' a p r è s lequel nul ne p e u t faire des fouilles à l'effet de r e c h e r c h e r des antiquités m ê m e s u r son propre terrain sans en avoir obtenu l'autorisation par écrit de l ' a d m i nistration (art. 7 5 ) . Les objets d'art ou d'antiquités découverts dans les fouilles peuvent devenir la propriété de l'Etat si l'administration les revendique dans u n délai de six mois. Dans tous les cas, le propriétaire doit être indemnisé, suivant une expertise, dans des formes déterminées (art. 3 3 ) . 7 5 . N. Législation minière. — La législation métropolitaine sur les mines a dû subir des moditications dans les colonies. e r


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LIVRE III. ORGANISATION CIVILE DES COLONIES.

D a n s la Nouvelle-Calédonie, le r é g i m e des m i n e s avait d ' a b o r d été fixé p a r u n a r r ê t é du g o u v e r n e u r du 13 s e p t e m b r e 1 8 7 3 , qui avait o r g a n i s é d e u x modes d'obtention du droit d'exploiter les m i n e s , la prise de possession, et l'acte de concession. Il p a r a î t q u e ce s y s t è m e a m e n a u n trafic n u i s i b l e à de s é r i e u s e s exploitations. On a tenté de porter r e m è d e aux a b u s p a r u n décret du 22 j u i l l e t 1 8 8 3 dont l'application j u g é e p e u efficace a été s u s p e n d u e p a r u n a u t r e décret du 30 juin 1885. P o u r les établissements de l'Inde, u n décret du 25 novembre 1884 a r e p r o d u i t les p r i n c i p a l e s dispositions de la loi m é t r o politaine du 21 avril 1810. Au Tonkin, le r é g i m e d e s m i n e s fait l'objet d ' u n décret du 16 octobre 1 8 8 8 . Elles s ' a c q u i è r e n t par occupation ou par adjudication publique. Les s u j e t s ou p r o t é g é s français p e u vent seuls devenir p r o p r i é t a i r e s de m i n e s , p o s s e s s e u r s ou exploitants. En Algérie les m i n e s , m i n i è r e s et c a r r i è r e s s o n t , d'après l'article 5 de la loi d u 16 j u i n 1 8 5 1 , r é g i e s p a r la loi française de 1 8 1 0 , et celles q u i ont p u , ou p e u v e n t la modifier. Ont été s p é c i a l e m e n t p r o m u l g u é e s en Algérie les lois s u r la m a t i è r e , des 6 mai 1866 et 2 7 juillet 1 8 8 0 , et le décret d u 25 septembre 1885. 7 6 . O. L e régime hypothécaire i n s t i t u é p a r le Code civil n ' a v a i t été a p p l i q u é a u x colonies q u e sous certaines restrictions, n o t a m m e n t en ce q u i c o n c e r n e l'expropriation forcée. L a conservation des h y p o t h è q u e s avait été c e p e n d a n t organisée c o m m e en F r a n c e , a u x A n t i l l e s , à la G u y a n e , à la R é u n i o n , à S a i n t - P i e r r e et Miquelon ( O r d o n n . des 14 j u i n et 22 nov. 1 8 2 9 , 26 j u i l l . 1 8 3 3 ) . L a commotion q u i se produisit dans la fortune des p l a n t e u r s a p r è s l'émancipation des noirs en 1848 r e n d i t nécessaire le d é c r e t d u 27 avril de la même a n n é e , qui déclare exécutoires les titres du Gode civil conc e r n a n t les h y p o t h è q u e s et l'expropriation f o r c é e , et les dispositions d u Code de p r o c é d u r e civile relatives à la saisie


LÉGISLATION CIVILE.

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immobilière. Depuis l o r s , toutes les lois se rattachant au r é gime h y p o t h é c a i r e , lois s u r la transcription, sur l'aliénation des biens des mineurs ou i n t e r d i t s , sur l'hypothèque légale de la femme mariée ont été déclarées applicables a u x colonies. Nous indiquerons plus loin le caractère et le fonctionnement des banques coloniales qui intéressent également le crédit foncier des colonies. 7 7 . P . D'ailleurs p r e s q u e toutes les lois qui ont modifié ou complété le Code civil ont été r e n d u e s applicables a u x colonies (Voy. l e u r énumération dans le Répertoire, FuzierHerman, v° Colonie, n° 238). 7 8 . Le Code de procédure civile a été mis en v i g u e u r dans les différentes colonies p a r une série de dispositions qui se succèdent à p a r t i r de 1819 j u s q u ' e n 1892 (V. Dalloz, v° Org. des col., n° 119, et F u z i e r - H e r m a n , n° 263). Elles se rattachent aussi à celles qui règlent l'organisation judiciaire des colonies que nous exposerons plus loin. Ont été promulguées aux colonies les lois suivantes : 25 mai 1838 s u r les justices de p a i x ; — 2 j u i n 1841 sur les ventes judiciaires avec q u e l q u e s modifications; — 24 m a i 1842 relative à la saisie des rentes constituées; — 21 mai 1858 sur les saisies i m m o b i l i è r e s ; — 2 j u i n 1862 s u r les délais des pourvois en cassation; — 2 j u i n 1881 modifiant l'article 693 du Gode de p r o c é d u r e ; — 23 octobre 1885 facilitant les ventes judiciaires d ' i m m e u b l e s . La loi du 2 mai 1855 modifiant l'article 1 7 , loi d u 25 mai 1838 sur les justices de p a i x , a été étendue aux grandes colonies, à la Guyane et a u x établissements de l'Inde (Décr. 2 juill. 1862).


106

LIVRE

III. O R G A N I S A T I O N

CIVILE DES

COLONIES.

C H A P I T R E IV. LÉGISLATION COMMERCIALE ET

INDUSTRIELLE.

7 9 . P r o m u l g a t i o n d a n s l e s c o l o n i e s d u C o d e d e c o m m e r c e e t d e s lois complémentaires. 80. L é g i s l a t i o n s u r l e s b r e v e t s d ' i n v e n t i o n . 81. Lois sur les m a g a s i n s g é n é r a u x et l e s v e n t e s publiques de marchandises en g r o s . 82. A u t r e s m a t i è r e s c o m m e r c i a l e s . — R e n v o i .

7 9 . L e Gode de c o m m e r c e a été a p p l i q u é a u x g r a n d e s colonies par des a r r ê t é s locaux à p a r t i r de 1819 sauf à la Martiniq u e par u n e é t r a n g e o m i s s i o n ; il a été de n o u v e a u l'objet d ' u n e p r o m u l g a t i o n d a n s t o u t e s les colonies avec les modifications qu'il avait r e ç u e s en F r a n c e ( L . d u 7 d é c . 1 8 5 0 ) . Mais d a n s c e r t a i n e s colonies il n e reçoit p a s son exécution en ce q u i touche les t r i b u n a u x de c o m m e r c e q u i n ' y e x i s t e n t pas e n c o r e , ainsi q u e n o u s le v e r r o n s p l u s loin. D e p u i s 1850 le Gode de c o m m e r c e a été a p p l i q u é à nos nouvelles colonies : C o c h i n c h i n e , G a b o n , N o u v e l l e - C a l é d o n i e , é t a b l i s s e m e n t s d'Océanie, Guinée française. O n t été é g a l e m e n t é t e n d u e s a u x colonies t o u t e s les lois qui d e p u i s la m ê m e é p o q u e ont modifié le Gode de c o m m e r c e , savoir, les lois du 17 j u i l l e t 1 8 5 6 , s u r les concordats p a r abandon d'actif; 17 j u i l l e t 1 8 5 6 , s u p p r i m a n t l ' a r b i t r a g e forcé; d é c r e t d u 9 a o û t 1864 é t e n d a n t a u x g r a n d e s colonies la loi d u 2 3 m a r s 1 8 6 3 , s u r le g a g e et les c o m m i s s i o n n a i r e s ; loi du 14 j u i n 1 8 6 5 , s u r les c h è q u e s ; 24 juillet 1 8 6 7 et décret du 22 j a n v i e r 1 8 6 8 , s u r les sociétés; 17 février 1 8 7 2 , s u r les articles 450 et 550 d u Gode de c o m m e r c e et d é c r e t d u 6 sept e m b r e 1892; loi des 15 j u i n 1 8 7 2 , et 3 a o û t 1 8 8 0 , concernant


LÉGISLATION COMMERCIALE.

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les titres au p o r t e u r ; loi du 10 décembre 1874, et 10 juillet 1885, sur l'hypothèque maritime et décret du 6 août 1887; loi du 11 avril 1888, modifiant les articles 105 et 108 du Code de commerce, et décret du 9 juillet 1 8 9 0 ; loi du 4 mars 1889 et 4 avril 1890 sur les faillites et les liquidations judiciaires et décret du 9 juillet 1890; loi du 3 mai 1890 modifiant la loi du 23 juin 1857 s u r les marques de f a b r i q u e , et décret du 12 juin 1890; loi du 24 mars 1891 modifiant les articles 435 et 436 du Gode de commerce et décret du 6 septembre 1892. 8 0 . La loi du 5 juillet 1844 s u r les brevets d'invention a été rendue applicable aux colonies par un arrêté du président du Conseil des ministres du 21 octobre 1848. Il a été jugé q u e les brevets d'invention obtenus en F r a n c e sont valables a u x colonies sans qu'il soit nécessaire d'y accomplir les formalités prescrites par l'arrêté susdit du 21 octobre 1848 pour les brevets qui sont pris aux colonies... ni même que les brevets y aient été publiés dans les formes prescrites par les lois et décrets rendus dans la métropole (Réunion, 2 août 1858, et Cass., 25 févr. 1861, S. 6 1 . 1. 427. D. 61. 1. 272). 8 1 . La création de magasins généraux et la vente publique de marchandises en gros ont été réglementées en F r a n c e par deux lois du 28 mai 1858, et un décret du 12 mars 1859, nous n'avons pas à en rappeler les dispositions. Cette législation a été rendue exécutoire à la Réunion par un décret du 27 avril 1867 sous certaines modifications quant aux formalités à remplir (V. Dalloz, Rép., v° Org. des colonies, n° 508). 8 2 . Nous pourrions rattacher à la législation commerciale les textes édictés en ce qui touche les banques et sociétés de crédit. Nous consacrons plus loin une étude spéciale à celte matière importante. De m ê m e nous traiterons plus loin ce qui concerne les relations commerciales des colonies avec la métropole et le régime douanier édicté par la loi du 11 janvier 1892.


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LIVRE III. ORGANISATION CIVILE DES COLONIES.

C H A P I T R E V. LÉGISLATION

CRIMINELLE.

83. Ancien droit criminel aux colonies. — P r o m u l g a t i o n d u Code d'instruction criminelle. 84. P r o m u l g a t i o n du C o d e pénal. — Loi du 8 j a n v i e r 1877. 85. Lois postérieures. 86. Exécution des peines. — Dispositions spéciales aux colonies. 87. P o u v o i r s du g o u v e r n e u r . 8 8 . R é p r e s s i o n s p é c i a l e d e c e r t a i n s d é l i t s . — D é l i t d e m e n d i c i t é et v a g a b o n d a g e . — Décret du 13 février 1852. 8 9 . C o n v e r s i o n d e s frais e t a m e n d e en j o u r n é e s d e t r a v a i l . 90. S a n c t i o n s d o n n é e s a u x règlements du g o u v e r n e u r . 9 1 . Délits forestiers.

83. J u s q u ' à la p r o m u l g a t i o n des Godes d ' i n s t r u c t i o n criminelle et p é n a l , la j u s t i c e et la p r o c é d u r e c r i m i n e l l e s aux colonies ont été r é g i e s par l ' o r d o n n a n c e de Colbert de 1070. L e s Godes n o u v e a u x y sont d e v e n u s a p p l i c a b l e s a u fur et à m e s u r e de l e u r p r o m u l g a t i o n . Il en a été ainsi p o u r le Code d'instruction criminelle s u c c e s s i v e m e n t à la R é u n i o n (Ord. 19 déc. 1 8 2 7 ) ; a u x Antilles ( O r d . 12 oct. 1828) ; à la G u y a n e (Ord. 10 mai 1 8 2 9 ) ; au S é n é g a l (Ord. des 29 m a r s 1836 et 14 févr. 1 8 3 8 ) ; à la Guinée française (Décr. 4 mai 1892). P o u r lesdites colonies la p r o m u l g a t i o n a été explicite et formelle. P o u r les a u t r e s colonies, la p r o m u l g a t i o n y est r é s u l t é e implicitement du fait q u e les o r d o n n a n c e s o r g a n i q u e s y ont été é t e n d u e s p a r des a r r ê t é s locaux ou des d é c r e t s . Cette promulgation a soulevé diverses difficultés p o u r l e s q u e l l e s nous renvoyons en tant q u e de b e s o i n n o t r e l e c t e u r a u Répertoire


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LÉGISLATION C R I M I N E L L E . o s

de Dalloz (v° Org. des colonies), n 517, 522, 584, 6 2 8 , 776, 856, 874, 902. Depuis l o r s , les diverses lois qui ont apporté des modifications au Gode d'instruction criminelle ont été rendues applicables soit à toutes les colonies, soit seulement aux grandes colonies. Quant à cette distinction, V. F u z i e r - H e r m a n , n 286, 287 et infrà, Organisation jud. des colonies). 8 4 . Le Code pénal de 1810 n'a pu être promulgué aux colonies qu'avec les modifications q u e nécessitait le régime exceptionnel de l'esclavage. Elles étaient donc régies en matière pénale par u n Gode spécial dit Code pénal colonial (V. les ordonnances organiques des 30 déc. 1827, 29 oct. 1828, 15 févr. 1829 concernant nos grandes colonies). Une loi du 8 janvier 1877 complétée par trois décrets des 6 mars et 1 juin a promulgué dans les colonies le Gode pénal alors en vigueur dans la métropole. On en a conclu que toutes les lois qui avant 1877 ont modifié le Gode pénal, se trouvent étendues aux colonies, alors même qu'elles n'y auraient pas été régulièrement p r o m u l g u é e s . 8 5 Quant à celles qui sont postérieures au 8 janvier 1877, elles ne sont applicables aux colonies qu'en vertu d'une disposition formelle. C'est ce qui a eu lieu pour les lois ou décrets rendus s u r les matières suivantes : associations non autorisées (Déc. 29 mars 1880); la récidive (Loi 14 août 1885), l'espionnage (Loi 18 avr. 1886) ; fraude dans le commerce des beurres (Loi 14 m a r s 1887) ; diffamation par correspondance ouverte (Loi 11 févr. 1887); fraudes sur les engrais (Loi 4 févr. 1888); circonstances atténuantes (Loi 26 octobre 1888); protection des enfants maltraités (Loi 29 juillet 1889), mais cette loi n'est pas applicable aux indigènes qui n'ont pas été naturalisés. — S u r s i s à l'exécution des peines (Loi Bérenger, 26 mars 1891); fraude dans le commerce des vins (14 août 1889 et 11 juillet 1891). Imputation de la détention préventive sur la durée des peines (Loi 15 novembre 1892). 8 6 . La législation pénale des colonies diffère surtout de o s

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R.

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L I V R E III.

ORGANISATION CIVILE DES

COLONIES.

celle de la m é t r o p o l e , q u a n t à l'exécution des p e i n e s , et à la répression de certains délits. L e r é g i m e des prisons est modifié à raison soit des conditions matérielles de leur installation, soit de l'utilisation possible pour la colonie du travail des c o n d a m n é s . On a admis ce principe q u e l'administration, q u a n d elle le j u g e nécessaire, p e u t toujours faire s u b i r au c o n d a m n é sa peine hors de la colonie, c'est-à-dire d a n s u n e a u t r e colonie, ou dans la métropole, sauf à r a p a t r i e r g r a t u i t e m e n t le l i b é r é , et à comp r e n d r e d a n s la d u r é e de sa p e i n e , le t e m p s d e son voyage. Ainsi pour les colonies qui n'ont pas d e maisons de réclusion leurs h a b i t a n t s c o n d a m n é s à cette p e i n e sont envoyés en France. D'autre p a r t , les condamnés de toute c a t é g o r i e , sauf aux Antilles et à Saint-Pierre et Miquelon, peuvent être employés à travailler hors la prison pour les travaux publics ou pour le nettoyage des v i l l e s , ou m ê m e c o m m e ouvriers dans les ateliers privés, et m ê m e comme d o m e s t i q u e s . M. Dislère (Traite de légis. coloniale, n° 702), critique ces m e s u r e s comme présentant tantôt une aggravation tantôt u n e trop g r a n d e atténuation de la p e i n e . L a peine des travaux forcés prononcée dans les colonies doit, en principe, être subie à la G u y a n e ou en Nouvelle-Calé donie, mais p o u r les petites colonies la peine p e u t , suivant la décision de l'autorité locale, être s u b i e soit d a n s la colonie où elle a été p r o n o n c é e , soit d a n s les établissements pénitentiaires affectés a u x travaux forcés (Décr. 10 mars 1855, f? oct. 1879). Nous étudierons p l u s loin le régime des colonies p é n i t e n t i a i r e s , à la G u y a n e , et d a n s la Nouvelle-Calédonie et à Obock. S 7 . En matière c r i m i n e l l e , le g o u v e r n e u r de chaque colonie peut seul o r d o n n e r , en conseil p r i v é , l'exécution de l'arrêt de condamnation ou prononcer le s u r s i s lorsqu'il y a lieu de recourir à la clémence du chef de l'État. Le sursis est de droit pour la peine capitale, lorsqu'il est d e m a n d é p a r deux


LÉGISLATION CRIMINELLE.

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membres du conseil (Ord. 21 août 1825, art. 9, et 9 févr. 1827, art. 50). Les grâces et commutations de peine pour les condamnés qui subissent leurs peines aux colonies sont accordées par décret sur rapport du ministre de la justice et du ministre chargé des colonies (Décr. 15 déc. 1848). 8 8 . La répression de certains délits a un caractère spécial dans les colonies. Le décret du 27 avril 1848 supprimant l'esclavage donnait aux esclaves avec la liberté le titre et les droits de citoyens; ils devenaient électeurs et éligibles. (V. le rapport et l'instruction qui accompagnait le décret, D. 48. 4. 80). Mais il fallait leur assurer des moyens d'existence, et prévenir les abus qu'ils feraient de leur liberté. Plusieurs décrets du même jour établirent la formation d'ateliers nationaux; les conditions d'admission, de travail, et de salaire des o u v r i e r s , et enfin des dispositions répressives de la mendicité et du vagabondage. Les mendiants, gens sans a v e u , et vagabonds devaient être mis à la disposition du gouvernement pour un temps variant de trois à six mois, afin d'être employés dans des ateliers de discipline à des travaux publics au profit de l'État. Ces mesures furent jugées insuffisantes. Il fallait élargir la définition du vagabondage pour atteindre les gens dangereux que punit le texte de droit commun (art. 270, G. p.) qui définit les vagabonds ou gens sans aveu, « ceux qui n'ont ni domicile certain, ni moyen de subsistance et qui n'exercent habituellement ni métier ni profession, » confondant, ainsi que le fait observer M. Garraud (Traité de droit pénal, IV, n° 103), deux catégories de gens que notre ancien droit et le droit intermédiaire avaient toujours distingués. Pour atteindre ce but, un décret du 13 février 1852 ajoute: «ceux qui ne justifient pas d'un travail h a b i t u e l , par un engagement d'un an, ou par leur livret. » L'article 12 rendait le livret obligatoire. On voit que désormais ce qui constituait le délit de vagabondage était désormais l'absence d'un


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L I V R E I I I . O R G A N I S A T I O N CIVILE D E S C O L O N I E S .

e n g a g e m e n t d'un a n , ou d'un livret. L a loi du 8 janvier 1877 a m a i n t e n u cette disposition, et prescrit que les individus condamnés p o u r v a g a b o n d a g e , ou mendicité seront dans les ateliers de discipline r é p u t é s des condamnés de droit commun et ne porteront pas de costume distinctif (art. 4). L e décret du 13 février 1852 n'a été déclaré applicable q u ' a u x Antilles, à la Réunion et à la G u y a n e . D a n s les autres colonies la répression du v a g a b o n d a g e s'opère donc d'après les m ê m e s dispositions q u e d a n s la métropole. 8 9 . Le décret du 13 février 1852 avait prononcé en outre q u e les a m e n d e s et frais de condamnation s e r a i e n t , de droit, à défaut de p a i e m e n t , convertis en j o u r n é e s de t r a v a i l , au profit de la colonie ou des c o m m u n e s . Cette disposition a été abrogée par la loi du 15 avril 1 8 9 0 , mais m a i n t e n u e par décret du 13 j u i n 1887, pour la G u y a n e où d'ailleurs le principe de cette conversion est général et s'applique à toutes les infractions (Décr. 16 août 1854). Cette m e s u r e s'explique très bien p o u r cette colonie où les travaux de voirie et d'assainissement sont d ' u n e si g r a n d e u r g e n c e . A Mayotte et à Nossi-Ré la conversion des frais et amendes en j o u r n é e s de t r a v a i l , en cas d'infraction aux r è g l e m e n t s sur l'immigration, est facultative p o u r les t r i b u n a u x (Décr. 2 oct. 1885). 9 0 . En matière de simple police des dispositions spéciales ont paru nécessaires pour sanctionner les règlements des gouv e r n e u r s . D a n s le dernier état du d r o i t , la loi du 8 janvier 1877 et les décrets des 6 m a r s et 1 j u i n 1877 font u n e distinction. Les infractions a u x arrêts locaux de police sont assimilées à des contraventions de simple police et p u n i e s comme telles. L e s infractions aux arrêtés p r i s s u r les matières d'administrat i o n , ou p o u r l'exécution des lois, d é c r e t s , ou règlements peuvent être punies de 15 j o u r s de p r i s o n , à 100 francs d'amende au m a x i m u m . Mais si les peines édictées par les g o u v e r n e u r s dépassent e r


LÉGISLATION C R I M I N E L L E .

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celles du droit commun en matière de contraventions, le gouverneur doit faire sanctionner dans un délai de quatre m o i s , par un décret du chef de l'Etat, le règlement qu'il a ainsi édicté. Ce délai a été porté à six mois pour la Cochinchine, Mayotte et Nossi-Bé, et à huit mois pour les colonies du Pacifique (Décr. 20 sept. 1877). 91. La législation forestière de la métropole n ' a pas été étendue aux colonies. Presque toutes se trouvent régies par des arrêts locaux. Nous verrons cependant l'essai qui a été fait du Code forestier métropolitain en Algérie et les graves difficultés qui nécessitent l'adaptation d'une législation forestière spéciale à cette colonie. Une loi du 14 février 1872 a permis au conseil général de la Réunion de légiférer sur cette matière, ce qu'il a fait par règlement du 25 février 1874. Un décret du 25 février 1873 a conféré le même pouvoir au conseil général de la M a r t i n i q u e , et un a u t r e décret du 12 décembre 1889 a édicté diverses dispositions pénales pour les forets de cette colonie.


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L I V R E IV. ORGANISATION DES COLONIES.

LIVRE

IV.

ORGANISATION POLITIQUE,

ADMINISTRATIVE

E T M U N I C I P A L E D E S COLONIES.

CHAPITRE O R G A N I S A T I O N

PREMIER. I N T É R I E U R E .

1. A d m i n i s t r a t i o n d e s c o l o n i e s s o u s l ' a n c i e n r é g i m e . 2 . A t t r i b u t i o n d e s p o u v o i r s c i v i l s e t m i l i t a i r e s a u g o u v e r n e u r s o u s la Restauration. 3. Détermination de ses p o u v o i r s par l ' o r d o n n a n c e du 21 août 1825. — Création d e trois chefs d ' a d m i n i s t r a t i o n s o u s ses o r d r e s . 4. M o d i f i c a t i o n s é d i c t é e s p a r l e s d é c r e t s d e 1 8 8 2 . 5. R é g i m e a c t u e l . — Les gouverneurs. 6. P o u v o i r s d u g o u v e r n e u r d é t e r m i n é s p a r l e s o r d o n n a n c e s o r g a n i q u e s . 7. S e s p o u v o i r s p o l i t i q u e s . 8. S e s p o u v o i r s m i l i t a i r e s . — P o u v o i r d u c o m m a n d a n t m i l i t a i r e placé sous l'autorité du gouverneur. 9. P o u v o i r s a d m i n i s t r a t i f s d u g o u v e r n e u r . 10. S e s p o u v o i r s q u a n t à l ' a d m i n i s t r a t i o n d e la j u s t i c e . 11. Son autorité sur les fonctionnaires coloniaux. 12. S e s p o u v o i r s v i s - à - v i s d e s g o u v e r n e m e n t s é t r a n g e r s . 13. Situation d e s colonies tombées t e m p o r a i r e m e n t sous une domination étrangère. 14. R e c o u r s c o n t r e les a c t e s d e s g o u v e r n e u r s . 15. P o u r s u i t e s q u i p e u v e n t ê t r e e x e r c é e s c o n t r e l u i . 16. Contrôle d e s s e r v i c e s c o l o n i a u x . 17. D u conseil privé o u c o n s e i l d ' a d m i n i s t r a t i o n . 18. S e s fonctions a d m i n i s t r a t i v e s .


ORGANISATION P O L I T I Q U E .

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19. Composition du conseil p r i v é . 20. Des conseils généraux. — L e s c h a m b r e s d ' a g r i c u l t e u r s et d e c o m m e r çants sous l'ancien r é g i m e . 21. Assemblées coloniales a v a n t et a p r è s 1789. — Création s u c c e s s i v e d e s comités consultatifs et d e s conseils g é n é r a u x . — O r d o n n a n c e s o r g a niques de 1825-1828. 22. Substitution d e s conseils coloniaux a u x conseils g é n é r a u x p a r la loi du 24 avril 1833. 23. Régime i n a u g u r é en 1848. — T e n t a t i v e d'assimilation d e s colonies à la m é t r o p o l e . 24. S é n a t u s - c o n s u l t e d u 3 mai 1854. —R é o r g a n i s a t i o n d e s conseils g é n é raux. 25. Attributions d e s conseils g é n é r a u x d a n s les grandes colonies. 26. Leur composition. 27. Election et f o n c t i o n n e m e n t . 28. Classification s o u s trois chefs des a t t r i b u t i o n s d e s conseils g é n é r a u x . 29. Leurs a t t r i b u t i o n s quant a u b u d g e t d e s c o l o n i e s , et q u a n t à leur r é gime d o u a n i e r . — R e n v o i . 30. De la Commission coloniale, d a n s les g r a n d e s c o l o n i e s . 30 bis. Conseils g é n é r a u x d a n s les petites colonies et conseils l o c a u x . 31. Représentation des colonies au Parlement. — Conseil s u p é r i e u r consultatif 32. Organisation municipale des colonies. — S é n a t u s - c o n s u l t e du 3 mai 1854 33. Extension a u x g r a n d e s colonies de la loi m é t r o p o l i t a i n e d u 5 a v r i l 1884, s o u s c e r t a i n e s modifications. 34. Régime des p e t i t e s colonies.

1. A leur origine les colonies étaient administrées par les vice-rois ou gouverneurs lieutenants-généraux. Sous le régime des compagnies souveraines, l'administration se partage entre leurs agents et le gouverneur général. Sous le gouvernement direct de la royauté, l'administration est confiée au gouverneur lieutenant-général, aux gouverneurs particuliers, aux intendants. Parfois les plus notables h a b i tants prenaient part au vote des impôts (V. infrà, n° 20). Les conseils supérieurs (vid. sup., liv. III, ch. II, 28) étaient investis du pouvoir de faire des règlements de police et ils exerçaient, ou s'étaient attribué un droit de remontrance ou représentation qui formait un contre-poids dans les conflits très fréquents, entre le gouverneur investi de la puissance politique et administrative, et l'intendant chargé de l'adminis-


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LIVRE IV. ORGANISATION D E S C O L O N I E S .

tration civile et j u d i c i a i r e , la confusion de l e u r s a t t r i b u t i o n s était u n écueil et fut le motif de la s u p p r e s s i o n des i n t e n d a n t s (Ord. des 13 août 1817 et 11 m a r s 1 8 1 8 ) . Dès l o r s , le g o u v e r n e u r r é u n i t d a n s ses m a i n s les p o u v o i r s civils et m i l i t a i r e s . 2 . Mais ce c u m u l de pouvoirs n'était pas s a n s d a n g e r . D ' u n e p a r t le g o u v e r n e u r , choisi d ' o r d i n a i r e d a n s les a r m é e s de t e r r e et de m e r , pouvait ne p a s avoir l ' h a b i t u d e ni les connaissances n é c e s s a i r e s p o u r e x p é d i e r les affaires d ' o r d r e p u r e m e n t civil. D ' a u t r e p a r t , il était e n t r a v é p a r des détails d ' a d m i n i s t r a t i o n . Il fut r e m é d i é à cet état de choses p a r u n e o r d o n n a n c e d u 21 août 1 8 2 5 , et p a r les o r d o n n a n c e s de 1 8 2 7 et 1 8 2 8 . 3 . L ' o r d o n n a n c e du 21 a o û t 1825 d é t e r m i n a les fonctions du g o u v e r n e u r et lui en facilita l'exercice en p l a ç a n t sous son autorité i m m é d i a t e trois chefs d ' a d m i n i s t r a t i o n : 1° u n c o m m i s s a i r e - o r d o n n a t e u r c h a r g é , s o u s les o r d r e s du g o u v e r n e u r de l ' a d m i n i s t r a t i o n d e la g u e r r e et de la m a r i n e , de la direction g é n é r a l e des t r a v a u x et de la comptabilité g é n é r a l e (Ord. de 1825 complétée p a r ord. d u 9 févr. 1 8 2 7 ) ; 2° u n d i r e c t e u r de l ' i n t é r i e u r , c h a r g é de l ' a d m i n i s t r a t i o n i n t é r i e u r e d e la colon i e , de la police g é n é r a l e et de l ' a d m i n i s t r a t i o n des c o n t r i b u tions directes et i n d i r e c t e s ; 3° u n chef du service j u d i c i a i r e (infrà, liv. V , n° 6 ) . 4 . Ces r o u a g e s ont p a r u trop c o m p l i q u é s . A c t u e l l e m e n t dep u i s 1882 (Décr. des 15 sept. et 3 o c t . ) , les fonctions du c o m m i s s a i r e - o r d o n n a t e u r ont été s u p p r i m é e s et t r a n s f é r é e s p o u r les services civils au d i r e c t e u r de l ' i n t é r i e u r et p o u r les services militaires et m a r i t i m e s à l'officier du c o m m i s s a r i a t le p l u s élevé en g r a d e . Ce d e r n i e r p r e n d le titre de chef du service a d m i n i s t r a t i f de la m a r i n e . L ' a d m i n i s t r a t i o n coloniale est donc a u j o u r d ' h u i dirigée s o u s l ' a u t o r i t é du g o u v e r n e u r p a r deux chefs d ' a d m i n i s t r a t i o n , a u - d e s s o u s d e s q u e l s se trouvent des chefs de services et des e m p l o y é s s u b a l t e r n e s qui varient suivant les colonies (Décr. des 2 m a r s et 13 nov. 1 8 8 0 ) . 5. L a direction g é n é r a l e n ' a p p a r t i e n t p a s moins a u g o u v e r -


ORGANISATION

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POLITIQUE.

neur, c'est l'ordonnance du 21 août 1825 qui a déterminé ses fonctions et fixé, q u a n t aux détails, la répartition des p o u voirs entre les chefs immédiatement placés sous ses ordres. Les fonctions de celui qui gouverne les colonies varient d'aill e u r s , aussi bien que son t i t r e , suivant leur c a r a c t è r e , leur importance, leur situation. Ainsi, nos principales colonies (Antilles, Guyane, R é u n i o n , Sénégal, établissements de l'Inde et de l'Océanie, Guinée française, D i é g o - S u a r e z ) , sont placées sous l'autorité d'un gouverneur. D'autres sont sous l'autorité d'un commandant (Saint-Pierre et Miquelon, Obock et Mayotte). D'autres e n c o r e , trop étendues pour q u ' u n g o u v e r n e u r y exerce directement des pouvoirs, sont dirigées par des lieutenants-gouverneurs, commandants particuliers. Ainsi le gouverneur du Sénégal est représenté pour le territoire des Rivières du sud par un lieutenant-gouverneur sous l'autorité duquel sont placés des résidents dans les établissements de la Côte-d'Or et du golfe du Bénin (Décr. 1 août 1889). Les territoires du Gabon et du Congo français forment une seule colonie sous l'autorité d'un commissaire général qui a sous ses ordres un l i e u t e n a n t - g o u v e r n e u r du Gabon (Décr. 11 déc. 1888). L'Indo-Chine a un gouverneur général qui administre les protectorats du T o n k i n , de l'Annam et du C a m b o d g e , et par l'intermédiaire d'un lieutenant-gouverneur la colonie de la Cochinchine. Tous ces fonctionnaires sont nommés ou révoqués par d é c r e t s , a u c u n e condition d'âge ou de capacité n'a été déterminée par la loi pour ces nominations. 6 . Pouvoirs du gouverneur. — Ils sont déterminés en p r i n cipe, nous venons de le dire, p a r l'ordonnance du 21 août 1825 et successivement pour les diverses colonies par les ordonnances o r g a n i q u e s , rendues à diverses dates et dont les premières e r

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1

V . le texte d e s o r d . o r g a n i q u e s d e 1825, 1827 au Répertoire v° Organisation des colonies, p . 1027 et s.

de Dalloz, 7*


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LIVRE IV. ORGANISATION DES COLONIES.

r e m o n t e n t à la R e s t a u r a t i o n , savoir : R o u r b o n , O r d . précitée du 21 a o û t 1 8 2 5 ; — A n t i l l e s , O r d . 9 févr. 1 8 2 7 ; — G u y a n e , 27 août 1 8 2 7 ; — I n d e f r a n ç a i s e , 23 j u i l l e t 1 8 4 0 ; — S é n é g a l , 7 sept. 1 8 4 0 ; — S a i n t - P i e r r e et M i q u e l o n , 18 s e p t . 1 8 4 4 ; — C o c h i n c h i n e , Décr. 10 j a n v i e r 1 8 8 3 , 2 0 , 29 o c t . , 12 nov. 1 8 8 7 , 21 avril 1 8 9 1 ; — N o u v e l l e - C a l é d o n i e , 12 déc. 1 8 7 4 ; — E t a b l i s s e m e n t s de l ' O c é a n i e , 28 déc. 1 8 8 5 ; — G a b o n , 11 déc. 1 8 8 8 ; — G u i n é e , 17 déc. 1 8 9 1 ; — D i é g o - S u a r e z , 1 juillet 1890. 7 . L e g o u v e r n e u r est le chef de t o u t e l ' a d m i n i s t r a t i o n coloniale. Il r e p r é s e n t e le p r é s i d e n t de la R é p u b l i q u e , il est le dépositaire de son a u t o r i t é (Décr. 21 j a n v i e r 1 8 8 8 ) , m a i s , de m ê m e q u ' u n préfet des d é p a r t e m e n t s , il est l'agent c h a r g é d ' e x é c u t e r les décisions p r i s e s p a r le conseil g é n é r a l ainsi que nous l'expliquerons. 8 . Pouvoirs militaires du gouverneur. — C'est la p a r t i e délicate de sa t â c h e , et la source de conflits et de m a l e n t e n d u s . Aussi ses pouvoirs ont-ils été r e s t r e i n t s . D ' a p r è s les ordonn a n c e s o r g a n i q u e s de 1 8 2 7 , il pouvait p r e n d r e le c o m m a n d e m e n t s u p é r i e u r des forces de t e r r e ou de m e r , q u ' i l f û t , ou n o n , investi d ' u n g r a d e d a n s l ' a r m é e . A u j o u r d ' h u i le d é c r e t d u 21 j a n v i e r 1 8 8 8 fait des d i s t i n c t i o n s : Le c o m m a n d e m e n t militaire est a c t u e l l e m e n t exercé p a r u n officier g é n é r a l ou s u p é r i e u r n o m m é p a r d é c r e t à l'emploi de c o m m a n d a n t en chef, ou c o m m a n d a n t m i l i t a i r e . Si le g o u v e r n e u r est t i t u l a i r e d a n s l ' a r m é e d ' u n g r a d e égal ou s u p é r i e u r à celui d u c o m m a n d a n t m i l i t a i r e , il p e u t p r e n d r e le c o m m a n d e m e n t des t r o u p e s et e x e r c e r les p o u v o i r s m i l i t a i r e s . D a n s le cas c o n t r a i r e , le g o u v e r n e u r n e p e u t p l u s p r e n d r e le c o m m a n d e m e n t des t r o u p e s , ni exercer les p o u v o i r s m i l i t a i r e s ( a r t . 4 et 5 d u d é c r e t ) . L e c o m m a n d a n t militaire relève d ' a i l l e u r s h i é r a r c h i q u e m e n t d u g o u v e r n e u r m ê m e civil. Celui-ci a le pouvoir de d é c l a r e r ou lever l'état de siège en p r e n a n t (sans ê t r e t e n u de s'y conformer) l'avis d u conseil d e défense qu'il p r é s i d e et e r


ORGANISATION P O L I T I Q U E .

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qui est composé du commandant militaire, du chef du service administratif de la m a r i n e , du commandant des forces navales, et des officiers chargés de la direction de l'artillerie et du g é nie (Décr. 15 sept. 1882). 9 . Pouvoirs administratifs du gouverneur. — Il p r o m u l g u e les lois et décrets. Il a le contrôle de tous les services de la colonie. Il rend exécutoires les rôles des contributions directes et statue s u r les demandes en dégrèvement, etc. Enfin il fournit au gouvernement tous les renseignements utiles sur la colonie (V. plus amplement le texte de l'ordonnance du 9 févr. 1827 toujours en vigueur). 1 0 . Pouvoirs du gouverneur quant à l'administration de la justice. — Il veille à l'administration de la justice en se faisant rendre par le procureur général des comptes périodiques qu'il transmet au garde des sceaux. Il pourvoit au r e m p l a cement des magistrats absents (V. n° 10). Il veille à l'observation de la séparation des p o u v o i r s , et peut élever le conflit (V. l'ordonnance du 9 févr. 1827 complétée par décret du 28 oct. 1858). 1 1 . Pouvoirs du gouverneur sur les fonctionnaires coloniaux. — Il a la haute surveillance sur les m a g i s t r a t s , et a sous son autorité tous les fonctionnaires et agents du gouvernement. Ceux-ci sont nommés par l'administration s u p é r i e u r e , mais le gouverneur peut, en cas d'urgence, faire des nominations provisoires sans conférer cependant aux intérimaires le grade ni le titre des fonctions qu'il leur confie. Il nomme de plus à tous les emplois auxquels le chef de l'Etat, ou les ministres ne se sont pas réservé de pourvoir et il a le droit de révoquer ou destituer les agents à sa nomination. Il ne peut enfin ni modifier les attributions des fonctionnaires, ni créer un emploi nouveau, si ce n'est en exécution des délibérations du conseil général (Ord. 9 févr. 1827 ; Décr. 20 nov. 1882). 1 2 . Pouvoirs du gouverneur vis-à-vis des gouvernements étrangers. — On comprend q u ' à raison de la lenteur des communications avec la métropole les gouverneurs de certaines


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L I V R E I V . O R G A N I S A T I O N D E S COLONIES.

colonies aient reçu le droit d'entrer en relations d i r e c t e s , en cas d'urgence et pour les affaires administratives de leur colonie, avec les gouvernements é t r a n g e r s , limitativement désignés p a r les ordonnances ou les décrets (Ord. 9 févr. 1827). Ils ont en outre qualité pour accorder ou d e m a n d e r l'extradition. 1 3 . Quel serait le s o r t , au point de vue politique et a d m i nistratif, d'une colonie tombée temporairement a u pouvoir d'une puissance é t r a n g è r e ? Cette question se p r é s e n t e n a t u rellement ici; n o u s l'avons p r é c é d e m m e n t examinée au point de vue législatif (liv. I I I , n° 4 6 ) . L a souveraineté, d a n s les c o l o n i e s , a p p a r t i e n t à la métrop o l e , et est exercée par le g o u v e r n e u r , tant qu'elle est en possession de droit et de fait. S i , par suite d ' u n e g u e r r e é t r a n g è r e , u n e colonie est envahie et possédée par une tierce p u i s s a n c e , le retour en possession de la métropole n'efface p a s , d ' u n e manière a b s o l u e , les actes résultant de la domination étrangère (Dalloz, v° Lois, n 108 et suiv.). Il résulte, de la doctrine des a u t e u r s et de la j u r i s p r u d e n c e , q u e les actes faits par la puissance é t r a n g è r e , dans un intérêt g é n é r a l de sécurité et de j u s t i c e , et m ê m e dans l'intérêt privé des p a r t i c u l i e r s , conservent l e u r s effets et règlent les droits des intéressés (V. Dalloz, v° Organis. des colonies, n 31 à 3 4 ; voy. aussi suprà, liv. I I I , n° 40). 1 4 . Recours contre les actes du gouverneur. — Le gouverneur exerce toutes ses attributions sous l'autorité du ministre chargé des colonies (Sénatus-consulte du 3 mai 1854), lequel lui adresse ses i n s t r u c t i o n s , contrôle ses actes et se fait r e n d r e compte des plus importants (Ord. de 1827 et Décr. du 7 nov. 1879). Avant les ordonnances o r g a n i q u e s de 1 8 2 5 , 1827, etc., les actes des gouverneurs n'étaient susceptibles d'aucun recours contentieux. A u j o u r d ' h u i , au c o n t r a i r e , ils p e u v e n t être attaqués, soit devant le conseil du contentieux administratif de la colonie (infrà, liv. V, n° 2 5 ) , soit devant le Conseil d'État. 1 5 . Le gouverneur p e u t être poursuivi p o u r trahison, cono s

o s


CONSEIL P R I V É .

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c u s s i o n , a b u s d ' a u t o r i t é ou désobéissance a u x o r d r e s du gouvernement. T o u t e f o i s , en ce q u i c o n c e r n e les actes d ' a d m i n i s tration, l'article 82 de l'ordonnance du 9 février 1827 énonce qu'il ne p e u t être r e c h e r c h é q u e p o u r les m e s u r e s qu'il a prises ou refusé de p r e n d r e en opposition a u x r e p r é s e n t a t i o n s ou propositions des chefs d ' a d m i n i s t r a t i o n . M. F u z i e r - H e r m a n critique avec raison cette d i s p o s i t i o n , q u i p l a c e r a i t en état d'infériorité le g o u v e r n e u r v i s - à - v i s de ses s u b o r d o n n é s et q u i , a p r è s avoir d i s p a r u d e s o r d o n n a n c e s s u b s é q u e n t e s , a r e p a r u d a n s les décrets du 12 s e p t e m b r e 1874 (NouvelleCalédonie) et du 28 d é c e m b r e 1885 ( E t a b l i s . d'Océanie). (V. F u z i e r - H e r m a n , n° 6 0 1 ) . 1 6 . Contrôle des services coloniaux. — N o u s venons de voir que l'administration du g o u v e r n e u r tombe s o u s le contrôle du m i n i s t r e . L e s actes des divers services p l a c é s sous sa direction sont l'objet d ' u n contrôle q u i , j u s q u ' e n 1 8 7 3 , fut exercé par des i n s p e c t e u r s p e r m a n e n t s , s o u s le t i t r e de c o n t r ô l e u r s coloniaux (Voir O r d o n . du 9 févr. 1 8 2 7 , a r t . 141) m a i s , a p r è s diverses m e s u r e s q u i ont été r a p p o r t é e s , ils ont été définitivement r e m p l a c é s p a r des i n s p e c t e u r s g é n é r a u x et des inspecteurs en mission (Décr. des 25 nov. 1 8 8 7 , 9 août 1889 et 3 févr. 1890), q u i ont pris p o u r modèle l'inspection g é n é r a l e des finances. 1 7 . Du conseil privé. — L e conseil privé q u i , d a n s p l u s i e u r s c o l o n i e s , porte le n o m de conseil d'administration, remplit a u p r è s du g o u v e r n e u r , avec des pouvoirs p l u s é t e n d u s , u n rôle a n a l o g u e à celui des conseils d e p r é f e c t u r e . Il tire son origine des anciens conseils s u p é r i e u r s q u i , ainsi q u e nous l'avons i n d i q u é , c u m u l a i e n t des a t t r i b u t i o n s a d m i n i s t r a t i v e s judiciaires. Les conseils privés institués par les o r d o n n a n c e s o r g a n i q u e s des 21 a o û t 1825 et 9 février 1829 ont a u s s i des fonctions très d i v e r s e s , à la fois a d m i n i s t r a t i v e s et j u d i c i a i r e s . N o u s ne n o u s occuperons ici q u e des p r e m i è r e s . 1 8 . L ' i n t e r v e n t i o n du conseil p r i v é dans l e s affaires a d m i -


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LIVRE IV. ORGANISATION DES COLONIES.

nistratives est celle d'un conseil consultatif appelé à éclairer les décisions du gouverneur, mais cette intervention est ou facultative ou obligatoire. Les matières sur lesquelles le gouverneur p e u t , s'il le juge convenable, se dispenser de consulter le conseil p r i v é , sont extrêmement nombreuses et minutieusement énumérées (V. art. 172 et suiv. de l'Ord. du 9 févr. 1827, complétés par l'Ord. du 24 août 1 8 3 3 ; pour les textes, voy. Dalloz, p . 1023-1099). On pourrait indiquer plutôt dans la section 3 de l'ordonnance de 1827 « les matières s u r lesquelles le conseil privé doit être consulté et sur lesquelles il statue. » Là encore l'énumération est extrêmement étendue. A titre d'exemple, on peut indiquer que le conseil privé vérifie et arrête les comptes des receveurs et des comptables. Il statue s u r les marchés et adjudications d'ouvrages, fournitures, approvisionnements; s u r les o u v e r t u r e s , redressement, etc., des c h e m i n s ; sur les expropriations pour utilité p u b l i q u e ; les questions d'interprétation et application des ordonnances et règlements, etc. (V. Dalloz, n 279 à 286). Le gouverneur peut soumettre au conseil toutes les affaires sur lesquelles il désire avoir son avis. Il est toujours en droit de s'écarter des avis du conseil, sauf pour le cas de sursis à l'exécution d'une peine capitale; aucune affaire de la compétence du conseil ne doit lui être soustraite. Ses membres titulaires peuvent soumettre au gouverneur toutes les propositions qu'ils jugent utiles au bien du s e r v i c e ; le gouverneur décide s'il en sera délibéré. o s

1 9 . Le conseil privé comprend au nombre de ses m e m b r e s , sous la présidence du gouverneur ou du commandant de la colonie : le directeur de l'intérieur, le chef du service judiciaire et deux notables habitants, qui prennent le litre de conseillers privés ou de membres civils du conseil privé (Ord. du 9 févr. 1 8 2 7 ; Décr. 29 août 1855 et des 15 sept., 30 oct. 1882). Il faut y joindre le chef du service administratif de la marine (Décr. 20 oct., 23 nov. 1887) et, dans quelques-unes des petites colonies, d'autres fonctionnaires.


CONSEILS

GÉNÉRAUX.

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Les deux m e m b r e s civils du conseil privé sont n o m m é s par décret du p r é s i d e n t de la R é p u b l i q u e , sauf au G a b o n , à Mayotte et à N o s s i - R é , où ils sont d é s i g n é s p a r le g o u v e r n e u r . Le conseil privé doit a p p e l e r à ses s é a n c e s , avec voix délibér a t i v e , les chefs de services ou c e r t a i n s fonctionnaires, q u a n d il y est t r a i t é de m a t i è r e s r e n t r a n t d a n s l e u r s a t t r i b u t i o n s . 2 0 . Des conseils généraux. — Avant 1 7 8 9 , les colons ne prenaient a u c u n e p a r t à l ' a d m i n i s t r a t i o n des colonies. C e p e n dant on a p p e l a i t c e r t a i n s d ' e n t r e eux ( p r i n c i p a u x chefs de m i l i c e , s y n d i c s de p a r o i s s e ) à d o n n e r leur avis s u r les d é penses n é c e s s i t a n t de n o u v e a u x i m p ô t s . A p a r t i r de 1759 il fut créé a u x Antilles des c h a m b r e s d ' a g r i c u l t e u r s et de comm e r ç a n t s e t , en 1 7 6 3 , on y s u b s t i t u a u n e c h a m b r e d ' a g r i culture composée de sept h a b i t a n t s , q u i étaient consultés s u r les b e s o i n s de la colonie. Il y eut m ê m e , à la fin du règne de L o u i s X V I , des a s s e m b l é e s coloniales (V. suprà, liv. I I , n° 4 2 ) . 2 1 . L e s a s s e m b l é e s coloniales, r é u n i e s a p r è s 1 7 8 9 , e u r e n t un c a r a c t è r e plutôt p o l i t i q u e q u ' a d m i n i s t r a t i f . L e g o u v e r n e ment de la R e s t a u r a t i o n songea enfin à associer, d ' u n e m a nière r é g u l i è r e , les colons à l ' a d m i n i s t r a t i o n des colonies. On créa d ' a b o r d , par o r d o n n a n c e du 22 n o v e m b r e 1 8 1 9 , à la M a r t i n i q u e , à la G u a d e l o u p e , à la G u y a n e et à R o u r b o n des comités consultatifs dont les m e m b r e s , n o m m é s p a r le Roi, donnaient l e u r avis s u r le b u d g e t de leur colonie. P u i s les ordonnances o r g a n i q u e s de 1 8 2 5 , 1 8 2 7 , 1828 i n s t i t u è r e n t des conseils généraux demi-électifs é m e t t a n t des v œ u x et d o n n a n t des avis. 2 2 . L a loi du 24 avril 1 8 3 3 les r e m p l a ç a d a n s les q u a t r e colonies précitées p a r des conseils coloniaux avec des a t t r i b u tions p l u s é t e n d u e s , et le pouvoir d'envoyer a u p r è s d u g o u v e r n e m e n t métropolitain des d é l é g u é s . L a d u r é e de leurs fonctions était égale à celle du conseil colonial q u i les avait n o m m é s , et qui fixait l e u r t r a i t e m e n t . 2 3 . L a Révolution de 1848 mit fin à ce r é g i m e . L ' e s p r i t du


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LIVRE IV. ORGANISATION DES COLONIES.

gouvernement était d'assimiler autant que possible les colonies à la mère-patrie; le décret des 5-6 mars 1848 avait décidé qu'elles seraient représentées par des députés à l'Assemblée constituante. Il n'était donc plus besoin de conseils coloniaux et de délégués. 2 4 . Mais lors de la constitution donnée aux colonies par le sénatus-consulte du 3 mai 1854, la représentation au P a r l e ment leur est enlevée (V. suprà, liv. I I I , n° 18), et les conseils généraux leur sont restitués. Les membres devaient en être n o m m é s , moitié par le g o u v e r n e u r , moitié par les conseils municipaux. L e u r réorganisation sur le modèle des conseils généraux de la métropole est l'œuvre du sénatus-consulte du 4 juillet 1 8 6 6 , et des décrets des 3 décembre 1 8 7 0 , 13 février 1877, 12 juin, 7 novembre 1879, 15 février 1882, 21 août 1889. 2 5 . Les attributions du conseil général dans les grandes colonies sont déterminées par le sénatus-consulte du 4 juillet et la loi du 18 juillet 1866. Conformément à la loi du 10 mai 1838, elles comprennent trois catégories : décisions, délibérations, avis. Des conseils analogues ont été successivement organisés dans les petites colonies par divers décrets (23 déc. 1878, G u y a n e ; — 25 janv. 1879, I n d e ; — 4 févr. 1879, S é négal; — 8 févr. 1880, 12 mars 1 8 8 1 , 12 sept. 1888, Cochinc h i n e ; — 2 avr. 1 8 8 5 , Nouvelle-Calédonie; — 5 avr. 1885, Saint-Pierre et Miquelon; — 28 déc. 1885, Établissements d'Océanie). Mais à raison du petit nombre des colons français établis à Obock, Diégo-Suarez, Mayotte, Nossi-Bé, Guinée et Congo français, u n régime spécial existe pour ces colonies. 2 6 . Composition et fonctionnement des conseils généraux. — Le conseil général de chaque grande colonie comprend trente-six membres élus. Les circonscriptions sont déterminées par le gouvernement en conseil privé (Décr. 7 nov. 1879) d'après le chiffre de la population. Faut-il y comprendre les étrangers, notamment les immigrants? Oui, si on ne consulte que le texte du décret; mais M. F u z i e r - H e r m a n fait observer


CONSEILS

GÉNÉRAUX.

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(n° 639) q u e la loi du 16 j u i n 1885 d é t e r m i n e le n o m b r e des députés des d é p a r t e m e n t s français d ' a p r è s l e u r p o p u l a t i o n , déduction faite des é t r a n g e r s . Cette disposition relative aux élections législatives, ne semble pas devoir ê t r e é t e n d u e a u x élections des conseils g é n é r a u x aux c o l o n i e s , en présence du texte plus large du décret q u i les concerne. Q u a n t aux règles à suivre p o u r dresser les listes électorales et p o u r les élect i o n s , nous renvoyons à F u z i e r - H e r m a n , n 640 et s u i v . 2 7 . Les m e m b r e s du conseil g é n é r a l sont élus p o u r six ans et renouvelés par moitié tous les trois a n s (Décr. 26 juill. 1854). Le conseil tient une session a n n u e l l e s u r la convocation du g o u v e r n e u r . Il n o m m e son b u r e a u , et il p e u t tenir des sessions extraordinaires. En tout t e m p s il est m a î t r e de son ordre du j o u r . Enfin le m a n d a t d e ses m e m b r e s est g r a tuit et ne comporte l'allocation d ' a u c u n e i n d e m n i t é de route ou de séjour. o s

2 8 . P o u r d é t e r m i n e r les attributions des conseils g é n é r a u x , il faut combiner les dispositions des s é n a t u s - c o n s u l t e s des 3 mai 1 8 5 4 , et 6 juillet 1 8 6 6 , des décrets des 26 juillet 1854, 11 août 1866 et des lois des 10 août 1871 et 11 janvier 1892. L e u r analyse nous e n t r a î n e r a i t trop loin, et nous croyons devoir à cet égard renvoyer nos lecteurs au Répertoire F u z i e r - H e r m a n , n 654 à 6 8 2 . Signalons cependant que les délibérations des conseils g é néraux peuvent se classer sous trois chefs (V. suprà, n . 25) : 1° Tantôt ils statuent définitivement (par exemple s u r les acquisitions, aliénations, échange des propriétés de la colonie, les baux des biens donnés ou pris à ferme ou à loyer, les actions à introduire ou soutenir au nom de la colonie; le classement et la direction des routes et chemins d'intérêt collectif, etc., etc.; 2° Tantôt leurs décisions ne sont exécutoires q u ' a p r è s a p probation de l'autorité s u p é r i e u r e ; 3° Tantôt enfin les conseils g é n é r a u x n ' é m e t t e n t q u e de simples avis. o s


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LIVRE TV. ORGANISATION DES COLONIES.

2 9 . Nous indiquerons plus loin leurs pouvoirs, très importants, en ce qui concerne le budget des colonies et leur régime douanier. 30. De la commission coloniale. — Près du conseil général de chacune des grandes colonies, une commission coloniale a été instituée sur le modèle des commissions départementales (Décr. 12 juin 1879). Elle se compose de quatre membres au moins, et sept au plus élus chaque année à la fin de la session ordinaire. La plupart des règles qui la concernent sont e m pruntées à la loi du 10 août 1871. Elle règle les affaires qui lui sont renvoyées par le conseil g é n é r a l , elle reçoit les communications que doit lui faire le directeur de l'intérieur, par mois ou par trimestre, etc. Enfin elle présente un rapport au conseil général à l'ouverture de la session (art. 80, 86, 88 de la loi précitée du 10 août 1871). Dans les petites colonies, les pouvoirs des conseils généraux ne diffèrent que par quelques détails. Quelques-unes seulement peuvent nommer une commission coloniale (Guyane, Saint-Pierre et Miquelon, Nouvelle-Calédonie, Sénégal, Etablissements d'Océanie). Outre le conseil g é n é r a l , il existe des conseils locaux dans l'Inde et en Cochinchine (Décr. 27 janv. 1879, 26 févr. 1884, 12 juillet 1887, 5 mars 1889). 3 1 . Représentation des colonies. — Sous l'ancien régime les colonies les plus importantes envoyaient en France des délégués chargés de défendre leurs intérêts; elles n'étaient pas représentées aux États généraux. Le droit d'envoyer des représentants aux assemblées métropolitaines qui avait été accordé à q u e l q u e s - u n e s par la constitution de l'an III leur fut enlevé par celle de l'an VIII. De nouveau, les colonies furent admises en 1848 à être représentées au Parlement. Ce droit, qui leur fut enlevé par le décret du 2 février 1852 (V. suprà, liv. III, n 18 et 19), leur a été restitué par les décrets des 8 et 15 septembre 1870. Il a été régularisé par la loi du 13 février 1889 portant établissement o s


ORGANISATION

MUNICIPALE.

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du scrutin d ' a r r o n d i s s e m e n t . Elle a donné aux colonies le droit d'élire dix d é p u t é s , soit d e u x p o u r c h a c u n e des g r a n d e s colonies ( M a r t i n i q u e , G u a d e l o u p e , R é u n i o n ) , u n pour l'Inde française, un p o u r le S é n é g a l , u n p o u r la G u y a n e , un p o u r la Cochinchine. L e s trois g r a n d e s colonies et l'Inde élisent en outre chacune u n s é n a t e u r (L. 24 févr. 1875). Aux diverses é p o q u e s où les colonies n'étaient p a s r e p r é sentées dans le P a r l e m e n t , l e u r s intérêts étaient défendus p r è s du G o u v e r n e m e n t , soit p a r les d é l é g u é s choisis p a r e l l e , soit par un Conseil s u p é r i e u r consultatif. La composition de ce conseil a été réglée p a r u n décret du 29 mai 1890. Il c o m p r e n d : 1° L e s s é n a t e u r s et d é p u t é s des colonies; 2° n e u f d é l é g u é s élus par les petites colonies et les protectorats p o u r trois a n s ; 3° d i x - s e p t fonctionnaires m e m bres de d r o i t ; 4° des d é l é g u é s des c h a m b r e s de c o m m e r c e de Paris, L y o n , Marseille, B o r d e a u x , R o u e n , le Hâvre et N a n t e s ; 5° cinq d é l é g u é s de sociétés d ' é t u d e s c o l o n i a l e s ; 6° des m e m bres, dont le n o m b r e n ' e s t pas l i m i t é , n o m m é s p a r le m i n i s tre. Ce conseil, p u r e m e n t consultatif, d o n n e son avis s u r tous les projets de lois ou décrets renvoyés à son e x a m e n , et en général s u r les questions q u e l u i s o u m e t le m i n i s t r e . 3 2 . Organisation municipale des colonies. L e s c o m m u n e s proprement dites n ' o n t été organisées q u e sous le second E m pire, et s e u l e m e n t d'abord dans nos trois grandes colonies. Le s é n a t u s - c o n s u l t e du 3 m a i 1854 divise l e u r territoire en c o m m u n e s , a y a n t c h a c u n e un m a i r e , des adjoints et u n c o n seil m u n i c i p a l n o m m é s p a r le g o u v e r n e m e n t . L e s conseils municipaux étaient investis du droit de n o m m e r la moitié des membres du conseil g é n é r a l . 3 3 . La loi du 4 avril 1884 a é t é , en p r i n c i p e , d é c l a r é e applicable a u x g r a n d e s colonies (art. 1 6 5 ) , sauf q u e l q u e s modifications ou additions q u i s'expliquent par l ' é l o i g n e m e n t des autorités s u p é r i e u r e s et les p a r t i c u l a r i t é s locales. A i n s i , tandis q u e p o u r les c o m m u n e s situées en F r a n c e , la loi exige un décret, u n a r r ê t é du g o u v e r n e u r en conseil privé en tient


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LIVRE IV. ORGANISATION DES COLONIES.

lieu aux colonies, lorsqu'il s'agit soit de vendre des biens communaux, soit de dissoudre un conseil municipal, soit d'établir des centimes pour insuffisance de revenus (V. L. 4 avril 1884, art. 43, 44, 165, et L. 12 mai 1889). D'autre part, des particularités locales expliquent certaines dispositions, telles, par exemple, ce qui est relatif à l'octroi de mer, dont nous parlerons sur le régime douanier. 3 4 . Parmi les petites colonies, quelques-unes sont entièrement soumises au régime municipal : Saint-Pierre et Miquelon (Décr. 13 mai 1872), la Guyane, l'Inde (Décr. 12 mars 1880). — V. pour la Guyane ci-dessous, liv. X , ch. m. L'organisation communale ne s'applique, au contraire, qu'à une fraction déterminée du territoire, le surplus restant sous la direction exclusive de l'administration : au Sénégal (Décr. 10 août 1872 et 12 juin 1880), en Nouvelle-Calédonie (Décr. 8 mars 1879), en Cochinchine (Décr. 8 janvier 1877, 29 avril 1881), à Taïti (Décr. 20 mai 1890). Partout ailleurs, l'organisation communale n'existe pas. Dans ces quatre colonies, les conseils municipaux se r é u nissent en session ordinaire quatre fois par a n ; chaque session peut durer dix jours. Les maires ont, en principe, les mêmes attributions que dans les grandes colonies (sauf dans les colonies pénitentiaires, à la Guyane et à Nouméa, en ce qui concerne la police). Pour tout ce qui est relatif à l'érection de nouvelles communes, ou sectionnement, ou à la réunion de communes existantes, au changement de n o m , à la publicité des s é a n c e s , une loi du 29 avril 1887 déclare applicables aux mêmes colonies les dispositions de la loi métropolitaine du 4 avril 1884. Enfin, leurs conseils municipaux ne peuvent correspondre entre eux comme le font ceux des grandes colonies ou de la métropole. En Océanie, le même régime que dans les quatre colonies sus-indiquées a été institué par un décret du 20 mai 1889.


ORGANISATION JUDICIAIRE.

LIVRE ORGANISATION

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V. JUDICIAIRE.

CHAPITRE

I.

JUSTICE CIVILE ET C R I M I N E L L E D A N S LES G R A N D E S COLONIES.

1. O r g a n i s a t i o n a c t u e l l e d e l a j u s t i c e c o l o n i a l e . — O r d o n n a n c e s o r g a n i ques. 2. Deux différences p r i n c i p a l e s d i s t i n g u e n t l ' o r g a n i s a t i o n j u d i c i a i r e d e s colonies. 3. A b s e n c e d ' i n a m o v i b i l i t é . 4. C o n d i t i o n s d ' â g e et d ' a p t i t u d e . 5. C a u s e s d ' i n c o m p a t i b i l i t é . 6. Discipline j u d i c i a i r e . 7. Justice civile. — C o m p o s i t i o n d e s t r i b u n a u x et d e s c o u r s . — T r i b u naux de paix. 8. T r i b u n a u x d e p r e m i è r e i n s t a n c e . 9. Cour d ' a p p e l . 10. M a g i s t r a t s a b s e n t s ou e m p ê c h é s . H . Avocats. — Avoués. 12. H u i s s i e r s . 13. N o t a r i a t . 14. T r a n s m i s s i o n d e s offices. 15. A s s i s t a n c e j u d i c i a i r e . 16. Justice criminelle. — S i m p l e p o l i c e . 17. T r i b u n a u x c o r r e c t i o n n e l s . 18. C o u r s d ' a s s i s e s .

1 . En étudiant l'organisation civile des colonies ( l i v . I I I , ch. 1 ), nous avons indiqué comment la justice y était rendue er


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L I V R E V . ORGANISATION J U D I C I A I R E .

sous le régime des compagnies privilégiées, et plus tard sous le gouvernement royal. Nous passons à l'examen des règles actuelles qui régissent la magistrature coloniale. De nos j o u r s , l'administration de la justice a fait l'objet d'ordonnances spéciales qui ont complété le système constitutif institué pour les colonies par le gouvernement de la Restauration. Les ordonnances organiques en cette matière sont celles du 30 septembre 1827 pour la R é u n i o n , du 24 septembre 1828 pour la Martinique, du 21 décembre 1828 pour la Guyane, des 26 juillet et 31 août 1830 pour Saint-Pierre et Miquelon. L'expérience appelait des modifications q u i ont été l'objet des décrets du 9 août 1854 pour le S é n é g a l , 16 août 1854 pour les Antilles et la Guyane, 28 février (NouvelleCalédonie); 1 j u i n 1878 (Gabon); 2 septembre 1887 (Obock); 22 avril 1887 (Diégo-Suarez) ; 29 octobre 1887 (Sainte-Marie de Madagascar); 17 juin 1889; et loi du 15 avril 1890 sur l'organisation de la justice dans les grandes colonies. Malgré des différences de détails q u e nous indiquerons plus loin pour certaines de ces colonies, ces textes présentent des traits communs. 2 . Deux différences principales distinguent l'organisation judiciaire aux colonies de l'administration de la justice dans la métropole. 1° L a j u s t i c e , aux colonies, n'est pas placée dans les attributions du garde des sceaux ; mais dans celles du ministre de la marine. Toutefois, les décrets de nomination et de révocation sont contresignés par le garde des sceaux et les mesures disciplinaires ne peuvent être prises q u e de concert entre les deux ministres (Ord. 28 juill. 1841). 2° Elle ne jouit p a s , comme la magistrature métropolitaine, du privilège de l'inamovibilité. 3 . Tout d'abord, une ordonnance du 13 novembre 1816 admit l'inamovibilité comme « condition essentielle de l'indépendance du j u g e . » Mais, tout au contraire, l'ordonnance du 30 septembre 1827 décida que les magistrats coloniaux ne resteraient en fonctions « q u e tant que le Roi le j u g e r a i t convenable au bien de son service. » e r


GRANDES COLONIES.

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On voulait éviter que le service de la justice ne fut compromis par le principe de l'inamovibilité, dans les cas où les tribunaux ne seraient composés que d'un seul j u g e , et les cours restreintes à un petit nombre de magistrats. On a donc considéré que les colonies se trouvaient à cet égard dans une situation exceptionnelle, de nature à justifier une dérogation au principe de l'inamovibilité. La question a été soumise à un nouvel examen. Lors de la discussion de la loi du 15 avril 1890, la commission du Sénat a obtenu le maintien de l'amovibilité, j u s q u ' à plus ample examen de l'organisation judiciaire en d'autres pays (Angleterre, Hollande, Espagne et Portugal) où l'on s'est attaché à établir une plus étroite assimilation des institutions j u d i ciaires des colonies avec celles des métropoles (D. 9 1 , 4. 2). 4 . Conditions d'âge et d'aptitude des magistrats. — D'abord différentes, elles sont aujourd'hui les mêmes que dans la m é tropole pour les grandes colonies (Antilles et Réunion). Décret du 16 août 1854 et loi du 15 avril 1890 (D. 9 1 . 4. 2). Pour les autres colonies subsiste le décret du 16 août 1868 qui exige 22 ans d'âge pour les juges auditeurs et les j u g e s suppléants; 25 ans pour les conseillers auditeurs et lieutenant de juge; 27 ans pour les j u g e s et présidents de première instance; 30 ans pour les juges et présidents d'appel. Le grade de licencié en droit suffit (L. 20 avr. 1810). 5. Les causes d'incompatibilité sont les mêmes que dans la magistrature continentale pour la Martinique, la Guadeloupe, la Réunion et le Sénégal. Dans les autres colonies, elles restent régies par des ordonnances spéciales. Elles ajoutent un degré de parenté à ceux q u i , en F r a n c e , déterminent l'incompatibilité, les liens de famille étant plus nombreux et plus étendus que dans nos départements (D. 54. 4. 145). Lorsqu'un magistrat colonial se trouve par son mariage dans un des cas d'incompatibilité prévus. Son remplacement immédiat n'est pas exigé pourvu q u e les deux magistrats alliés au degré prohibé ne siègent pas ensemble (Cass., 2 déc. 1858, D. 58. 1. 218).


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L I V R E V . ORGANISATION J U D I C I A I R E .

6 . Discipline judiciaire. — L a direction du service judiciaire est confiée dans chaque colonie à un magistrat qui prend le titre de chef du service. Cette mission appartient au procureur général dans les grandes colonies, ainsi q u ' à la Guyane, dans l'Inde, en Cochinchine et au Sénégal. La discipline s u r les magistrats coloniaux est exercée par les c o u r s , par les t r i b u n a u x , le chef du service judiciaire, et par le chef de l'Etat (Ordonnances organiques précitées). L'absence d'un magistrat sans c o n g é , hors de la colonie, emporte sa démission (Ord. 30 sept. 1817, et 24 sept 1828). L a discipline des avoués et des huissiers appartient au procureur général qui procède selon les règles fixées par les ordonnances des 21 août 1825 et 9 février 1827. Il peut prononcer le rappel à l'ordre et la censure, mais pour la suspension, le remplacement et la destitution, il ne peut que faire les propositions au gouverneur qui statue. Au cas d'infractions commises au cours de l'audience les m e s u r e s disciplinaires appartiennent aux magistrats du siège, sauf au cas de destitution. En cas d'urgence, le gouverneur peut pourvoir aux emplois vacants dans la magistrature sauf confirmation par le pouvoir central. 7 . Composition des cours et tribunaux. — Dans les grandes colonies (Guadeloupe, M a r t i n i q u e , Réunion), la justice est rendue par : 1° des tribunaux de paix, des tribunaux de première instance, des cours d ' a p p e l , des cours d ' a s s i s e s , et en matière de commerce et de douane par les conseils privés qui sont aussi juges du contentieux administratif (Décr. du 16 août 1 8 5 4 ; L. 27 juill. 1 8 8 0 ; L . 15-16 avril 1890. V. le rapport de M. Casablanca au S é n a t , D. 9 1 . 4. 2). Les tribunaux de paix connaissent, comme en France, des actions civiles, personnelles et mobilières sans appel j u s q u ' à 250 francs et sauf appel j u s q u ' à 500 francs pour les actions indiquées dans l'article 10 de la loi du 25 mai 1838, et en dernier ressort j u s q u ' à 250 francs pour les actions indiquées dans


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GRANDES COLONIES.

er

les articles 2-5 de la même loi (Décr. 16 août 1854 a r t . 1 ) . En matière commerciale, les j u g e s de paix statuent sans appel j u s q u ' à 250 francs à la R é u n i o n ; j u s q u ' à 150 aux Antilles. Ils jugent en premier ressort, j u s q u ' à 500 francs à la Réunion, j u s q u ' à 300 francs aux Antilles (Ord. de sept. 1827-1828 et Décr. du 16 août 1854, art. 2). Dans les affaires civiles qui excèdent leur compétence ils font office de conciliateurs. 8 . Les tribunaux de première instance jadis composés de un juge unique (Ord. de 1828-29), comprennent depuis 1854 un président, deux j u g e s au m o i n s , un p r o c u r e u r , un substitut s'il y a lieu, un greffier et des commis-greffiers. — Au besoin on peut y attacher deux juges suppléants (L. 15 avr. 1890). Dans l'île de Marie-Galante q u i dépend de la G u a d e l o u p e , le tribunal de première instance est remplacé p a r un j u g e de paix à compétence étendue (Décr. 25 nov. 1890). Les tribunaux de première instance connaissent de l'appel des jugements rendus en premier ressort par les juges de paix. Ils jugent les affaires civiles et commerciales dépassant la compétence de ceux-ci en dernier ressort j u s q u ' à 2,000 francs en principal et 200 francs de revenu, et à charge d'appel a u dessus de ces sommes (Décr. 16 août 1854, art. 3). 9 . Les cours d'appel dans nos trois grandes colonies des Antilles et Réunion se divisent en trois chambres (civile, correctionnelle et d'accusation) et comprennent : u n p r é s i d e n t , sept conseillers au m o i n s , un procureur g é n é r a l , un ou deux substituts, un greffier et des commis-greffiens. Les arrêts doivent être rendus p a r un nombre impair de magistrats. Il existait autrefois des conseillers auditeurs dans les cours des grandes colonies qui avaient aux Antilles voix consultative j u s qu'à 27 ans, et depuis cet âge voix délibérative, mais s i m p l e ment voix consultative à la Réunion. Le décret du 22 avril 1886 les a s u p p r i m é s dans les grandes colonies. Les cours d'appel ont les mêmes attributions qu'en France mais elles ont de plus une partie des pouvoirs de la Cour de casR.

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LIVRE

V.

ORGANISATION

JUDICIAIRE.

sation. On comprend q u e pour les affaires de minime importance il eût été excessif d'imposer aux parties les lenteurs et les frais d'un pourvoi en F r a n c e . Les ordonnances de 1827 et 1828 précitées ont donc chargé les cours coloniales de connaître en matière civile et commerciale des demandes formées, soit par les parties, soit par le procureur général dans l'intérêt de la l o i , en annulation pour incompétence, excès de pouvoir ou violation de la l o i , des j u g e m e n t s r e n d u s en dernier ressort p a r les juges de paix. 1 0 . En cas d'empêchement momentané de siéger, il appartient au président de pourvoir au remplacement du magistrat absent ou empêché en appelant des magistrats honoraires ou des avoués suivant l'ordre d'ancienneté. Si l'empêchement est prolongé, le gouverneur peut pourvoir à l'intérim par la nomination d'un magistrat provisoire. 1 1 . Avocats, avoués. — L'ancienne législation coloniale ne reconnaissait pas d'avocats. Bien plus, la profession d'avocat y fut interdite (Arrêt du cons. souverain de la M a r t i n i q u e , 13 janv. 1676) et les arrêts du conseil souverain portaient dispenses des consultations d'avocats dans les cas où l'ordonnance de 1667 en exigeait. Plus lard l'ordonnance du 14 juillet 1738 autorisa la création de procureurs commissionnés par le gouvernement local avec le droit de plaider, En fait, q u e l q u e s avocats se glissèrent entre les procureurs avec permission de la Cour, et assistance des procureurs. Mais ce fut une innovation accidentelle, une ordonnance du 1 février 1776 n'admettait d'avocats qu'autant que leur profession se confondrait avec l'exercice de la postulation. Ce fut plus tard l'origine des avocatsavoués. Après 1789, les procureurs convertirent leur titre en celui d'avoué comme dans la métropole. Ils continuèrent à être exclusivement chargés de la plaidoirie et de la postulation. Les lois et règlements de 1810 sur la profession d'avocat en France ne furent pas appliqués aux colonies, et les ordone r


GRANDES COLONIES.

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nances de 1 8 2 8 - 1 8 2 9 ne c h a n g è r e n t rien à cet état de choses. Mais l'ordonnance du 15 février 1831 déclara q u e la profession d'avocat pourrait être librement exercée à l'avenir a u x colonies suivant les lois et règlements en v i g u e u r en F r a n c e , sauf la réserve des droits a c q u i s a u x avoués titulaires en exercice. Les avoués étaient désormais réduits à la p o s t u l a tion et déchus du droit de plaider conformément à l'ordonnance de 1822 concernant les avoués dans la métropole. 1 2 . Les h u i s s i e r s sont n o m m é s p a r le g o u v e r n e u r en conseil sur la proposition du p r o c u r e u r g é n é r a l suivant les mêmes conditions d ' â g e , de stage et de capacité q u ' o n exige en France. Ils j o u i s s e n t , comme les avoués d e p u i s la loi de finance du 19 mai 1 8 4 9 , du droit de p r é s e n t a t i o n , et doivent fournir un c a u t i o n n e m e n t . L e u r s attributions sont les m ê m e s qu'en France (Ord. de sept. 1827 et 1828). 1 3 . Le notariat présente d a n s les colonies u n e physionomie spéciale. Les fonctions en sont exercées par des greffiers à Mayotte, à Nossi-Bé, et d a n s la Guinée française. Dans les autres colonies, les notaires exercent conformément à la loi du 25 ventôse an XI. Cette législation instituée pour les Antilles par décret du 14 j u i n 1864 et déjà appliquée en partie à la G u y a n e , a été é t e n d u e depuis à la Cochinchine en 1870 (Arrêté local du 27 août 1875), à la Nouvelle-Calédonie (Arrêté 7 j u i n 1 8 7 0 ) , à la R é u n i o n (Décr. 26 j u i n 1879), à Saint-Pierre et Miquelon (Décr. 30 j u i l l . 1 8 7 9 ) , aux établissements de l'Inde (Décr. 24 a o û t 1887), aux établissements d'Océanie (Décr. 29 j u i l l . 1890). Toutefois l'institution n'est p a s partout i d e n t i q u e . D a n s les grandes colonies et à la G u y a n e , les notaires sont officiers ministériels avec le droit de p r é s e n t e r l e u r s successeurs à la nomination du chef de l'État conformément à la loi du 19 m a i 1849. Dans les petites colonies, les notaires sont choisis p a r le gouvernement sans q u ' i l s p u i s s e n t p r é s e n t e r l e u r s successeurs.


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L I V R E V . ORGANISATION J U D I C I A I R E .

1 4 . Relativement à la transmission des offices, la loi précitée du 19 mai 1849 décida (art. 9) q u e les dispositions de l'article 91 de la loi du 28 avril 1816 qui donne aux officiers publics qui y sont dénommés le droit de présenter un successeur à l'agrément du chef de l'Etat, seraient applicables pour la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane et la Réunion, aux n o t a i r e s , a v o u é s , h u i s s i e r s , courtiers et commissairespriseurs. On fit r e m a r q u e r plus tard q u e les greffiers avaient été o m i s , par suite d'une erreur d'un député des Antilles. Cette omission n'a pas été légalement r é p a r é e , mais l'usage pour les greffiers de recevoir de leur successeur un prix en argent, a été maintenu en fait, sans être reconnu comme u n droit. 1 5 . L'assistance judiciaire, en matière civile, correctionn e l l e , criminelle a été instituée conformément à la loi du 22 janvier 1 8 5 1 , dans les grandes colonies par le décret du 16 janvier 1854, elle est réglée dans les a u t r e s par arrêtés du gouverneur rendus en conseil privé (même décret, a r t . 28). 1 6 . La justice criminelle est rendue comme dans la métropole (Loi précitée du 25 avr. 1890). Dans les tribunaux de simple police les fonctions du ministère public sont remplies par le commissaire de police, ou à défaut par l'officier de l'état civil (Ord. de sept. 1827 et 1828). 1 7 . Les tribunaux de police correctionnelle avant 1854 ne jugeaient pas les délits en matière de douane et de commerce. Ils ne se composaient alors que d'un j u g e , ce qui fut considéré comme n'offrant pas assez de garantie pour les premiers. La connaissance des a u t r e s délits de droit commun appartenait aux cours d ' a p p e l , tandis que les infractions aux lois s u r les douanes et le commerce étranger, relevaient au second degré du conseil privé constitué en commission d'appel. Ces m e s u r e s , véritablement a n o r m a l e s , ont disparu (Décr. du 16 août 1854, et du 5 août 1881). A u j o u r d ' h u i , le tribunal civil constitué comme il a été dit plus h a u t , statuant


GRANDES COLONIES.

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correctionnellement, connaît en premier ressort des délits et infractions dont la peine excède la compétence du t r i b u n a l de simpie police, et en appel des décisions r e n d u e s en simple police conformément au Code d'instruction criminelle. Les cours d'appel connaissent a u j o u r d ' h u i suivant le droit commun des j u g e m e n t s r e n d u s p a r les t r i b u n a u x c o r r e c tionnels. 1 8 . Les cours d'assises coloniales organisées par les ordonnances des 30 s e p t e m b r e 1827, et 24 s e p t e m b r e 1828 précitées, différaient profondément des c o u r s d'assises de la métropole. Elles se composaient de trois conseillers de cour d'appel et de q u a t r e a s s e s s e u r s . La loi du 27 juillet 1880 a, dans les grandes colonies, r e m p l a c é le collège des a s s e s s e u r s par le jury et a statué q u e toutes les lois en v i g u e u r d a n s la métropole s u r le j u r y et n o t a m m e n t la loi fondamentale du 24 novembre 1872 seraient mises en v i g u e u r dans les g r a n d e s colonies. La liste a n n u e l l e du j u r y c o m p r e n d , p o u r chaque ressort de cour d ' a s s i s e s , 400 j u r é s . Elle est répartie par le gouverneur par a r r o n d i s s e m e n t et p a r canton et dressée pour c h a q u e arrondissement p a r u n e commission composée du p r é s i d e n t du tribunal civil, du j u g e de paix, et du conseiller g é n é r a l de chaque canton (Loi 27 juill. 1880, art. 4 ) . Outre les lois s u r le j u r y , en v i g u e u r d a n s la m é t r o p o l e , la loi de 1880 a prescrit de p r o m u l g u e r d a n s les g r a n d e s colonies tous les articles du Code d'instruction criminelle relatifs à la p r o c é d u r e devant les c o u r s d'assises. Il suffit de se référer aux articles q u i ont été spécialement désignés par ladite loi comme devant recevoir leur application. La présence d'un interprète est fréquente dans les cours d'assises. L'article 332 du Code d'instruction c r i m i n e l l e , mis en vigueur a u x colonies, a donné lieu à q u e l q u e s difficultés qui ont été tranchées p a r la j u r i s p r u d e n c e (V. F u z i e r H e r m a n , v° Colonie, n 433 et s u i v . ) . o s

8*


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L I V R E V. ORGANISATION J U D I C I A I R E .

CHAPITRE II. O R G A N I S A T I O N DE L A J U S T I C E D A N S L E S P E T I T E S COLONIES.

19. 20. 21. 22. 23.

T r i b u n a u x de paix à compétence étendue. Tribunaux de première instance. Tribunaux d'appel. Affaires c o m m e r c i a l e s . Affaires c r i m i n e l l e s .

1 9 . C h a c u n e des petites colonies a une organisation j u d i ciaire qui lui est p r o p r e ; mais elle offre certains traits généraux. Les tribunaux de paix jouissent dans les petites colonies d ' u n e compétence plus étendue q u e celle des t r i b u n a u x de p a i x métropolitains. Des justices de paix à compétence étendue existent à M a r i e - G a l a n t e , voisine de la G u a d e l o u p e , dans l'Inde, à Y a n a o n , Mahé et C h a n d e r n a g o r , à la Guyane pour le Maroni, en Nouvelle-Calédonie, au Soudan f r a n ç a i s ; à DiégoS u a r e z , à Sainte-Marie de Madagascar à O b o c k , et d a n s la Guinée française. Il en avait été créé en Cochinchine (1886) q u i ont été s u p p r i m é e s p a r décret du 17 j u i n 1889. 2 0 . Les tribunaux de première instance se composent d'un j u g e u n i q u e , q u i a le titre de p r é s i d e n t , et q u i a pour s u p p l é a n t un lieutenant de j u g e . Il en est ainsi dans l'Inde à Karikal et P o n d i c h é r y , en Nouvelle-Calédonie, dans les établissements de l ' O c é a n i e , au G a b o n , a u S é n é g a l , à Saïgon, etc. (V. inf., l'Indo-Chine. Mais il n'existe q u ' u n j u g e , sans l i e u t e n a n t de j u g e , dans les t r i b u n a u x de C o c h i n c h i n e , à S a i n t - P i e r r e et Miquelon, à Mayotte, à Nossi-Bé, et à Cayenne. Ces t r i b u n a u x , comme ceux de p r e m i è r e instance de la


PETITES

COLONIES.

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métropole, statuent en appel s u r les j u g e m e n t s des t r i b u n a u x de paix, et de simple police, et en p r e m i e r ressort s u r les affaires civiles ou correctionnelles. 2 1 . Les affaires s u r lesquelles ces t r i b u n a u x s t a t u e n t en première instance sont portées en appel soit devant u n e cour d'appel au Sénégal, en C o c h i n c h i n e , et dans l'Inde (Décr. 15 mai et 17 j u i n 1889), soit devant un tribunal supérieur ou conseil d'appel en N o u v e l l e - C a l é d o n i e , à Taïti, à la Guyane et dans la Guinée française (Décr. du 1 j u i l l . 1 8 8 0 , 28 févr. 1882, 20 févr. 1886, 4 mai 1892). Nous avons dit p r é c é d e m m e n t qu'il existait autrefois d a n s chaque cour coloniale un ou deux conseillers a u d i t e u r s . Il n'en existe p l u s a u j o u r d ' h u i , q u e dans l'Inde et au Sénégal (Décr. 18 févr. 1880, et 15 m a i 1889). 2 2 . Les affaires commerciales sont j u g é e s p a r les t r i b u naux civils, q u i , à Nouméa et à Taïti sont complétés par deux assesseurs choisis p o u r un an par le g o u v e r n e u r sur u n e liste de candidats désignés par les c o m m e r ç a n t s . 2 3 . Les affaires q u i dans la métropole sont de la compétence de la Cour d'assises sont j u g é e s dans les petites colonies par des tribunaux qui p r e n n e n t la dénomination, soit de Cours d'assises ( S é n é g a l ) , soit de Cours criminelles (Inde et Cochinchine), soit de tribunaux criminels ( G u y a n e , Obock, e t c . ) . Mais ces juridictions statuent sans l'assistance d'un j u r y . Il est remplacé suivant les colonies par deux ou q u a t r e a s s e s seurs. C'était, nous l'avons d i t , le système a p p l i q u é m ê m e dans les grandes colonies j u s q u ' à la loi du 27 juillet 1880. La composition du collège des a s s e s s e u r s faisait l'objet de diverses dispositions dont nous n'avons p l u s à nous o c c u p e r . Ce qui subsiste c'est q u e les a s s e s s e u r s sont désignés p a r la voie du sort s u r u n e liste préalablement dressée par le g o u verneur, en O c é a n i e , en Nouvelle-Calédonie, au S é n é g a l , et dans la Guinée française; — d a n s les a u t r e s colonies cette liste est dressée par u n e commission composée de m a g i s t r a t s , d'administrateurs, et de m e m b r e s des conseils électifs. Dans e r


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LIVRE V. ORGANISATION

JUDICIAIRE.

l'Inde et en Cochinchine, lorsque les accusés sont indigènes les assesseurs sont tirés au sort s u r u n e liste d'assesseurs indigènes. Hors ce c a s , et dans la p l u p a r t des colonies les a s s e s s e u r s doivent être français, domiciliés dans la colonie, et jouir de leurs droits civils et p o l i t i q u e s .

CHAPITRE DU

POURVOI

EN

III.

CASSATION.

2 4 . Du p o u r v o i en c a s s a t i o n d a n s les g r a n d e s et l e s p e t i t e s c o l o n i e s .

24. Au-dessus des diverses j u r i d i c t i o n s q u e n o u s venons de faire connaître se place la Cour de cassation devant laquelle on peut se pourvoir contre les j u g e m e n t s en dernier ressort, et les décisions des juridictions de second d e g r é . Avant 1 7 8 9 , les pourvois en cassation étaient déférés au Conseil du roi. En 1 7 9 1 , il fut question d'instituer u n tribunal de cassation spécial pour les colonies à raison de l e u r éloignement de la métropole. Mais où l ' é t a b l i r ? aux A n t i l l e s , à la R é u n i o n , dans l ' I n d e ? L a proposition fut d o n c repoussée p a r l'Assemblée constituante et par la Convention. Le T r i b u n a l de cassation u n i q u e , créé à P a r i s le 27 novembre 1790, est devenu compétent pour les colonies. Nous rappelons cependant q u e les cours d'appel sont cours régulatrices a u cas d'excès de pouvoir vis-à-vis des tribunaux de paix et de simple p o l i c e , vu la d i s t a n c e , et la nécessité d ' u n e p r o m p t e s a n c t i o n , q u a n t a u x a b u s des t r i b u n a u x infér i e u r s (V. sup., n° 9 ) . L e pourvoi devant la Cour s u p r ê m e ne fut d'abord ouvert q u e pour les trois g r a n d e s colonies en matière civile, c o m m e r c i a l e , correctionnelle et criminelle. Dans les a u t r e s colonies il n'existait q u ' e n matière civile et


141

JUSTICE ADMINISTRATIVE.

commerciale et seulement dans l'intérêt de la loi en matière criminelle, a u j o u r d ' h u i il est ouvert en toutes matières d a n s l'intérêt des parties pour toutes les colonies, sauf pour Obock vis-à-vis de qui les anciennes restrictions ont été m a i n t e n u e s (Décr. des 27 m a r s , 15 m a i , 25 j u i n , 20 août 1879, 1 j u i l l . 1880, 12 mars 1 8 8 3 , 2 sept. 1887, 15 mai 1889, 4 mai 1 892). e r

CHAPITRE IV. DE LA J U S T I C E A D M I N I S T R A T I V E A U X C O L O N I E S .

25. Le conseil p r i v é , en t a n t q u e t r i b u n a l administratif. — O r d o n n a n c e s o r g a n i q u e s et s é n a t u s - c o n s u l t e d u 3 mai 1854. 26. Décret d u 5 a o û t 1 8 8 1 . — O r g a n i s a t i o n d u c o n s e i l c o n t e n t i e u x a d m i nistratif. 27. Sa c o m p é t e n c e . 28. P r o c é d u r e . 29. Voies d e r e c o u r s . o s

2 5 . Nous avons dit (liv. IV, n 17 et 18) que le conseil privé, institué par les ordonnances o r g a n i q u e s des 21 août 1825 et 9 février 1829, a des fonctions administratives et judiciaires. Nous n o u s sommes expliqué s u r les p r e m i è r e s , nous envisageons maintenant le conseil privé en tant q u e t r i bunal administratif. Sa composition et sa compétence avaient été déterminées p a r lesdites ordonnances et par le sénatusconsulte du 3 mai 1854. La procédure était réglée par l'ordonnance du 31 a o û t 1828. Lorsqu'il devenait j u g e du c o n t e n t i e u x , il se constituait en comité, ou conseil du contentieux et il lui était adjoint des membres de l'ordre judiciaire. 26. Cette législation a été en partie modifiée par le décret du 5 août 1881 r e n d u pour les grandes colonies, m a i s peu après étendu, sous q u e l q u e s modifications aux petites colonies


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LIVRE V. ORGANISATION J U D I C I A I R E .

(Décr. 7 sept. 1881). La législation nouvelle s'est inspirée du projet qui avait été proposé pour les conseils de préfecture et qui est devenue la loi du 29 juillet 1889. E n c o n s é q u e n c e , la justice administrative a u x colonies est r e n d u e p a r un Conseil du contentieux administratif qui est composé : 1° des m e m b r e s du conseil privé, 2 ° de deux magistrats désignés c h a q u e a n n é e par le g o u v e r n e u r , a u x q u e l s sont adjoints d e u x a u t r e s m a g i s t r a t s en qualité de s u p p l é a n t s . Le g o u v e r n e u r préside le conseil avec voix p r é p o n d é r a n t e en cas de partage. Le conseil ne p e u t délibérer q u ' a u t a n t q u e tous ses m e m b r e s , à l'exception du g o u v e r n e u r , sont p r é s e n t s , ou r é g u l i è r e m e n t r e m p l a c é s , en cas d ' e m p ê c h e m e n t motivé. Le gouverneur étant a b s e n t , la présidence est déférée a u fonctionnaire q u i vient a p r è s lui d a n s l'ordre h i é r a r c h i q u e . L e s fonctions du ministère p u b l i c confiées p a r le décret du 5 août 1881 à l'inspecteur des services administratifs et financ i e r s , ont, d e p u i s , été dévolues à u n officier du commissariat ou à un a u t r e fonctionnaire désigné p a r le g o u v e r n e u r (Décr. du 3 février 1891). Le secrétaire archiviste du conseil privé remplit l'office de greffier. 2 7 . Compétence. Le décret de 1881 a conservé au conseil du contentieux les pouvoirs que lui conféraient les o r d o n nances o r g a n i q u e s , (sauf en matière d ' e s c l a v a g e , et p o u r les conflits d'attribution entre l'autorité administrative et l'autorité judiciaire qui sont déférés a u j o u r d ' h u i au tribunal des conflits (Décr. du 5 août 1 8 8 1 , art. 3 et 4). Il faut d o n c , relativement à sa c o m p é t e n c e , s'en référer aux ordonnances organiques de 1 8 2 5 , 1827 et 1828 auxquelles sont venues s'ajouter celles des 23 juillet et 7 s e p t e m b r e 1840, et 18 septembre 1844 (Voy. p o u r les t e x t e s , Dalloz, Org. des colonies). E n c o n s é q u e n c e , le conseil du contentieux connaît : 1° Des contestations entre l'administration et les e n t r e p r e n e u r s de fournitures ou de t r a v a u x publics. 2° Des réclamations des particuliers a u sujet de torts et d o m m a g e s provenant du fait


JUSTICE ADMINISTRATIVE.

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personnel des e n t r e p r e n e u r s dans l'exécution des m a r c h é s passés avec le gouvernement. 3° Des contestations concernant les indemnités dues aux particuliers à raison des dommages causés à leurs t e r r a i n s p o u r l'extraction ou l'enlèvement des matériaux nécessaires à l'exécution des travaux p u b l i c s . 4° Des demandes en réunion de terrains au domaine lorsque les concessionnaires n'ont p a s rempli les clauses des concessions. 5° Des contestations relatives à l'ouverture et à l'entretien des routes, c h e m i n s vicinaux, etc. 6° De celles relatives à l'établissement des e m b a r c a d è r e s , p o r t s , b a c s , etc., s u r les rivières et b r a s de m e r , et à la pêche s u r les rivières et étangs appartenant au domaine p u b l i c . 7° Des empiétements s u r les propriétés p u b l i q u e s . 8° Des d e m a n d e s des comptables en mainlevée de s é q u e s t r e ou d ' h y p o t h è q u e . 9° Des d e m a n d e s de réintégration de pièces aux archives. 10° Du contentieux administratif en g é n é r a l . ( S u r les solutions de j u r i s p r u d e n c e auxquelles ces attributions ont pu donner lieu dans la p r a t i que, et en outre s u r les pouvoirs du conseil du contentieux en matière de concessions d ' e a u x , Voy. le Rép. de F u z i e r Herman, v° Colonie, n 727 et suiv. et 764 et s.). o s

2 8 . Procédure. — L'instance devant le conseil du contentieux est introduite a u moyen d ' u n e requête déposée au s e c r é tariat du conseil avec pièces à l'appui (Décr. 5 août 1881). Elle doit contenir les n o m , profession et domicile du d e m a n deur, les nom et d e m e u r e du défendeur, l'exposé des faits, les moyens et conclusions et l'énonciation des pièces qui y sont jointes. Il y est fait élection de domicile dans le lieu de résidence du conseil ( m ê m e décr., art. 7 et 8). 2 9 . Voies de recours contre les décisions du conseil. — Elles sont au nombre de trois : l'opposition, et la tierce opposition suivant les mêmes règles q u e devant les conseils de préfecture, et le recours a u Conseil d ' É t a t , lequel se compose de deux phases distinctes la déclaration en r e c o u r s et la r e q u ê t e en recours. Pour les formes et les délais il suffit de se r e porter aux textes du décret de 1 8 8 1 .


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LIVRE VI. ORGANISATION

MILITAIRE.

LIVRE V I . ORGANISATION

MILITAIRE.

1. C o m m a n d e m e n t m i l i t a i r e . — R a p p o r t s a v e c le g o u v e r n e u r . 2 . Du c o m m a n d a n t m i l i t a i r e . 3 . De l ' a r m é e r é g u l i è r e et d u r e c r u t e m e n t a u x c o l o n i e s . — L o i d u 15 j u i l l e t 1889. — Son a p p l i c a t i o n a u x q u a t r e c o l o n i e s a n c i e n n e s . 4. R e c r u t e m e n t s p é c i a l e n A l g é r i e et d a n s l e s a u t r e s c o l o n i e s ; u n e année d e s e r v i c e s e u l e m e n t e s t e x i g é e . — D i s p e n s e a b s o l u e à d é f a u t de c o r p s s t a t i o n n é d a n s u n certain r a y o n . 5 . Quid, au c a s d e t r a n s p o r t d e d o m i c i l e en F r a n c e ? — A p p l i c a t i o n du droit commun. 6. Motifs d e la s i t u a t i o n e x c e p t i o n n e l l e d e s F r a n ç a i s et n a t u r a l i s é s résid a n t en A l g é r i e et d a n s l e s c o l o n i e s a u t r e s q u e la M a r t i n i q u e , la G u a d e l o u p e , la G u y a n e et la R é u n i o n . 7 . S i t u a t i o n d e s j e u n e s g e n s i n s c r i t s d a n s la m é t r o p o l e et r é s i d a n t aux colonies. 8. R e c r u t e m e n t d e s c o r p s é t r a n g e r s et i n d i g è n e s . — Milices l o c a l e s . 9. A r m é e coloniale p r o p r e m e n t d i t e loi d u 1 a o û t 1 8 9 3 . 10. L e c o d e d e j u s t i c e m i l i t a i r e a u x c o l o n i e s . e r

1 . Commandement militaire. — Nous avons vu q u e le g o u v e r n e u r de c h a q u e colonie est r e s p o n s a b l e , sous l'autorité directe du ministre de la m a r i n e , de la g a r d e et de la défense intérieure et extérieure des établissements placés sous ses ordres (Décr. 3 févr. 1890). Nous avons constaté aussi q u e le c o m m a n d e m e n t direct lui avait été enlevé (Décr. 21 janv. 1888). Mais il n'en conserve pas moins l'autorité h i é r a r chique sur le c o m m a n d a n t m i l i t a i r e , le droit de r e q u é r i r les forces navales qui sont d a n s les e a u x de la colonie, ainsi que celui de déclarer ou de lever l'état de siège (même d é c r . , art.


ARMÉE COLONIALE.

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2, 3, 6). Enfin, il exerce l u i - m ê m e les pouvoirs militaires s i , dans l'armée, il est titulaire d ' u n grade égal ou s u p é r i e u r à celui du commandant militaire (art. 5). 2 . Le commandement militaire est exercé par un officier général ou supérieur nommé par décret à l'emploi de commandant en chef ou de commandant militaire. Lorsqu'il n'y a pas de commandant ainsi d é s i g n é , les fonctions en sont exercées par l'officier le plus élevé en grade (art. G). L ' a u t o rité sur le personnel marin appartient à un officier désigné par le chef de l'État (art. 7). Cet officier porte le titre de commandant de la m a r i n e ; il est m e m b r e du conseil privé et d u conseil de défense. Le gouverneur est son supérieur h i é r a r c h i q u e . 3. Armée coloniale. — Toute nation qui veut coloniser doit se garder autant que possible d'employer à la défense de ses colonies une partie de l'armée métropolitaine, c'a été une g r a n d e faute depuis 1880 que d'avoir agi ainsi et de là vient q u e cette politique est devenue impopulaire (V. P . L e r o y - B e a u l i e u , p. 745). Gomment faut-il donc pourvoir à la défense d e s colonies, et comment les j e u n e s gens qui y sont n é s , ou qui y demeurent doivent-ils satisfaire à la loi militaire? Avant la loi du 15 juillet 1889 sur le r e c r u t e m e n t , les lois métropolitaines n'étaient pas applicables aux colonies. Les jeunes gens dont les parents étaient domiciliés aux c o l o n i e s , échappaient au service militaire. L e u r situation fait a u j o u r d'hui l'objet du titre VI, art. 81 à 83 de ladite loi (V. Dalloz, 89, 4, p. 73) qui règle le recrutement en Algérie et aux colonies. L'article 81 déclare la loi applicable aux colonies de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Guyane et de la Réunion. A la vérité, sa mise à exécution a été différée dans ces colonies suivant l'aveu q u i en a été fait à la tribune par le ministre de la g u e r r e s u r une question de M. de Mahy, d é p u t é , qui demandait pourquoi on envoie encore à la Réunion des hommes de la métropole, alors qu'on ne lève pas ceux du pays. L'application de la loi s o u l è v e , parait-il, des questions R.

9


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L I V R E V I . ORGANISATION M I L I T A I R E .

budgétaires à l'occasion desquelles un projet doit être présenté à la Chambre (Off. du 18 mars 1 8 9 4 , séance du 17). 4 . P o u r l'Algérie et les colonies autres q u e la Guadeloupe, la M a r t i n i q u e , la Guyane et la R é u n i o n , l'article 81 édicté des dispositions particulières très détaillées dont voici le résumé : En dehors d'exceptions m o t i v é e s , et dont il serait fait mention dans le compte-rendu prévu par l'article 86 (que le ministre de la g u e r r e est tenu de présenter aux Chambres chaque année avant le 30 j u i n s u r l'exécution de la loi pendant l'année précédente), les Français et les naturalisés Franç a i s , résidant en Algérie ou dans une colonie (autre que les quatre ci-dessus mentionnées), sont incorporés dans les corps s t a t i o n n é s , soit en Algérie, soit aux colonies, et après une année de présence effective sous les d r a p e a u x , ils sont envoyés dans la disponibilité, s'ils ont satisfait aux conditions de conduite et d'instruction déterminées p a r le ministre de la guerre. Mais s'il n'y a pas de corps stationné dans un rayon fixé par arrêté ministériel, ils sont alors dispensés de la présence effective sous les drapeaux. Cependant, si cette situation se modifie avant qu'ils aient atteint l'âge de trente ans, ils accompliraient une année de service dans le corps de troupe le plus voisin. En cas de mobilisation g é n é r a l e , les hommes valides qui ont terminé leurs vingt années de service sont réincorporés avec la réserve de l'armée territoriale sans pouvoir cependant être appelés à servir hors du territoire de l'Algérie et des colonies. 5 . Mais si un Français ou un naturalisé F r a n ç a i s , résidant en A l g é r i e , et ayant bénéficié des dispositions précédentes, c'est-à-dire, ayant été appelé un a n , ou encore n'ayant pu être incorporé à défaut de corps en stationnement dans le r a y o n , vient à quitter l'Algérie ou la colonie, et transport son établissement en F r a n c e , quelle est sa situation? — Il retombe alors sous l'empire du droit commun (art. 37), c'est-àdire sous l'obligation de faire partie successivement de l'armée


ARMÉE COLONIALE.

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active pendant trois a n s , de la réserve de l'active p e n d a n t sept ans, de la territoriale p e n d a n t neuf a n s , de la réserve de la territoriale p e n d a n t neuf a n s , et il complétera dans u n corps de la métropole son t e m p s de service, sans pouvoir c e p e n d a n t être retenu au delà de l'âge de trente a n s . Quant aux F r a n ç a i s ou n a t u r a l i s é s F r a n ç a i s qui sont dans un pays de protectorat où se trouvent stationnées des t r o u p e s françaises, on voit quelle est leur situation. Ils sont a d m i s , sur leur d e m a n d e , à bénéficier des dispositions q u i p r é c è dent. G. Tel est l'article 81 de la loi du 15 juillet 1889. On pourrait s'étonner de la situation exceptionnelle et privilégiée q u i est ainsi faite aux F r a n ç a i s n a t u r a l i s é s r é s i d a n t en Algérie et en d'autres colonies. L a raison en est q u ' e n A l g é r i e , et d a n s les colonies a u t r e s q u e la M a r t i n i q u e , la G u a d e l o u p e , la Guyane, la R é u n i o n , les citoyens français se trouvent clairsemés au milieu de n o m b r e u s e s populations indigènes non assimilées. Il est difficile : 1° de les incorporer p e n d a n t trois a n s dans l'armée active, d'où la nécessité de r é d u i r e leur service à un an; 2° même parfois de les incorporer p e n d a n t un a n ; de là la nécessité de s u s p e n d r e leur incorporation tant q u ' i l n'y a pas un corps en s t a t i o n n e m e n t d a n s u n rayon r a p p r o c h é ; 3° il y a nécessité et grand a v a n t a g e p o u r les j e u n e s g e n s éloignés de la métropole de ne pas i n t e r r o m p r e l e u r s o c c u p a lions; ils méritent p l u s de m é n a g e m e n t s q u e ceux q u i sont dans leur foyer natal métropolitain. Au contraire, d a n s nos q u a t r e anciennes colonies, l ' é l é m e n t indigène n'existe p l u s , tous les h a b i t a n t s sont citoyens français. Ayant tous les droits des citoyens français, ils p e u v e n t accomplir les mêmes devoirs. 7 . L'article 82 s'occupe des j e u n e s g e n s inscrits s u r les listes de recrutement de la métropole et q u i résident d a n s u n e colonie ou un pays de protectorat où il n'y a u r a i t pas de troupes françaises stationnées. — Celle situation, on le c o m p r e n d , est celle de b e a u c o u p de j e u n e s gens envoyés dans nos colo-


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L I V R E V I . ORGANISATION M I L I T A I R E .

nies par des maisons de commerce de F r a n c e , et elle a souvent préoccupé les chefs de ces m a i s o n s . Les vœux qui ont été exprimés à leur sujet (V. Soc. d'Écon. pol. de L y o n , séance du 3 déc. 1886, vol. de 1886, p . 47 et suiv.) ont reçu satisfaction par l'article 82, qui déclare que les j e u n e s gens dont il s'agit pourront, s u r l'avis conforme du g o u v e r n e u r ou du résident, bénéficier des dispositions contenues dans l'article 50 qui est ainsi conçu : « En temps de paix les j e u n e s gens q u i , avant l'âge de dix-neuf ans r é v o l u s , a u r o n t établi leur résidence à l'étranger hors d ' E u r o p e , et qui y occupent une situation rég u l i è r e , p o u r r o n t , s u r l'avis du consul de F r a n c e , être dispensés du service militaire pendant la d u r é e de leur séjour à l ' é t r a n g e r ; ils devront justifier de leur situation c h a q u e année » (V. Dalloz, 89. 4. 9 5 ) . S'ils rentrent en F r a n c e avant l'âge de trente a n s , ils devront accomplir le service actif sans pouvoir être r e t e n u s au delà de l'âge de trente a n s ; s'ils rentrent a p r è s l'âge de trente ans, ils ne sont soumis q u ' a u x obligations de leur classe. 8 . Enfin, aux termes de l'article 8 3 , les conditions spéciales de r e c r u t e m e n t des corps é t r a n g e r s et indigènes sont réglées par d é c r e t s , j u s q u ' à ce qu'il y ait une loi spéciale. La pensée fut exprimée devant la C h a m b r e des députés d'imposer aux indigènes de l'Algérie, par la loi à intervenir, le service militaire obligatoire, mais il fut e n t e n d u , à la suite d'observations qui présentèrent ce système comme dangereux pour l'avenir du p a y s , q u ' o n réservait la question de savoir si les indigènes seraient soumis au service obligatoire, ou si l'on conserverait le mode actuel de r e c r u t e m e n t consistant dans l'enrôlement volontaire. C'est par l'enrôlement volontaire que l'on a c o n s t i t u é , sous des dénominations v a r i é e s , divers corps de troupes indigènes, en Algérie, en A n n a m , au Sénégal, au Soudan, etc. (Zouaves, T u r c o s , Tirailleurs a l g é r i e n s , s é n é g a l a i s , l a p t o t s , annam i t e s , etc.). Ces corps sont distincts des milices locales instituées par décrets ou par arrêtés des g o u v e r n e u r s (Voy. notam-


ARMEE COLONIALE.

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ment sur les milices algériennes le décret du 9 nov. 1859. — Dalloz, v° Org. de l'Algérie, n 327 et suiv.). o s

9 . Nous venons de nous occuper des conditions de r e c r u t e ment des hommes q u e leur âge et leur qualité de f r a n ç a i s , de naturalisés ou assimilés appelleraient au service militaire. Il y a une autre question à envisager, c'est celle de l'organisation de l'armée coloniale, c ' e s t - à - d i r e des forces s p é c i a l e ment affectées à la défense des colonies. L a loi du 15 juillet 1889, muette sur ce p o i n t , a laissé subsister les e r r e m e n t s suivis j u s q u ' a l o r s , consistant en ce que les détachements de l'armée régulière envoyés a u x colonies se recrutaient exclusivement en F r a n c e . Bien plus, les j e u n e s gens auxquels étaient échus les n u m é r o s les plus faibles étaient incorporés d a n s les contingents coloniaux. Cette disposition a p a r u avec raison contraire à l'équité. Le g o u v e r n e m e n t présenta à la C h a m b r e en 1891 un projet d'ensemble qui contenait u n e organisation complète de l'armée coloniale. M a l h e u r e u s e m e n t , ce projet a passé devant le P a r l e m e n t par de n o m b r e u s e s vicissitudes, et a abouti à une réglementation exclusivement relative a u mode de recrutement des troupes destinées à la défense coloniale. C'est l'objet de la loi du 1 août 1893. e r

L'armée coloniale, en ce qui concerne l'élément f r a n ç a i s , se recrutera d é s o r m a i s u n i q u e m e n t par des volontaires. Les engagements et r e n g a g e m e n t s sont contractés d a n s les conditions suivantes : 1° Par voie d'engagements volontaires trois, quatre ou cinq a n n é e s .

pour u n e d u r é e de

2° Par voie d'incorporation des j e u n e s gens q u i , au m o m e n t des opérations du conseil de révision, a u r o n t demandé à e n t r e r dans les troupes coloniales et a u r o n t été r e c o n n u s aptes à ce service. 3° Par voie de rengagement conformément a u x dispositions des articles 6 3 et 65 de la loi du 15 juillet 1889. 4° En cas d'insuffisance : par l'appel fait sous forme d ' e n -


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LIVRE VI. ORGANISATION MILITAIRE.

g a g e m e n l s , a u x volontaires de l'armée de t e r r e , sous-officiers, b r i g a d i e r s , caporaux ou s o l d a t s , a y a n t p l u s d ' u n e a n n é e de p r é s e n c e s o u s les d r a p e a u x . En cas d ' e x p é d i t i o n , s'il y a insuffisance, il sera fait appel à la légion étrangère. L e s avantages offerts aux e n g a g é s ou r e n g a g é s sont de trois sortes : a) u n certain n o m b r e d'emplois civils et militaires sera exclusivement réservé en F r a n c e , en Algérie et a u x col o n i e s , a u x c a p o r a u x , b r i g a d i e r s et soldats ayant accompli q u i n z e a n n é e s de services d a n s les t r o u p e s coloniales, b) S'ils sont m a r i é s et s'ils en font la d e m a n d e ils p e u v e n t recevoir, d a n s l'année q u i suit l e u r l i b é r a t i o n , u n titre de concession s u r les terres disponibles en Algérie ou d a n s les colonies. c) I! p o u r r a être alloué aux e n g a g é s volontaires de t r o i s , quatre ou cinq a n s , et a u x r e n g a g é s de u n , d e u x , trois et cinq ans des p r i m e s , gratifications et h a u t e - p a y e s , dont le t a u x et les conditions de p a i e m e n t s seront d é t e r m i n é s p a r u n décret. Ces dispositions ne seraient p a s , p a r a î t - i l , considérées c o m m e définitives. S u i v a n t u n e p r o m e s s e formulée au cours des débats q u i ont précédé la création du m i n i s t è r e des colonies (20 m a r s 1 8 9 4 ) , p a r les m i n i s t r e s de la g u e r r e et de la m a r i n e u n projet devait u l t é r i e u r e m e n t être présenté s u r la constitution c o m p l é m e n t a i r e des t r o u p e s coloniales d ' a p r è s un s y s t è m e d'incorporation s u r place. 10. Code de justice militaire. — L a justice militaire avait été organisée p o u r les g r a n d e s colonies p a r les sénatus-cons u l t e s du 3 mai 1854 et du 4 j u i n 1858, suivi d'un décret du 21 j u i n relatif aux petites colonies. En p r i n c i p e , les dispositions p é n a l e , du Gode militaire des a r m é e s de mer ont été a p p l i q u é e s à toutes les colonies (Décr. des 21 j u i n 1858 et 31 m a r s 1868). L a législation actuelle r é s u l t e encore du décret du 4 octobre 1889 et des textes a n t é r i e u r s q u e ce décret n ' a pas abrogés. L a j u s t i c e militaire dans les colonies est r e n d u e a u j o u r d ' h u i p a r des conseils de g u e r r e et des conseils de révision perm a n e n t s . L e s attributions conférées en F r a n c e aux préfets


C O N S E I L S DE G U E R R E E T DE R É V I S I O N .

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maritimes et au ministre de la g u e r r e sont dévolues aux g o u verneurs des colonies où ces conseils sont établis. Uu conseil de g u e r r e p e r m a n e n t est institué dans chacune des trois grandes colonies M a r t i n i q u e , G u a d e l o u p e , R é u n i o n , et à la G u y a n e , au S é n é g a l , au G a b o n , à T a ï t i , pour les établissements de l'Océanie, à D i é g o - S u a r e z , en y comprenant dans son ressort Sainte-Marie de Madagascar, Nossi-Bé, Mayotte et leurs dépendances. Il en existe deux d a n s la Cochinchine et deux à la NouvelleCalédonie dont le ressort s'étend à toutes ses d é p e n d a n c e s . Chacune de ces colonies possède un conseil de révision permanent sauf le Gabon q u i ressort du conseil de révision du Sénégal, Taïti q u i ressort de la Nouvelle-Calédonie et DiégoSuarez qui ressort de la R é u n i o n . Pour S a i n t - P i e r r e et M i q u e l o n , l'Inde et Obock, la j u r i d i c tion appartient au conseil de g u e r r e p e r m a n e n t d'un des arrondissements m a r i t i m e s de F r a n c e , désigné par le ministre de la marine. Les conseils se composent de cinq j u g e s dont les grades varient suivant le g r a d e de l'accusé (Voir le tableau annexé au décret, Dalloz, 9 0 . 4. 9 8 ) , d'un commissaire-rapporteur remplissant les fonctions d'instruction et de ministère p u b l i c et d'un greffier. Les officiers du grade de colonel et au-dessus sont jugés en F r a n c e , p a r un conseil q u e le ministre désigne. Un second décret du 4 octobre 1889 a soustrait à la c o m pétence des conseils de g u e r r e et de révision la connaissance des crimes et délits commis dans les colonies pénitentiaires par les condamnés aux travaux forcés, pour l'attribuer à des tribunaux maritimes spéciaux.


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L I V R E VIL C U L T E S E T INSTRUCTION P U B L I Q U E .

LIVRE

VII.

ORGANISATION DES CULTES ET DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE.

CHAPITRE P R E M I E R . LES

1. 2. 3. i. 5. 6. 7.

CULTES.

L'exercice des cultes aux colonies. — Vicaires a p o s t o l i q u e s . Organisation de diocèses aux trois grandes colonies. Pouvoirs des é v ê q u e s . Fabriques. C o n s i s t o i r e p r o t e s t a n t à la G u a d e l o u p e . Sièges épiscopaux. Dons et legs p i e u x .

1 . L a liberté des cultes est u n p r i n c i p e ancien dans les colonies. Avant 1 7 8 9 , l'intendant et le g o u v e r n e u r connaissaient seuls « des affaires de religion » et en avaient la police. Le culte catholique étant professé p a r le p l u s grand nombre des colons e u r o p é e n s , on avait dû s'occuper de son organisation. Mais elle était restée très r u d i m e n t a i r e . L ' a u t o r i t é ecclésiastique était confiée à de simples p r ê t r e s , revêtus du titre de vicaires ou préfets apostoliques. S u p p r i m é s en 1 7 9 2 , ils avaient été rétablis en 1 8 0 2 , m a i s , n'ayant p a s la plénitude des pouvoirs spirituels des é v ê q u e s , ils m a n q u a i e n t d'une action suffisante sur le clergé et d'ascendant s u r les populations.


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AUTORITÉS ECCLÉSIASTIQUES.

2 . Ce n'est q u ' e n 1850 q u e les colonies de la M a r t i n i q u e , de la Guadeloupe et de la Réunion furent érigées en diocèses, ayant chacune un évêché suffragant de l'archevêché de Bordeaux (Décr. 18 déc. 1850). Ces diocèses r e ç u r e n t , en 1851 (Décr. 3 févr.), u n e organisation qui a été complétée par un avis du 30 avril 1885. Les paroisses sont administrées par de simples desservants. L ' é v ê q u e traite d i r e c t e m e n t , avec le gouverneur, des affaires du d i o c è s e , et fait partie de droit du conseil privé, avec voix délibérative lorsque le conseil s'occupe des affaires du culte. 3 . L'évêque exerce s u r la publication des livres d'église, d'heures, et de p r i è r e s les mêmes pouvoirs que les évêques de France. A u c u n e c o m m u n a u t é ou congrégation religieuse ne peut s'établir sans que l ' é v ê q u e , d'accord avec le gouverneur, l'ait autorisée provisoirement. Les c o m m u n a u t é s et congrégations r e c o n n u e s p a r le gouvernement y jouissent des mêmes droits q u e dans la métropole. 4 . Avant 1851 les fabriques étaient régies par des a r r ê t é s locaux. Depuis le décret du 3 février 1851 elles sont soumises dans nos trois g r a n d e s colonies aux dispositions du décret du 30 décembre 1809 qui régit la matière. Toutefois l'article 168 de la loi municipale du 4 avril 1884 q u i abroge plusieurs des dispositions du décret de 1809 est applicable aux colonies. 5 . A la Guadeloupe, dans la c o m m u n e de Saint-Martin dont la population est en majorité p r o t e s t a n t e , u n consistoire a été érigé p a r décision du 11 m a r s 1 8 5 2 . 6 . Le siège épiscopal de la Martinique établi d'abord à Fort-de-France a été transféré dans la ville de S a i n t - P i e r r e . L'évêché de la Réunion a son siège à Saint-Denis. Au S é n é g a l , l'autorité ecclésiastique reste confiée à un préfet apostolique siégeant à S a i n t - L o u i s . Il en est de m ê m e dans l'Inde, mais i n d é p e n d a m m e n t de la préfecture a p o s t o lique établie à Pondichéry il y existe u n e mission française du Malabar dont le chef porte le titre de vicaire apostolique. 9*


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L I V R E VII. C U L T E S E T I N S T R U C T I O N

PUBLIQUE

Dans la Nouvelle-Calédonie, le s u p é r i e u r ecclésiastique est un évêque in partibus. Le service du culte à Mayotte et à Nossi-Bé dépend de la mission religieuse de Madagascar dont le siège est à la R é u n i o n . 7 . Les dons et legs pieux faits a u x é g l i s e s , aux fabriques, aux p a r o i s s e s , a u x p a u v r e s , aux h o s p i c e s , et en général à tout établissement d'utilité p u b l i q u e et a u x associations relig i e u s e s reconnues par la l o i , sont r é g l e m e n t é s par les ordonn a n c e s des 30 s e p t e m b r e 1827 et 25 juin 1 8 3 3 . L e s libéralités n'excédant pas 3,000 francs peuvent être acceptées avec l'autorisation du g o u v e r n e u r après délibération du conseil privé. Pour les dons et legs s u p é r i e u r s à cette s o m m e , l'acceptation doit être autorisée par décret r e n d u en Conseil d'État après avis préalable donné en conseil par le gouverneur (mêmes ordonnances).

CHAPITRE II. L'INSTRUCTION

8. 9. 10. 11. 12. 13.

PUBLIQUE.

Les ordonnances organiques. L e s v i c e - r e c t e u r s et les d i r e c t e u r s d e l ' e n s e i g n e m e n t . Conseil du comité central de l'instruction p u b l i q u e . Enseignement primaire. Enseignement secondaire. Enseignement supérieur.

S. Organisation de l'instruction publique. — L e s ordonnances o r g a n i q u e s r e n d u e s en 1825, 1 8 2 7 , 1828, q u e nous avons souvent citées, ont placé sous la surveillance des g o u v e r n e u r s tout ce qui a rapport à l'instruction p u b l i q u e . A u c u n e école ne pouvait s'établir sans l e u r autorisation. Ce principe a été m a i n t e n u par la loi du 15 mai 1850 et s u b s i s t a p o u r les petites


ENSEIGNEMENT e r

PRIMAIRE.

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colonies (Décr. 1 févr. 1 8 9 3 , pour l'Inde). Quant aux g r a n d e s colonies, un règlement d'administration publique annoncé par l'article 68 de la loi du 30 octobre 1886 devra régler la matière. 9 . Le service de l'enseignement est confié au directeur de l'intérieur (Ord. o r g a n i q u e s p r é c i t é e s ) , sauf à la Martinique et à la R é u n i o n , où il est placé sous la direction d'un vice-recteur, q u i agit sous la h a u t e autorité du g o u v e r n e u r , et doit être appelé au conseil privé avec voix consultative, lorsque les questions de sa compétence y sont traitées (Décr. des 2 mars 1880 et 21 sept. 1882). 1 0 . Un conseil ou comité central de l'instruction p u b l i q u e a été institué, par la loi du 26 septembre 1890, dans chacune des grandes colonies. Il se compose du g o u v e r n e u r - p r é s i d e n t , du vice-recteur ou du directeur de l'intérieur comme viceprésident, de q u a t r e conseillers g é n é r a u x , du proviseur du lycée, des directeurs et directrices d'écoles n o r m a l e s , de l'inspecteur primaire, et de deux i n s t i t u t e u r s et deux institutrices. Le comité central a les attributions conférées au conseil départemental d a n s la métropole p a r les lois des 28 m a r s 1882 et 30 octobre 1886. D e u x i n s p e c t e u r s g é n é r a u x , l'un pour les l e t t r e s , l ' a u t r e p o u r les sciences doivent, c h a q u e année, visiter les établissements coloniaux p r i m a i r e s ou secondaires (Décr. 7 sept. 1873). 1 1 . L ' e n s e i g n e m e n t primaire est gratuit et obligatoire, par application des lois régissant la métropole. Toutefois, l'obligation n'est imposée q u e dans les c o m m u n e s où les locaux présentent des conditions suffisantes, déterminées p a r a r r ê t é s du gouverneur. D a n s les petites colonies, l'obligation n'existe qu'à Saint-Pierre et Miquelon et dans l'Inde (Décr. 17 sept. 1891 et 1 févr. 1 8 9 3 ) . Il est laïque ou congréganiste suivant les localités. Le personnel de l'enseignement p r i m a i r e n'est recruté que par décision du ministre chargé des colonies. Nous traiterons p l u s loin de l'instruction en Algérie et en Tunisie. e r


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LIVRE VII. CULTES ET INSTRUCTION

PUBLIQUE.

1 2 . Le personnel de l'enseignement secondaire, au cont r a i r e , dépend du ministre chargé de l'instruction p u b l i q u e . Des brevets de capacité peuvent être délivrés par le gouv e r n e u r , ensuite d'examens subis devant u n j u r y spécial (Décr. 27 août 1882). Ils sont échangeables en F r a n c e contre des diplômes de bachelier, moyennant la révision des épreuves. Le décret du 8 août 1890, sur le baccalauréat, a été étendu aux grandes colonies (Décr. 22 nov. 1 8 9 2 ) . Enfin, les décrets des 4 et 5 j u i n 1892, s u r l ' e n s e i g n e m e n t secondaire spécial et l'enseignement secondaire m o d e r n e , s'appliquent égalem e n t aux grandes colonies. 1 3 . L'enseignement s u p é r i e u r (en dehors de ce q u i concerne l'Algérie), n'est représenté aux colonies q u e par l'Ecole préparatoire à l'enseignement du droit créée à Fort-de-France, dans la Martinique (Décr. 20 j a n v . 1883), l'Ecole de droit de Pondichéry (Arr. 30 mai 1867 et 24 févr. 1 8 7 9 ) , et divers cours professés à la Guadeloupe et dans l ' I n d e .


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LIVRE VIII. DU RÉGIME COMMERCIAL ET DOUANIER.

1. Le pacte colonial. 2. Dérogations antérieures à 1789. 3. Rétablissement en principe du pacte colonial en 1815. — Dérogations nécessaires. 4. Rupture du pacte colonial d a n s les colonies anglaises en 1850. — R u p t u r e inévitable dans les colonies françaises. 5. Emancipation de la M a r t i n i q u e , de la Guadeloupe et de la Réunion en 1861. 6. Sénatus-consulte du i juillet 1866. — Octroi de mer. — Tarifs de douane votés par les conseils g é n é r a u x . 7. Caractères distincts. 8. Illégalité des a r r ê t é s qui ont établi l'octroi de mer avant 1866. 9. Comment les colonies ont usé de leur autonomie. — Suppression en premier lieu des tarifs de d o u a n e . — Vaine réclamation des p r o ducteurs métropolitains. 10. Leurs plaintes contre l'octroi d e mer. 11. Régime douanier des petites colonies. 12. Nouveau régime douanier des colonies. — Rétablissement d e s droits de douane depuis 1884 par les conseils g é n é r a u x . 13. Mouvement protectionniste accentué d a n s l'intérêt de la métropole. — Loi du 29 décembre 1881 en ce qui concerne les importations en Algérie. 14. Loi du 26 février 1887 appliquant le tarif général à l'Indo-Chine. 15. Effets différents de cette législation en Algérie et en Indo-Chine. — Plaintes de l'Indo-Chine. 16. Le Parlement n'en a résolûment tenu aucun compte. 17. Régime douanier établi par la loi du 11 j a n v i e r 1892. 18. 1° P r o d u i t s coloniaux importés dans la m é t r o p o l e . — Admission en franchise sauf deux exceptions. 19. L'admission en franchise s u b o r d o n n é e à l'importation directe et à la justification d'origine. — Motif : intérêt de la marine m a r c h a n d e .


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2 0 . 2° P r o d u i t s m é t r o p o l i t a i n s i m p o r t é s d a n s les c o l o n i e s . 2 1 . 3° P r o d u i t s é t r a n g e r s i m p o r t é s d a n s les c o l o n i e s . — A p p l i c a t i o n du tarif général métropolitain. 22. Distinction établie p a r la loi d u 11 j a n v i e r 1892 : 1° Colonies soust r a i t e s à l ' a p p l i c a t i o n d u tarif g é n é r a l m é t r o p o l i t a i n . 2 3 . 2° Colonies s o u m i s e s au tarif g é n é r a l . 2 4 . E x c e p t i o n s a d m i s e s p a r la loi en f a v e u r d e c e r t a i n e s m a r c h a n d i s e s et r é s e r v e au profit d e s conseils g é n é r a u x d u d r o i t d e r é c l a m e r de plus amples exceptions.

1 . Nous avons vu q u e les colonies furent partout dès leur origine considérées comme exclusivement destinées à l'utilité et à l'enrichissement de la métropole. Les avantages naturels qu'elles pouvaient offrir ne suffirent pas aux métropoles. Celles-ci c h e r c h è r e n t à s'en assurer d'artificiels aux moyens de lois et de r è g l e m e n t s . Elles voulaient monopoliser le commerce de leurs colonies. Cependant en échange des privilèges qu'elles p r e n a i e n t de vive force elles consentirent, au profit de celles-ci, à s'imposer certains sacrifices. Ce système de restrictions réciproques qui porte le nom de pacte colonial se retrouve à chaque page de l'histoire de la colonisation. Ces restrictions peuvent se r a m e n e r à six : 1 ° Restrictions sur la destination des produits coloniaux. L'exportation n'en était permise q u ' a u profit et à destination de la m é t r o p o l e ; 2° Restrictions sur l'importation d a n s les colonies d'articles de fabrication é t r a n g è r e , chaque métropole interdit à ses colonies de se pourvoir a u t r e part q u e chez elle-même des produits e u r o p é e n s . — La métropole voulait s'assurer un débouché p e r m a n e n t dans l'intérêt de ses propres p r o d u i t s ; 3° Prohibition de l'importation dans la métropole des prod u i t s e x o t i q u e s provenant de contrées et de colonies étrang è r e s . C'était u n e compensation accordée a u x colonies : on voulait ainsi par réciprocité assurer à leurs produits des débouchés exclusifs dans la métropole ; 4° Restrictions s u r le transport des marchandises à desti-


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nation ou en provenance des colonies. Ce transport n'était permis que sur les vaisseaux de la métropole. Ce fut un des principes favoris de la politique anglaise pendant plus de deux siècles; 5° Interdiction (bien étrange) imposée aux colons de transformer leurs produits bruts en produits manufacturés. On connaît le mot de Chatam : « Les colonies anglaises du nord de l'Amérique n'ont aucun droit à manufacturer même un clou, ou un fer à cheval. » Elles étaient obligées d'alimenter les fabriques d'Angleterre en leur envoyant leurs cotons bruts qui revenaient aux colonies anglaises sous forme de cotonnades. — De même, elles ne pouvaient raffiner leurs propres sucres dans l'intérêt des raffineurs métropolitains. C'était égoïstement empêcher les colonies de tirer parti de leurs matières premières pour les contraindre à les réserver à la mère-patrie; 6° Enfin on leur faisait la concession de droits différentiels sur les produits qu'elles expédiaient à la métropole. Ces restrictions réciproques avaient été sanctionnées en France par divers arrêts du conseil, ou des ordonnances royales. 2 . Mais dès avant 1789 on avait dû y apporter des d é r o g a tions. Ainsi après la perte du Canada qui fournissait du bois aux Antilles il avait fallu permettre à celles-ci d'en demander aux États-Unis (Règl. du 30 août 1784 qui d'ailleurs autorise d'autres importations). Déjà la Guyane avait obtenu p a r lettres patentes en 1768 de faire le commerce avec toutes les nations. Maintes fois a u s s i , nous l'avons v u , nos colonies de p l a n tation avaient dû tirer leurs vivres des pays voisins. 3 . En 1815, la Restauration rétablit en principe le pacte colonial, mais la force des c h o s e s , c'est-à-dire la nécessité des dérogations l'emporta s u r des prescriptions vieillies. En signant des traités de réciprocité avec l'Angleterre et les Etats-Unis, la France avait fait une large brèche a u vieux système colonial. « Les Antilles ne sont ni les j a r d i n s , ni les fiefs de l'Europe, » s'écriait en 1822 le g é n é r a l Foy. « C'est


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u n e illusion de notre j e u n e s s e à laquelle il faut renoncer. La nature les a placées s u r le rivage de l ' A m é r i q u e ; avec l'Amér i q u e est leur avenir. C'est comme entrepôts de commerce, comme g r a n d s marchés placés entre deux hémisphères qu'elles figureront s u r la sphère du monde. » 4. Le pacte colonial a été r o m p u dans les colonies anglaises en 1850. Deux faits considérables ne permettaient pas de le maintenir plus longtemps dans les colonies françaises : 1° le développement de la sucrerie i n d i g è n e ; 2° la suppression de la surtaxe de provenance s u r les sucres é t r a n g e r s en 1861. Nos colonies ne produisaient g u è r e q u e du s u c r e ; destituées de leur p r i v i l è g e , il était bien impossible de les laisser soumises aux prohibitions du pacte colonial (V. Villey, Principes d'économie politique, p. 635). 5. La loi du 3 juillet 1861 en affranchit la G u a d e l o u p e , la Martinique et la Réunion. Elle leur permettait : 1° d'importer chez elles sous tous pavillons les produits étrangers admis en France, aux mêmes droits q u e dans la métropole; 2° d'exporter leurs marchandises sous tous p a v i l l o n s ; 3° de se servir pour leurs échanges entre elles ou avec la métropole des navires é t r a n g e r s , sauf dans les limites du cabotage. Deux décrets des 24 décembre 1864 et 11 juillet 1868 étendirent ce nouveau régime à la Guyane et au S é n é g a l . 6 . L'indépendance des colonies a été encore plus amplement consacrée par le sénatus-consulte du 4 juillet 1866. Afin de leur aider à accroître l e u r s r e s s o u r c e s , et de les mettre en m e s u r e de supporter désormais sur leurs budgets locaux des dépenses qui j u s q u ' a l o r s entraient dans le budget de la marine elles sont désormais maîtresses d'établir l'octroi de mer, comme en Algérie, c ' e s t - à - d i r e u n e taxe perçue au profit des c o m m u n e s , sur les marchandises de toute proven a n c e ; 2° des tarifs de douane sur les produits étrangers naturels ou fabriqués importés chez elles. Mais à cet égard les voles de leurs conseils généraux ne pouvaient être exécutoires que p a r d é c r e t , le conseil d'État e n t e n d u .


L'OCTROI DE MER.

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Il faut r e m a r q u e r q u e déjà l'octroi de mer existait aux colonies. Il avait été établi en 1830 p o u r la p r e m i è r e fois en Algérie, pour remplacer l'octroi de terre perçu depuis la conquête aux portes d'Alger. A u x t e r m e s de l'ordonnance du 21 décembre 1846 q u i le r é g l e m e n t a , il était perçu par le service des d o u a n e s , pour le compte des m u n i c i p a l i t é s , sous d é d u c tion d'une fraction réservée au Trésor p o u r couvrir les frais de perception. De l'Algérie il avait passé aux colonies. Des arrêts locaux s'établirent de 1841 à 1 8 5 0 , aux Antilles et à la Réunion. 7 . Bien q u e les droits fussent perçus par l'administration des douanes, et à l'entrée de la colonie, l'octroi de m e r n'en gardait pas moins u n caractère tout spécial qui le distinguait des droits de d o u a n e (Ord. 17 août 1839 et 17 janvier 1845 sur le régime financier de l'Algérie; Décr. 11 août 1835 s u r le régime commercial de l'Algérie; Décr. 26 sept. 1 8 5 5 , art. 130, sur le r e g i m e financier des colonies). Ce caractère s'accuse dans l'article 2 du sénatus-consulte du 4 juillet 1866. A la différence des droits de d o u a n e , l'octroi de mer p u r e m e n t fiscal, n'a pas pour b u t de protéger les p r o d u c t e u r s coloniaux. Les ressources qu'il procure doivent profiter aux c o m m u n e s en proportion de leur population. 8 . Quoi qu'il en soit, des difficultés s'élevèrent s u r le caractère de l'octroi de m e r . Elles d o n n è r e n t lieu à u n désaccord prolongé entre la Cour d'appel de la Réunion et la Cour de cassation s u r la légalité des arrêtés q u i , avant 1 8 6 6 , avaient établi le droit d'octroi. Nous devons mentionner ce conflit qui a perdu tout intérêt depuis les dispositions du sénatus-consulte de 1 8 6 6 , q u i a t t r i b u e au seul conseil général le pouvoir d'établir l'octroi de mer. Des difficultés d'une a u t r e n a t u r e ne se sont pas moins élevées. Il faut voir en effet comment les colonies ont usé de l'autonomie q u e leur confère ce sénatus-consulte. 9 . 1° En ce qui touche les tarifs de douane, elles profitèrent d'abord de leurs pouvoirs pour établir chez elles la liberté


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commerciale dans l'intérêt de leur consommation. Elles votèrent donc la s u p p r e s s i o n des droits de douane s u r les marchandises é t r a n g è r e s . Les négociants métropolitains réclamèrent en voyant les p r o d u i t s de tous pays faire concurrence à leurs p r o p r e s produits d a n s les colonies. L e gouvernement donna raison à celles-ci par trois décrets : 6 novembre 1867 p o u r la M a r t i n i q u e ; 25 avril 1868 pour la G u a d e l o u p e ; 4 juillet 1873 pour la R é u n i o n . 1 0 . 2° En ce qui concerne l'octroi de mer, il fut l'objet de réclamations de la part des i m p o r t a t e u r s de la métropole qui se plaignaient de l'enchérissement de l e u r s produits p a r l'effet de ce droit (V. n o t a m m e n t les plaintes de la C h a m b r e de commerce de R o u e n ) . M. A m é , directeur général des douanes, déclara qu'il n'y avait pas lieu d'entraver les colonies dans le choix de l e u r s éléments de r e c e t t e s . L e s colonies sont donc restées en possession de l'autonomie q u e leur avait donnée le sénatus-consulte de 1866. Nous verrons tout à l ' h e u r e le régime a u q u e l elles sont soumises depuis le 11 janvier 1892. 1 1 . L e régime de 1866 ne s ' a p p l i q u a i t , nous l'avons v u , q u ' à nos trois g r a n d e s colonies. Q u a n t a u x petites, qui ne sont régies q u e p a r simples décrets conformément à l'article 18 du sénatus-consulte du 3 mai 1 8 5 4 , les tarifs étaient fixés p a r le g o u v e r n e m e n t , en Conseil d ' É t a t , a p r è s avoir pris l'avis des conseils locaux (Conf. loi du 7 mai 1881). P o u r l'octroi de m e r , la Guyane et l'Inde étaient assimilées aux g r a n d e s colonies. En fait, la p l u p a r t n'avaient ni d o u a n e s , ni octroi. 1 2 . Le nouveau régime douanier des colonies. — Depuis 1884, les conseils g é n é r a u x q u i , en 1 8 6 6 , avaient profité de l e u r s pouvoirs p o u r donner à leurs colonies la liberté commerciale, sont r e v e n u s à la protection d a n s l'intérêt de la métropole et ont rétabli des droits s u r les m a r c h a n d i s e s é t r a n g è r e s . On leur avait fait espérer q u ' i l s pouvaient ainsi sauvegarder 1

1

V. n o t r e o u v r a g e : La liberté commerciale, les douanes et les de commerce, 1 vol. in-8°, 7 3 5 p a g e s . P a r i s , G u i l l a u m i n , 1880.

traités


L E S T A R I F S DE D O U A N E .

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leur autonomie économique déjà alors menacée p a r une proposition de loi. Les tarifs successifs qu'ils avaient votés s'étaient i n s e n s i blement r a p p r o c h é s du tarif g é n é r a l métropolitain de 1 8 8 1 . La Réunion l'avait m ê m e adopté à peu p r è s complètement. 1 3 . Le mouvement protectionniste s'accentuait d'autre part. Pour l'Algérie l'assimilation douanière fut établie p a r la loi de finances du 29 décembre 1884, dont l'article 10 assujettit, à de rares exceptions p r è s , l'importation d a n s ce p a y s des produits é t r a n g e r s a u x m ê m e s droits q u e s'ils étaient i m p o r t é s en France. L e s p r o d u i t s de l ' A l g é r i e , par c o m p e n s a t i o n , étaient admis en franchise d a n s la métropole. 1 4 . De m ê m e , l'article 47 de la loi de finances du 26 février 1887 soumit aux droits inscrits au tarif général les produits étrangers i m p o r t é s en Cochinchine, au C a m b o d g e , à l'Annam et au Tonkin (sauf certaines exceptions en vertu d ' u n e tarification spéciale) (Décr. des 8 sept. 1887 et 11 mai 1889). 15. L'Algérie s'accommoda assez facilement des charges que lui imposait le n o u v e a u régime à cause des débouchés q u e la France offrait à ses p r i n c i p a u x produits (céréales, b é t a i l , laines et vins). L'Indo-Chine, au c o n t r a i r e , dont les produits ne s a u r a i e n t , qu'avec le t e m p s , trouver d ' i m p o r t a n t s débouchés en F r a n c e , ne cessa de faire e n t e n d r e d e s plaintes contre les droits de douane q u i , sans profit pour p e r s o n n e , si ce n'est p o u r quelques fabricants de tissus de c o t o n , entravaient le c o m m e r c e , encourageaient la contrebande et la p i r a t e r i e , et arrêtaient la propension des affaires en éloignant les c o m m e r ç a n t s é t r a n gers, et n o t a m m e n t les chinois. Elle réclamait avec insistance l'atténuation des droits au moins s u r les produits q u i n'ont Pas de similaires en F r a n c e (V. Le nouveau régime douanier des colonies, par A. Bouchié de B e l l e , Journ. des Écon., t. III, de 1892, p . 19 et suiv.). 16. La commission des d o u a n e s chargée de l'étude du nouveau tarif q u i devait r e m p l a c e r le précédent tarif g é n é r a l de 1 8 8 1 , ferma l'oreille à ces réclamations. Bien p l u s elle


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estima que la F r a n c e qui s'est « imposée des sacrifices considérables pour ses colonies pouvait l é g i t i m e m e n t en chercher la compensation d a n s un régime lui a s s u r a n t le bénéfice des échanges avec celles-ci ( R a p p o r t de M. T h o m s o n s u r le tarif douanier, Journ. off., 1 8 9 1 , annexe 1 3 7 2 ) . En conséquence, le P a r l e m e n t vota la loi du 11 janvier 1892 q u i , en ce qui concerne les colonies, a abrogé le sénatus-consulte de 1866 et a enlevé à leurs conseils g é n é r a u x l'initiative en matière de tarifs douaniers (V. Journ. off. du 12 j a n v . 1892). 1 7 . Quelle est l'économie de ce r é g i m e d o u a n i e r ? Il faut d'abord rappeler le principe nouveau posé p a r la loi du 11 janvier 1892. L'article 1 s u p p r i m e le r é g i m e des traités de c o m m e r c e , et y s u b s t i t u e : 1° le tarif général nouveau (tableau A) et 2° un tarif m i n i m u m (tableau R) lequel est applicable a u x marchandises des pays q u i feront bénéficier les produits français d'avantages corrélatifs et qui leur a p p l i q u e r o n t leurs tarifs les plus r é d u i t s . Telle est la base du nouveau r é g i m e douanier de la F r a n c e . Trois questions s'élevaient vis-à-vis des colonies : 1° comment l e u r s produits seront-ils reçus dans la m é t r o p o l e ? 2° comment les produits métropolitains seront-ils reçus d a n s les colonies? et 3° comment les colonies seront-elles traitées q u a n t à l'importation chez elles des produits é t r a n g e r s ? 1 8 . La p r e m i è r e question est résolue p a r l'article 3 (obscur et d ' u n e trop longue rédaction). Les produits coloniaux sont admis en franchise s u r le sol métropolitain. Ils sont assimilés à des produits nationaux, sauf deux exceptions : Première exception : Certains produits ne sont admis qu'en acquittant les droits inscrits au tarif m i n i m u m (sucres et mélasses non destinés à la distillation, sirops et b o n b o n s , b i s cuits s u c r é s , confitures et fruits de toute sorte confits au sucre et au miel). On comprend le motif de celte restriction. C'est une protection accordée aux produits similaires indigènes. Deuxième exception : Sont soumis à la moitié des droits du tarif métropolitain divers produits exotiques (cacao broyé, c h o e r


LE RÉGIME DOUANIER DE

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colat, café, thé, poivre, cannelle, vanille, m u s c a d e s , etc.). Ici c'est plutôt un droit fiscal q u ' u n droit protecteur. 19. Tous les a u t r e s produits c o l o n i a u x , introduits d a n s la métropole, sont exempts de droits. Mais la franchise entière, et l'exemption de la moitié du droit ne sont accordées q u ' à u n e double condition : i m p o r t a t i o n directe et justification de l'origine. Celte mesure s'explique : il fallait éviter q u e des p r o duits exotiques p r o v e n a n t des colonies a u t r e s q u e les colonies françaises se p r é s e n t a s s e n t f a u s s e m e n t comme venant de nos propres colonies. L ' i m p o r t a t i o n directe p e u t , en o u t r e , devenir une protection pour notre m a r i n e m a r c h a n d e . 2 0 . 2° Les produits métropolitains ont toujours été r e ç u s en franchise dans les colonies. Mais, ainsi q u e nous l'avons expliqué (sup., n° 6), même avant 1866, on admettait q u e les colonies, notamment l ' A l g é r i e , pour se créer des ressources locales, pouvaient frapper d ' u n droit dit octroi de mer les produits métropolitains à leur entrée chez e l l e s , et le s é n a t u s - c o n s u l t e du 4 juillet 1866 avait donné plein pouvoir aux conseils généraux coloniaux p o u r établir ce droit. Désormais il l e u r est enlevé. Les colonies ne p o u r r o n t déroger à l'admission en franchise chez elles des produits métropolitains en les frappant d'un octroi de mer q u ' a u t a n t que les délibérations en ce s e n s de leurs conseils g é n é r a u x seront homologuées et r e n d u e s exécutoires p a r des décrets rendus en Conseil d ' É t a t . L'autonomie commerciale des colonies est donc s u p p r i m é e . 2 1 . 3° En ce qui concerne les produits étrangers importés dans les colonies, il en est de m ê m e . C'est là le point capital du nouveau r é g i m e , les colonies n'ont plus la faculté d'affranchir de tous droits, si bon leur s e m b l e , les produits é t r a n gersà leur importation chez e l l e s , ni de les frapper de tels droits de douane qu'elles j u g e r a i e n t nécessaires sauf à soumettre le vote de l e u r s conseils g é n é r a u x à la sanction de décrets r e n d u s en Conseil d'Etat : elles sont assimilées complètement à la métropole. Elles s u b i s s e n t le tarif général douanier de quelque e n c h é r i s s e m e n t qu'il frappe la consommation


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LIVRE VIII. RÉGIME COMMERCIAL ET DOUANIER.

des p r o d u i t s é t r a n g e r s dont elles ont besoin ( a r t . 3 , § 3, L. 11 janvier 1 8 9 2 ) . 2 2 . Cependant le r é g i m e établi p a r la loi du 11 janvier 1892 n'est pas applicable à toutes les colonies. L e parlement les a d i s t i n g u é e s à cet é g a r d en d e u x catégories. 1° Colonies ne pouvant être s o u m i s e s a u tarif métropolitain, soit parce q u ' e l l e s sont enclavées d a n s des possessions étrang è r e s , soit parce q u ' e l l e s ne sont q u e des e n t r e p ô t s , ou trop éloignées p o u r q u ' i l y ait a v a n t a g e à les assimiler à la métropole. On a donc e x e m p t é du tarif métropolitain le Sénégal, les é t a b l i s s e m e n t s de la côte occidentale d'Afrique (sauf le G a b o n ) , Taïti et ses d é p e n d a n c e s , D i é g o - S u a r e z , Nossi-Bé, Sainte-Marie de M a d a g a s c a r , et nos cinq c o m p t o i r s de l'Inde. 2 3 . 2° Colonies chez l e s q u e l l e s , a u c o n t r a i r e , les importations seront s o u m i s e s a u x m ê m e s droits q u e les importations en F r a n c e . L e s m a r c h a n d i s e s é t r a n g è r e s originaires de pays j o u i s s a n t du tarif m i n i m u m p a i e r o n t donc les droits de ce tarif. L e s m a r c h a n d i s e s venant de tous a u t r e s pays supporteront les droits du tarif g é n é r a l . Ce r é g i m e s ' a p p l i q u e r a aux Antilles, à la G u y a n e , à S a i n t - P i e r r e et M i q u e l o n , au G a b o n , à la Réunion, à Mayotte, à l'Indo-Chine, à la Nouvelle-Calédonie (art. 3 , § 3 , précité). 2 4 . C e p e n d a n t le P a r l e m e n t a considéré q u e certaines m a r c h a n d i s e s p o u r r a i e n t être s o u s t r a i t e s à l'application du tarif métropolitain. P a r e x e m p l e , celles q u e la F r a n c e ne produit p a s , ou ne p e u t i m p o r t e r à c a u s e de l ' é l o i g n e m e n t , etc. En conséquence des décrets r e n d u s en forme de règlements d'administration p u b l i q u e , a p r è s avis des conseils généraux ou des conseils d ' a d m i n i s t r a t i o n des colonies p o u r r o n t déterm i n e r les p r o d u i t s q u i , par exception, seront l'objet d'une tarification spéciale (art, 3 , § 4). E n o u t r e , les m ê m e s conseils g é n é r a u x p o u r r o n t solliciter des exceptions au tarif de la métropole (art. 4 ) . Nous e x a m i n e r o n s p l u s loin les c o n s é q u e n c e s de ce nouveau r é g i m e , p a r t i c u l i è r e m e n t d a n s nos colonies de plantation & dans l'Indo-Chine.


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LIVRE

IX.

ORGANISATION FINANCIÈRE DES COLONIES.

CHAPITRE PREMIER. F I N A N C E S D E S COLONIES. — A D M I N I S T R A T I O N . BUDGET.

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COMPTABILITÉ.

1. Historique du r é g i m e financier d e s c o l o n i e s . 2. Contrôle i n s t i t u é p a r les o r d o n n a n c e s o r g a n i q u e s et p a r les l o i s d e s 24 avril 1833 et 25 j u i n 1841 p o u r les g r a n d e s c o l o n i e s . 3. Régime i n t e r m é d i a i r e en 1848. 4. S é n a t u s - c o n s u l t e d e s 3 mai 1854 et 4 j u i l l e t 1866. — L e s c o l o n i e s doiv e n t , en p r i n c i p e , s u b v e n i r à l e u r s c h a r g e s . 5. Décrets d e s 15 s e p t e m b r e , 3 o c t o b r e , 2 n o v e m b r e 1 8 8 2 . — D i s t i n c t i o n : 1° B u d g e t colonial m é t r o p o l i t a i n . — S a c o m p o s i t i o n en r e c e t t e s . 5 bis. Sa c o m p o s i t i o n e n d é p e n s e s . 6. Budgets locaux. 7. Comptabilité d e s c o l o n i e s . — D é c r e t s d e s 26 s e p t e m b r e 1855 e t 20 n o v e m b r e 1882. — P e r s o n n e l . — S e r v i c e d e s d é p ô t s et c o n s i g n a t i o n s . 8. Les d r o i t s d ' e n r e g i s t r e m e n t . Timbre et d r o i t s d e greffe.

1 . Le r é g i m e financier des colonies a subi bien des vicissitudes. L'histoire en a été s o m m a i r e m e n t retracée par M. Béhic, dans un r a p p o r t adressé à la Commission coloniale de 1849 (V. Dalloz, v° Colonies, n° 7 4 ) . Sous l'empire de la charte de 1814, les dépenses faites aux colonies n'étaient accompagnées d ' a u c u n e garantie légale.


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LIVRE IX. ORGANISATION FINANCIÈRE DES COLONIES.

L e s fonds alloués au b u d g e t p o u r ce service y figuraient en b l o c , s a n s a u c u n détail p r o p r e à en justifier l'emploi. Expédiés directement a u x c o l o n i e s , en vertu d ' u n e ordonnance de p a i e m e n t du m i n i s t r e de la m a r i n e , ils n'apparaissaient, d a n s les comptes s o u m i s a u x C h a m b r e s , q u e sous u n e énonciation g é n é r a l e s o m m a i r e , et ils étaient p a s s é s d a n s la comptabilité locale à différents c h a p i t r e s , s u i v a n t la destination que lui assignait l'administration. Des c o n t r i b u t i o n s locales, assises s a n s r é g u l a r i t é , complétaient les r e s s o u r c e s ; tout le système était en d e h o r s des r è g l e s financières en u s a g e et du contrôle des pouvoirs législatifs. 2 . C e p e n d a n t , les comités consultatifs d ' a b o r d , p u i s les conseils g é n é r a u x créés p a r les o r d o n n a n c e s de 1 8 2 5 , 1827 et 1828, furent appelés à exercer u n contrôle. C'est la loi du 24 avril 1833 q u i , la p r e m i è r e , a s o u m i s à des formes régulièr e s la composition des b u d g e t s coloniaux. Elle fut complétée p a r la loi du 25 j u i n 1841 q u i ne concernait d ' a i l l e u r s , comme celle de 1 8 3 3 , q u e les A n t i l l e s , la R é u n i o n et la G u y a n e . Le système était b a s é s u r le contrôle exercé p a r les conseils coloniaux s u b s t i t u é s a u x conseils g é n é r a u x . 3 . L'application de ces deux lois se trouva s u s p e n d u e par la s u p p r e s s i o n des conseils coloniaux en 1848 (liv. I I I , n° 18). D e p u i s l o r s , les b u d g e t s des diverses colonies cessèrent d'être s o u m i s à des a s s e m b l é e s locales. Ils étaient établis par le g o u v e r n e u r , et m i s à exécution a p r è s leur insertion dans le b u d g e t de l'État. 4 . Le sénatus-consulte du 3 mai 1854 i n a u g u r a u n régime n o u v e a u , complété par celui du 4 juillet 1 8 6 6 . L e principe est d é s o r m a i s celui-ci : L e s colonies doivent s u b v e n i r ellesinèmes à toutes l e u r s d é p e n s e s excepté à celles concernant le t r a i t e m e n t du g o u v e r n e u r , du personnel de la justice et des c u l t e s , le service du t r é s o r i e r - p a y e u r g é n é r a l , et les services militaires. P o u r q u o i cette exception? Parce q u e ces dépenses sont u n e émanation directe et u n a t t r i b u t de la souver a i n e t é ; elles sont i r r é d u c t i b l e s , elles ne peuvent dépendre


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des ressources parfois variables des colonies, on les c o n s i dère comme devant rester à la c h a r g e de la métropole. 5. Le budget des colonies a de nouveau fait l'objet d'une réforme réalisée p a r les décrets des 15 s e p t e m b r e , 3 o c tobre, 2 novembre 1 8 8 2 . On distingue le b u d g e t colonial, et le b u d g e t local. Le budget colonial comprend aux recettes : 1° le contingent à fournir, s'il y a l i e u , au Trésor public par les colonies; — 2° le produit de la r e n t e de l ' I n d e , versée p a r le g o u v e r n e ment anglais, à la suite de la convention du 7 m a r s 1 8 1 5 ; — 3° des retenues sur les traitements pour le service des p e n sions; — 4° des p r o d u i t s de vente et cession d'objets a p p a r tenant à l'État, et de tous a u t r e s p r o d u i t s p e r ç u s p o u r le compte de l'État, n o t a m m e n t celui q u e donne le prélèvement de 30 p. 0/0 opéré p a r l'État s u r le travail des transportés Décr. 20 nov. 1 8 8 2 ) . Cette énumération d e s recettes du b u d g e t des colonies doit être accompagnée de q u e l q u e s observations : 1° Le contingent à fournir, s'il y a l i e u , p a r les colonies est fixé chaque a n n é e par la loi de finances. L e r a p p o r t de M. Boulanger sur le budget colonial de 1893 s'exprimait ainsi (18 mars 1893) : « . . . L a question de la participation de nos colonies aux dépenses civiles et militaires qu'elles occasionnent, ainsi q u ' a u x dépenses générales de l ' É t a t , est r e s tée indécise. Elle ne sera résolue q u e par le vote d'une loi sur l'organisation coloniale, depuis l o n g t e m p s en p r é p a r a tion. En a t t e n d a n t , il a paru o p p o r t u n de poser dans la loi des finances le principe de la contribution des colonies à ces dépenses » (V. Dalloz, 9 3 . 4, p . 90, note 7 , 3 colonne). e

En fait, la contribution des colonies aux dépenses civiles et militaires qu'elles occasionnent à l ' É t a t , a été fixée, pour l'exercice 1893, à la somme de cent mille francs ainsi r é p a r t i e par colonie : A n n a m et T o n k i n , 60,000 francs; — G u a d e loupe, M a r t i n i q u e , R é u n i o n , I n d e , c h a c u n e 5,000 f r a n c s ; — Guyane et S é n é g a l , c h a c u n e 4,000 f r a n c s ; — C a m b o d g e , R. 10


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LIVRE IX. ORGANISATION FINANCIÈRE DES COLONIES.

Nouvelle-Calédonie et C o n g o , c h a c u n e 2 , 0 0 0 francs; — Étab l i s s e m e n t s de l ' I n d e , G u i n é e f r a n ç a i s e , Côte d'ivoire, Golfe de B é n i n , c h a c u n e 1,000 f r a n c s ; — S a i n t - P i e r r e et Miquelon, Mayotte, N o s s i - B é , c h a c u n e 500 f r a n c s ; — Diégo-Suarez, 300 f r a n c s ; — O b o c k , 200 francs. L a s o m m e totale 100,000 francs est inscrite sous cette formule : Recettes d'ordre, en a t t é n u a t i o n de d é p e n s e s . 2° De toutes nos colonies la Cochinchine seule fournit un contingent réel et s é r i e u x . Elle payait à l'État, en 1888, pour sa p a r t d a n s les d é p e n s e s de n o t r e a d m i n i s t r a t i o n en IndoChine, u n e s o m m e de 1 1 , 8 9 1 , 0 0 0 francs q u i ne s'élevait plus, en 1 8 9 1 , q u ' à 8 , 0 0 0 , 0 0 0 . L'article 34 de la loi du 26 janvier 1892 ( D a l l o z , 9 2 . 4. 9) l'a r é d u i t e à 6 , 5 0 0 , 0 0 0 francs. En 1 8 9 3 , son contingent a été r é d u i t à 5 , 0 0 0 , 0 0 0 francs (art. 41. L . 28-29 avril 1 8 9 3 , Dalloz, 9 3 . 4 , p . 90). 3° On voit q u e le p r o d u i t des impôts p e r ç u s a u x colonies ne figure p a s au b u d g e t colonial m é t r o p o l i t a i n . L ' É t a t en fait l'abandon a u x colonies. Nous le r e t r o u v e r o n s d a n s le budget local. 5 bis. L e s d é p e n s e s inscrites a u b u d g e t colonial comprennent : 1° celles de g o u v e r n e m e n t et de protection ; — 2° subvention à l'instruction p u b l i q u e ; — 3° s u b v e n t i o n s accordées au service local ; — 4° dépenses m i s e s à la c h a r g e de la métropole p a r les lois annuelles de finances ou p a r des lois spéciales. L ' e n s e m b l e de ces dépenses r é p a r t i e n t r e 38 c h a p i t r e s s'est é l e v é , d ' a p r è s la loi de finances d u 26 avril 1 8 9 3 , à 72 millions 5 8 6 , 6 3 5 francs. 6. Budgets locaux. — On appelle b u d g e t local celui qui se compose d e s recettes et d é p e n s e s d ' i n t é r ê t local. Il est préparé p a r le directeur de l ' i n t é r i e u r et voté par le conseil gén é r a l . D a n s les colonies où le conseil g é n é r a l n'existe p a s , le b u d g e t est dressé p a r les soins du conseil privé a u q u e l sont adjoints q u e l q u e s colons (Décr. 20 nov. 1 8 8 4 , a r t . 4 0 ) . P o u r les é t a b l i s s e m e n t s de la Guinée f r a n ç a i s e , Diégo-


BUDGET E T C O M P T A B I L I T É D E S C O L O N I E S .

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Suarez, Nossi-Bé, Sainte-Marie de Madagascar, le b u d g e t est établi par le chef de l ' a d m i n i s t r a t i o n , avec le concours d ' u n comité consultatif, et soumis à l'approbation du s o u s - s e c r é taire d'État (Décr. 1 août 1889 et 1 j u i l l . 1 8 9 0 ) . Les ressources du budget local c o m p r e n n e n t : 1° les droits de douane et d'octroi de m e r ; — 2° les taxes et contributions votées par le conseil g é n é r a l ; — 3° les revenus des propriétés coloniales; — 4° les produits divers dévolus au service l o c a l ; — 5° les subventions accordées p a r la métropole. Le budget des dépenses locales, divisé en deux sections, comprend : 1° les dépenses obligatoires; — 2° les dépenses facultatives. Les dépenses obligatoires, l o n g u e m e n t é n u m é r é e s dans le sénatus-consulte du 3 mai 1854, et surtout dans celui lu 4 juillet 1866, ont été r é d u i t e s , mais leur nombre est encore plus considérable que dans le b u d g e t des d é p a r t e ments français. Les dépenses facultatives sont celles q u i sont j u g é e s utiles et votées par le conseil g é n é r a l . 7. A l'organisation financière des colonies nous croyons devoir rattacher ce qui est relatif à la comptabilité, au service des dépôts et consignations, à l'enregistrement, au timbre et droits de greffe. La comptabilité des colonies a été réglée par décret du 26 septembre 1855 en 243 articles (V. Dalloz, n 26 et s u i v . ) , complété par u n décret de 1882 (20 nov.). Il y a dans chaque colonie un trésorier-payeur n o m m é par d é c r e t , chargé de la recette et de la dépense tant des services de l'État q u e du service local, et dans q u e l q u e s - u n e s ( g r a n d e s colonies, Cochinchine, Sénégal) des trésoriers particuliers placés sous les ordres et la responsabilité du t r é s o r i e r - p a y e u r . Ils sont nommés par arrêté ministériel. Le service des dépôts et consignations a été réglé p a r décret du 22 mai 1862 suivant les formes d'administration et de comptabilité qui régissent le m ê m e service en F r a n c e . e r

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LIVRE I X . ORGANISATION FINANCIÈRE DES COLONIES.

8 . Enregistrement, timbre et droits de greffe. — L a constitution d u 5 f r u c t i d o r an I I I en d é c l a r a n t q u e les colonies faisaient partie i n t é g r a n t e de la R é p u b l i q u e et q u ' e l l e s étaient assujéties a u x m ê m e s lois q u e la m é t r o p o l e , a b r o g e a les dispositions a n t é r i e u r e s ( L . 8 sept. 1 7 9 1 ) s u r le t i m b r e et l'enreg i s t r e m e n t aux colonies. P a r le fait m ê m e de cette c o n s t i t u t i o n , la loi d u 23 frimaire an VII se trouva a p p l i c a b l e a u x a c t e s p a s s é s a u x colonies. M a i s , avec la constitution c o n s u l a i r e de l'an VIII le principe de l'assimilation a y a n t été a b a n d o n n é il fallut apporter des modifications a u r é g i m e fiscal r é s u l t a n t de la loi de frim a i r e . Elles furent introduites p a r d e u x avis du Conseil d'Etat des 6 v e n d é m i a i r e - 10 frimaire a n X I V , et 12 d é c e m b r e 1806, et s u c c e s s i v e m e n t p a r les lois d e s 28 avril 1816 et 16 juin 1824 (V. pour les détails F u z i e r - H e r m a n , v° Colonie, n 10451054). D ' a p r è s le d e r n i e r état de la législation ( L . 13 a o û t 1872, et 28 février 1872) les a c t e s p a s s é s d a n s les colonies, ou relatifs à des b i e n s qui y sont s i t u é s , sont assujétis à d e u x législations bien distinctes s u i v a n t q u e l ' e n r e g i s t r e m e n t est ou non établi d a n s la colonie. Dans les colonies où l ' e n r e g i s t r e m e n t n ' e s t p a s établi ( É t a b l i s s e m e n t s d ' A f r i q u e , de la Côte-d'Or, d ' O b o c k , SainteMarie de M a d a g a s c a r , S a i n t - P i e r r e et M i q u e l o n ) , les actes dont il s'agit sont assimilés p o u r la p e r c e p t i o n des droits a u x actes p a s s é s à l ' é t r a n g e r ou c o n c e r n a n t des b i e n s s i t u é s à l'étranger. Q u a n t a u x colonies où l ' e n r e g i s t r e m e n t est établi il faut y c o m p r e n d r e celles où le s y s t è m e de l ' e n r e g i s t r e m e n t est o r g a n i s é , et où il f o n c t i o n n e , a l o r s m ê m e q u e le recouvrem e n t des droits n e s ' o p é r e r a i t p a s c o m m e en F r a n c e , et que certains droits ne s e r a i e n t m ê m e p a s é t a b l i s , comme en A l g é r i e , p a r e x e m p l e , où l'impôt s u r les successions n'existe p a s e n c o r e . On a p p l i q u e d a n s ces colonies les p r i n c i p e s suivants. o s


BUDGET E T COMPTABILITÉ DES C O L O N I E S .

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Les actes qui y sont passés ne sont assujétis à l'enregistrement, en F r a n c e , q u e s'ils y sont produits en j u s t i c e , ou s'il en est fait usage en France dans u n acte p u b l i c , ou devant une autorité constituée. On suit la même règle p o u r les actes passés et concernant les biens situés dans les colonies (mutations d ' i m m e u b l e s , droit fixe 3 francs p a r application de l'avis du Conseil d'État de 1 8 0 6 , et tous autres actes et jugements : tarif de la métropole. — V. pour de plus amples détails F u z i e r - H e r m a n , loc. cit., et v Enregistrement et Succession). i s

9 . En ce qui concerne le timbre on fait u n e distinction analogue : 1° colonies où le t i m b r e est établi. Si les actes y ont été régulièrement soumis au t i m b r e , il peut en être fait usage en France sans supplément de droit. — Si les actes n'ont pas été régulièrement t i m b r é s , les droits et amendes exigibles en France sont ceux édictés par le tarif colonial. Il en est ainsi pour les Antilles, la G u y a n e , le Sénégal, la Réunion, l'Inde; mais les tarifs y sont différents. 2° Colonies où le timbre n'est pas établi : les actes venant de ces colonies ne peuvent être produits en F r a n c e et doivent être soumis au timbre tel qu'il y est en v i g u e u r . Il en est ainsi pour les actes venant des colonies suivantes : Cochinchine, Mayotte, Nossi-Bé, Océanie, Saint-Pierre et M i q u e l o n , Établissements d'Afrique, Côte-d'Or, G a b o n , Obock, S a i n t e Marie de Madagascar. Les droits de greffe sont perçus dans toutes les colonies sauf au Gabon et les droits d'hypothèque partout aussi sauf en Cochinchine et au Gabon ( F u z i e r - H e r m a n , loc. cit., n° 1080).

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LIVRE IX. ORGANISATION FINANCIÈRE DES COLONIES.

CHAPITRE IL INSTITUTIONS DE CRÉDIT. — BANQUES

COLONIALES.

1 0 . O r i g i n e d e s b a n q u e s c o l o n i a l e s . — L o i d u 30 a v r i l 1849 c o n c e r n a n t les t r o i s g r a n d e s c o l o n i e s . 1 1 . L o i o r g a n i q u e d u 11 j u i l l e t 1 8 5 1 . — E x t e n s i o n à l a G u y a n e et au Sénégal. 1 2 . P r i v i l è g e d e l ' é m i s s i o n d e s b i l l e t s d e b a n q u e . — P r o r o g a t i o n . — Loi d u 24 j u i n 1 8 7 4 , et d é c r e t d u 31 m a r s 1 8 7 4 . 1 3 . F o n c t i o n n e m e n t d e s c i n q b a n q u e s d e s Antilles, d e l a Guyane, du Sénégal e t d e la Réunion. — I m p o r t a n c e e t d i v i s i o n d e l e u r capital. 1 4 . A d m i n i s t r a t i o n et d i r e c t i o n . 1 5 . Conseil d ' a d m i n i s t r a t i o n . — C e n s e u r . 16. Assemblées générales. 1 7 . S u r v e i l l a n c e officielle e x e r c é e s u r l e s b a n q u e s . 18. Opérations des b a n q u e s coloniales. — É n u m é r a t i o n . 1 9 . L ' e s c o m p t e d e s effets d e c o m m e r c e . — L e t a u x . 2 0 . L e s p r ê t s s u r c e s s i o n d e r é c o l t e s . — F o r m a l i t é s . — C a r a c t è r e du contrat. 2 1 . L ' é m i s s i o n d e s b i l l e t s d e b a n q u e . — P e t i t e s c o u p u r e s . — B o n s de caisse. 2 2 . L i m i t a t i o n l é g a l e d e l ' é m i s s i o n . — Currency principle. 2 3 . Banque de l ' I n d o - C h i n e . — S o n o r i g i n e e t s o n o b j e t . — D é c r e t du 21 j a n v i e r 1875. 24. Son extension au Tonkin. — Décret du 1 avril 1885. *25. M o d i f i c a t i o n d e s s t a t u t s p r i m i t i f s . — D é c r e t d u 20 f é v r i e r 1888, e x t e n s i o n d e la b a n q u e d e l ' I n d o - C h i n e a u x a u t r e s c o l o n i e s et possessions de l'Orient. 2 6 . P r o r o g a t i o n du privilège d e l'émission j u s q u ' e n 1905. — Succursale de N o u m é a . 2 7 . C a p i t a l d e la b a n q u e . 28. Conseil d ' a d m i n i s t r a t i o n . 29. Assemblées générales. e r

3 0 . C o m m i s s a i r e d u g o u v e r n e m e n t , et c o m m i s s i o n banques coloniales. 3 1 . P r o s p é r i t é de la b a n q u e de l ' I n d o - C h i n e .

de

s u r v e i l l a n c e des


BANQUES COLONIALES.

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32. Malaise des a u t r e s b a n q u e s . — S e s c a u s e s . 33. Opportunité de confier l e s s e r v i c e s c o l o n i a u x à d e s s u c c u r s a l e s de la Banque d e F r a n c e .

10. En réglant l'indemnité due aux colons par suite de l'affranchissement de l e u r s noirs q u e les décrets des 4 m a r s et 27 avril 1848 avaient proclamé, la loi du 30 avril 1849 décida qu'un h u i t i è m e serait prélevé sur la rente de 6 millions en 5 p . 0/0 a t t r i b u é e aux colons dépossédés pour servir à l'établissement de b a n q u e s de prêt et d'escompte dans les colonies de la M a r t i n i q u e , de la Guadeloupe et de la R é u n i o n . 1 1 . Ces b a n q u e s ont été organisées et réglementées par la loi du 11 juillet 1851 q u i prescrit la création d'un établissement du même genre à la G u y a n e . Elle fixe à 3 millions le capital des banques des trois grandes colonies, et à 700,000 francs le capital de la b a n q u e de la G u y a n e . Le capital étant formé principalement par des rentes 5 p . 0/0 prélevées sur l'indemnité des colons, ceux-ci devaient recevoir en représentation de ces rentes, des actions de leur b a n q u e . Le prélèvement du h u i t i è m e avait été ordonné provisoirement par décret du 24 novembre 1849 p o u r la Guyane et le Sénégal en vue de la création de b a n q u e s dans ces colonies sous la condition qu'il serait restitué aux colons si ces b a n q u e s n'étaient pas établies au 1 octobre 1852. U l t é r i e u r e m e n t , le délai fut prorogé j u s q u ' a u 1 avril 1854. La banque du Sénégal fut enfin créée (Décr. 21 déc. 1853) au capital de 230,000 francs; — celle de la Guyane (Décr. 1 févr. 1854) au capital de 300,000 francs au lieu de 700,000 francs fixés par la loi du 18 juillet 1 8 5 1 . 1 2 . Chacune de ces cinq b a n q u e s avait reçu le privilège de l'émission dans la colonie où elle était établie et dans ses dépendances, de billets payables à vue et au porteur à l'exclusion de tout a u t r e établissement de c r é d i t , pendant la durée de vingt ans a p r è s sa constitution. La durée de ces b a n q u e s et de leur privilège a été prorogée par divers décrets. L a loi du 24 j u i n 1 8 7 4 , a enfin édicté les e r

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r è g l e s et s t a t u t s a u x q u e l s elles doivent se c o n f o r m e r , en pror o g e a n t l e u r privilège p o u r vingt a n s à p a r t i r du 11 s e p t e m b r e 1 8 7 4 . (Il vient d ' ê t r e é t e n d u j u s q u ' a u 1 j a n v i e r 1896. — Décret du 16 juillet 1894). A cette loi il faut j o i n d r e u n décret du 31 m a r s 1874 qui a modifié l'article 8 du décret a n t é r i e u r (17 nov. 1852) créant u n e a g e n c e c e n t r a l e d e s b a n q u e s coloniales à P a r i s . Telle est la législation à l a q u e l l e il y a lieu de se référer p o u r l'étude des b a n q u e s c o l o n i a l e s . 1 3 . Ces b a n q u e s , i n s t i t u é e s sous la forme de sociétés anon y m e s , ont leur siège : celle de la G u a d e l o u p e à la Pointe-àP î t r e ; — celle de la M a r t i n i q u e à S a i n t - P i e r r e ; — celle de la R é u n i o n à S a i n t - D e n i s ; — celle de la G u y a n e à Cayenne; — celle du S é n é g a l à S a i n t - L o u i s . L e u r capital est divisé en actions de 500 f r a n c s ; et de 375 francs s e u l e m e n t p o u r celle de la G u y a n e . Il est de 3 millions p o u r c h a c u n e des trois p r e m i è r e s ; — de 4 5 0 , 0 0 0 francs pour celle de la G u y a n e (par suite du r e m b o u r s e m e n t de 125 francs à c h a c u n e de ses 1,200 actions f o r m a n t le m o n t a n t de son capital q u i avait été r a m e n é à 6 0 0 , 0 0 0 francs et q u i se trouve réduit a u j o u r d ' h u i à 4 5 0 , 0 0 0 ) . L e capital d e la b a n q u e du S é n é g a l , p r i m i t i v e m e n t fixé à 2 3 0 , 0 0 0 francs, a été élevé à 6 0 0 , 0 0 0 francs (Décr. 4 j u i l l . 1 8 8 8 ) . L e s actions sont n o m i n a t i v e s , t r a n s m i s s i b l e s p a r u n transfert signé du p r o p r i é t a i r e ou de son fondé de pouvoirs s u r un r e g i s t r e tenu a u siège de la b a n q u e , m a i s elles sont susceptibles d'être t r a n s f é r é e s d a n s la m é t r o p o l e à l'agence centrale des b a n q u e s coloniales s i t u é e à P a r i s , l o r s q u ' e l l e s sont déposées avec u n e déclaration en ce s e n s au siège de la b a n q u e . 1 4 . L a direction et l ' a d m i n i s t r a t i o n de c h a q u e b a n q u e sont confiées à u n d i r e c t e u r et à un conseil d ' a d m i n i s t r a t i o n comp r e n a n t , o u t r e le d i r e c t e u r , des c e n s e u r s q u i assistent à ce conseil s a n s y avoir voix d é l i b é r a t i v e . L e d i r e c t e u r est n o m m é , et p e u t être r é v o q u é p a r décret d u chef de l'État. En cas d ' e m p ê c h e m e n t , de. s u s p e n s i o n ou e r


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de cessation de ses fonctions, le gouverneur de la colonienomme en conseil privé un directeur intérimaire. Le directeur doit posséder 20 actions, et seulement 10 à la Guyane et au Sénégal; il ne p e u t , p o u r son compte, faire a u c u n c o m m e r c e , ni s'intéresser dans a u c u n e entreprise commerciale, ni faire escompter par la b a n q u e les effets ou engagements revêtus de sa signature. 1 5 . Le conseil comprend q u a t r e a d m i n i s t r a t e u r s , dont trois sont élus par l'assemblée générale des actionnaires, pour trois a n s , avec rééligibilité, le q u a t r i è m e en fait partie de droit : c'est le trésorier de la colonie, ou le délégué p a r lequel il se fait remplacer, s'il ne réside pas l u i - m ê m e au siège de la banque. Chaque b a n q u e a deux censeurs dont l'un est élu p a r l'assemblée générale p o u r trois a n s , et est rééligible. Il doit posséder le même n o m b r e d'actions q u e les a d m i n i s t r a t e u r s ; l'autre est désigné par le m i n i s t r e , p a r m i les inspecteurs permanents des services administratifs et financiers de la m a r i n e et des colonies (Décr. 23 juillet 1879). Outre le censeur titulaire élu, l'assemblée générale élit, dans les mêmes conditions, un censeur suppléant. Les fonctions du conseil d'administration sont précisées par les statuts annexés à la loi précitée du 24 juin 1874. 1 0 . L'assemblée générale des actionnaires présente cette particularité qu'elle se compose, non de tous les actionnaires, mais seulement des cent actionnaires (trente actionnaires seulement pour les b a n q u e s de la Guyane et du Sénégal), propriétaires du plus grand n o m b r e d'actions depuis six mois révolus. Nul actionnaire non français n e p e u t faire partie de l'assemblée générale s'il n'a son domicile, depuis cinq a n s au moins, dans la colonie ou dans u n e a u t r e colonie française, ou en France. L'assemblée générale se réunit au moins u n e fois p a r an au mois de juillet. Elle statue sur les comptes de l ' a n n é e , Procède aux élections d'administrateurs et de censeurs (titu-


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laire ou s u p p l é a n t , e t c . ) . Elle p e u t être c o n v o q u é e extraordin a i r e m e n t toutes les fois q u e le conseil d ' a d m i n i s t r a t i o n en r e c o n n a î t la n é c e s s i t é . C'est le conseil d ' a d m i n i s t r a t i o n q u i n o m m e et révoque les e m p l o y é s s u r les p r o p o s i t i o n s du d i r e c t e u r . 1 7 . La s u r v e i l l a n c e officielle des b a n q u e s coloniales s'exerce de d e u x m a n i è r e s : 1° par ce fait q u e le t r é s o r i e r de la colonie est de droit a d m i n i s t r a t e u r , et q u e l'un des c e n s e u r s est nommé p a r le m i n i s t r e , et 2° p a r l ' o r g a n e d ' u n e c o m m i s s i o n de surveillance q u e la loi de 1851 a i n s t i t u é e et q u i a été maintenue p a r la loi de 1 8 7 4 . E n o u t r e , le m i n i s t r e et le g o u v e r n e u r p e u v e n t faire proc é d e r par les a g e n t s q u ' i l s d é s i g n e n t à t o u t e vérification des r e g i s t r e s , caisses et o p é r a t i o n s de la b a n q u e . 1 8 . L e s b a n q u e s coloniales ne p e u v e n t faire que les opér a t i o n s q u i l e u r sont p e r m i s e s par l e u r s s t a t u t s . Elles consistent : 1° à recevoir des dépôts de s o m m e s sans i n t é r ê t , s u s c e p t i b l e s d'être r e t i r é e s à v u e p a r les déposants ou t r a n s f é r é e s p a r v i r e m e n t à un a u t r e c o m p t e . A u s s i bien q u e le dépôt, m o y e n n a n t u n droit de g a r d e de t o u s titres, ling o t s , m o n n a i e s et m a t i è r e s d'or et d ' a r g e n t ; 2° à escompter des lettres de c h a n g e et a u t r e s effets à o r d r e , ainsi q u e les t r a i t e s du T r é s o r p u b l i c ou s u r le T r é s o r p u b l i c , les ministères et les caisses p u b l i q u e s ; 3° à e s c o m p t e r des obligations négoc i a b l e s ou n o n négociables g a r a n t i e s , soit p a r des récépissés de m a r c h a n d i s e s déposées d a n s les m a g a s i n s p u b l i c s , soit par des cessions de récoltes p e n d a n t e s , soit p a r des transferts de r e n t e s ou des d é p ô t s , m o n n a i e s , m a t i è r e s d'or et d ' a r g e n t ; 4° à se c h a r g e r p o u r le c o m p t e des p a r t i c u l i e r s ou p o u r celui des é t a b l i s s e m e n t s p u b l i c s , de l ' e n c a i s s e m e n t des effets qui lui sont r e m i s , et à p a y e r tous m a n d a t s ou a s s i g n a t i o n s ; 5 ° à é m e t t r e des billets à o r d r e , des traites et m a n d a t s , et enfin, ce q u i est le privilège actuel de la B a n q u e de F r a n c e d a n s la m é t r o p o l e , à é m e t t r e des billets p a y a b l e s à v u e et a u porteur. 1 9 . Celles de ces o p é r a t i o n s qui doivent p l u s p a r t i c u l i è r e -


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ment appeler notre attention sont : l'escompte du p a p i e r ; les avances garanties par cession de récoltes pendantes, et la faculté de l'émission des billets de b a n q u e . Pour l'escompte des effets de c o m m e r c e , les banques n'exigent que deux s i g n a t u r e s , au lieu de trois q u e demande la Banque de F r a n c e . L'intérêt légal est fixé à 9 p . 0/0 en matière civile, et 12 p . 0 / 0 en matière commerciale (V. le R a p port de M. Elisée P e l a g a u d à la Soc. d'écon. politique de Lyon, sur les banques coloniales, vol. de 1893, p . 427 et s u i v . ) . 2 0 . La faculté de faire des e m p r u n t s s u r cession de récoltes est une innovation p r o p r e aux colonies. « L e planteur qui veut profiter de cet avantage se rend au siège de la b a n q u e et il y déclare le n o m b r e d'hectares qu'il a planté en c a n n e s ; la banque a des e x p e r t s , elle les envoie visiter les champs des emprunteurs, s'assurer de la bonne venue des c a n n e s , de la surface des terrains p l a n t é s , et aussi de la moralité des p l a n leurs qui sollicitent cette avance de fonds. Lorsque toutes ces formalités ont été remplies, elle leur prête u n tiers de la valeur de leurs récoltes f u t u r e s , au taux de 6 p . 0 / 0 ; ce prêt est garanti par l'acte de cession qui est un véritable transfert de propriété consenti à la b a n q u e ( P e l a g a u d , loc. cit.). La banque doit faire t r a n s c r i r e l'acte de p r ê t , c'est-à-dire de cession de récoltes au b u r e a u du receveur de l'enregistrement, et lorsque la transcription a été opérée sans q u ' a u c u n e opposition régulière ait élé faite ou m a i n t e n u e , la b a n q u e est considérée comme saisie de la récolte ergà ornnes. Mais s i , antérieurement à cette transcription, il y a eu une saisie i m mobilière régulièrement transcrite frappant les biens dont la recolte a été cédée, cette saisie doit avoir son effet s u r la r é colte de ces biens à l'encontre même de la b a n q u e , dont le droit ne passe alors q u ' a p r è s celui du saisissant. De ce qui précède il résulte q u e la b a n q u e a un droit de propriété sur la récolte et q u e le contrat intervenu procède non du gage mais de la vente (Pelagaud, loc. cit., en ce s e n s , Cass., 10 févr. 1858, 21 nov. 1882). « Ces prêts fonction.


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LIVRE IX. ORGANISATION FINANCIÈRE DES COLONIES.

ncnt régulièrement, dit M. Pelagaud, ils n'ont jamais donné de mécomptes sérieux et ils ont puissamment contribué au développement de l'agriculture coloniale. » 2 . 1 . Le privilège d'émission des billets de banque ne comportent pour les banques coloniales, en vertu de la loi du i l juillet 1851, que des billets de 500, 100 et 25 francs. Il a été étendu par la loi de 1874 aux billets de 5 francs. Cette faculté avait été étendue pour les banques de la Martinique et de la Guadeloupe par l'autorisation donnée à leur gouverneur (Décr. 23 avr. 1855) de mettre en circulation des bons de caisse depuis 50 centimes jusqu'à 10 francs dont le montant doit être garanti par une somme égale en numéraire dans la caisse. 2 2 . En dehors des bons de caisse dont nous venons de parler, inférieurs au chiffre de 5 francs, l'émission des billets de 500, 100, 25 et 5 francs ne peut, dans son ensemble, dépasser le triple de l'encaisse métallique (Statuts de 1874). C'est une application du système appelé Currency principle, c'est-à-dire la circulation limitée par la l o i , système qui fonctionne en Angleterre depuis le bill de 1844 et qui a donné lieu à de vives controverses que nous ne pouvons aborder ici parce qu'elles se rattachent à la question générale de la liberté ou de la réglementation des banques d'émission (V. Courcelle-Seneuil, Traité des opérations de banque, p. 325 et suiv.; Woloski, Question des banques, p. 330 et suiv.; Cauwes, Précis d'économie politique, t. I , n° 617 et P. Leroy-Beaulieu, Du danger de la suppression de la limite d'émission de la Banque de Franee, Écon. franç. du 3 nov. 1883). er

2 3 . La banque de l'Indo-Chine, constituée par une société d'actionnaires ayant son siège social à Paris avec deux succursales, l'une à Saïgon, l'autre à Paris, a obtenu l'approbation de ses statuts par un décret du 21 janvier 1875. Elle avait, à l'exclusion de tous autres établissements, le droit


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B A N Q U E DE L ' I N D O - C H I N E .

d'émettre des billets de b a n q u e ( 1 , 0 0 0 , 5 0 0 , 100, 20 et 5 francs) pendant vingt ans à compter du 21 janvier 1875, mais seulement dans la Cochinchine et l'Inde française. D'après ces s t a t u t s , elle a pour but de faire toutes les opérations pratiquées par les b a n q u e s de p r ê t , d'escompte et d'émission avec faculté d'établir des agences sur tous les points de l'Extrême-Orient où se trouvent des comptoirs régis par la loi française, et dans les ports de C h i n e , du J a p o n et des Indes orientales. 2 4 . A la suite de notre occupation du Tonkin, une s u c c u r sale fut établie à Haïphong ( 1 avr. 1885). C'était u n essai; la banque ne jouissait d'aucun privilège p o u r l'émission de billets de b a n q u e au Tonkin. 2 5 . Dans le but d'étendre à celte région et à d'autres colonies les avantages qui pouvaient en r é s u l t e r , un décret du 20 février 1888, modifiant les statuts primitifs, a approuvé l'institution de la succursale de H a ï p h o n g , décidé la c r é a tion d'une succursale à Nouméa, et obligé la banque à établir ultérieurement ( s u r la demande du m i n i s t r e , la commission de surveillance des b a n q u e s coloniales entendue), des s u c cursales ou des agences à N o s s i - B é , Mayotte et leurs d é p e n dances, et dans les établissements de l'Océanie, et des agences au Cambodge, dans l ' A n n a m , au T o n k i n , dans les ports de Chine, du J a p o n , de la mer des Indes et de l'Océan pacifique qui lui seraient désignés. e r

2 6 . En même t e m p s , le privilège d'émission d'abord limité à la Chine et à l'Inde française a été prorogé de dix ans, soit jusqu'au 21 janvier 1 9 0 5 , avec stipulation qu'il s'étendrait à nos possessions ci-dessus indiquées dès q u e des succursales y seraient établies. Nous devons mentionner qu'avant le décret du 20 février 1888 une b a n q u e avait existé à la Nouvelle-Calédonie avec privilège d'émission de billets j u s q u ' e n 1894 (Décr des 14 juill. 1874 et 25 nov. 1875), mais celle b a n q u e ayant fait faillite, la b a n q u e de l'Indo-Chine a été a u t o r i s é e , comme R.

11


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L I V R E I X . ORGANISATION F I N A N C I È R E D E S COLONIES.

BOUS venons de le d i r e , par le décret du 20 février 1888, à installer u n e succursale à Nouméa. 2 7 . Le capital de la b a n q u e de l ' I n d o - C h i n e , primitivement fixé à 8 millions et élevé depuis 1888 à 12 millions, est divisé en actions de 500 francs. Il peut être augmenté par décision de l'assemblée générale des actionnaires approuvée p a r le m i n i s t r e . Les actions sont nominatives j u s q u ' à leur libération, après laquelle elles p e u v e n t , au choix des a c t i o n n a i r e s , être nominatives ou au p o r t e u r . 2 8 . Le conseil d'administration siégeant à Paris compren a n t de huit à quinze m e m b r e s , élit son p r é s i d e n t , à la différence des a u t r e s b a n q u e s coloniales (Vide suprà, n° 14), il n o m m e , mais avec l'agrément du m i n i s t r e , les directeurs des s u c c u r s a l e s . Il est assisté d'un commissaire du gouvernem e n t nommé par le ministre, qui doit être convoqué à chaque s é a n c e , et a les attributions qu'exercent les censeurs des a u t r e s b a n q u e s coloniales. Le conseil d'administration a les pouvoirs les plus étendus, et des attributions p l u s détaillées s u r certains points que les a u t r e s b a n q u e s coloniales (V. F u z i e r - H e r m a n , v° Banque, n° 745). Comme pour celles de la M a r t i n i q u e , de la Guadeloupe et de la Réunion, l'assemblée générale se compose seulement des cent actionnaires q u i , d e p u i s six m o i s , sont propriétaires du plus grand nombre d'actions. 2 9 . L'assemblée générale se réunit a n n u e l l e m e n t au mois de m a i , et plus fréquemment si le conseil le j u g e nécessaire. Elle doit être convoquée e x t r a o r d i n a i r e m e n t d a n s deux cas : 1° lorsque des actionnaires r é u n i s s a n t ensemble le tiers des actions en font par écrit la demande motivée ; 2° dans le cas où des pertes réduiraient le capital de moitié. 3 0 . L'action du gouvernement s'exerce v i s - à - v i s de la b a n q u e par les fonctions du commissaire n o m m é par le ministre et qui doit être convoqué à c h a q u e séance du conseil d'administration et à chaque assemblée g é n é r a l e .


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B A N Q U E DE L ' I N D O C H I N E .

La commission de surveillance des b a n q u e s coloniales, dont nous avons déjà parlé, exerce les mêmes fonctions vis-à-vis de la banque de l'Indo-Chine q u e vis-à-vis des a u t r e s b a n q u e s . Des agents officiels peuvent soit d'office, soit sur la demande des gouverneurs, être chargés de vérifier les registres, caisses et opérations. Le détail des opérations prévues par les statuts et les règles que la banque d'Indo-Chine doit observer sont exposés très explicitement dans le Répertoire de F u z i e r - H e r m a n ( n 769 et suiv.). 3 1 . La banque de l'Indo-Chine est en pleine prospérité et M. Pelagaud, dans son rapport à la société d'Économie politique de Lyon sur les b a n q u e s coloniales, en donne p l u s i e u r s raisons : elle a un excellent personnel financier, elle a des vues très l a r g e s , surtout elle est plus commerciale q u ' a g r i cole et elle a affaire à des négociants s é r i e u x ; elle a compris que le particularisme financier était u n grand danger pour u n e banque et qu'elle devait chercher à s'appuyer sur plusieurs colonies, au lieu de se restreindre à u n e seule région q u e l que importante qu'elle fût 3 2 . Au contraire, les b a n q u e s des a u t r e s colonies, suivant M. Pelagaud, sont trop localisées, trop isolées les unes des autres, trop exposées aux conséquences des sinistres qui frappent les colonies de p l a n t a t i o n , comme les cyclones qui ont été signalés dans ces dernières a n n é e s , « dans des cas s e m blables l'île ( R é u n i o n , ou M a r t i n i q u e , ou Guadeloupe) tout entière est f r a p p é e , et c'est un désastre complet s'il n'y a Qu'une banque locale. Elle se trouve nécessairement débordée parce que tous les gens ont besoin d'argent à la fois. D'un autre côté, s'il y a une baisse de la vanille, s'il se déclare une maladie de la canne à s u c r e . . . , la b a n q u e ne peut plus rentrer dans les fonds qu'elle a avancés en prêts sur récoltes. Le gouvernement est obligé d'intervenir, et c'est le b u d g e t métropolitain qui finit par payer. » 33. M. Pelagaud signale encore d'autres causes de malaise os


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LIVRE IX. ORGANISATION FINANCIÈRE DES COLONIES.

p o u r les b a n q u e s des colonies à p l a n t a t i o n , elles touchent à des considérations de personnes qui peuvent être fondées. Il conclut q u ' à la place des b a n q u e s créées dans c h a q u e colonie s é p a r é e s , et sujettes à des causes locales d ' i n s u c c è s , climatér i q u e s ou a u t r e s , u n e b a n q u e centrale serait p r é f é r a b l e , et q u e ce qui v a u d r a i t encore mieux ce serait de confier tous les services coloniaux à des s u c c u r s a l e s de la B a n q u e de France (vol. de la Soc. d'Écon. politique de Lyon de 1 8 9 3 , p . 443).


185

LIVRE X. e

LA COLONISATION FRANÇAISE AU XIX SIÈCLE EN AMÉRIQUE.

CHAPITRE PREMIER. COLONIES F R A N Ç A I S E S DE L ' A M É R I Q U E DU N O R D . — S t - P I E R R E ET M I Q U E L O N . — P Ê C H E R I E S

DE

TERRE-NEUVE.

1. P r o g r a m m e de l ' é t u d e de la colonisation française au x i x

e

siècle.

2. La F r a n c e o c c u p e le t r o i s i è m e r a n g en A m é r i q u e d a n s l a colonisation. 3. Des r e l a t i o n s s u b s i s t a n t e n t r e la F r a n c e e t le C a n a d a . 4. Pêcheries f r a n ç a i s e s . — S a i n t - P i e r r e et M i q u e l o n et côtes d e T e r r e N e u v e . — L o i d u 22 juillet 1851 s u r l e s p r i m e s allouées à la p ê c h e maritime. 5. Justification d e s e n c o u r a g e m e n t s d o n n é s à c e t t e i n d u s t r i e . 6. Contestations e n t r e la F r a n c e et l ' A n g l e t e r r e r e l a t i v e m e n t à la p ê c h e à Terre-Neuve. — Historique. 7. Etendue d e nos d r o i t s de p ê c h e . 8. Origine d e s c o n t e s t a t i o n s r é c e n t e s . 9. Découverte de m i n e s à T e r r e - N e u v e et s e s effets v i s - à - v i s d e n o t r e occupation du littoral. 10. Convention e n t r e l a F r a n c e et l ' A n g l e t e r r e en 1 8 8 5 . — T e n u e en é c h e c p a r le p a r l e m e n t local de T e r r e - N e u v e . 11. En q u e l s t e r m e s s e p o s e a c t u e l l e m e n t l a q u e s t i o n d e n o s p ê c h e ries. 12. Solution p o s s i b l e liée à la n é g o c i a t i o n d ' u n r é g i m e d o u a n i e r e n t r e l a F r a n c e et l ' A n g l e t e r r e v i s - â - v i s d e l a T u n i s i e .


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L I V R E X . C O L O N I S A T I O N F R A N Ç A I S E AU X I X

e

SIÈCLE.

1 3 . I m p o r t a n c e d e la s o l u t i o n à i n t e r v e n i r . — I n t é r ê t s d e n o s a r m e m e n t s d e pêche sur notre littoral de l'Atlantique. 14. R è g l e m e n t s r e l a t i f s a u p e r s o n n e l d e la p ê c h e m a r i t i m e . — D é c r e t d u 16 février 1 8 8 9 . 1 5 . P o p u l a t i o n e t c o m m e r c e d e S a i n t - P i e r r e et M i q u e l o n . — I m p o r t a t i o n s , exportations.

1 . A p r è s avoir étudié la colonisation française d a n s son p a s s é , c ' e s t - à - d i r e l'histoire de nos colonies d e p u i s l e u r s origines j u s q u ' a u r é t a b l i s s e m e n t de la paix en 1815 qui restitua à la F r a n c e les possessions qu'elle avait p e r d u e s p e n d a n t la g u e r r e , nous avons exposé la législation q u i r é g i t nos étab l i s s e m e n t s coloniaux. Il n o u s faut m a i n t e n a n t examiner leur situation individuelle d e p u i s cette é p o q u e , ce qui nous obligera à q u e l q u e s notions s u r les lois spéciales et les instit u t i o n s j u d i c i a i r e s p a r t i c u l i è r e s q u i l e u r sont p r o p r e s . Mais c'est s u r t o u t leur d é v e l o p p e m e n t h i s t o r i q u e et économique d a n s ce siècle, ainsi q u e les q u e s t i o n s a u x q u e l l e s il peut donner lieu qui a p p e l l e r o n t n o t r e a t t e n t i o n . N o u s s u i v r o n s d a n s cette é t u d e , le m ê m e o r d r e q u e précédemm e n t , en c o m m e n ç a n t p a r nos é t a b l i s s e m e n t s d ' A m é r i q u e , qui forment nos p l u s a n c i e n n e s colonies. N o u s d i s t i n g u e r o n s chez elles n a t u r e l l e m e n t nos é t a b l i s s e m e n t s de pèche (Saint-Pierre et Miquelon, et Terre-Neuve) seuls vestiges de notre ancien empire colonial de l ' A m é r i q u e du N o r d , et nos colonies de plantation (Martinique, Guadeloupe, G u y a n e , Réunion). Nous aborder o n s ensuite notre e m p i r e colonial africain comprenant l'Algérie, la T u n i s i e , le S é n é g a l , la G u i n é e , la côte d'Ivoire, le D a h o m e y , le G a b o n , le Congo et les a n n e x e s d'Obock et de T a d j o u r a h , de N o s s i - B é et d é p e n d a n c e s , ainsi q u e nos droits s u r le protectorat de M a d a g a s c a r . L'Asie s ' o u v r i r a devant n o u s , et n o u s y s u i v r o n s notre colonisation d a n s l ' I n d e , en C o c h i n c h i n e , a u C a m b o d g e , d a n s l ' A n n a m , au T o n k i n , en y c o m p r e n a n t n o s droits sur Siam. N o u s n ' a u r o n s p l u s q u ' à d e s c e n d r e d a n s l'Océan Pacifique


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où notre examen de la colonisation française au x i x siècle nous amènera à la Nouvelle-Calédonie et à nos établissements de l'Océanie. Nous aurons alors une idée d'ensemble, sinon absolument approfondie de notre œuvre colonisatrice actuelle. Il nous restera à rechercher par quels moyens elle peut encore s'affermir, se compléter, se développer, de manière à assurer à notre pays, l'influence définitive qu'il est appelé à exercer sur une partie du globe. 2 . En Amérique, nous n'avons plus que le troisième r a n g . Le premier appartient à la Grande-Bretagne malgré la perte de ses anciennes colonies en 1783. Elle a encore aujourd'hui le Canada, la baie d'Hudson, T e r r e - N e u v e , les Bernudes, la Grenade, Tabago, la Trinité et plusieurs autres petites îles, le Honduras, une partie de la Guyane, les îles Falkand. Le deuxième rang est encore à l'Espagne avec Cuba, le plus grand pays producteur de canne à s u c r e , et P o r t o Rico. Le troisième r a n g nous r e s t e , et après n o u s , viennent la Hollande avec ses possessions de la Guyane et de Curaçao et d'une partie de Saint-Martin, enfin le Danemark avec l'Irlande, Sainte-Croix, S a i n t - T h o m a s . Mais un fait digne de r e m a r q u e c'est q u ' a u c u n e nation européenne pendant ce siècle n'a gagné de terrain dans l'ancien Nouveau-Monde. L'Europe, au contraire, a été expulsée en partie de l'Amérique dans la seconde moitié du siècle d e r nier et dans la première de celui-ci par des nations jeunes qui lui devaient la vie mais q u i , de bonne h e u r e , ont voulu conquérir leur liberté. C'est ainsi qu'en 1783 les États-Unis se sont détachés de l'Angleterre, en 1821 le Brésil s'est séparé du Portugal, de 1814 à 1826 le Chili, le Mexique, la Plata, 1 Amérique méridionale, l'Amérique centrale, le Pérou se sont rendus indépendants de l'Espagne. 3. Mais plusieurs de ces États ont conservé d'étroites et fructueuses relations avec leur ancienne métropole (sup. liv.


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L I V R E X . C O L O N I S A T I O N F R A N Ç A I S E AU X I X

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I, n° 2 6 ) . Bien q u e n o u s n ' a y i o n s r i e n g a r d é de nos possessions du Canada et de la L o u i s i a n e , il est certain q u e les p o p u l a t i o n s de r a c e française q u i p e u p l e n t ces c o n t r é e s , y m a i n t i e n n e n t des t r a d i t i o n s , des i d é e s , des s e n t i m e n t s qui créent, entre elles et n o u s , u n lien s y m p a t h i q u e , dont nous avons eu p l u s d ' u n e fois l'occasion d e r e t i r e r des avantages. C'est ce q u i ressort d u livre p u b l i é p a r M. R a m e a u s u r le d é v e l o p p e m e n t de la race française h o r s de l ' E u r o p e , notamm e n t s u r les F r a n ç a i s en A m é r i q u e , a c a d i e n s et c a n a d i e n s (La France aux colonies, 1 vol. i n - 8 ° , J o u b y , é d i t e u r , P a r i s , 1859, passim). 4 . Nous n ' a v o n s a u j o u r d ' h u i d a n s ces p a r a g e s q u e les îles de S a i n t - P i e r r e et Miquelon et certains droits s u r Terre-Neuve (V. suprà, liv. I I , n° 17). On a dit de ces îles q u ' e l l e s sont de g r a n d e s f a b r i q u e s de m o r u e . Cette qualification est exacte. Cette petite colonie n e p e u t s u b s i s t e r q u e p a r la p ê c h e où elle p u i s e toute sa r i c h e s s e . D e p u i s l o n g t e m p s des p r i m e s d ' e n c o u r a g e m e n t sont accordées p a r la métropole a u x g e n s de mer q u i se livrent à cette i n d u s t r i e . J u s q u ' e n 1 8 3 2 , le t a u x des p r i m e s fut réglé p a r les o r d o n n a n c e s , et p o s t é r i e u r e m e n t p a r les lois des 2 m a i 1832 et 13 août 1 8 4 1 . L e s conditions en ont été modifiées p a r la loi d u 22 juillet 1851 q u i n e devait avoir d'effet que j u s q u ' e n 1861 m a i s q u i a été s u c c e s s i v e m e n t p r o r o g é e (V. lois du 17 déc. 1880 et 31 j u i l l . 1 8 9 0 ) . Cette loi d i s t i n g u e d e u x sortes d e p r i m e s : 1° L a prime d ' a r m e m e n t donnée à l ' a r m a t e u r a u m o m e n t du d é p a r t du n a v i r e , et q u i est calculée d ' a p r è s le n o m b r e des m a r i n s emb a r q u é s , soit 50 francs p a r h o m m e d ' é q u i p a g e p o u r la pêche avec sécherie, à T e r r e - N e u v e , S a i n t - P i e r r e et M i q u e l o n , 50 francs p a r h o m m e d ' é q u i p a g e pour la p è c h e sans sécherie d a n s les m e r s d ' I s l a n d e , et 30 francs p a r h o m m e d'équipage p o u r la pèche sans sécherie s u r le g r a n d b a n c de Terre-Neuve. 2° Une a u t r e p r i m e est accordée s u r les p r o d u i t s de la pêche, p r o p o r t i o n n e l l e m e n t à l e u r i m p o r t a n c e , et s u i v a n t la distance


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du pays de destination. La loi a eu surtout pour objet de favoriser l'exportation des morues sèches (V. le Rapport de M. Ancel (D. 52. 4. 27), et Dalloz, v° Pêche maritime, n 11, 12 et suiv.). 5 . Le montant de ces p r i m e s atteindrait, suivant M. P . Leroy-Beaulieu (p. 5 7 8 ) , 4 millions de francs, et ne serait guère inférieur aux bénéfices réalisés par les entrepreneurs de pèche. Cependant d'après les statistiques relatées dans les notices s u r les colonies publiées lors de l'exposition universelle de 1889 sous la direction de M. Henrique (Notice sur Saint-Pierre et Miquelon, p . 52), le commerce de ces îles suit une progression c o n s t a n t e , mais il y a surtout à considérer qu'il fait vivre un nombre considérable de gens de m e r , et qu'il favorise le recrutement de dix mille matelots d'élite dont le concours peut fournir u n appoint i m p o r t a n t , suivant les circonstances, à la marine de l'État. A ce seul titre notre colonie des îles de Saint-Pierre et Miquelon mérite toute la sollicitude de la métropole. o s

6 . Les droits de pèche pour nos nationaux sur les côtes de l'île de Terre-Neuve donnent lieu aujourd'hui entre l'Angleterre et la France à une « question » dont nous devons préciser le caractère. Le droit des Français de pratiquer la pèche sur les côtes de Terre-Neuve remonte originairement à l'article 13 du traité de paix conclu à Utrecht le 11 avril 1713. Aux termes de ce traité, la France faisait remise à la GrandeBretagne de tout ce qu'elle possédait dans l'île de Terre-Neuve et ne gardait plus que le droit d'y établir les « échafauds et cabanes nécessaires pour sécher le poisson, ainsi que le droit d'aborder dans l'île seulement dans le temps nécessaire à ces opérations » (V. Pradier-Fodéré, Traité de droit international, t. V, p. 5 9 3 , n° 2453). De plus, ces droits ne pouvaient être exercés que « depuis le lieu appelé cap de la B o n a - V i s t a , jusqu'à l'extrémité septentrionale de l'île, et de là en suivant la partie occidentale j u s q u ' a u lieu appelé Pointe-Riche. » 11*


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L e traité du 10 février 1 7 6 3 , qui mit fin à la guerre de sept a n s maintient les clauses du traité de 1 7 1 3 . Il en est de m ê m e du traité du 3 s e p t e m b r e 1 7 8 3 , d a n s lequel toutefois il est dit que « pour prévenir les querelles entre les deux nations française et a n g l a i s e , la F r a n c e renonce au droit de pêche d e p u i s le cap de la Bona-Vista j u s q u ' a u cap S a i n t - J e a n ; mais elle acquiert le droit de pêcher depuis le cap S a i n t - J e a n en montant au n o r d , et en redescendant p a r la côte occidentale j u s q u ' a u cap R a g e . L a p ê c h e , dans le golfe S a i n t - L a u r e n t , nous est en o u t r e maintenue telle qu'elle n o u s avait été concédée par le traité de 1 7 1 3 . Ces clauses sont de nouveau confirmées par le traité conclu a p r è s la paix d'Amiens en 1802. Enfin l'article 13 du traité de P a r i s du 30 mai 1 8 1 4 , déclare q u e : « q u a n t au droit de pêche des F r a n ç a i s s u r le grand banc de Terre-Neuve, s u r les côtes de l'île de ce nom, et des îles adjacentes, et dans le golfe S a i n t - L a u r e n t , tout sera remis s u r le m ê m e pied qu'avant 1792. » Ces dispositions ont été encore ratifiées p a r le traité du 20 novembre 1 8 1 5 . 7 . De ces clauses il résulte q u e le droit de pêche des F r a n çais s u r les parties de la côte anglaise de Terre-Neuve qui leur a été réservée p a r les traités est limité quant à l'étendue du littoral, s u r lequel il peut être exercé, et q u a n t à la saison p e n d a n t laquelle il est a u t o r i s é , mais il est illimité q u a n t à la n a t u r e , et au g e n r e de pêche qui peuvent être exercés. Il est a b s o l u , exclusif de toute concurrence é t r a n g è r e . L e s Anglais e u x - m ê m e s l'ont toujours ainsi e n t e n d u . Ainsi en 1835 les j u r i s c o n s u l t e s de la c o u r o n n e , consultés par le ministère sur la question de savoir si, aux termes des traités, les sujets anglais ne pouvaient être a d m i s à p a r t a g e r avec les français le droit de pèche s u r la côte réservée à ceux-ci, répondaient q u e , dans leur o p i n i o n , les F r a n ç a i s avaient le droit exclusif de pèche s u r la partie de la côte de Terre-Neuve, mentionnée d a n s le traité de 1 7 8 3 . De n o u v e a u , en 1837, ils déclaraient q u e : « les sujets b r i -


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tanniques sont exclus du droit d'y pêcher, s'ils ne peuvent le faire sans apporter quelque gêne à la pêche française. » Il y a déjà ici u n e petite restriction. A l'occasion de quels faits et dans quelle mesure le droit de la France a-t-il pu être rais en question ? 8 . Les circonstances sont assez curieuses. Le littoral de Terre-Neuve s u r lequel nous avons droit de pêche ne p e u t , d'après les traités, être couvert d'aucune construction française permanente, et seulement d'installations provisoires et temporaires devant disparaître à la fin de chaque pèche. D'autre part, le gouvernement anglais s'est engagé à ne tolérer de la part de ses propres nationaux, l'existence d'aucun établissement sédentaire, d'où le littoral, ce qu'on appelle le frenchschore, restait et devait rester complètement inhabité (Pradier-Fodéré, p . 599). En fait, il en a été autrement. Des habitants de T e r r e Neuve s'y sont successivement introduits et installés comme auxiliaires des marins français. L'hiver on leur confiait la garde du matériel qu'on laissait sur la plage. Là ils vivaient en famille. L'anglais pêchait à son a i s e ; qui songeait à le lui défendre? La pêche était son seul moyen d'existence, en la lui supprimant on l'eût inévitablement condamné à m o u r i r de faim. Il y a donc eu tolérance de la part des pêcheurs français. Les A n g l a i s , misérables au d é b u t , se sont installés sur la côte réservée aux F r a n ç a i s , ils y ont fait souche, ils y sont devenus nombreux et n'en sont plus sortis. Ils pèchent l i b r e ment, avec toutes sortes de filets sur les points que les F r a n çais n'occupent pas et fréquemment aussi dans les mêmes parages que les p ê c h e u r s français. L'administration de Saint-Jean, chef-lieu de l'île de T e r r e Neuve, leur a facilité la création de villages, d'écoles, de temples, c'a été un envahissement en règle dont les progrès s'accentuent tous les j o u r s . 9 . Puis est survenue, en 1859, une découverte de mines de cuivre et de plomb qui n ' o n t , à de rares exceptions p r è s ,


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d'autres débouchés q u e la partie du littoral où les Français ont le droit de p è c h e , et dont l'exploitation ne peut avoir lieu q u ' a u préjudice de la pèche française. Bien p l u s , en 1 8 6 6 , des mines de plomb argentifère sont découvertes vers la côte o u e s t , mais l'absence de routes qui soient p r a t i c a b l e s , ne laisse au m i n e r a i d ' a u t r e débouché que le rivage occupé par les pêcheries françaises. De cet état de chose résulte une situation économique et politique très d a n g e r e u s e p o u r le développement et la prospérité de ces p ê c h e r i e s , — mais s u r t o u t pour le maintien des r a p p o r t s pacifiques entre les deux nations. L a métropole anglaise ne veut pas m a n q u e r à ses obligations envers la France; mais les terre-neuviens manifestent des velléités d'indépendance. Ils sont fortement i m b u s de l'idée q u e Terre-Neuve doit a p p a r t e n i r à ses h a b i t a n t s , et non aux A n g l a i s . Terre-Neuve a son parlement local, avec lequel l'Angleterre doit compter. En vue de prévenir des collisions, des négociat i o n s , déjà a n c i e n n e s , ont été e n t a m é e s , i n t e r r o m p u e s et reprises (1844, 1 8 5 1 , 1856). 1 0 . En 1 8 5 9 , u n e commission franco-anglaise ne put aboutir à d'autres résultats q u e le m a i n t i e n du statu quo. En 1885, les gouvernements anglais et français posent les bases d ' u n a r r a n g e m e n t qui donne aux h a b i t a n t s de Terre-Neuve des avantages considérables. L ' a r r a n g e m e n t est signé à Paris le 14 novembre 1 8 8 5 . Dans un message q u e la Reine adresse au Parlement a n g l a i s , elle se félicite h a u t e m e n t d'avoir pu s u p p r i m e r ainsi la cause de difficultés entre deux p e u p l e s voisins et amis. Mais la Reine compte sans le P a r l e m e n t de Terre-Neuve qui refuse de ratifier l ' a r r a n g e m e n t , et vote une loi (désignée sous le nom de Bill-Boët, du mot boët qui signifie l'appât destiné à amorcer les engins de p è c h e ) . Cette loi porte interdiction à tous les h a b i t a n t s de l'île de vendre aux p ê c h e u r s français les a p p â t s nécessaires à l'exercice de leur industrie.


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1 1 . Que fait le gouvernement anglais? Il ratifie, après deux ans d'hésitation, cette loi — et il justifie ainsi l'observation que M. Flourens faisait dans la séance du 20 janvier 1890 de la Chambre des députés que « depuis quelques années la Grande-Bretagne semble ne gouverner ses colonies, qu'à la condition de leur obéir » (Officiel du 21 janvier 1890, pages 28 et suiv.). 1 2 . En dernier lieu, l'attitude et le langage de la GrandeBretagne sont en quelque sorte piteux. L'argumentation qu'on nous oppose consiste à dire que les Français n'ont que le droit de pêcher à T e r r e - N e u v e ; — q u e pêcher c'est prendre des poissons; — qu'ils n'ont donc pas le droit de prendre des homards lesquels sont des crustacés et non des poissons! Que r é p o n d r e ? sinon q u e les négociateurs du traité d'Utrecht en 1713 n'ont certes jamais songé à cette distinction. Ils ont accordé aux Français le droit de pêcher à Terre-Neuve, en donnant au mot pêche toute la signification q u ' i l comporte, sans distinguer entre les diverses espèces de poissons qui vivent au fond des m e r s . Nos d r o i t s , r e c o n n u s , expliqués, sanctionnés par les traités de 1713, 1763, 1 7 8 3 , 1802, 1814, 1815, par l'avis des jurisconsultes anglais en 1835 et 1837, sont formels. Enfin le gouvernement anglais s'est formellement engagé à ne pas permettre que les pêcheurs britanniques t r o u b l e n t , par la concurrence d ' u n e façon quelconque, les opérations de pêche des marins français à Terre-Neuve. 1 3 . Telle est la question q u i , pour le moment en suspens, revient de temps à autre avec une certaine acuité. E s p é r o n s qu'elle obtiendra une solution équitable quand après l'expiration, en 1896, du traité de douane italo-tunisien, nous aurons à négocier avec l'Angleterre un régime douanier concernant l'importation des produits anglais en Tunisie. La question de Terre-Neuve pourra se joindre à celle du régime douanier à établir entre l'Angleterre et la T u n i s i e , et aboutir un résultat satisfaisant pour les intérêts anglais et français.


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Une solution est d ' a u t a n t plus désirable en ce q u i concerne nos droits de pèche sur le littoral et le banc de Terre-Neuve que cette industrie fait vivre, comme nous l'avons dit, bon n o m b r e de familles françaises. P a r m i les riverains de notre littoral métropolitain le p r e m i e r r a n g a longtemps a p p a r t e n u aux h a b i t a n t s de S a i n t - J e a n - d e - L u z , puis a p r è s le comblement du port par les caprices de l'Océan, aux p ê c h e u r s de Bayonne. L e s Bretons viennent après les B a s q u e s . U n e douzaine de ports Bretons, notamment S a i n t - B r i e u c , P a i m p o l , Saint-Malo et S a i n t - S e r v a n s'occupent activement de la g r a n d e pèche. L a Normandie compte aussi divers ports q u i a r m e n t des b â t i m e n t s de pèche pour S a i n t - P i e r r e et Miquelon, et les côtes de Terre-Neuve. U n décret du 16 février 1 8 8 9 , modifiant des dispositions a n t é r i e u r e s , a réglé les conditions d ' a r m e m e n t , q u a n t au personnel des b â t i m e n t s . 1 4 . Les a r m e m e n t s destinés à la pèche de la m o r u e soit à S a i n t - P i e r r e et M i q u e l o n , soit s u r la côte de T e r r e - N e u v e , doivent au m i n i m u m être de 30 t o n n e s , de 2 5 , ou de 20 suivant la j a u g e des n a v i r e s . — Il y a q u e l q u e s modifications q u a n t aux a r m e m e n t s destinés pour la pèche au grand Banc de T e r r e - N e u v e , et relativement à ceux q u i p r a t i q u e n t la pêche, et la s é c h e r i e , et ceux q u i pratiquent la salaison à bord. Ces distinctions ont une raison d'être dans la variété des p r i m e s allouées aux a r m a t e u r s . 1 5 . La population des trois î l e s , g r a n d e et petite Miquelon et l'île aux Chiens est d'environ 6,000 â m e s , dont 4,800 environ à S a i n t - P i e r r e , c h e f - l i e u de la colonie. L e s importations annuellement dépassent 12 millions de francs; les exportations atteignent p r è s de 16 millions, dont p l u s des trois quarts consistent en m o r u e . On a donc pu dire avec raison q u e la m o r u e entretient u n e partie de l'activité du littoral français p a r les a r m e m e n t s que sa pèche exige et qui occupent a n n u e l l e m e n t p l u s de 600 navires j a u g e a n t 80,000 tonneaux.


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D'autre p a r t , c'est la F r a n c e qui fournit de m o r u e s , en dehors de ses propres p o r t s , l'Italie, la G r è c e , le L e v a n t , l'Algérie, l'Espagne et le P o r t u g a l . La m o r u e de nos îles de Saint-Pierre et M i q u e l o n , et de nos pêcheries de T e r r e - N e u v e alimente aussi nos Antilles, et pénètre m ê m e sous pavillon français j u s q u ' a u Chili et au Pérou (Notice Henrique, déjà citée, p. 48).

CHAPITRE II. COLONIES D E P L A N T A T I O N . — M A R T I N I Q U E , GUADELOUPE, RÉUNION.

16. Conditions g é n é r a l e s d e l e u r p r o s p é r i t é . — C a u s e s d e l e u r m a l a i s e au d é b u t d u s i è c l e . 17. Nécessité et d a n g e r s d e la s u p p r e s s i o n d e l ' e s c l a v a g e . — L a q u e s t i o n est é l u d é e p a r la C o n s t i t u a n t e et la L é g i s l a t i v e . 18. Suppression p r é m a t u r é e de l ' e s c l a v a g e p a r la C o n v e n t i o n . — S e s effets. — M e s u r e s p o l i t i q u e s fatales à la G u y a n e . — L ' e s c l a v a g e e s t r é tabli p a r le C o n s u l a t . 19. État l a m e n t a b l e d e s c o l o n i e s d e p l a n t a t i o n en 1 8 1 5 . — P o l i t i q u e c o loniale d e la R e s t a u r a t i o n . -0. t e n t a t i v e s m a l h e u r e u s e s de c o l o n i s a t i o n p a r l'initiative officielle. 21. Succès p a r t i e l o b t e n u p a r u n e t e n t a t i v e d ' i n i t i a t i v e p r i v é e . 21 bis. M e s u r e s p r é p a r a t o i r e s d e l ' é m a n c i p a t i o n d e s e s c l a v e s s o u s le g o u vernement de Juillet. -2. Projets d ' é m a n c i p a t i o n d e M M . P a s s y et d e B r o g l i e . — A c t e s l é g i s latifs t e n d a n t a u m ê m e b u t . 23. L'affranchissement p r o c l a m é e n 1848. — M e s u r e s c o m p l é m e n t a i r e s . Indemnité allouée a u x p r o p r i é t a i r e s p r i v é s d e la m a i n - d ' œ u v r e s e r vile. — Difficultés a u x q u e l l e s elle a d o n n é lieu. 25. C o n s é q u e n c e s d i v e r s e s d e l ' é m a n c i p a t i o n d a n s l e s c o l o n i e s . 26. L'immigration des travailleurs indiens et chinois se s u b s t i t u e à la m a i n d ' œ u v r e s e r v i l e . — Difficultés a v e c le g o u v e r n e m e n t a n g l a i s . 27. Législation d e 1852 e t c o n v e n t i o n d e 1861 s u r l ' i m m i g r a t i o n . 28. Décrets de 1 8 8 5 , 1887, 1 8 9 0 .


196 29. 30. 31. 32. 33. 34.

35. 36. 37. 38. 39.

40.

41. 42. 43.

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SIÈCLE.

R é g l e m e n t a t i o n qui en r é s u l t e . — S e s d i s p o s i t i o n s p r i n c i p a l e s . L'immigration non r é g l e m e n t é e . P r o t e s t a t i o n s et c o n t r o v e r s e s a u x q u e l l e s d o n n e lieu l'immigration. Les approvisionnements et les débouchés des colonies de plantation. — Effets pour les Antilles d u régime d o u a n i e r de 1892. Nécessité pour les colonies d e p l a n t a t i o n s d e faire venir du dehors les p r o d u i t s qu'elles ne cultivent p a s . Est-il r a t i o n n e l de les c o n t r a i n d r e p a r l'application du tarif général m é t r o p o l i t a i n à d e m a n d e r e x c l u s i v e m e n t ces p r o d u i t s à la métrop o l e ? — O b s e r v a t i o n s p r é s e n t é e s p a r nos colonies. Satisfactions insuffisantes d o n n é e s p a r les d é c r e t s d e n o v e m b r e 1892 à la G u a d e l o u p e , à la M a r t i n i q u e . ... à la G u y a n e , à la R é u n i o n , à M a y o t t e . Ce qui en r é s u l t e . Le régime des sucres. — Origine et h i s t o r i q u e de la q u e s t i o n . C o n c u r r e n c e c r o i s s a n t e d u s u c r e i n d i g è n e de b e t t e r a v e . — Faveurs d r a w b a c h et a d m i s s i o n s t e m p o r a i r e s inutilement a c c o r d é e s au sucre colonial. R é g i m e établi p a r les lois d e 1884. — I m p ô t s s u r les s u c r e s de toute origine. — S u r t a x e s u r les s u c r e s i m p o r t é s d ' E u r o p e . — Détaxe a c c o r d é e aux s u c r e s c o l o n i a u x . A u g m e n t a t i o n de la d é t a x e à leur profit. — Loi d e 1886. Ces dispositions sont-elles suffisantes p o u r a t t é n u e r , v i s - à - v i s du sucre c o l o n i a l , la c o n c u r r e n c e d u s u c r e i n d i g è n e ? Situation actuelle de nos colonies d e p l a n t a t i o n .

1 6 . La prospérité de nos colonies de plantation qui sont, comme nous l'avons vu avant t o u t , des fabriques de sucre, dépend de plusieurs causes, notamment des conditions de leur main-d'œuvre et de leurs débouchés. Au commencement de ce siècle, l'état de marasme des colonies anglaises venait d ' u n e législation commerciale tyrannique. Nous avons constaté, pour les colonies françaises, que de nombreuses dérogations à l'ancien pacte colonial en avait assoupli et atténué la r i g u e u r . Ce n'est pas de ce côté que vinrent les épreuves subies par nos colonies. Le mal intense dont elles souffrent au début du siècle leur vient du déchirement social que la Révolution produisit dans leur existence, à raison soit des dominations étrangères qu'elles eurent a subir, soit de la privation de leurs débouchés naturels, soi


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des commotions q u e fit n a î t r e chez elles la question de l'esclavage. 17. L a m a i n - d ' œ u v r e s e r v i l e , nous l'avons v u , était la base de leur production et ce r é g i m e , ainsi q u e la traite des nègres, qui en était le c o m p l é m e n t , n'eut pas chez n o u s , suivant le témoignage d'Adam S m i t h , u n caractère d ' i n h u manité aussi flagrant q u e chez d'autres c o l o n i e s , et notamment chez les colonies anglaises. Cependant on s'explique que, q u e l q u e tolérable q u e fût l'esclavage a u x Antilles françaises, il devait disparaître u n j o u r , et q u e sa s u p p r e s s i o n ferait naître de graves difficultés p o u r la substitution d'un travail l i b r e , efficace et productif au travail servile bien p l u s économique. La question de l'esclavage ne fut cependant posée ni dans l'Assemblée c o n s t i t u a n t e , ni dans l'Assemblée législative. Il semble q u ' e l l e s aient redouté les effets de l'affranchissement des esclaves, dont la mise à exécution s a n s transition pouvait être la cause de troubles et de d é s a s t r e s . La seule question que la Constituante aborda fut celle de savoir si les h o m m e s l i b r e s , de c o u l e u r , a u r a i e n t les m ê m e s droits q u e les b l a n c s . Les m u l â t r e s libres se virent refuser les droits p o l i t i q u e s , ce q u i fut l'une des causes des luttes sanglantes où n o u s p e r d î m e s S a i n t - D o m i n g u e . Quant à la législative, elle se borna à s u p p r i m e r la p r i m e accordée, en 1 7 8 4 , à la traite des noirs ; mais l'esclavage et la traite continuèrent d'exister. Si la s u p p r e s s i o n subite de l'esclavage pouvait ê t r e écartée c o m m e m e s u r e p r é m a t u r é e , du moins on a u r a i t pu éprouver u n e p h i l a n t h r o p i e sincère pour les n o i r s . Il n'en fut r i e n . Tout au c o n t r a i r e , u n e i n s truction du c a p i t a i n e - g é n é r a l de la M a r t i n i q u e , en date du 19 brumaire an I I , ordonna « de faire fermer toutes les écoles p u b l i q u e s où sont a d m i s les nègres et les gens de couleur. » 18. C e p e n d a n t , la traite et l'esclavage d i s p a r u r e n t u n moment, p a r u n décret du 16 pluviôse an I I , « d é c r e t , dit


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M. A u g . Cochin, aussi laconique q u ' i m p r é v o y a n t , rendu par acclamation et par surprise. » La Guyane et la Guadeloupe en portèrent seules le poids. La M a r t i n i q u e , alors envahie par les A n g l a i s , é c h a p p a , j u s q u ' a p r è s la paix d'Amiens, à son application. L'Ile de France (Maurice) qui nous appartenait alors, et la R é u n i o n , s'opposèrent au d é b a r q u e m e n t des agents de la Convention, qui venaient appliquer le décret. En même t e m p s , comme elles avaient déjà défendu l'introduction des noirs de traite, elles parvinrent à prévenir tous les troubles. L a Guyane subit de graves désordres et un complet abandon des c u l t u r e s , résultats faciles à prévoir d'une émancipation subite. De p l u s , elle eut à souffrir du discrédit et du bouleversement qui pesèrent sur elle par suite de déportations politiques. Le Directoire lui expédia, en effet, les nombreuses victimes de ses coups d'État. Plus de 500 déportés politiques (parmi lesquels Billaud-Varennes, Collot-d'Herb o i s , Barbé-Marbois, P i c h e g r u , etc.) furent envoyés sur divers points du littoral de la G u y a n e , sans aucune mesure prise pour garantir leur subsislance. A la G u a d e l o u p e , la proclamation inattendue de l'indépendance des nègres produisit des excès qui r u i n è r e n t l'industrie et le commerce. On crut devoir recourir à des mesures extrêmes dans l'intérêt de l'ordre, telle que la d é f e n s e , sous peine de m o r t , de voler et d'arracher les v i v r e s ; on ordonna même le travail, sous peine de mort, et, dans ce b u t , l'embrigadement des noirs. On ne put échapper à la dévastation. Bestiaux, c u l t u r e , bâtiments, tout fut anéanti par les nègres émancipés. Cependant, un gouverneur h a b i l e , Desfournaux, sut rétablir l'ordre et le travail, en organisant le colonat partiaire et des inspections de culture. Le consulat (Décrets des 30 floréal an X, 20 mai 1802) reconnut la nécessité de rapporter l'acte d'émancipation, et de rétablir l'esclavage « conformément aux lois et règlements existant avant 1789. » La question de l'affranchissement se trouvait ajournée.


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19. Après tant de vicissitudes, nos colonies de plantation étaient dans un état d é p l o r a b l e , lorsque le traité du 30 mai [814 restitua à la F r a n c e tous les établissements coloniaux qu'elle possédait au 1 j a n v i e r 1792. La Restauration rétablit tout a u s s i t ô t , chez nos anciennes colonies (Antilles, G u y a n e , R é u n i o n ) , les institutions et la politique coloniale antérieures à 1789. Suivant l'opinion de M. Rossi (Rapport à la Chambre des p a i r s , du 20 juin 1 8 4 3 , sur la question des sucres), il ne pouvait guère en être a u t r e ment dans les circonstances où se trouvait placé le g o u v e r n e ment. Cependant, la période de la Restauration ne laissa pas que d'être réparatrice. On élargit les relations des colonies avec l'étranger, en signant des traités avec l'Angleterre et les États-Unis, et en prenant diverses mesures que nous avons signalées autre part (Institution de comités consultatifs, création des b a n q u e s , système m é t r i q u e , meilleur régime m o n é taire, enregistrement, conservation des h y p o t h è q u e s , etc.). e r

2 0 . Mais deux tentatives malheureuses font concevoir quelle était encore l'inexpérience du gouvernement. Elles eurent lieu à la Guyane et au Sénégal. On avait oublié l'échec terrible de l'expédition de Kourou tentée par le duc de Choiseul, à la Guyane (V. sup., liv. II, n° 41). On risqua presque sur le même théâtre un nouvel essai de colonisation artificielle sur les bords de la Mana. Les débuts de l'établissement parurent satisfaisants, mais la p a r e s s e , le libertinage, l'ivrognerie perdirent les colons. Il fallut disperser la colonie qui avait pris le nom de N o u v e l l e - A n g o u l ê m e , quelques familles alsaciennes venues pour la remplacer se maintinrent dans de bonnes conditions tant qu'elles furent soutenues par des rations alimentaires. Mais livrées ensuite à leur propre initiative, les colons abandonnèrent la culture pour s'adonner à la chasse et à la pêche et bornèrent leur industrie à l'apProvisionnement des agents que l'État entretenait pour diriger la colonisation. 2 1 . Une tentative due à l'initiative privée eut plus de


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succès. La supérieure des religieuses de Saint-Joseph de Cluny, Madame Javouhey, obtint d'aller à la Nouvelle-Angoulème recueillir les débris de cet établissement. Elle en prit possession en avril 1828 avec un certain nombre de sœurs, et le concours de trente-neuf cultivateurs engagés pour trois ans. A l'expiration de ce délai, en 1 8 3 1 , ils abandonnèrent la colonie. Sa fondatrice continua son œuvre avec des noirs. Cinq cent cinquante esclaves libérés furent réunis sous sa direction. Elle se proposait de les initier par le travail à la liberté. Ainsi se fonda le bourg de Mana devenu un des plus populeux de la colonie (V. les notices, Louis Henrique, Notice sur la Guyane, p . 31). Une autre expérience fut tentée par le gouvernement au Sénégal. De grandes cultures industrielles organisées officiellement à trente ou q u a r a n t e lieues de Saint-Louis aboutirent à un insuccès (V. infr., ch. IV., le S é n é g a l ) . 2 1 bis. Le gouvernement de Juillet porta principalement ses vues sur le régime intérieur des colonies de plantation, on adoucit le sort des esclaves, on simplifia la forme des affranchissements, on abolit les peines de la mutilation et de la m a r q u e , on procéda au recensement et à l'établissement des actes de l'état civil des esclaves, on organisa pour eux des moyens d'instruction primaire et r e l i g i e u s e , l'inspection du travail et des ateliers. Des crédits furent votés (1840-41) pour étendre les écoles, a u g m e n t e r le nombre des magistrats qui devaient être les inspecteurs et les patrons des esclaves. Mais les planteurs se montrèrent hostiles à l'application de ces mesures qui tendaient à p r é p a r e r l'émancipation. Ils considéraient le travail servile comme indispensable à la c u l t u r e , et l'émancipation projetée comme u n danger et une ruine. 2 2 . Deux projets d'émancipation furent élaborés Par M. Hipp. Passy et le duc de Broglie pour ménager la transition du travail servile au travail l i b r e . L ' u n d'eux comportait notamment une émancipation progressive devant s'appliquer


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d'abord aux invalides, en obligeant les planteurs à leur payer une pension a l i m e n t a i r e , p u i s aux enfants de moins de sept ans, et enfin aux enfants à naître qui devaient être élevés aux frais de l'État. L'émancipation aurait ensuite été accordée aux adultes moyennant l'allocation de primes qui les auraient aidés à se racheter en contractant mariage. Ils auraient en outre obtenu un j o u r de liberté par semaine pour arriver par un travail r é m u n é r é à gagner un pécule de rachat. En attendant, des mesures législatives étaient prises p o u r préparer la transition de l'esclavage à la liberté. En vertu d'une loi du 18 juillet 1845, l'esclave reçut le droit de p o s séder, et celui d'obtenir son affranchissement moyennant rançon. Marié, il pouvait se r é u n i r a sa femme. Une autre loi du 19 juillet 1845 ouvrait des crédits dans le but de concourir au rachat des esclaves quand l'administration le jugerait n é c ssaire, — d'appeler dans les colonies des ouvriers et cultivateurs européens, et de former des établissements agricoles au moyen du travail libre et r é m u n é r é . L'administration ellemême déployait sur les lieux une activité intelligente. On fil d'heureux essais de colonat partiaire avec des n è g r e s . L'instruction primaire et l'instruction religieuse étaient c o n sidérées comme la meilleure préparation à l'affranchissement. Un appel fut adressé aux F r è r e s de P l o ë r m e l , et aux T r a p pistes pour seconder les essais de colonies agricoles. 2 3 . L'influence de ces mesures ne fut pas perdue q u a n d , en 1848, le gouvernement provisoire proclama, par décrets des 27 avril et 4 mai, l'émancipation simultanée et immédiate des nègres. Elle fut suivie d'un excès de réglementation libérale, si on peut r é u n i r ces deux expressions (V. divers décrets, Dalloz, v° Org. des colonies, p . 1115). On accordait aux planteurs un délai insuffisant pour effectuer la récolte avec le concours de leurs esclaves; on supprimait les engagements à temps comme se rapprochant trop de la condition servile, etc.


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Ces prescriptions étaient arbitraires et trop absolues. Il fallut adopter quelques-unes des mesures qu'avait indiquées M. de Broglie, telle q u e l'institution des ateliers de discipline pour r é p r i m e r le vagabondage et la mendicité (V. sup., liv. II, n° 88). 2 4 . Parmi les questions se rattachant à l'abolition de l'esclavage celle de l'indemnité était la plus importante. Nous avons vu (liv. IX, n° 10) q u ' u n e loi avait été rendue les 30 avril-4 mai 1849 dans le double but d'assurer une indemnité aux propriétaires dépossédés de leurs esclaves par les décrets des 27 avril-4 mai 1848, et de créer un fonds pour l'institution des b a n q u e s nationales. L'indemnité avait pour base : 1° une rente de 6 millions, 5 p. 0/0 inscrite au grand-livre de la dette p u b l i q u e ; 2° une somme de 6 millions payable en numéraire et en totalité dans les trente j o u r s de la promulgation de la présente loi. Les noirs affranchis dans les colonies de la Martinique, la G u a d e l o u p e , la G u y a n e , la R é u n i o n , le S é n é g a l , Nossi-Bé et Sainte-Marie, et d'autre part les engagés à temps du Sénégal libérés donnaient droit à une indemnité au profit de leurs anciens mailres. Un décret du 24 mars 1849 fut rendu pour la répartition de cette indemnité (V. D. 49. 4, p . 96 et 169). Elle aboutissait à un chiffre d'environ 500 francs par c h a q u e esclave. Sa répartition donna lieu à des récriminations et à des procès. Les planteurs trouvaient l'indemnité trop faible, tardive et mal répartie. On invoquait l'exemple des colonies anglaises dans lesquelles l'indemnité est payée préalablement à l'affranchissement; puis s'éleva devant les tribunaux la curieuse question de savoir, devant le silence de la loi, si l'indemnité avait un caractère mobilier ou immobilier, si dès lors elle levait être répartie au m a r c le franc entre les créanciers des ayants-droit ou attribuée par préférence aux créanciers hypot h é c a i r e s , solution qui fut écartée. 2 5 . Les colonies souffrirent inégalement de l'émancipation,


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selon leur situation, leur fécondité n a t u r e l l e , les traitements qu'y subissaient les esclaves. La Réunion subit à peine quelque temps d'arrêt dans la culture, les coolies lui arrivèrent de l ' I n d e , et les machines de France. La prospérité reprit dans des proportions inattendues. Dans la G u y a n e , territoire i m m e n s e , faiblement p e u p l é , les nègres affranchis se d i s p e r s è r e n t , et les plantations d é p é rirent. La Martinique s u r m o n t a les difficultés par l'emploi des machines, et des accords amiables avec les nègres pour le maintien du travail. La Guadeloupe, comme la J a m a ï q u e q u i est a u x A n g l a i s , fut sérieusement atteinte. Les nègres y étaient moins bien traités qu'ailleurs, les planteurs en subirent les conséquences. L'émancipation transformant la main-d'œuvre devait amener un renouvellement complet des conditions économiques et sociales dans les établissements coloniaux. Du rapport d'une commission chargée en mai 1849 par l'amiral Bruat d'étudier l'état du travail à la Martinique, il résulte que la grande culture fut presque complètement abandonnée pendant les deux mois q u i suivirent l'émancipation, puis le travail reprit progressivement sur tous les points de la colonie. La Martinique se releva donc avec courage. La R é u n i o n , grâce aux coolies, a u g m e n t a la quantité de ses p r o d u i t s , la Guadeloupe resta en souffrance, et la Guyane renonça à peu près à la production du sucre. Elle devint surtout u n e colonie pénitentiaire de colonie de plantation qu'elle avait é t é ; nous l'étudierons bientôt sous ce nouvel aspect. 2 6 . L'émancipation a été ainsi le point de départ d'une immigration considérable, excessive, de coolies indiens et de chinois. Nous devons en faire l'étude historique et économique. Dès 1852, le gouvernement français prit des mesures dans de but : 1° de favoriser l'immigration par des garanties et avantages offerts aux é m i g r a n t s ; 2° de préserver les colonies


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des dangers qu'ils pouvaient faire courir à l'ordre public. Telle était, en effet, la double face du problème (Décr. des 13 févr. et 27 m a r s 1852). 2 7 . Les efforts tentés pour se procurer des immigrants européens échouèrent complètement. L e s planteurs ne s'y prêtèrent pas dans la crainte d'avoir à payer des salaires trop élevé. Au contraire des agences se multipliaient pour favoriser l'engagement des noirs. Mais des a b u s se produisirent : à défaut de nègres engagés volontaires, on recrutait sur la côte d'Afrique des esclaves noirs qu'on ne libérait q u ' à la condition qu'ils contracteraient un engagement de cinq à six années. C'était un servage dont le caractère fut dévoilé par la presse. Le gouvernement en 1859 interdit l'émigration africaine. On eut alors recours aux natifs de l ' I n d e , soit de l'Inde française, soit de l'Inde anglaise. Mais l'Angleterre protesta, et ses observations amenèrent la France à signer avec elle une convention du 1 juillet 1861, encore en vigueur, et dont nous devons, par conséquent, préciser les clauses : Le gouvernement anglais s'y est réservé le droit de suspendre l'émigration des coolies dans telle ou telle colonie quand il le jugerait opportun. Il usa de cette prérogative en 1876 pour la G u y a n e , et en 1882 pour la R é u n i o n , en alléguant q u ' u n e trop grande mortalité y atteignait les immigrants. 2 8 . Il demanda que les contrats de réengagement ne fussent conclus q u ' a p r è s l'expiration du premier engagement et avec le visa du consul anglais de la colonie. Cette demande lut accueillie par le gouvernement français; mais l'Angleterre demandait encore q u e les dépenses de l'immigration fussent inscrites comme dépenses obligatoires dans les budgets colon i a u x , et que le consul anglais pût venir visiter et inspecter les domaines sur lesquels travailleraient les coolies. Le gouvernement français n'a pas voulu insérer ces clauses dans un traité. Toutefois pour aplanir les difficultés il a promulgué à la Guyane et à la Réunion un ensemble de mesures (Décr. des 13 juin-27 août 1887) q u i semblent de nature à offrir e r


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garanties désirables dans l'intérêt des immigrants indiens. L'application en a été étendue à la Guadeloupe par décret du 30 juin 1890. Des mesures analogues avaient été prises par décret du 2 octobre 1885 relativement à l'émigration à Mayotte et à Nossi-Bé, mais les travailleurs qui leur sont nécessaires leur viennent de la côte de Mozambique après entente avec le gouvernement portugais à qui elle appartient. L'immigration ouvrière dans les établissements d'Océanie et à la Nouvelle-Calédonie est réglée par des arrêtés locaux. Elle n'est réglementée ni à Saint-Pierre et Miquelon, ni au Sénégal, ni en Cochinchine, ni dans l'Inde française. 2 9 . La réglementation résultant tant des décrets de 1 8 5 2 , que de la convention de 1 8 6 1 , et des décrets précités de 1 8 8 5 , 1887 et 1890 est assez minutieuse. Nous n'en indiquerons q u e les dispositions principales. Le recrutement s'opère sous la direction d'agents désignés par le gouvernement français, lesquels sont soumis dans l'Inde à l'agrément du gouvernement britannique. Les agents d'émigration doivent, sous le contrôle d'un commissaire français, veiller à ce q u e les é m i grants contractent en toute liberté. Ceux-ci s'engagent à servir soit une personne d é s i g n é e , soit toute autre à laquelle ils seront confiés par l'autorité à leur arrivée dans la colonie. Les engagements ne p e u v e n t , pour les sujets anglais, dépasser cinq ans. A leur arrivée dans la colonie, une commission reçoit les immigrants, remplit les formalités nécessaires pour constater leur identité, leur état civil. Ils sont répartis par les soins de l'administration entre les colons qui en font la demande. Chacun d'eux est immatriculé sur un registre spécial et reçoit un livret. Enfin ils sont employés suivant les besoins, les clauses de leur contrat et suivant leur sexe et leurs aptitudes, comme domestiques ou comme ouvriers attachés à des exploitations agricoles ou industrielles. Les décrets précités ont aussi réglé le mode d'aménagement et de distribution de leurs logements, le minimum de leur R. 12


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s a l a i r e et t o u t ce q u i est r e l a t i f a u x s o i n s m é d i c a u x et pha m a c e u t i q u e s d o n t ils p e u v e n t avoir b e s o i n . L e s c o n t e s t a t i o n s r e l a t i v e s à l ' e x é c u t i o n d u c o n t r a t d'enga g e m e n t , s o n t j u g é e s en d e r n i e r r e s s o r t p a r le j u g e de paix. T o u s a u t r e s l i t i g e s i n t é r e s s a n t l e s i m m i g r a n t s sont soum a u x r è g l e s d e d r o i t c o m m u n . L e s i m m i g r a n t s , régulièremen e n g a g é s , jouissent d'ailleurs de l'assistance judiciaire. E t d a n s c h a q u e c o l o n i e e s t i n s t i t u é u n s e r v i c e d e l'immigra c o m p o s é d e s y n d i c s s o u s l a d i r e c t i o n d ' u n commissaire l ' i m m i g r a t i o n ou « p r o t e c t e u r d e s i m m i g r a n t s . » L e s infr? t i o n s a u x q u e l l e s d o n n e l i e u s p é c i a l e m e n t l'immigratio t e l l e s q u e les a b s e n c e s i l l é g a l e s , l e s f r a u d e s e n m a t i è r e d'er g a g e m e n t , e t c . , s o n t p u n i e s d e d i v e r s e s p e i n e s , correction n e l l e s ou d e s i m p l e p o l i c e . 3 0 . T o u t ce q u e n o u s v e n o n s d ' e x p o s e r se r é f è r e à l'immi g r a t i o n r é g l e m e n t é e . Celle q u i e s t p r a t i q u é e librement n j o u i t d ' a u c u n e d e s m e s u r e s p r o t e c t r i c e s p r é v u e s p a r les décrets L e s e n g a g e m e n t s q u e c o n t r a c t e n t d e s f r a n ç a i s ou d e s étranger v e n u s d u d e h o r s d a n s u n e c o l o n i e n ' o n t d ' a u t r e sanction qu l e s r è g l e s d u Gode civil. 3 1 . T e l est l ' e n s e m b l e d e s m e s u r e s q u i o n t été p r i s e s pou a s s u r e r d e s b r a s a u x p l a n t e u r s . M a i s l ' i n t r o d u c t i o n d'immi g r a n t s , s u b s t i t u a n t l e u r s s e r v i c e s à c e u x d e s n o i r s émancipés a s u s c i t é d e s o p p o s i t i o n s . L e s a n c i e n s a f f r a n c h i s , et leur e n f a n t s o n t p r o t e s t é c o n t r e l ' i n t r o d u c t i o n a u x frais d e la co des travailleurs indiens faisant concurrence a u travail A u x A n t i l l e s la r é s i s t a n c e e s t v e n u e d e s c o n s e i l s g é n é r a u x la m a j o r i t é se c o m p o s e d ' h o m m e s d e c o u l e u r . L a Martin a s u p p r i m é chez elle l ' i m m i g r a t i o n r é g l e m e n t é e ( A r r ê t é d u 17 j a n v i e r 1 8 8 5 ) . D e l e u r côté les p l a n t e u r s p r é t e n d e n t q u e le t r a v a i l libr e s t à la fois t r o p c h e r et i n s u f f i s a n t ; et à d é f a u t d u trava s e r v i l e q u i était le m o i n s c o û t e u x , ils r é c l a m e n t le s y s t è m e d l ' i m m i g r a t i o n q u i l e u r p r o c u r e d e s o u v r i e r s d o n t le salaire est moindre q u e celui des travailleurs l i b r e s .


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D'autre p a r t , on a signalé les a b u s inévitables a u x q u e l s a donné lieu l ' i m m i g r a t i o n des I n d i e n s . Elle a fait r é a p p a r a î t r e un trafic analogue à la t r a i t e , et elle c o n t r i b u e à p e r p é t u e r des procédés agricoles r o u t i n i e r s . L ' a b o n d a n c e des b r a s a s u p pléé trop longtemps a u x m a c h i n e s et aux p r o g r è s . L e m ê m e l'ait s'est produit d a n s les colonies a n g l a i s e s . « C'est u n moyen de ne pas a d m e t t r e les p e r f e c t i o n n e m e n t s c o m m a n d é s par expérience, » disait L o r d E l g i n , g o u v e r n e u r de la J a m a ï q u e . Suivant Rossi ( d a n s son r a p p o r t s u r la loi des s u c r e s ) « avec le capital fixe i n u t i l e m e n t p r o d i g u é d a n s les colonies, ON aurait p l u s de s u c r e q u e les cinq parties du m o n d e n ' e n consomment. » Ce capital fixe i n u t i l e m e n t p r o d i g u é « c'étaient les esclaves; dit M. P a u l L e r o y - B e a u l i e u (p. 2 3 2 ) . Depuis l'immigration ce sont les i m m i g r a n t s . » « Les 24 millions de francs, — écrivait J u l e s Duval, — q u e la Réunion a d é p e n s é s pour faire venir les coolies de l ' I n d e , appliqués en p r i m e s a u travail et en élévation de gages n ' a u raient c e r t a i n e m e n t p a s été stériles. » — E t M. P a u l L e r o y _heaulieu ajoute : « a p p l i q u é s en m a c h i n e s , ou au p a i e m e n t d'habiles c o n t r e - m a î t r e s ou c o n s t r u c t e u r s e u r o p é e n s ils e u s s e n t assurément p r o d u i t encore d a v a n t a g e , m a i s on a m i e u x a i m é accumuler les b r a s q u e de r e c h e r c h e r les perfectionnements » (loc. cit.). Ces t é m o i g n a g e s a u t o r i s é s m o n t r e n t a u x colonies dans quelle voie il leur serait p l u s profitable de s ' e n g a g e r . 2 . Nous avons dit q u e les destinées des colonies de p l a n i sont liées non s e u l e m e n t a u x conditions d a n s lesquelles erce leur m a i n - d ' œ u v r e , c'est ce q u e n o u s venons d ' e x a ier, mais q u ' e l l e s sont influencées aussi p a r leur r é g i m e mmercial. N o u s avons à cet é g a r d , en é t u d i a n t la législation a colonies, i n d i q u é p a r q u e l l e s fluctuations ont passé l e u r s exportations et l e u r s i m p o r t a t i o n s j u s q u ' a u r é g i m e établi p a r la loi du 11 janvier 1 8 9 2 (sup., liv. V I I I , n 22 et 2 3 ) . L e moment est v e n u d'en e x a m i n e r les c o n s é q u e n c e s en ce q u i concerne nos colonies de plantation ( A n t i l l e s , G u y a n e , R é u nion, Mayotte). o s


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3 3 . U n e réflexion préalable vient s p o n t a n é m e n t à l'esprit en ce q u i touche cette catégorie de colonies : A tort ou à rais o n , cédant à u n c o u r a n t n a t u r e l , ou parfois incitées par la métropole d é s i r e u s e de tirer d'elles tous les avantages qu'elles peuvent r e n d r e , elles sont avant tout des colonies industrielles, des fabriques de s u c r e , c o m m e , de leur c ô t é , Saint-Pierre et Miquelon sont des f a b r i q u e s de m o r u e s . L e s économistes leur ont r e p r o c h é d'avoir délaissé les c u l t u r e s a l i m e n t a i r e s pour se livrer exclusivement aux productions spéciales q u e leur climat c o m p o r t e . L a conséquence c'est q u ' i l l e u r faut faire venir du dehors ce dont elles ont besoin et q u ' e l l e s n e p r o d u i s e n t pas Le tarif g é n é r a l q u i frappe l'importation chez elles des produits é t r a n g e r s , a pour b u t de les obliger à donner la préférence a u x produits métropolitains. Mais le p e u v e n t - e l l e s touj o u r s ? E v i d e m m e n t n o n . L a M a r t i n i q u e , la G u a d e l o u p e , la G u y a n e , c o m m e la Nouvelle-Calédonie, à c a u s e de la distance et des frais de t r a n s p o r t , ne p e u v e n t r a i s o n n a b l e m e n t faire venir de F r a n c e le b é t a i l , les farines, le c h a r b o n , les engrais dont elles ont besoin. L a R é u n i o n , n o t a m m e n t , ne p e u t s'approvisionner en F r a n c e d u r i z , des houilles q u i forment la partie principale de ses a c h a t s . L e s u n e s et les a u t r e s ne peuvent acheter chez n o u s q u e des objets f a b r i q u é s , qui ne r e p r é s e n t e n t à p e u p r è s q u e la moitié de l e u r i m p o r t a t i o n . 3 4 . E s t - i l rationnel d'imposer à ces colonies l'obligation de s'approvisionner en F r a n c e d'objets q u i s'offrent à plus bas prix de pays é t r a n g e r s p l u s r a p p r o c h é s ? En ce q u i conc e r n e , p a r e x e m p l e , les viandes s a l é e s , serait-il admissible q u e la F r a n c e les fît venir des É t a t s - U n i s p o u r les réexporter aux A n t i l l e s ? Ce n'est p a s au moyen de droits de d o u a n e su des m a r c h a n d i s e s de p r e m i è r e nécessité q u ' o n p o u r r a arriver à accroître de force le commerce e n t r e la F r a n c e et ses possessions d ' o u t r e - m e r . L e s droits de d o u a n e en élevant le prix des choses u s u e l l e s pèsent l o u r d e m e n t s u r les c o n s o m m a t e u r s , et ne leur laissent plus assez de r e s s o u r c e s pour acheter les objets dont ils n'ont q u ' u n m o i n d r e b e s o i n , et q u i , précisé-


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ment, sont ceux q u e fabrique la métropole. L ' a p p l i c a t i o n d u tarif général métropolitain r i s q u e donc d ' ê t r e a b s o l u m e n t désastreuse p o u r nos colonies. Tels ont été les avis e x p r i m é s chez elles p a r l e u r s conseils locaux s u r l'application d e la loi du 21 j a n v i e r 1892. Ils ont montré n o t a m m e n t q u e l'élévation des d r o i t s de douane, en a m e n a n t u n r e n c h é r i s s e m e n t général a pour r é s u l t a t non seulement d'accroître l e s frais de s u b s i s t a n c e m a i s d ' a u g menter, p a r contre-coup, le prix de revient de tous les objets destinés à être exportés (Bouchié de Belle, Journal des Economistes du 15 octobre 1 8 9 2 , p . 1 6 2 ) . Des exceptions a u tarif g é n é r a l de la métropole ont donc été sollicitées p a r les conseils g é n é r a u x des colonies, ainsi que le pouvoir l e u r en avait été réservé p a r les articles 3 et 4 de la loi du 11 j a n v i e r 1892 (V. sup., liv. VIII, n° 4). Et il a été s t a t u é s u r l e u r s r é c l a m a t i o n s conformément à ces mêmes articles par des décrets r e n d u s en Conseil d ' É t a t . 3 5 . Le conseil g é n é r a l de la G u a d e l o u p e a r e ç u d ' u n décret du 29 n o v e m b r e 1892 c e r t a i n e s satisfactions. Ce décret a, en effet, e x e m p t é des droits p l u s i e u r s p r o d u i t s t o u c h a n t à l'alimentation : les viandes s a l é e s , les farines de froment et de maïs, la h o u i l l e , les futailles vides p o u r l'emballage des sucres, etc. L a taxe a été établie p a r tète s u r les a n i m a u x vivants, conformément au désir du conseil g é n é r a l . Mais les droits absolument prohibitifs d u tarif g é n é r a l ont été m a i n t e nus sur la m o r u e . A u c u n d é g r è v e m e n t n ' a été accordé s u r les tissus de coton, non p l u s q u e s u r les p r o d u i t s f a b r i q u é s . « L a partie la plus p a u v r e de la p o p u l a t i o n se trouve ainsi condamnée à payer b e a u c o u p p l u s cher l'aliment grossier q u e la modicité de son prix lui faisait r e c h e r c h e r , ainsi que ses v ê t e ments et a u t r e s objets divers dont elle a besoin » (Bouchié de Belle, Journal des Economistes du 15 octobre 1 8 9 2 , p. 167). Ea Martinique, c o m m e la G u a d e l o u p e , reçoit du d e h o r s les objets de g r a n d e consommation a l i m e n t a i r e , et divers a u t r e s 12*


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n o n m o i n s n é c e s s a i r e s . En 1 8 8 4 , son conseil g é n é r a l , à l'exemple de celui de la G u a d e l o u p e , avait rétabli des tarifs p r o t e c t e u r s au profit de l'industrie métropolitaine (V. sup., liv. V I I I , n° 12). Et s o u s ce r é g i m e la moitié environ de ses i m p o r t a t i o n s venait de la F r a n c e ou des colonies françaises. Elles consistaient p r i n c i p a l e m e n t en p r o d u i t s d'origine ou de fabrication française ( v i n s , huile d'olive, s u c r e raffiné, prod u i t s de p ê c h e , v ê t e m e n t s confectionnés, m a c h i n e s , tissus a u t r e s q u e ceux de coton). Le décret du 29 n o v e m b r e 1892 a p p l i q u é à la Martinique vint la c o n t r a i n d r e à s ' a p p r o v i s i o n n e r en F r a n c e dans une p l u s large m e s u r e . Les droits majorés du tarif métropolitain sont a p p l i q u é s a u x tissus de toute n a t u r e , et a u x a u t r e s produits f a b r i q u é s . L e s p r o d u i t s a l i m e n t a i r e s q u i , sous le régime a n t é r i e u r étaient e x e m p t s de d r o i t , n ' o b t i e n n e n t q u e de simples r é d u c t i o n s . L ' e x e m p t i o n complète n'existe q u e pour u n petit n o m b r e d'articles (froment, m a ï s , r i z , bois de chauffage, h u i l e m i n é r a l e d ' é c l a i r a g e , e n g r a i s c h i m i q u e s , futailles vides). L e décret s'est m ê m e m o n t r é m o i n s libéral vis-à-vis d e la Martinique q u ' e n v e r s la G u a d e l o u p e q u i j o u i t de la franchise p o u r p l u s i e u r s p r o d u i t s q u e la M a r t i n i q u e ne peut recevoir q u ' e n p a y a n t certains droits (Journal des Economistes, loc. cit., p . 169). 3 6 . L a Guyane n ' a pas été mieux traitée q u e les Antilles. Nous avons vu qu'elle possède peu de terre en c u l t u r e , partic u l i è r e m e n t à c a u s e de l'absence de voies de communication et du t r a n s p o r t difficile des p r o d u i t s , elle est donc obligée de s'approvisionner a u d e h o r s en vivres et en objets de toute sorte. L e décret du 29 n o v e m b r e 1 8 9 2 , q u i la c o n c e r n e , a aggravé sa situation (V. pour les détails Bouchié de B e l l e , loc. cit., p . 170) en lui a p p l i q u a n t le tarif g é n é r a l des d o u a n e s sauf certaines r é d u c t i o n s ou e x e m p t i o n s . U n r é g i m e plus favorable l u i serait nécessaire p o u r d i m i n u e r chez elle le coût de la vie et lui attirer des travailleurs de toutes races et de tout pays.


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La R é u n i o n , c o m m e les Antilles, se livre p r i n c i p a l e m e n t à la culture de la c a n n e à s u c r e . Elle est obligée de r e c o u r i r à l'importation des objets d'alimentation et des p r o d u i t s f a b r i qués. Elle importe s u r t o u t des f a r i n e u x , du riz q u e c o n s o m ment ses i m m i g r a n t s a s i a t i q u e s , des a n i m a u x v i v a n t s , d e s viandes s a l é e s , des b o i s s o n s , des c o m b u s t i b l e s . Nous avons dit (liv. VIII, n° 12) q u e en 1 8 8 4 - 1 8 8 5 elle avait a p p l i q u é chez elle presque c o m p l è t e m e n t le tarif g é n é r a l métropolitain voté en 1881, mais son conseil g é n é r a l avait e x e m p t é les a n i m a u x vivants, les d e n r é e s a l i m e n t a i r e s , les bois de construction et la houille. Le décret du 26 n o v e m b r e 1892 ne m a i n t i e n t l'exemption q u e p o u r u n e p a r t i e des objets d ' a l i m e n t a t i o n viandes s a l é e s , f a r i n e u x , a n i m a u x v i v a n t s ) , p o u r les animaux de trait et de b â t , les huiles m i n é r a l e s , les bois c o m muns. Tous les a u t r e s p r o d u i t s , y c o m p r i s la h o u i l l e , sont a s s u jétis au tarif g é n é r a l de 1 8 9 2 . On sait combien les droits y sont majorés s u r ceux du tarif de 1 8 8 1 . L a c o m p a r a i s o n q u i en serait faite, trop m i n u t i e u s e p o u r q u e n o u s la r e p r o d u i sions, permet d ' a p p r é c i e r les c h a r g e s nouvelles imposées à la Réunion. P o u r e l l e , comme p o u r la G u a d e l o u p e et la M a r t i nique, ce s e r a r e n c h é r i s s e m e n t des frais d ' e x i s t e n c e , l ' a u g mentation des frais de p r o d u c t i o n , et p a r suite l'impossibilité de soutenir la c o n c u r r e n c e é t r a n g è r e s u r les m a r c h é s du monde entier. L e s effets seront les m ê m e s p o u r Mayotte dont l'unique c u l t u r e est celle de la c a n n e à s u c r e . 3 7 . D'une récente étude p u b l i é e sous ce titre : Les Antilles françaises en 1 8 9 3 , p a r M. Monchoisy (Revue des Deux-Mondes du 15 sept. 1893) ressort la confirmation des faits et des a p préciations q u e n o u s venons d'exposer. « On ne s a u r a i t se dispenser, d i t - i l , de constater q u e les b u d g e t s locaux ont été bouleversés p a r l'application aux colonies du tarif g é n é r a l des d o u a n e s , et q u ' i l en est r é s u l t é u n accroissement de charges qui r e t o m b e p r e s q u e tout entier s u r les t r a v a i l l e u r s et les p a u v r e s g e n s . » C e p e n d a n t , l ' a u t e u r se m o n t r e i n d u l -


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gent vis-à-vis des t e m p é r a m e n t s a p p o r t é s a u tarif général par les décrets précités de n o v e m b r e 1 8 9 2 . « Ces t e m p é r a m e n t s , d i t - i l , n ' o n t pu p o r t e r ni s u r la m o r u e , n i s u r les t i s s u s , ni s u r la m é t a l l u r g i e . L ' i n t é r ê t de l ' a r m e m e n t m a r i t i m e , celui des g r a n d e s i n d u s t r i e s t e x t i l e s , celui de la défense nationale e n g a g é e à p r o t é g e r l ' i n d u s t r i e d u fer, n e permettaient pas qu'il en fût a u t r e m e n t . » Mais les r é s u l t a t s de la protection ainsi accordée à ces trois intérêts a u d é t r i m e n t des colonies, n ' e n sont pas moins très l o u r d s p o u r celles-ci. M. Monchoisy le reconnaît : « Voilà c o m m e n t , alors q u e déjà toutes les choses n é c e s s a i r e s à la vie étaient v e n d u e s à des prix élevés avec des bénéfices de 50 à 60 p . 0 / 0 , tout a augmenté encore et la condition matérielle du travailleur a e m p i r é . Qui pourrait dire ce q u e l'on m a n g e , et à q u e l p r i x . . . Et combien s'est accrue la m i s è r e des ouvriers d e s c h a m p s ? S a n s compter q u ' a u x droits de d o u a n e édictés p a r la métropole s'ajoutent les droits d'octroi de m e r , votés p a r le conseil g é n é r a l avec les sanctions du Conseil d ' É t a t . S o u v e n t on paie deux fois... ce d u a l i s m e , ce double emploi d a n s les droits à l'importation semblent ne pouvoir d u r e r t o u j o u r s . » D a n s u n e des séances de la société d'économie politique de L y o n , M. P e l a g a u d , à l'occasion de la q u e s t i o n des banques coloniales, t o u c h a n t à l'application d u tarif g é n é r a l des d o u a n e s et de l'octroi de m e r , e s t i m e é g a l e m e n t q u e cet état de choses « t u e le c o m m e r c e et p r o d u i t la m i s è r e d a n s les col o n i e s , parce qu'il c h a r g e les objets de production et qu'il entrave le développement de l ' i n d u s t r i e » (Soc. d'écon. polit. de Lyon, année 1 8 9 3 , p . 454). On se d e m a n d e comment peuvent se concilier les s y m p a t h i e s q u e d a n s les discussions le P a r l e m e n t français manifeste p o u r les colonies, avec la d u r e t é du r é g i m e d o u a n i e r qu'il l e u r a i m p o s é . Examinons si les colonies ont été m i e u x traitées par la législation s u r les sucres. 3 8 . L e régime d'importation des sucres coloniaux dans la métropole est d e v e n u , p o u r nos c o l o n i e s , u n e question abso-


C O L O N I E S DE P L A N T A T I O N .

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lument capitale qui n ' a pris n a i s s a n c e q u ' à u n e époque relativement récente. Le sucre colonial a été l o n g t e m p s seul connu en E u r o p e . Avant 1789 celui de n o s colonies dépassait l a r g e m e n t les b e soins de la F r a n c e . Elle n'en c o n s o m m a i t g u è r e q u e 22 m i l lions de kilogr., tandis q u e nos colonies en produisait p l u s de 99 millions. A u s s i le sucre é t r a n g e r était-il r e p o u s s é du marché i n t é r i e u r . E n sus d ' u n droit fiscal de 3 francs p a r 100 kilog. il s u p p o r t a i t une surtaxe de 10 francs v é r i t a b l e ment prohibitive. L a législation i n t e r m é d i a i r e , m a l g r é des fluctuations, e u t le m ê m e c a r a c t è r e prohibitif, m a i s un décret du 5 août 1 8 1 0 , r e n d u sous le r é g i m e du blocus c o n t i n e n t a l , vint changer les destinées du s u c r e de c a n n e . A cette é p o q u e la France avait p e r d u ses c o l o n i e s , ses p o r t s m a r c h a n d s étaient d é s e r t s , les s u c r e s s'élevèrent à un prix e x o r b i tant. La science vint accomplir u n e révolution. Elle trouva d a n s la betterave u n s u c r e i d e n t i q u e à celui des t r o p i q u e s . De 1811 à 1814 la législation fit éclore en q u e l q u e sorte p a r voie de contrainte la nouvelle p r o d u c t i o n . A p r è s 1814 nos colonies nous étant r e n d u e s , l e u r s u c r e r e p a r u t s u r n o s m a r c h é s . Il fut de nouveau p r o t é g é contre l'introduction du sucre é t r a n ger; mais en r e t o u r il était s o u m i s à u n e taxe fiscale. L e sucre de betterave en fut affranchi. On ne le considérait pas comme un c o n c u r r e n t sérieux du sucre colonial. C'était, p e n dit-on, un p r o d u i t factice a p p e l é à d i s p a r a î t r e . Il n ' e n fut rien. En 1 8 2 8 , 101 f a b r i q u e s i n d i g è n e s existaient et d o n naient un produit de 5 millions de kilogr. Il fallait s a u v e g a r der l'intérêt d u T r é s o r en frappant d'un impôt cette p r o d u c tion nouvelle, et défendre contre elle le sucre des colonies menacé de r u i n e , et q u i j u s q u e - l à donnait un fret i m p o r t a n t à notre marine. Une taxe fut donc établie s u r le s u c r e i n d i g è n e de 15 francs d ' a b o r d , ensuite de 25 f r a n c s , p u i s g r a d u e l l e de 1843) j u s q u ' à ce qu'elle atteignit le droit payé p a r le sucre étranger.


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Cependant le sucre indigène continuait sa marche ascend a n t e , celui des colonies périclita au contraire après 1848 par suite des perturbations causées dans la main-d'œuvre par l'émancipation des noirs. L e s envois des colonies dans la métropole descendirent à 40 millions, tandis que la production indigène dépassait 100 millions. Devant la décroissance de la production coloniale le prix du sucre subit, à partir de 1 8 5 0 , une augmentation de prix. On pensa que cet étal de choses appelait l'application de mesures nouvelles. Une loi du 13 j u i n 1851 accorda une détaxe aux sucres coloniaux : c'était le renversement de la situation antérieure à 1 8 4 3 . Cette détaxe provisoire fut prorogée j u s q u ' e n 1 8 7 0 , et coûta au Trésor 1 1 0 millions. 3 9 . L a production indigène continuait ses succès. On ne pouvait la supprimer ni l'entraver et elle portait un coup funeste à nos colonies. Que f a i r e ? On pensa qu'il fallait faciliter les débouchés de notre production coloniale. Dans cet esprit on avait déjà accordé (dès 1 8 4 0 ) un drawbach aux sucres coloniaux réexportés. L e drawbach aboutissait môme à de véritables primes de sortie en ce q u e les droits à l'importation étant perçus sur les sucres b r u t s , la restitution en était faite sur des sucres r a f i n é s , qui dans la pratique donnaient un rendement bien supérieur à celui de 7 0 kilog. qui était admis comme rendement normal du sucre brut importé. C'était donc une prime de sortie onéreuse pour le Trésor, mais de plus elle souleva des réclamations de l'étranger vis-àvis duquel elle constituait une infraction aux tarifs de douane conventionnels. L a diplomatie intervint sans succès dans deux essais d'unions sucrières entre la F r a n c e , les P a y s - B a s , la GrandeB r e t a g n e , la B e l g i q u e . Aux drawbachs furent substituées des admissions temporaires en franchise qui se heurtèrent à d'autres difficultés, touchant à l'identité ou à l'équivalent des sucres réexportés. Un troisième système fut essayé ( L . du 30 déc. 1875) : c'était la production de certificats de sortie à


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portation des s u c r e s raffinés constatant la n a t u r e et la resse s a c c h a r i n e de ces s u c r e s . Ces certificats étaient a d m i s le T r é s o r (dans un délai de d e u x m o i s ) , en c o m p e n s a t i o n droits q u e c e s s u c r e s r é e x p o r t é s a u r a i e n t payés s'ils étaient és dans la c o n s o m m a t i o n i n t é r i e u r e . Mais u n e difficulté velle s u r g i s s a i t : par q u e l s procédés pouvait-on r e c o n Fre e x a c t e m e n t la r i c h e s s e s a c c h a r i n e ? C'était u n e noua face de la question des sucres. L a s c i e n c e fut c o n s u l t é e , i s quel q u e fût le procédé de s a c c h a r i m é t r i e e m p l o y é , son lication nécessitait chez les r a f f i n e u r s la p r a t i q u e vexatoire l'exercice par la R é g i e . 4 0 . Un nouveau s y s t è m e fut donc é t u d i é . Il a été c o n s a c r é r la loi du 3 0 j u i l l e t 1 8 8 4 , qui s'est proposé de satisfaire et acilier tous les intérêts en p r é s e n c e : I n t é r ê t du T r é s o r ; érêt du s u c r e i n d i g è n e q u i est le produit de v i n g t - s i x partements et occupe p l u s de 1 0 0 mille c u l t i v a t e u r s ; intérêt ES c o l o n i e s . L e s p r i n c i p a l e s dispositions sont les s u i v a n t e s : L ' a r t i c l e l xe les droits q u i seront p e r ç u s s u r les s u c r e s de toute r i g i n e ( s u c r e s b r u t s et raffinés 50 fr. par 1 0 0 k i l . de s u c r e a f f i n é , s u c r e candi 5 3 f r . 5 0 ; — g l u c o s e s 1 0 f r . ) . V i e n n e n t n s u i t e les droits s u r les dérivés du s u c r e , c h o c o l a t , m é a s s e , e t c . (ces droits ont été d e p u i s lors m o d i f i é s ) . L e s articles 3 et 4 p e r m e t t e n t a u x f a b r i c a n t s de s u c r e ndigène de c o n t r a c t e r avec l ' a d m i n i s t r a t i o n des c o n t r i b u t i o n s ndirectes un a b o n n e m e n t ; — de p l u s , c'est là une innovation m p o r l a n l e , l'impôt s e r a perçu s u r la m a t i è r e p r e m i è r e , c ' e s t à-dire sur la b e t t e r a v e , tandis q u ' i l était j u s q u ' a l o r s p e r ç u a v e c tant de difficultés) s u r le produit f a b r i q u é . e r

L ' a r t i c l e 5 d é c l a r e q u e les s u c r e s des colonies f r a n ç a i s e s m p o r t é s d i r e c t e m e n t en F r a n c e a u r o n t droit à un d é c h e t de à b r i c a t i o n de 12 p. 0 / 0 . — L e rapport présenté au S é n a t 3ar M. de S a i n t - V a l l i e r , é n o n c e q u e c e l t e réduction d ' i m ôt a c c o r d é e au s u c r e colonial p o u r r a ê t r e é l e v é e , si u n e x p é r i e n c e s u f f i s a n t e d é m o n t r e q u e les i n t é r ê t s des c o l o n i e s


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ne sont pas suffisamment sauvegardés ( V . D a l l o z , 188 4 partie, p. 3 2 , 3 c o l o n n e ) . e

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Enfin, l'article 1 0 , tant dans l'intérêt du sucre colonial q du sucre indigène, soumet à u n e s u r t a x e de 7 f r a n c s , j u s q u 31 août 1 8 8 6 , les s u c r e s bruts importés d e s pays d'Euro ou des entrepôts d ' E u r o p e . Cette surtaxe a été considé c o m m e une entrave n é c e s s a i r e , m a i s suffisante à conteni flot envahissant de c e r t a i n s s u c r e s é t r a n g e r s , notamment s u c r e s allemands ( V . le rapport de M. Villain à la Chamb — Dalloz, 8 5 . 4 . 3 5 , l col.). re

4 1 . Il avait é t é entendu dans la discussion de la loi q la détaxe o b t e n u e p a r les s u c r e s coloniaux pourrait être mod fiée de manière à établir l'équivalence de situation entre eux et les s u c r e s indigènes. L a détaxe fut j u g é e insuffisante, ains q u e le constate le rapport présenté a u S é n a t p a r M. Cuvinot s u r un nouveau projet : « T a n d i s q u e les bonis de fabrication d i t - i l , atteignaient en F r a n c e , 2 0 , 2 5 e t 3 0 p . 0 / 0 , de la pro duction totale, les s u c r e s des colonies f r a n ç a i s e s avaient droit seulement à un déchet de fabrication de 12 p . 0 / 0 . L e s repré sentants des colonies ont fait ressortir q u e le r é g i m e accord aux produits coloniaux plaçait c e s d e r n i e r s dans u n e situation d'infériorité évidente par rapport a u x s u c r e s de la m é t r o p o l e , (Dalloz, 8 6 . 4 . 8 1 ) . • E n c o n s é q u e n c e , par une loi du 13 j u i l l e t 1 8 8 6 (Dalloz, l o c . cit.), il a été décidé : 1° Qu'en p r i n c i p e , les s u c r e s des colonies françaises à des tination de la métropole auront droit à un déchet de fabricalion égal à la moyenne des excédents de rendement obtenus par la s u c r e r i e indigène pendant la dernière c a m p a g n e de fa brication (on entend par c a m p a g n e la période de fabrication comprise entre le l s e p t e m b r e de c h a q u e a n n é e e t le 31 août de l'année s u i v a n t e ) . e r

2° P o u r la c a m p a g n e s u i v a n t e , le déchet de fabrication sera élevé de 12 à 2 4 p . 0 / 0 . P o u r y avoir d r o i t , les s u c r e s de la M a r t i n i q u e , de la G u a d e l o u p e et de la R é u n i o n seront anal


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lysés aux ports d ' e m b a r q u e m e n t d a n s des conditions d é t e r m i nées. La même loi prorogeait la s u r t a x e de 7 francs s u r les s u c r e s bruts importés des p a y s ou des entrepôts d ' E u r o p e . 4 2 . Ces dispositions g é n é r a l e s sont t o u j o u r s en v i g u e u r . La législation sur les s u c r e s , n ' a d e p u i s 1887 comporté q u e des réglementations a d m i n i s t r a t i v e s s u r les r e n d e m e n t s l é g a u x de la betterave (L. 5 juillet 1887 et Décr. 28 août 1887) s u r la prorogation de la s u r t a x e de 7 francs imposée aux s u c r e s importés d ' E u r o p e , et s u r diverses modifications a p p o r t é e s à l'impôt dont sont g r e v é s les s u c r e s de toute origine ( L . 25 juillet 1888). En ce qui concerne nos colonies de p l a n t a t i o n s , les p r i n c i p e s posés par la loi de 1884 s u b s i s t e n t . Elle a i n s t i t u é en faveur de leur sucre u n e protection basée s u r le p r i n c i p e de l'équivalence. Théoriquement, la c a n n e a droit a u x a v a n t a g e s a s s u r é s à la betterave. « E n fait, dit M. Monchoisy (Revue des DeuxMondes, 15 sept. 1 8 9 3 , p . 4 3 4 ) , il ne lui en est concédé qu'une faible partie. » Mais r a p p e l o n s - n o u s la p r o m e s s e énoncée dans le r a p p o r t de M. de S a i n t - V a l l i e r , et a c c e p t é e par le Sénat : la réduction d'impôt accordée au s u c r e colonial, vis-à-vis du s u c r e i n d i g è n e , p o u r r a être a u g m e n t é e si l'expérience démontre q u e les intérêts coloniaux ne sont pas suffisamment s a u v e g a r d é s . Les représentants des colonies ont s a n s doute les y e u x o u verts sur cette q u e s t i o n . Mais, d ' a u t r e p a r t , suivant M. Monchoisy, voici ce q u e d e m a n d e à cette h e u r e l'industrie s u c r i è r e des Antilles : u n e d i m i n u t i o n des c h a r g e s locales, une a m é l i o ration du régime des p r ê t s h y p o t h é c a i r e s , la r e p r i s e de l ' i m m i gration, et l'abaissement ou la s u p p r e s s i o n du demi-droit d'entrée inscrit au tarif g é n é r a l s u r le café, le cacao, la vanille. Ce demi-droit n'a p l u s , comme n o u s l'avons r e m a r q u é p l u s haut (liv. VIII, n° 18) caractère fiscal et son r e n d e m e n t est des plus limité. Ne serait-il pas d ' u n e é q u i t a b l e politique de supprimer? « Le b u d g e t de la R é p u b l i q u e n'y perdrait pas R.

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grand'chose et l'activité agricole aux Antilles y gagnerait beaucoup. » 4 3 . Il suffit de jeter un coup d'œil s u r la situation actuelle de nos colonies de plantation p o u r voir combien elles méritent l'intérêt de la métropole. La Guadeloupe avec ses dépendances a le territoire le plus é t e n d u , 2 6 5 , 1 2 3 hectares peuplés de 200,000 habitants. Elle consacre 23 mille hectares à la culture de la canne donnant un rendement de 58 millions de kilogr. de sucre b r u t (V. les notices L . H e n r i q u e , La Guadeloupe, p . 129). Son commerce, qui était de 57 millions il y a q u e l q u e s années (soit 25 millions et 1/2 d'importations, et 32 millions d'exportations) a notablement fléchi. Il y a donc un ralentissement dans sa prospérité. La Martinique avec u n e moindre é t e n d u e q u e le groupe de la Guadeloupe, a une population presque égale. Elle comprend 98,708 hectares avec 178,000 habitants environ. 21,300 hectares en canne à sucre produisent environ 4 0 , 7 0 0 , 0 0 0 kilogr. de sucre. 201 hectares rendent 29,000 kilogr. de café. 97J5 hectares fournissent 418,000 kilogr. de cacao. 120 hectares produisent du coton. Les cultures vivrières n'occupent que 18,000 hectares. Le commerce de la Martinique s'élève à 45 millions, soit 24 millions importations, 21 mil! ions exportations.

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44. L a G u y a n e m o d e r n e . — S a p h y s i o n o m i e . 4 5 . Que faut-il p e n s e r de son i n s a l u b r i t é ? — O p i n i o n s de M . Leveillé et d e M. P . L e r o y - B e a u l i e u . 46. Conclusions f a v o r a b l e s s u r l ' a t t é n u a t i o n d e s o n i n s a l u b r i t é et de la mortalité. 47. La situation coloniale m é d i o c r e d e la G u y a n e t i e n t à d i v e r s e s causes. — R é g i m e vicieux d ' a p p r o p r i a t i o n d u sol et d e la c u l t u r e .


LA G U Y A N E .

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;s. Abus et a r b i t r a i r e d e s r è g l e m e n t s a d m i n i s t r a t i f s . — P r o g r a m m e q u i devrait être suivi. Système a d m i n i s t r a t i f j u s q u ' e n 1870. 50. Réformes o p é r é e s d e p u i s c e t t e é p o q u e . — O r g a n i s a t i o n a d m i n i s t r a t i v e , municipale, judiciaire. 51. Richesses n a t u r e l l e s d e la G u y a n e . — S e s m o y e n s d e p r o d u c t i o n . 52. Insuflisance d e sa p o p u l a t i o n . — D é s e r t i o n d e l ' a g r i c u l t u r e p o u r la r e c h e r c h e et l ' e x p l o i t a t i o n d e s m i n e s d ' o r . 53. Quelles r e s s o u r c e s la G u y a n e p e u t - e l l e t r o u v e r d a n s sa c o n s t i t u t i o n comme c o l o n i e p é n i t e n t i a i r e ? — C o m m e n t la q u e s t i o n e s t p o s é e p a r M. L e v e i l l é . — E x c l u s i o n c o m m e t r a v a i l l e u r s d e s d é p o r t é s p o l i t i ques. 54. Emploi d e s c o n d a m n é s d e d r o i t c o m m u n a u x t r a v a u x f o r c é s . — L o i s des 20 février 1852 e t 30 m a i 1854. 55. Application q u i a é t é faite s a n s m é t h o d e d u t r a v a i l d e s f o r ç a t s . — R e g r e t t a b l e d é c r e t d e 1867 q u i d i r i g e l e s c o n d a m n é s b l a n c s à la Nouvelle-Calédonie. 56. La relégation d e s r é c i d i v i s t e s . — Loi d u 27 m a i 1 8 8 5 . — C r i t i q u e d e ce s y s t è m e p a r M . L e v e i l l é . — C o n c l u s i o n : affecter a u x t r a v a u x d e colonisation d e la G u y a n e les c o n d a m n é s d e d r o i t c o m m u n l e s p l u s coupables. 57. Causes de l'insuffisance a b s o l u e d u t r a v a i l d e s c o n d a m n é s à la Guyane : — 1° M u t a t i o n s t r o p f r é q u e n t e s d e s g o u v e r n e u r s . 2° A d o u c i s s e m e n t s y s t é m a t i q u e et e x a g é r é d e la p e i n e ; — 3° t r a n s fert d e s c o n d a m n é s b l a n c s à la N o u v e l l e - C a l é d o n i e . 59. 4° Conditions i n s u f f i s a n t e s de !a m o r a l i s a t i o n d e s f o r ç a t s p o u r la c o n s titution d e la f a m i l l e . — De l ' o p p o r t u n i t é d e m a r i e r les c o n d a m n é s avec d e s filles i n d i g è n e s . 60. Vœux a n a l o g u e s f o r m u l é s p a r M. P . L e r o y - B e a u l i e u : L e s c o n d a m n é s les plus e n d u r c i s e n v o y é s à la G u y a n e , et l e s p l u s r e p e n t a n t s m a riés s u r p l a c e . Travaux d ' u t i l i t é p u b l i q u e à i m p o s e r a u x c o n d a m n é s . — R é s u l t a t s à espérer. — P a r o l e de Malouet. 62. Législation r é c e n t e : d é c r e t s d e 1879 et 1879 s u r l a d i r e c t i o n d e l ' a d ministration p é n i t e n t i a i r e à la G u y a n e . 63. Décrets d e 1889 et 1890 s u r la police j u d i c i a i r e , s u r la r é p r e s s i o n d e s crimes et d é l i t s d e s f o r ç a i s d a n s les c o l o n i e s p é n i t e n t i a i r e s , e t s u r l'envoi d e s c o n d a m n é s a u x d i v e r s e s c o l o n i e s .

4 4 . Nous avons étudié l'histoire de la G u y a n e française depuis sa découverte j u s q u ' e n 1818 (V. suprà, liv. I I , n°s 37 a 43). Nous devons e x a m i n e r sa situation a c t u e l l e , son r a n g ,


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son c a r a c t è r e , parmi nos possessions coloniales modernes. Elle a été étudiée par b e a u c o u p d'écrivains. Nul n'en présente une description physique plus saisissante et peut-être plus exacte q u e M. Leveillé, de la Faculté de droit de Paris, dans le récit de la mission qu'il a remplie dans celte colonie. Il s'élève contre l'anathème jeté s u r cette contrée par le président du conseil s u p é r i e u r de s a n t é , q u i écrivait, le 23 octobre 1884, au ministre de la marine : « Sauf l'îlot de C a y e n n e . . . , sauf les trois îlots... q u i portent le nom d'îles du S a l u t , la Guyane tout e n t i è r e . . . n'est q u ' u n vaste marais dans lequel les E u r o p é e n s ne peuvent ni vivre ni travailler. » P o u r M. Leveillé, cette description n'est pas exacte. Il en produit u n e a u t r e , très intéressante et très détaillée, plus p r é c i s e , et q u i semble plus fidèle. La conclusion en est que « la Guyane n'est pas un pays plat. Elle offre sans doute à l'Européen q u i descend de son navire d'abord une terre b a s s e ; mais cette terre basse n'est que le rez-de-chaussée. La Guyane présente bientôt, à des altitudes progressivement c r o i s s a n t e s , le triple et successif étage de ses h a u t e s terres. L'histoire de la colonie s'est, il est v r a i , principalement déroulée sur le littoral; les terres hautes ne sont guère parcourues q u e depuis trente a n s , d e p u i s qu'il y a des chercheurs d'or. » L a Guyane n'a pas un bon p o r t , son littoral se confond avec les bancs de sable d'une m e r fangeuse. Elle est arrosée par une vingtaine de cours d ' e a u , dont les plus importants sont le Marôni, la M a n a , le K o u r o u , la C a y e n n e , l'Oyapock, sans parler de leurs affluents, ni de ceux encore mal connus de l'Orénoque et de l'Amazone. Des derniers écrits du regretté docteur Crevaux il apparaîtrait q u e , à partir du Yari, aflluent de l'Amazone, qui c o m m u n i q u e avec le Maroni, on pourrait, au moyen d'un travail de canalisation, ouvrir l'accès du plus grand bassin de l'Amérique méridionale. Ce serait une transformation complète des abords de celle colonie. Mais il y a , dans la partie basse du p a y s , comme une immense


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cuvette tapissée d'argile d a n s laquelle, à côté de plaines l u x u riantes, se voit « u n m a r a i s fétide o ù , trop s o u v e n t , le voyageur i m p r u d e n t s'enlise et trouve la m o r t . » On s ' e x p l i q u e donc aisément la réputation d ' i n s a l u b r i t é faite à la G u y a n e , la lièvre p a l u d é e n n e , la d y s s e n t e r i e , l ' a n é m i e , la fièvre j a u n e , qui ont décimé les forçats e u r o p é e n s e t , j a d i s , les colonisateurs de Kourou et du Maroni. 4 5 . Cependant M. Leveillé d i s t i n g u a n t les maladies e n d é miques, et les maladies e x o t i q u e s , d é t e r m i n a n t les p r i n c i p a l e s causes de mort q u i ont enlevé les t r a n s p o r t é s , discute leurs résultats, et conclut q u e si l'on défalque des s t a t i s t i q u e s officielles les a n n é e s d ' é p i d é m i e , où ont sévi des maladies i m p o r tées du d e h o r s , on ne r e n c o n t r e p l u s q u e des mortalités de 6,7, de 4 , 7 , de 5 , 9 , chiffres qui conduisent à une m o y e n n e générale de 6 p . 0 / 0 . Or « n o u s avons en F r a n c e (M. Leveillé les cite) des m a i s o n s centrales d ' u n e mortalité égale ou même s u p é r i e u r e , » ce n ' e s t pas à dire q u e p o u r des colonisateurs autres que des forçats, cette perspective soit b i e n r é j o u i s s a n t e . Mais, d'autre part, il y a, d ' a p r è s le même a u t e u r , des p a r a g e s bien plus s a l u b r e s . Telle serait n o t a m m e n t cette partie d u sol qu'on appelle le territoire contesté q u ' i l serait facile, a u g o u vernement f r a n ç a i s , de d é g a g e r des prétentions s é c u l a i r e s , on pourrait dire s u r a n n é e s du B r é s i l , qui en l'état a c t u e l s u r tout serait fort e m p ê c h é de les s o u t e n i r . « Il y a , dit M. L e vellé, entre l ' A t l a n t i q u e , l ' A m a z o n e , le Rio-Negro et le Rioi'danco à m e t t r e en valeur u n territoire p l u s vaste et p l u s riche que notre G u y a n e , et a u q u e l est adjacente la g r a n d e Ile de M a r a c a , s a n s compter les espaces encore i n e x p l o r é s , les immenses forêts vierges d a n s l ' i n t é r i e u r des t e r r e s et d e vastes prairies q u i n o u r r i r a i e n t p l u s de bétail q u e nos s a v a n e s d u Kourou et de Maroni. » D'autre p a r t , M. P . Leroy-Beaulieu discute à son tour l'insalubrité de la G u y a n e . Il aboutit à des conclusions encore plus favorables. 11 montre p a r des exemples d ' a u t r e s t e r r e s qui, on peut le d i r e , ont été d o m p t é e s , q u e « le p a l u d i s m e


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n'est q u ' u n des maux passagers inhérents à la nature brute; la c u l t u r e , l'habitation prolongée, la plantation de certaines essences d'arbres parviennent à la vaincre. Considérée aujourd'hui comme un tombeau, la Guyane peut devenir le berceau d ' u n e population florissante » (De la colonisation, p . 528 et s.). 4 6 . L e même a u t e u r discute aussi la mortalité dans la Guyane, et avec l'autorité des docteurs Dutrouleau (Traité des maladies des Européens), et Gustave L a g n e a u (l'Emigration de France), il en arrive à des conclusions qui ne s'écartent g u è r e de celles de M. Leveillé. Les objections contre la colonisation sérieuse de la Guyane, tirées de son insalubrité et de la mortalité q u i y régnent sont donc très contestables, et en tout cas peuvent singulièrement s'atténuer. Il n'en est pas moins vrai q u e la G u y a n e , discréditée, délaissée, bien qu'on y ait fondé au siècle dernier et au début de c e l u i - c i , sous la R e s t a u r a t i o n , de grandes e s p é r a n c e s , n'a jamais pu sortir j u s q u ' i c i de son état de médiocrité. 4 7 . Mais cette situation n'est pas due seulement à la réputation d'insalubrité du c l i m a t , elle s'explique par d'autres c a u s e s , et tout d'abord par le régime vicieux qui a été constamment suivi dans l'appropriation des t e r r e s . Nous avons dit (liv. I I , ch. m , n° 42), q u ' à la fin du xviiie siècle u n a d m i n i s t r a t e u r d'une rare intelligence, Malouet, réclamait que l'on mît à la Guyane les terres en vente au lieu d e les concéder g r a t u i t e m e n t . Cette réforme n'a jamais été a p p l i q u é e ; on a continué dans ce siècle à faire des concessions gratuites, t e m p o r a i r e s , soumises à des conditions résolutoires n o m b r e u s e s . Suivant ce q u ' é c r i v a i t , il y a p l u s de trente ans, J u l e s Duval (Les colonies de la France, p . 209) : « Les administrateurs professent que la principale destinée de cette colonie consiste à approvisionner la mère-patrie de denrées exotiques... Ils en font la condition de toute concession provisoire de p r o p r i é t é , grevant le b u d g e t local à cette fin. Ainsi t e n u s en d é d a i n , les vivres ne sont produits qu'en minime


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quantité, et la disette se fait sentir pour peu q u ' u n accident accroisse les b e s o i n s , ou d i m i n u e les récoltes. La conséquence e s t , q u e la G u y a n e bien q u ' a y a n t les énormes espaces q u e nous avons s i g n a l é s , é m i n e m m e n t p r o p r e s à l'élevage du bétail, n'en produit p a s assez pour sa c o n s o m m a tion, et elle fait venir des b œ u f s , des a n i m a u x de t r a i t , et des viandes c o n s e r v é e s , soit d ' E u r o p e , soit des a u t r e s contrées d ' A m é r i q u e . D'autre p a r t , d a n s ses c o u r s d'eau n o m b r e u x , la G u y a n e pourrait avoir des scieries m é c a n i q u e s p o u r l'exploitation de se? forêts, m a i s l ' a d m i n i s t r a t i o n se s e r a i t , p a r a î t - i l , m o n t r é e peu favorable à celte i n d u s t r i e . Elle a , au c o n t r a i r e , d é p e n s é des sommes considérables en p r i m e s p o u r la c u l t u r e de d e n rées coloniales q u i ne sont p r o d u i t e s q u ' à u n prix élevé. L a question de la m a i n - d ' œ u v r e s'y est p r é s e n t é e comme d a n s les autres colonies de p l a n t a t i o n , s u r t o u t d e p u i s l'abolition de l'esclavage q u i y a p r o d u i t des p e r t u r b a t i o n s a n a l o g u e s à celles que subirent les Antilles et la R é u n i o n . L a secousse y fut m ê m e plus rude à cause de la vaste é t e n d u e du sol cultivable, et des mauvaises m e s u r e s adoptées p a r les colons (vid. sup., n° 25). 4 8 . M. P . Leroy-Beaulieu signale aussi c o m m e c a u s e s de la médiocrité de situation de la G u y a n e : les a b u s et l ' a r b i traire des r è g l e m e n t s administratifs et de l'ingérence g o u v e r nementale q u i s'y est manifestée s a n s esprit de suite s u r l'agriculture, l ' i n d u s t r i e , le c o m m e r c e , et s u r la vie e n t i è r e des habitants, et l'insuffisance a u moins j u s q u ' à un t e m p s assez rapproché des libertés m u n i c i p a l e s . M. Leveillé m o n t r e de son côté d a n s q u e l état d ' a b a n d o n est, à certains é g a r d s , laissée cette contrée : « Les moyens de communication y sont des p l u s défectueux : peu de r o u t e s , aucune ligne t é l é g r a p h i q u e ni t e r r e s t r e , ni s o u s - m a r i n e ne relie la colonie a u reste du m o n d e . U n e fois p a r m o i s , u n vapeur de la c o m p a g n i e t r a n s a t l a n t i q u e t o u c h e à C a y e n n e ; un autre fait u n service mensuel e n t r e C a y e n n e et l ' O r é n o q u e , un voilier a m é r i c a i n , six fois p a r a n , fait le service e n t r e


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Cayenne et Boston. Enfin de petites goëlettes mettent en relations, assez irrégulièrement, les différents points de la côte. » Quel serait donc le programme à r e m p l i r ? Vendre à bas prix les terres et les forêts d o m a n i a l e s ; respecter complètement la liberté d'installation et de c u l t u r e ; s u p p r i m e r toutes les p r i m e s , employer les fonds qui y étaient destinés au développement de la viabilité par terre et par e a u ; refaire enfin à cette contrée une bonne réputation q u a n t à ses conditions hygiéniques, et à son r é g i m e administratif. 4 9 . L'administration y a été en effet p l u s défectueuse q u ' a i l l e u r s , nous avons vu que sous l'ancien Régime il y avait à côté du g o u v e r n e u r un conseil s u p é r i e u r , et sous Louis XVI une assemblée provinciale. Sous la R é v o l u t i o n , la Guyane avait eu un instant des députés à l'Assemblée législative, sous la R e s t a u r a t i o n , le gouvernement de 1830 un conseil électif et des délégués. La République de 1848 lui rendit le droit de représentation au Parlement et lui accorda des conseils g é n é r a u x . Mais sous le r é g i m e du second Empire on y r e m a r q u e une concentration excessive de pouvoirs entre les mains du gouverneur. Il n'a p l u s a u p r è s de lui qu'un conseil privé composé en majorité de fonctionnaires et de quelques habitants désignés par le g o u v e r n e u r l u i - m ê m e . Il est investi, à partir de 1854, du droit de fixer à son gré la nature et l'assiette des i m p ô t s , d'en régler seul la quotité, la perception, l'emploi. Du jour au l e n d e m a i n , il peut les improviser à son g r é . « Jamais on ne vit pouvoir p l u s absolu » (J. Duval, p . 288). Le 1 janvier 1860 fut prom u l g u é un budget dressé la veille, exécutoire le m ê m e jour, et qui doublait ou triplait certaines taxes. Ce système arbit r a i r e , absolu, était encore a g g r a v é , comme dans toutes les colonies françaises, par le renouvellement incessant des gouv e r n e u r s , qui ne pouvaient être éclairés et s o u t e n u s ni par la voix p u b l i q u e , par la p r e s s e , ni par une représentation municipale ou provinciale. La ville de Cayenne seule était constituée en c o m m u n e avec un conseil municipal nommé e r


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par le pouvoir. Le territoire était divisé en quatorze, districts sous l'administration sans contrôle de commissaires, commandants concentrant dans leurs mains les attributions les plus discordantes. Enfin, pour une population de vingt mille âmes il y avait un millier de fonctionnaires outre la garnison de terre et de mer. Ce qui s'expliquait peut-être, nous le reconnaissons, à raison du régime pénitentiaire dont nous parlerons plus loin. 5 0 . Depuis 1870 ont été accomplies des réformes, timides d'abord, plus hardies après 1 8 7 8 . C'est en premier lieu l'institution d'une chambre de notables dite chambre d'agricult u r e , de commerce et d'industrie (Arrêté du gouv. 31 août 1870) composée par les cent propriétaires ou fermiers ou concessionnaires les plus i m p o s é s , et par les patentés de première et deuxième c l a s s e ; elle devait donner son avis sur les intérêts de la colonie. Puis, par décret du 2 3 décembre 1 8 7 8 , un conseil de seize membres est élu avec les attributions conférées aux conseils généraux des autres colonies. Un deuxième décret ( 2 5 oct. 1870) divise la Guyane en dix communes de plein exercice, on lui restitue en outre le droit d'élire un député au P a r l e ment français. Un décret du 28 avril 1882 a créé une commission coloniale d'étude et de contrôle, élue parmi les membres du conseil. Un décret du 12 mars 1880 avait soumis en principe la Guyane au régime municipal métropolitain ; un autre décret du 26 juin 1884 a déclaré applicables aux communes de cette colonie les articles 11 à 4 5 , 74 à 87 et 165 de la loi du 5 avril 1 8 8 4 sur le régime municipal en France, c'est-à-dire les dispositions sur l'élection des conseils municipaux, la nomination des maires et adjoints, etc. Enfin, une loi du 29 avril 1880 étend à la Guyane les dispositions de la môme loi du 5 avril 1884 (art. 1 à 9 et art. 54) qui concernent l'érection de nouvelles communes et la publicité des délibérations des conseils municipaux. Nous avons indiqué plus haut en ce qui concerne cette 13*


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colonie, son organisation administrative (liv. IV, n 5 et s u i v . ) e t son organisation judiciaire (liv. V, n 1 et suiv.). 5 1 . La G u y a n e semble donc actuellement dans des conditions propres à seconder l'initiative privée et l'activité des colons. Ses moyens propres de production sont nombreux. La notice qui lui est consacrée p a r m i celles qui ont été publiées officiellement sous la direction de M. Louis Henrique énonce que peu de pays offrent autant de ressources à l'agriculture. Toutes les é p i c e s , toutes les c é r é a l e s , tous les fruits des tropiques peuvent y être récoltés. Beaucoup de plantes d'Europe et des a u t r e s colonies y ont été acclimatées. Le poivre, le girofle, la muscade, la cannelle, le café, le cacao pourraient y donner de grands bénéfices. Mais partout les b r a s m a n q u e n t . Une seule tentative de recensement a été faite en 1884, elle ne put aboutir, on n'évalue donc que très approximativement à 8,500 le nombre des habitants dans le territoire même de Cayenne et à 12,000 celui de la population r é p a n d u e à l'intérieur, j u s q u e dans les profondeurs lointaines, incultes et inexplorées. On ne p e u t tirer a u c u n e action utile de la plupart des indigènes. La terre reste donc à peu près i n c u l t e , particulièrement depuis que la main-d'œuvre servile a fait défaut, et depuis la découverte de l'or. 5 2 . La Guyane qui fut autrefois u n e colonie agricole et de plantation a perdu ce double caractère. L'immigration africaine y a été interdite il y a trente ans parce qu'elle semblait devoir enlever le travail aux anciens esclaves affranchis. L'immigration indienne a pris fin vers 1 8 7 7 , il reste à voir quel parti on pourrait tirer de la m a i n - d ' œ u v r e pénale, c'est ce que nous examinerons plus loin. En l'état actuel, la population ouvrière locale est tellement réduite qu'elle ne peut suffire a u x besoins du pays. On peut donc affirmer que des ouvriers européens exerçant des professions de m e n u i s i e r s , c h a r p e n t i e r s , c h a r r o n s , etc., et des travailleurs agricoles y trouveraient facilement un salaire r é m u n é r a t e u r . o s


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Mais, il faut le dire, toute l'activité depuis quarante ans s'est tournée de plus en plus vers la recherche et l'exploitation des métaux précieux. Les gens valides du pays désertent les ateliers et les champs pour se rendre aux placers, encore leur nombre est-il insuffisant. C'est en 1854 que l'or a été découvert à la Guyane. Une véritable lièvre dès ce m o ment s'est emparée des habitants. La Guyane alors a cessé d'être une colonie de plantation, on y a abandonné la culture pour se précipiter à la recherche de l'or, qui d'ailleurs a été funeste aux habitants en leur donnant moins de bien-être qu'ils n'en espéraient, et en leur inspirant des habitudes de paresse et l'âpre désir d'une oisiveté fruit de gains rapides obtenus par un minimum d'effort. 5 3 . Pour reconstituer la colonie, la remettre dans la voie de la culture, et la ramener à l'exploitation normale de ses richesses naturelles si considérables, il lui faudrait des é l é ments de travail que sa population ne peut plus lui fournir. Nous sommes ainsi conduits à rechercher quel concours, à défaut de la main-d'œuvre servile, que l'on ne saurait r e gretter, la main-d'œuvre pénale serait susceptible de lui apporter. Nous avons donc à envisager la Guyane en tant que colonie pénitentiaire. Le problème est ainsi posé par M. Leveillé : Les lois de 1850, de 1854, de 1885 ont-elles créé des convicts utilisables dans nos possessions d'outre-mer? La peine de la déportation a été réglée par la loi du 8 juin 1850. Elle concerne les condamnés politiques : ils devaient subir leur peine à Noukahiva l'une des îles Marquises (art. 5), sauf au gouvernement à déterminer en quels autres lieux la déportation pourrait aussi être subie (art. 7). En fait, nous n'avons jamais colonisé, nous ne coloniserons jamais avec des déportés. Ils ne sont pas obligés au travail, ils gardent l'esprit de retour. Les déportés n'ont jamais été pour la Guyane et la Nouvelle-Calédonie que des hôtes de passage.


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5 4 . On p e u t , au contraire, coloniser avec des condamnés de droit commun. La loi du 30 mai 1854 l'a ainsi entendu. Elle porte : art. I : La peine des travaux forcés sera subie à l'avenir dans des établissements créés par décrets sur le territoire d'une ou plusieurs possessions françaises, autres que l'Algérie; — art. 2 : Les condamnés seront employés aux travaux les plus pénibles de la colonisation, et à tous autres travaux d'utilité p u b l i q u e ; — art. 6 : Tout individu condamné à moins de huit années de travaux forcés sera tenu, à l'expiration de sa peine, de résider dans la colonie pendant u n temps égal à la durée de sa condamnation. — Si la peine est de huit années, il sera tenu d'y résider pendant toute sa vie; — art. 11 : Les condamnés des deux sexes qui se seront rendus dignes d'indulgence par leur bonne conduite... pourront obtenir : 1° l'autorisation de travailler aux conditions déterminées par l'administration, soit pour les habitants de la colonie, soit pour les administrations locales; 2° une concession de t e r r a i n s , et la faculté de le cultiver pour leur compte, etc. Cette loi avait été précédée d'un essai de transportation des forçats à la Guyane, offerte comme une faveur aux condamnés pendant le cours de leur peine (L. du 20 févr. 1852). 3,000 avaient accepté. A partir de 1854 la transportation devint un régime pénal habituel pour les forçats. Ce système a obtenu l'approbation complète de M. Leveillé, Il en est autrement de la relégation organisée par la loi de 1885, ainsi que nous le verrons. 5 5 . Néanmoins quels résultats a donnés le système de transportation créé par la loi de 1854 ? Pendant plusieurs années l'application en a été faite sans méthode. A leur arrivée on déposait les forçais dans les îles du Salut, puis on les évacuait en divers points du territoire, mais avec si peu de sévérité que quelques-uns résidaient à Cayenne et y étaient employés comme ouvriers, domestiques, ou même y tenaient boutique. Peut-être était-ce un bien d'en faire immédiatee r


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ment des travailleurs productifs, mais il ne fallait pas trop se hâter de leur donner ce rôle. S u r les plaintes de la m u n i cipalité de Cayenne on prit des m e s u r e s plus s é v è r e s , m a i s non moins improvisées. En 1 8 6 0 , une organisation plus méthodique s e m b l a devoir être a p p l i q u é e . On a s s i g n a aux forçats u n territoire d é t e r miné (entre la Mana et le Maroni) et on essaya de les m o r a liser par la famille et la p r o p r i é t é . P u i s tout à c o u p , par u n de ces exemples d'instabilité dont l'administration a été si souvent coutumière en matière de colonisation, il fut décidé (1867) qu'on ne transporterait plus à la Guyane q u e les c o n damnés noirs ou arabes, parce q u e leur t e m p é r a m e n t s ' a c commodait m i e u x au climat. Les c o n d a m n é s blancs furent dès celte é p o q u e dirigés sur la Nouvelle-Calédonie. Nous e x a m i nerons p l u s loin leur situation dans cette île, mais on sait q u e le séjour « à la nouvelle » est devenu un attrait p o u r les crimininels q u i , s o u v e n t , se font c o n d a m n e r aux t r a v a u x forcés préférablement à la réclusion p o u r y être envoyés. 5 6 . L a loi du 27 mai 1885 a créé u n e a u t r e classe de c o n victs susceptibles d'être envoyés dans les possessions lointaines. Ce sont les récidivistes frappés de relégation suivant qu'ils ont subi d e u x , t r o i s , q u a t r e , ou sept c o n d a m n a t i o n s dont les caractères sont d é t e r m i n é s par la loi. M. G a r r a u d , dans son Traité théorique et pratique du droit pénal français en a tracé (t. I I , p . 254) u n tableau synoptique t r è s s a i s i s sant. M. Leveillé critique a b s o l u m e n t ce nouveau s y s t è m e . S u i vant l u i , il était facile de régler la situation des récidivistes de profession. « Il fallait : 1° décréter contre ces incorrigibles une peine u n i q u e d'une force et d ' u n e souplesse é p r o u v é e s : la servitude pénale a n g l a i s e , et 2° t e m p é r e r la servitude pénale par la mise en liberté conditionnelle. » Ce n'est pas ce q u ' o n a fait, et sans n o u s étendre s u r d i verses modifications apportées au projet de loi primitif, soit sur les observations de M. L e v e i l l é , soit s u r l'intervention de


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M. le sénateur Bérenger, nous constatons que par les textes combinés des lois des 27 mai et 14 août 1885, et d'un règlement du mois de novembre suivant, ce n'est pas la masse des repris de justice qui par la relégation est versée dans la Guyane ou en Calédonie, ce qui y eût empêché toute colonisation libre, mais un nombre plus restreint, et que ceux qui n'auraient pas des moyens d'existence dûment constatés sont astreints au cantonnement, au travail et à des juridictions spéciales. Ce qui est évidemment le sort de la majorité. Il y aurait donc des moyens d'utilisation simultanée du travail des forçats et de celui des récidivistes relégués. Nous indiquerons tout à l'heure quelles règles et quelles distinctions pourraient leur être appliquées. Mais en thèse générale au point de vue du travail pénitentiaire qu'on peut obtenir des condamnés dans nos colonies, M. Leveillé donne les conclusions suivantes : « nous avons, d i t - i l , trois peines qui se subissent dans nos possessions d'outre-mer, la déportation de la loi de 1 8 5 0 , la transportation de la loi de 1 8 5 4 , la relégation de la loi de 1885. C'est trop de deux. La déportation est une peine coûteuse et inféconde qu'il faudrait abolir. Il y aurait lieu également de supprimer la relégation... qui ne se distingue plus en dernière analyse que par l'étiquette... Nous ne devrions conserver que la transportation q u i , seule, est un type net, franc et bien combiné. Mais la transportation ne devrait atteindre que les récidivistes d'habitude. L'expatriation est excessive quand on l'inflige à des hommes condamnés pour une première faute aux travaux forcés. Ces débutants devraient être envoyés à la maison centrale; je ne voudrais chasser de France que les repris de justice ayant déjà supporté autrefois la prison, et ne s'y étant pas amendés. En un mot, je ne maintiendrais que la peine créée par la loi de 1854, mais je la réserverais aux malfaiteurs de profession qu'a visés le législateur de 1885. » C'est un remaniement de notre législation pénale que demande M. Leveillé. Quelque bien fondés que soient ses


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motifs on p e u t douter q u e le législateur se prête à modifier la législation très récente de 1 8 8 5 . Mais nous verrons q u e le but que M. Leveillé se propose au point de vue de la colonisation pénale à la G u y a n e , en y affectant les c o n d a m n é s les plus endurcis peut être atteint p a r u n e simple modification dans le choix des sujets qui y seraient dirigés. 5 7 . En fait, M. Leveillé constate et déplore les r é s u l t a t s actuellement o b t e n u s . Le véritable centre p é n i t e n t i a i r e de la Guyane S a i n t - L a u r e n t , au M a r o n i , est u n e sorte de cité ouvrière où le convict a p p r e n d u n métier s'il en a le g o û t , ou l'agriculture coloniale s'il le p r é f è r e , or, d a n s u n cas comme dans l ' a u t r e les c o n d a m n é s ne fournissent q u ' u n travail insuffisant, e t , suivant l'éminent c r i m i n a l i s t e , ce fait s'explique par les causes suivantes : 1° La mutation trop fréquente des g o u v e r n e u r s , dont l'administration présente une versabilité attestée p a r les m e s u r e s les plus c o n t r a d i c t o i r e s , dont l ' a u t e u r donne d e s exemples. Il convient q u e en Guyane et en C a l é d o n i e , « les g o u v e r n e u r s ne soient p l u s des nomades q u i passent m a i s des fonctionnairesqui d u r e n t , et qui se c o n s a c r e n t , p o u r p l u s de v i n g t quatre mois, à l'avancement et à la solution progressive des question p é n a l e s . » 5 8 . 2° L'adoucissement général et systématique de la peine au profit de tous les c o n d a m n é s . L a peine de la transportation a été vis-à-vis de tous les c o n d a m n é s bons ou m a u v a i s amollie jusqu'à l'excès. Elle constitue u n e véritable retraite a u x t r a vailleurs privilégiés du c r i m e . Ils ont l'habillement, le l o g e ment, la n o u r r i r u r e , et cette existence étroite p e u t - ê t r e , mais paisible ne leur impose q u ' u n e fatigue l é g è r e . M. Leveillé en donne des e x e m p l e s saisissants. Il voudrait qu'on ne leur assurât q u e le p a i n , et q u e s'ils veulent du v i n , de la viande, des l é g u m e s , ils achètent ces s u p p l é m e n t s par u n e dépense effective de travail. 3° En G u y a n e , u n e troisième cause explique l'affaissement des établissements pénitentiaires. C'est le décret de 1807, q u e


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nous avons signalé et en vertu duquel les condamnés européens sont dirigés sur la Calédonie, tandis que la Guyane ne reçoit plus, en principe q u e des Arabes ou quelques noirs. Depuis lors la valeur technique du personnel a baissé d'une façon incroyable. Les Arabes peuvent bien planter ou couper la c a n n e , mais ils ne sont ni m a ç o n s , ni menuisiers, ni peintres, ni s e r r u r i e r s , ni mécaniciens. Il en résulte que les ouvriers d'art font défaut. « Les fonctionnaires qui ont vu le décret de 1867 porter de tels fruits, ont proposé qu'il fût abrogé, et que la métropole reprît aussitôt que possible l'envoi des forçais blancs en Guyane. » 5 9 . 4° La tentative de constituer la famille en mariant les forçats n'a pas réussi. Pourquoi? parce que pour faciliter les mariages des condamnés, on a songé à les pourvoir de femmes prises parmi les condamnées aux travaux forcés, ou parmi celles qui subissent la réclusion dans des maisons centrales de France. Tristes unions pour les é p o u x , et pour les enfants qui en naissent. M. Leveillé préférerait qu'on essayât de marier les forçats qui se conduiraient bien avec des filles indigènes qu'on trouverait en nombre et presque sur place. « La tare originelle n'existerait plus chez les ascendants que d'un côté; et les enfants viendraient au monde plus robustes et d'un acclimatement plus facile. » 6 0 . Les vues de M. P. Leroy-Beaulieu se rapprochent par plus d'un point de celles de M. Leveillé. Il voudrait que forçats ou relégués envoyés à la Guyane fussent choisis parmi les plus coupables, dont la criminalité est plus grave, plus invétérée, et que les récidivistes d'une culpabilité moindre fussent dirigés dans les colonies pénitentiaires dont le climat est plus favorable, comme dans la Nouvelle-Calédonie, les Nouvelles-Hébrides, ou encore sur certains points du Congo. Il insiste aussi sur la nécessité de marier les condamnés, non pas qu'il soit désirable qu'ils fassent souche d'une progéniture n o m b r e u s e ; cependant il ne faut pas oublier que l'Australie, jadis inhabitée, doit à ce régime une partie de la


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LA G U Y A N E .

population a u j o u r d ' h u i exempte de souillure, qui a c o n t r i b u é à sa prospérité. 6 1 . M. P . Leroy-Beaulieu voudrait a u s s i , comme M. L e veillé, q u e les t r a n s p o r t é s fussent employés à des travaux utiles ; c'est par eux q u e devront être opérés ces défrichements, ces c h e m i n s , ces voies de communications d i v e r s e s , s a n s lesquelles ces i m m e n s e s territoires resteraient à j a m a i s sans valeur. Voilà la méthode q u e l'expérience r e c o m m a n d e . P r a tiquée avec persévérance p e n d a n t u n demi-siècle elle a b o u t i r a à la formation d ' u n e société e u r o p é e n n e et française, et lorsqu'après cinquante ou cent ans la Guyane partout percée de roules a u r a r e n d u ses forêts p é n é t r a b l e s , mis ses territoires en culture r é g u l i è r e et p r a t i q u é l'élevage du bétail, elle réalisera la parole de Malouet qu'elle « devrait à elle seule n o u r r i r la mère-patrie. » 6 2 . En attendant q u e se réalise celte perspective lointaine, voici la législation actuelle qui se réfère à la Guyane en tant que colonie pénitentiaire : Deux décrets des 17 avril 1 8 7 8 , et 1 février 1 8 7 9 , y ont organisé l'administration pénitentiaire. Le directeur n o m m é par le chef de l'État devient m e m b r e du Conseil p r i v é ; il prend r a n g a p r è s le chef du service j u d i c i a i r e . Il soumet tous projets d'arrêtés et règlements au g o u v e r n e u r , p r e n d les mesures relatives à l'organisation du t r a v a i l , au service r e l i gieux, à l'instruction des c o n d a m n é s . Il a d a n s ses a t t r i b u t i o n s les propositions q u i ont p o u r objet les autorisations de séjour hors du lieu de la transportation, les concessions de t e r r a i n s , les engagements de travail d a n s les ateliers publics ou chez les h a b i t a n t s , l'initiative des travaux de toutes s o r t e s , la répartition et l'emploi des condamnés s u r les divers établissements, etc. e r

Le directeur a ainsi u n e mission très a m p l e , et q u i , bien entendue et bien e x é c u t é e , pourrait donner satisfaction à plusieurs des vœux q u e n o u s avons exposés. Il est secondé par un personnel qui ne serait pas trop nom-


234

LIVRE X . COLONISATION F R A N Ç A I S E AU X I X

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SIÈCLE.

breux si ses fonctions diverses sont exactement remplies (V. le décret du 1 févr. 1879). Le service des cultures est placé sous la direction d'un agent générai pourvu d'auxiliaires, les travaux pénitentiaires, d'utilité publique sous ceux d'un ingénieur ou conducteur nommé par le m i n i s t r e ; le service religieux est confié à des aumôniers dont le traitement est fixé par le m i n i s t r e , et le service médical et pharmaceutique à des médecins et pharmaciens du corps de la m a r i n e . 6 3 . La police judiciaire a reçu un complément d'organisation par un décret du 5 septembre 1889, qui modifie l'article 9 du Gode d'instruction criminelle (Dalloz, 90. 4. 99). Une mesure d'une portée plus générale est celle qui a été édictée par un décret des 16-19 novembre 1889 (Dalloz, 90. 4, p . 102), aux termes duquel la désignation de la colonie pénitentiaire dans laquelle sera envoyé chaque condamné aux travaux forcés sera faite par décision du sous-secrétaire d'État des colonies, après avis de la commission permanente du régime pénitentiaire. Les vœux exprimés par MM. Leveillé et P . Leroy-Beaulieu, relativement à l'envoi de condamnés blancs à la Guyane, pourraient donc recevoir satisfaction. Il dépend du ministre des colonies, institué en remplacement du sous-secrétaire d'État, de modifier ainsi la translation si regrettable à la NouvelleCalédonie de condamnés dont les travaux pourraient bien plus utilement être employés à la G u y a n e . Enfin nous signalons les décrets des 31 décembre 1889 et 25 février 1890, qui ont institué les tribunaux maritimes spéciaux pour la répression des crimes ou délits commis par les condamnés aux travaux forcés, ainsi q u e les peines qui leur sont appliquées (V. Dalloz, 1890, 4, p . 96 et 101). e r


235

LIVRE XL COLONIES D ' A F R I Q U E .

CHAPITRE

PREMIER

L'EUROPE EN AFRIQUE.

1. Aperçu général. 2. Conférence d e B e r l i n . — C o n v e n t i o n i n t e r n a t i o n a l e du 26 février 1 8 8 3 . — Constitution d e l ' É t a t i n d é p e n d a n t d u C o n g o . Acte de navigation c o n c e r n a n t le N i g e r . 4. Convention de 1890. — D o c t r i n e d e l ' H i n t e r l a n d o u a r r i è r e - p a y s . 5. Convention a n g l o - f r a n ç a i s e du 5 a o û t 1 8 9 0 . — S i t u a t i o n de la F r a n c e en Afrique.

1. L'Afrique devient pour l ' E u r o p e , à la fin du xix siècle, un Nouveau-Monde ouvert à toutes les entreprises et à toutes les ambitions. Il y a vingt-cinq a n s , la F r a n c e , l ' A n g l e t e r r e , le Portugal et l'Espagne, vieilles nations coloniales, étaient seules établies sur les rivages du continent noir. Des événements, datant du dernier quart de ce siècle, ont créé u n besoin universel de colonisation au cœur m ê m e de l'Afrique. Avant 1870, on ne voyait la colonisation, en A f r i q u e , q u e Par la France dans l'Algérie et par l'Angleterre au Gap. Cependant, des voyageurs visitaient d ' i m m e n s e s régions inconnues : le docteur Livingstone m o u r a n t dans u n misérable village noir, p u i s S t a n l e y , Savorgnan de Rrazza, le e


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LIVRE X I . COLONIES D ' A F R I Q U E .

docteur Nachtigal. Mais l'occupation de l'Égypte par l'Ang l e t e r r e , le d é b a r q u e m e n t des Italiens à M a s s a o u a h , l'établissement du protectorat de la F r a n c e en T u n i s i e , les b r u s q u e s résolutions de M. de Bismarck de donner, dans cet é l a n , une part à l ' A l l e m a g n e , a l l u m è r e n t partout une fièvre de colonisation africaine. En 1 8 8 4 , se posa la « question du Congo » résultant de trois r i v a l i t é s , celle de la F r a n c e , maîtresse du Gabon et de l'OgOwé, du P o r t u g a l , maître de la province d'Angola, de l'association internationale africaine, société géographique et commerciale dirigée par le roi des B e l g e s , ayant Stanley à son service, établie s u r le Bas-Congo. Toutes trois élevèrent des prétentions s u r l'immense région arrosée par ce fleuve et ses affluents. Les puissances furent convoquées à Berlin à une conférence s u r les questions coloniales. Déjà les ÉtatsUnis avaient reconnu le drapeau de l'association internationale. Il fut successivement reconnu de novembre 1884 à février 1885 par l'Allemagne, l'Angleterre, l'Italie, l'AutricheH o n g r i e , les P a y s - B a s , l ' E s p a g n e , la F r a n c e , le Portugal. Ces deux dernières nations s i g n è r e n t , en même t e m p s , des conventions de délimitation avec l'association, qui devint un état assez fictif, mais s'affirmant devant l'Europe sous le nom d ' « État indépendant du Congo. » 2 . La conférence de Berlin aboutit à un « acte général » signé le 26 février 1885 (V. le texte très é t e n d u , d a n s le Traité de droit international public de P r a d i e r - F o d é r é , t. V, n° 2550) Nous en indiquerons seulement les clauses essentielles. Il dispose q u e le commerce de toutes les nations jouira d'une complète liberté dans le bassin du Congo et de ses affluents, ainsi q u e dans les zones voisines (l'une s'étendant sur l'Océan A t l a n t i q u e , l'autre se prolongeant à l'est du bassin du Congo j u s q u ' à l'Océan I n d i e n ) . Tous les pavillons, sans distinction de nationalité, y a u r o n t libre a c c è s , ainsi q u ' à tous les canaux qui seraient creusés entre les cours d'eau et les lacs. Ils p o u r r o n t e n t r e p r e n d r e tout transport de


L EUROPE

EN

AFRIQUE.

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voyageurs et de marchandises. Les puissances n'y concéderont aucun monopole commercial. Les é t r a n g e r s y jouiront indistinctement, pour leur p e r s o n n e , leurs b i e n s , l'exercice,de que les nationaux. Il ne sera concédé a u c u n privilège de n a vigation soit à des sociétés ou c o r p o r a t i o n s , soit à des p a r t i culiers (art. 1, 2, 5, 13). La navigation ne sera grevée d ' a u c u n droit, d ' a u c u n p é a g e . Les taxes ou droits q u i a u r o n t le caractère de rétribution pour services r e n d u s à la navigation p o u r r o n t seuls être perçus. Les r o u t e s , chemins de fer ou canaux latéraux qui seraient établis pour suppléer à l'insuffisance des voies fluviales seront également ouverts au commerce de toutes les nations. Il n'y sera perçu q u e les péages calculés s u r les dépenses de construction et d'entretien (art. 14, 15 et 16). Enfin, il est institué u n e Commission internationale c h a r g é e d'assurer l'exécution des dispositions dudit acte de navigation. Elle a en outre été investie d ' u n m a n d a t , a u q u e l la n a t u r e propre de ses fonctions ne l'appelait à a u c u n t i t r e , mais q u e justifie l'absence de souverainetés civilisées dans la p l u s grande partie de son domaine territorial et d e s territoires voisins, c'est celui de surveiller, dans les États i n d i g è n e s , le maintien de la liberté c o m m e r c i a l e , de la liberté r e l i g i e u s e , ainsi que la protection des p o p u l a t i o n s , des missionnaires et des voyageurs. La souveraineté du nouvel État du Congo est r e c o n n u e , à titre personnel, au roi de B e l g i q u e , Léopold II. Cette c o n vention constitue une innovation s i n g u l i è r e , q u i donne la vie à un Etat n e u t r e , sans nationalité, relevant du roi des Belges sans appartenir à la B e l g i q u e . 3. La même convention du 26 février 1885 contient un acte de navigation concernant le Niger, avec cette différence que l'application des lois conventionnelles qui doivent y régir la navigation appartiendra exclusivement aux p u i s s a n c e s q u i acquis ou qui pourraient y a c q u é r i r des droits de s o u -


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L I V R E XI. COLONIES D ' A F R I Q U E .

veraineté, c'est-à-dire en l'état actuel à la France et à l'Angleterre (Voy. le Rapport de M. Engelhardt sur les travaux de la conf. de Berlin, cité par M. Pradier-Fodéré, p . 1119-1120 et publié en entier dans le Recueil des traités de la France de De Clercq, t. XIV, p . 465 et suiv.). 4 . Des conventions sont encore intervenues, en 1890, pour un tout autre objet. Il n e s'agit plus de limiter l'expansion des nations européennes en A l g é r i e , mais de partager d'immenses région, connues et inconnues. Elles ont été conclues entre l'Angleterre et l'Allemagne, 1 juillet 1 8 9 0 ; — l'Angleterre et la F r a n c e , 5 août 1 8 9 0 ; — l'Angleterre et le Portugal, 20 août 1890 ; — l'Angleterre et l'Italie, en novembre 1890. Chaque nation veut sa part dans le « nouveau monde africain. » Des régions même inexplorées, habitées par des indigènes qui n'ont jamais vu un b l a n c , sont attribuées et délimitées dans des réunions de diplomatie. Les chancelleries y proclament la doctrine de l'arrière-pays ou Hinterland. doctrine en vertu de laquelle une puissance européenne ayant une station s u r un point de la côte peut réclamer, au delà de cette station, toute la profondeur du continent, j u s q u ' a u point de rencontre avec la puissance qui aurait fondé une station semblable s u r le littoral opposé. Ces partages et ces doctrines remettent en mémoire la célèbre bulle du pape Alexandre U divisant le monde entre les Espagnols et les Portugais par une ligne de démarcation fictivement tracée entre leurs possessions 5 . Au lendemain, comme la veille de ces conventions, la France conserve en Afrique sa situation prépondérante. Elle reste la première parmi les six puissances qui se partagent Je continent noir. L'Angleterre (maîtresse de l ' I n d e , en Asie; du Canada, en A m é r i q u e ; de l'Australie, en Océanie) ne vient q u ' a p r è s nous sur la terre africaine. A la v é r i t é , ses colonies, ses protectorats, ses zones d'inlluence y représentent une superficie total supérieure à celle de nos possessions. e r


L ' E U R O P E EN AFRIQUE.

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Mais combien notre d o m a i n e est p l u s r i c h e ! Il c o m p r e n d , au nord, sur le g r a n d lac e u r o p é e n , l'Algérie et la T u n i s i e ; sur la côte occidentale, trois r i c h e s colonies de c o m m e r c e : le Sénégal, la p l u s a n c i e n n e , a g r a n d i e , d a n s ces dix d e r n i è r e s années du S o u d a n , p u i s du S a h a r a , extension nouvelle reconnue par la convention franco-anglaise du 5 a o û t 1890. Cette convention contient d e u x dispositions essentielles : 1° L ' A n gleterre reconnaît de n o u v e a u le protectorat de la F r a n c e s u r Madagascar; 2° la F r a n c e , en t a n t q u e m a î t r e s s e de l ' A l g é r i e , de la Tunisie, du S é n é g a l et d u bas N i g e r , et l'Angleterre en tant que maîtresse de la colonie de L a g o s et du moyen N i g e r , s'appliquant m u t u e l l e m e n t la nouvelle doctrine de l'Hinterland tracent, dans le bassin d u N i g e r , u n e ligne s é p a r a n t leurs deux « zones d'influence. » Cette ligne p a r t , t r a n s v e r s a l e m e n t , de la ville soudanaise le Saï, située au sud-est de T o m b o u c t o u , p o u r rejoindre Barna, sur le lac T c h a d . D'où il r é s u l t e q u ' a u - d e s s u s d ' e l l e , au nord, s'étend la zone d'influence française j u s q u ' à l'Algérie et la Tunisie, à t r a v e r s le pays des T o u a r e g s , e t , a u m i d i , la zone d'influence a n g l a i s e , se r a t t a c h a n t à sa colonie de L a g o s . Nos droits ainsi r e c o n n u s d e p u i s la M é d i t e r r a n é e , à t r a ders le S a h a r a et le p a y s des T o u a r e g s j u s q u ' a u S o u d a n et au Sénégal au midi et à l'ouest, et j u s q u ' à Say au midi, s ' é tendent en o u t r e j u s q u ' à la rive occidentale du lac T c h a d , à Lest. L'imagination se plaît à rêver r é t a b l i s s e m e n t d ' u n e voie ferrée reliant, d a n s l'avenir, la Méditerranée au lac T c h a d et au Niger, a b o u t i s s a n t par le D a h o m e y a u x rivages de l'Atlantique à Kotonou. Là nous a v o n s , en second l i e u , nos é t a b l i s s e m e n t s des rivières du S u d , et c e u x de la Côte-d'Or. E n f i n , u n e t r o i sième colonie, celle d u Gabon avec la vallée de l'Ogowé et le Congo français au s u d , r e m o n t a n t au n o r d - e s t bien a u - d e s s u s du Congo de l'association i n t e r n a t i o n a l e , l a i s s a n t , ou plutôt en serrant à l'ouest, e n t r e le D a h o m e y devenu f r a n ç a i s , la colonie anglaise de L a g o s et celle de C a m e r o u n , q u i a p p a r -


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L I V R E X I . COLONIES D ' A F R I Q U E .

tient aux allemands. (Rien ne p e u t mieux en donner l'idée que la carte en couleurs publiée par le Petit Journal du 5 mars 1894.)

CHAPITRE

II.

L'ALGÉRIE.

6. § I . Conquête de l'Algérie. — Son o r i g i n e . — Son c a r a c t è r e . 7. Difficultés q u e p r é s e n t a i t la colonisation a l g é r i e n n e . — Aperçu des p h a s e s de la c o n q u ê t e . 8. § II. Population de l'Algérie. — S e s é l é m e n t s . 9. É l é m e n t s a p p o r t é s p a r la F r a n c e . — I n c e r t i t u d e et contradiction d a n s la politique r e l a t i v e à l ' é m i g r a t i o n . 10. L ' é m i g r a t i o n s p o n t a n é e . — Sa s u p é r i o r i t é . 11. L ' é m i g r a t i o n officielle. — Loi du 19 s e p t e m b r e 1848. — Ses tristes résultats. 12. Objection c o n t r e l'immigration t i r é e d e la m o r t a l i t é d e s Européens en Algérie. 13. Inégalité d'acclimatation d e s différentes r a c e s e u r o p é e n n e s . — Natalité des colons français en A l g é r i e bien s u p é r i e u r e à celle des habit a n t s d e la F r a n c e . 14. De l'équilibre à établir e n t r e les i m m i g r a n t s f r a n ç a i s , les immigrants é t r a n g e r s et les i s r a ë l i t e s f r a n c i s é s . — Influence s u r les étrangers d e la n a t u r a l i s a t i o n , d e s m a r i a g e s m i x t e s , d e l'école et d u culte. 15. S u p é r i o r i t é au point de v u e de la c o l o n i s a t i o n d e s colons français sur les é t r a n g e r s . 16. S u p é r i o r i t é n u m é r i q u e d e s colons f r a n ç a i s . 17. E x t e n s i o n n u m é r i q u e d e s m u s u l m a n s . — Comment en conjurer les effets? 18. § I I I . Le régime des terres. — C a r a c t è r e mixte d e l'Algérie. — Nécessité de l ' a p p r o p r i a t i o n du sol. 19. Moyens d ' a p p r o p r i a t i o n v i s - à - v i s d e s i n d i g è n e s . — Cantonnement ou achat. 20. V i s - à - v i s d e s c o l o n s . — S y s t è m e d e c o n c e s s i o n s g r a t u i t e s . — Leur caractère précaire. 2 1 . A u t r e s c a u s e s de p r é c a r i t é . Cinq s o r t e s d e p r o p r i é t é s chez les indigènes.


L'ALGÉRIE.

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22. Ordonnances d e 1844 et 1846 p o u r s o u s t r a i r e la p r o p r i é t é a u x c a u s e s d'éviction. — L o i d e 1845 et o r d o n n a n c e d e 1847 s u r l e s c o n c e s sions. 23. Décret du 15 j u i l l e t 1860 s u b s t i t u a n t la v e n t e d e s t e r r e s a u x c o n c e s sions g r a t u i t e s . — Difficultés p r o v e n a n t d e l ' i n c e r t i t u d e d e s d r o i t s des t r i b u s s u r les t e r r e s d o n t e l l e s j o u i s s a i e n t . 24. S é n a t u s - c o n s u l t e d u 22 a v r i l 1 8 6 3 , q u i d é c l a r e les t r i b u s p r o p r i é t a i r e s des t e r r a i n s d o n t elles j o u i s s e n t et o r d o n n e la d é l i m i t a t i o n d e s propriétés. 25. Législation s p é c i a l e d e s t i n é e à faciliter c e t t e d é l i m i t a t i o n . — L o i d u 26 juillet 1873 q u i p l a c e la p r o p r i é t é a r a b e s o u s le r é g i m e d e l a loi française. — L o i d u 2 3 m a r s 1882 s u r l ' é t a t civil d e s i n d i g è n e s . 25 bis. Lois c o m p l é m e n t a i r e s d e 1887 et 1890 s u r la d é l i m i t a t i o n d e s p r o priétés i n d i g è n e s . 26. Décret du 19 d é c e m b r e 1887 s u r l e b o r n a g e d e la p r o p r i é t é d e s t r i b u s et des d o u a r s . 27. Formalités d e d é l i m i t a t i o n d e s p r o p r i é t é s p r i v é e s . — Difficultés p r o venant d e l ' i n d i v i s i o n d a n s les familles a r a b e s . 28. La t r a n s m i s s i o n d e p r o p r i é t é s entre vifs c h e z les i n d i g è n e s , e s t r é g i e par la loi f r a n ç a i s e . — L a t r a n s m i s s i o n s u c c e s s o r a l e r e s t e s o u m i s e à la loi m u s u l m a n e . — D r o i t s d e s t i e r s . — L e cheffa à ou r e t r a i t successoral. Transmission d e la p r o p r i é t é privée p a r les i n d i g è n e s a u x Européens. 30. Transmission a u x Européens d e p a r c e l l e s p r i s e s s u r l e s p r o p r i é t é s collectives. 31. De la c e s s a t i o n d e l ' i n d i v i s i o n d a n s l a famille a r a b e . — D u p a r t a g e a m i a b l e , j u d i c i a i r e , et de la l i c i t a t i o n . — A v a n c e s d e s frais p a r l'État. 31. bis. Nouveau p r o j e t d e loi v o t é p a r le S é n a t . 32. Cette législation t e n d à faciliter la c o l o n i s a t i o n p a r l ' i n i t i a t i v e p r i v é e . — Mais l ' a d m i n i s t r a t i o n n e r e n o n c e p a s à la c o l o n i s a t i o n officielle. — Création a d m i n i s t r a t i v e d e v i l l a g e s . 33. Essai de c o l o n i s a t i o n officielle a p r è s l ' i n s u r r e c t i o n d e 1 8 7 1 . — C o n c e s sions g r a t u i t e s a u x a l s a c i e n s - l o r r a i n s . — R é s u l t a t s s t é r i l e s . 34. Autres e s s a i s d e c o n c e s s i o n s . — T r a p p i s t e s d e S t a o u ë l i . — C a r a c t è r e exceptionnel. — Concessions à d e s sociétés. 35.Conclusion.— L ' i n i t i a t i v e p r i v é e , les a c h a t s d i r e c t s d e t e r r e a u x i n d i g è n e s , s o n t l e s m e i l l e u r s m o y e n s d e c o l o n i s a t i o n et d e c u l t u r e . 36. § IV. Organisation judiciaire. — Nécessité d'une double organisation judiciaire : française et m u s u l m a n e . — P r e m i è r e o r g a n i s a t i o n d e t r i b u n a u x français. 37. Organisation j u d i c i a i r e française actuelle. — Juridictions civiles : 14


242

38. 39. 40. 41.

LIVRE XI. COLONIES

D'AFRIQUE.

j u s t i c e s d e p a i x . — E x t e n s i o n d e c o m p é t e n c e . — T r i b u n a u x civils. — Cour d'appel d'Alger. A u x i l i a i r e s d e la j u s t i c e : — A v o c a t s . — A v o u é s . — C u r a t e u r s aux successions vacantes. — Huissiers. — Interprètes. Tribunaux de commerce. J u r i d i c t i o n s r é p r e s s i v e s . — S i m p l e p o l i c e . — T r i b u n a u x correctionnels. — Cours d'assises. — Compétence vis-à-vis les musulmans. Tribunaux musulmans. — P r e m i è r e o r g a n i s a t i o n . — C a d i s . — Mid-

gelès. 4 2 . N o u v e l l e o r g a n i s a t i o n . — D é c r e t s d e 1 8 5 9 e t 1 8 6 6 . — Question c i v i l e s c o m m e r c i a l e s e t d ' É t a t , d é f é r é e s a u c a d i . — Option offerte a u x i n d i g è n e s . — L i t i g e s d é f é r é s p a r e u x à l a j u s t i c e française. 4 3 . S u r v e i l l a n c e e x e r c é e s u r la j u s t i c e m u s u l m a n e . — P e r s o n n e l des cadis. — Rôle des midgelès. 4 4 . A p p e l d e l e u r s s e n t e n c e s d e v a n t l e s t r i b u n a u x civils français, ou d e v a n t la C o u r d ' A l g e r . — A d j o n c t i o n s d ' a s s e s s e u r s musulmans. 4 5 . C a s d e r é f é r é au Conseil de droit musulman. 4 6 . P r o c é d u r e d e v a n t les c a d i s . — L e u r s f o n c t i o n s e x t r a - j u d i c i a i r e s . 4 7 . M o d i f i c a t i o n s p r o p o s é e s p o u r l ' e x t e n s i o n d e l a j u s t i c e française. — Diminution du nombre des cadis. 4 8 . R é d u c t i o n d e l e u r s a t t r i b u t i o n s p a r s u i t e d e l a loi d u 26 j u i l l e t 1873. — Réduction du nombre des assesseurs m u s u l m a n s . 4 9 . Code de l'indigénat. — E n q u o i il c o n s i s t e . — Son c a r a c t è r e exorbitant. 5 0 . § V . Régime commercial. — P h a s e s p r i m i t i v e s . — O r d o n n a n c e s de 1835 et 1843. — Résistances parlementaires. 5 1 . Loi d u 11 j a n v i e r 1 8 5 1 . — A s s i m i l a t i o n d e s p r o d u i t s a l g é r i e n s aux p r o d u i t s m é t r o p o l i t a i n s . — H e u r e u x r é s u l t a t s . — L o i d u 17 juillet 1867. 5 2 . É t a b l i s s e m e n t d ' u n octroi de mer p u r e m e n t fiscal. — S e s avantages réels. 5 3 . L e m o u v e m e n t c o m m e r c i a l d e l ' A l g é r i e d e p u i s 1 8 6 4 . — Supériorité nécessaire des importations. 5 4 . L o i d u 11 j a n v i e r 1892 s u r le r é g i m e d o u a n i e r m é t r o p o l i t a i n . Dispositions concernant l'Algérie. 5 5 . § V I . Régime financier. — L ' i m p ô t foncier e n A l g é r i e . — Loi du 23 d é c e m b r e 1 8 8 4 . — I m p ô t s u r la p r o p r i é t é b â t i e . 5 6 . A b s e n c e d ' i m p ô t foncier s u r le s o l . — M o t i f s d e c e t t e immunité. Jusqu'à quand doit-elle s u b s i s t e r ? 5 7 . I m p ô t s i n d i r e c t s . — D r o i t s d ' e n r e g i s t r e m e n t , d e m u t a t i o n s , etc. — Immunité des mutations par décès. 5 8 . L ' i m p ô t a r a b e . — Q u a t r e s o r t e s d e c o n t r i b u t i o n s . — L e u r ancienneté — P e r c e p t i o n p a r l e s c a ï d s . — Effets d e l ' i m p ô t a r a b e .


L ' A L G É R I E .

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39. Le b u d g e t de l ' A l g é r i e . — A p e r ç u d e s r e c e t t e s et d e s d é p e n s e s . Excédent d e s d é p e n s e s . — E v a l u a t i o n d e ce q u e l ' A l g é r i e c o û t e annuellement à la F r a n c e . — Situation a p p a r e n t e . 61. Situation r é e l l e . — A v a n t a g e s m a t é r i e l s et m o r a u x q u i c o m p e n s e n t l ' e x c é d e n t d e s d é p e n s e s s u r l e s r e c e t t e s d a n s le b u d g e t a n n u e l . — Comment l ' A l g é r i e e s t u n e bonne affaire p o u r la F r a n c e . 62. Opinion et v œ u x d e M . P . L e r o y - B e a u l i e u . 63. § VII. Le crédit en Algérie. — E x e m p l e d o n n é p a r l e s A n g l a i s et l e s Américains. 64. Loi du 4 a o û t 1 8 5 1 . — B a n q u e d ' A l g é r i e . — M a g a s i n s g é n é r a u x . — Crédit foncier a l g é r i e n , e t c . 65. §. VIII. Le gouvernement de l'Algérie. — Difficultés d u p r o b l è m e . — Phases d i v e r s e s . — Ordonnance de 1834. — Institution d'un g o u verneur g é n é r a l . 66. Ordonnance d e 1 8 4 5 . — Division d e l ' A l g é r i e e n t r o i s p r o v i n c e s , et en t e r r i t o i r e s m i l i t a i r e s , m i x t e e t a r a b e . — I n s t i t u t i o n d e s b u r e a u x arabes m i l i t a i r e s . 67. Constitution d u 4 n o v e m b r e 1848, t e n t a t i v e d ' a s s i m i l a t i o n d e l ' A l g é r i e à la m é t r o p o l e . 68. Décret d u 24 j u i n 1 8 5 8 . — I n s t i t u t i o n d"un m i n i s t è r e s p é c i a l d e l ' A l g é r i e . 69. Décrets de 1860 et 1 8 6 4 . — R é g i m e m i l i t a i r e . — S y s t è m e d u « R o y a u m e arabe. » 70. Transformation en 1 8 7 0 . — L ' A l g é r i e r e p r é s e n t é e a u P a r l e m e n t . — C o n s i d é r a t i o n s en f a v e u r d e l a s u p p r e s s i o n d e s b u r e a u x a r a b e s militaires. 71. Nomination d e g o u v e r n e u r s c i v i l s . — E v o l u t i o n v e r s u n e a s s i m i l a t i o n des i n d i g è n e s a u x n a t i o n a u x . 72. Organisation m u n i c i p a l e . — L o i d u 5 a v r i l 1 8 8 4 . — T r o i s c a t é g o r i e s de c o m m u n e s . — C o n d i t i o n d e l ' é l e c t o r a t m u n i c i p a l . 73. Conseils g é n é r a u x é l u s . — L e u r c o m p o s i t i o n . — D é c r e t s d e 1875 e t 1880. 74. Conseil s u p é r i e u r d e g o u v e r n e m e n t . 75. E p a n o u i s s e m e n t du r é g i m e civil. 76. Système d e s r a t t a c h e m e n t s . — D é c r e t s d u 26 a o û t 1 8 8 1 . — T o u s l e s services s o n t d i r e c t e m e n t r a t t a c h é s a u x d i v e r s m i n i s t è r e s . — Atteinte au p r e s t i g e e t à l ' a u t o r i t é d u g o u v e r n e u r g é n é r a l . Interpellation p a r l e m e n t a i r e d u m o i s d e m a r s 1 8 9 1 . — C o m m i s s i o n sénatoriale c h a r g é e d ' u n e e n q u ê t e . 78. R a p p o r t d e M . J u l e s F e r r y . — Motifs c o n t r e la t h é o r i e de l ' a s s i m i l a tion. 79. Caractère d u s y s t è m e d e s r a t t a c h e m e n t s . 80. Comment le r a p p o r t d u g o u v e r n e u r g é n é r a l A l b e r t G r é v y préparé les décrets d e 1881.

(1880) a


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LIVRE

XI.

COLONIES

D'AFRIQUE.

8 1 . Effets d u s y s t è m e d e s r a t t a c h e m e n t s d ' a p r è s le r a p p o r t d e M. Jules F e r r y . — C o n c l u s i o n s c o n t r e l ' a s s i m i l a t i o n . — P r o j e t d e réforme. 8 2 . D i s c u s s i o n d e v a n t le S é n a t . — V o t e d e confiance en faveur de M . C a m b o n , g o u v e r n e u r g é n é r a l . — C o n s é q u e n c e d e ce vote. — O p i n i o n s u r le c a r a c t è r e d e l ' a s s i m i l a t i o n à r é a l i s e r . 8 3 . R é f o r m e s r é c e m m e n t v o t é e s p a r l e S é n a t s u r le r é g i m e fiscal de l'Alg é r i e . — I n t r o d u c t i o n d e l'impôt foncier s u r l e s o l . — Modifications apportées aux impôts arabes. 8 4 . § I X . Le rôle de l'État et de l'administration. — L e s services publics. 85. L e service des forêts. — Mesures p r o p o s é e s . 8 6 . L e s e r v i c e d e s p o n t s et c h a u s s é e s . 87. L e s e r v i c e d e la t o p o g r a p h i e . 88. L a viabilité de l'Algérie. 89. L e s chemins d e fer. 9 0 . § X . La politique à suivre vis-à-vis des indigènes. — T r o i s systèmes. 9 1 . T e r g i v e r s a t i o n s i n é v i t a b l e s . — O r i e n t a t i o n v e r s le fusionnement. — C a r a c t è r e s n é c e s s a i r e s d e ce m o u v e m e n t . 9 2 . I l l u s i o n s s u r l a s o u m i s s i o n d e s i n d i g è n e s . — L e u r i n t é r ê t à rapproc h e r l e u r é t a t é c o n o m i q u e et s o c i a l d u n ô t r e . — P h y s i o n o m i e des Kabyles. 9 3 . Motifs é c o n o m i q u e s d e la p o l y g a m i e c h e z l e s a u t r e s i n d i g è n e s . — C o m m e n t elle p o u r r a i t s ' a t t é n u e r . 94. D e l ' é d u c a t i o n d e s i n d i g è n e s . — Effets i n a t t e n d u s . — Redoublement de leurs sentiments hostiles. 95. L e s établissements d'instruction d e s indigènes. 9 6 . L ' i n s t r u c t i o n p r i m a i r e o b l i g a t o i r e e n A l g é r i e . — L o i d u 20 octobre 1 8 8 0 . — D é c r e t s d e 1 8 8 6 , 1887. — R é s i s t a n c e d e s i n d i g è n e s . 97. E s s a i s en K a b y l i e . — O p i n i o n d e P a u l B e r t s u r l e s p r o g r a m m e s a suiv r e d a n s l'enseignement primaire. 9 8 . E n s e i g n e m e n t professionnel chez l e s i n d i g è n e s . 99. L ' e n s e i g n e m e n t c o n g r é g a n i s t e . — L ' œ u v r e d u c a r d i n a l L a v i g e r i e . — P è r e s b l a n c s et S œ u r s b l a n c h e s . 100. L ' i n s t r u c t i o n d e s c o l o n s f r a n ç a i s , s a p r o s p é r i t é . 1 0 1 . C o n c l u s i o n s : a u x é l é m e n t s d ' a s s i m i l a t i o n p r é c é d e m m e n t i n d i q u é s il faut j o i n d r e l a f o r c e .

6 . § I. Conquête de l'Algérie. — L a p l u s importante de nos possessions a f r i c a i n e s , l'Algérie tient u n e place à part dans l'histoire de la colonisation. On a dit q u e notre conquête algérienne a eu u n caractère exceptionnel et u n i q u e dans


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L ' A L G É R I E .

l'histoire en ce q u ' e l l e est n é e , s a n s p r é m é d i t a t i o n d ' u n e question de point d ' h o n n e u r n a t i o n a l . Gela est vrai si on ne tient compte q u e des circonstances d a n s l e s q u e l l e s n o t r e occupation s'est p r o d u i t e . Mais on peut dire q u ' e l l e était d a n s l'ordre des choses n a t u r e l l e s et d ' u n e prévision n é c e s s a i r e . Le commerce m a r i t i m e d a n s la M é d i t e r r a n é e n'avait cessé depuis des siècles d ' ê t r e i n q u i é t é p a r les corsaires a u x q u e l s Alger offrait u n a b r i s û r . D è s la fin d u x v i s i è c l e , la r é g e n c e d'Alger avait trouvé u n e force nouvelle d a n s le protectorat des Turcs, m a î t r e s de C o n s t a n t i n o p l e d e p u i s 1 4 5 3 . Vainement C h a r l e s - Q u i n t , en 1 5 4 1 , dom J u a n d ' A u t r i c h e , dans la glorieuse j o u r n é e de L é p a n t e en 1 5 7 1 , d o m S é b a s t i e n de Portugal d a n s son e n t r e p r i s e s u r le M a r o c , Louis X I V en 1684 et 1G87, et les E s p a g n o l s p l u s i e u r s fois a u siècle d e r nier, avaient tenté de d é t r u i r e la p i r a t e r i e a l g é r i e n n e . Alger était j u s q u ' e n 1830 le r e p a i r e de p i r a t e s dont le b r i gandage désolait la m a r i n e e u r o p é e n n e . P o u r y m e t t r e f i n , les Etats-Unis en 1 8 1 5 , l ' A n g l e t e r r e seule en 1 8 1 6 , p u i s alliée à la F r a n c e en 1819 avaient a t t a q u é Alger sans o b t e n i r de satisfaction décisive. La d e s t r u c t i o n de q u e l q u e s é t a b l i s sements c o m m e r c i a u x q u e n o u s avions élevés sur la côte d'Afrique d é t e r m i n a le g o u v e r n e m e n t français à d e m a n d e r une réparation a u dey d'Alger. Celui-ci r é p o n d i t par u n o u trage personnel à n o t r e r e p r é s e n t a n t . L e g o u v e r n e m e n t f r a n çais dut r é p r i m e r cette insolence. U n e flotte p o r t a n t des troupes de d é b a r q u e m e n t b o m b a r d a A l g e r q u i capitula le 5 juillet 1830. e

Dès le l e n d e m a i n , la colonie française était fondée en p r i n cipe par l'arrêté q u i déclarait : la p r i s e de possession civile, et la direction a d m i n i s t r a t i v e d u pays p a r l'autorité française. Mais, comme on l'a d i t , a p r è s n o u s être e m p a r é d ' A l g e r , nous avons dû y r e s t e r , m o i n s p a r u n besoin i m m é d i a t de colonisation q u e p a r la difficulté m ê m e de n o u s en r e t i r e r . Il faut voir les d é b u t s difficiles de n o t r e occupation d a n s l'étude de M. Camille Rousset : « C o m m e n c e m e n t s d ' u n e con14*


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L I V R E XI. C O L O N I E S D ' A F R I Q U E . e r

q u ê t e » (Revue des Deux-Mondes des 1 j a n v i e r , février, mars e t avril 1 8 8 5 ) . On s'y r e n d c o m p t e des difficultés de toute n a t u r e q u e n o t r e colonisation a l g é r i e n n e a r e n c o n t r é e s , soit d a n s le p a y s , soit de la p a r t de l a m é t r o p o l e . L e s Chambres f r a n ç a i s e s , p e n d a n t t o u t e la p r e m i è r e p a r t i e d u règne de L o u i s - P h i l i p p e se m o n t r a i e n t hostiles à l ' i d é e d ' u n e occupation définitive q u e b e a u c o u p d ' e s p r i t s s é r i e u x déconseillaient. C'est q u ' e n effet la F r a n c e se trouvait j e t é e s u r u n e terre déjà occupée et c u l t i v é e , d é f e n d u e p a r u n e p o p u l a t i o n nombreuse, g u e r r i è r e , o p i n i â t r e . Il fallait l u t t e r c o n t r e u n e race fixée au sol d e p u i s des siècles en possession d ' u n e civilisation spéciale, formant u n e société r é g u l i è r e , pleine de v i t a l i t é , soutenue p a r le fanatisme r e l i g i e u x . R i e n n e r e s s e m b l e ici à l'établiss e m e n t des E s p a g n o l s au Mexique et au P é r o u , et à celui des A n g l a i s d a n s l ' A m é r i q u e du N o r d . A ce p o i n t de v u e , notre c o n q u ê t e est u n fait s a n s p r é c é d e n t d a n s l ' h i s t o i r e . 7. Notre tâche se r é s u m a i t en ces t e r m e s : 1° fonder une colonie agricole d a n s u n pays déjà p o s s é d é et c u l t i v é ; 2° int r o d u i r e u n e p o p u l a t i o n e u r o p é e n n e suffisamment compacte a u sein d ' u n e population m u s u l m a n e q u ' o n n ' a v a i t ni le droit ni les m o y e n s d e faire d i s p a r a î t r e ou de r e f o u l e r ; 3° faire de ces deux é l é m e n t s si d i s s e m b l a b l e s u n e n s e m b l e régulier, c'était l à , c o m m e le fait r e m a r q u e r M. P . Leroy-Beaulieu ( p . 3 3 3 ) , le p l u s difficile p r o b l è m e q u e se fût encore posé la p o l i t i q u e coloniale des p e u p l e s m o d e r n e s . Nous n e p o u v o n s faire le récit de n o t r e c o n q u ê t e . Nous n o u s b o r n e r o n s à en r a p p e l e r les faits p r i n c i p a u x et des dates dont q u e l q u e s - u n e s sont g l o r i e u s e s : d é b a r q u e m e n t d'Alger, 14 j u i n 1 8 3 0 ; sa r e d d i t i o n , 5 j u i l l e t ; occupation d ' O r a n , 1831; p r i s e de la K a s b a ou citadelle de B ô n e , 1 8 3 2 ; de Mostaganem, 1 8 3 3 ; de T l e m c e n , 1 8 3 6 ; p r e m i è r e et i n f r u c t u e u s e expédition s u r C o n s l a n t i n e , 1 8 3 6 ; traité avec A b d e l - K a d e r q u i ne nous laisse g u è r e q u e le l i t t o r a l , 1 8 3 7 ; d e u x i è m e expédition et p r i s e de C o n s l a n t i n e , 1 8 3 7 ; p r i s e de M é d é a h , de Millianah, 1 8 4 0 ; i n s u r r e c t i o n de la province d ' O r a n , 1 8 4 2 ; prise de


L'ALGÉRIE.

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Biskra, 1844; victoire d'Isly s u r les M a r o c a i n s , 1 8 4 4 ; r e d d i tion d'Abdel-Kader, 22 décembre 1 8 4 7 ; prise de L a g h o u a t , 1852; expédition de K a b y l i e , 185G; sa soumission, 1857. I n surrection des provinces d'Alger, de Constantine, 1871 ; de la province d ' O r a n , 1 8 8 1 . Occupation du M ' z a b , 1 8 8 2 ; s o u m i s sion du Sahara a l g é r i e n , 1 8 8 5 . (L'exiguité d ' u n précis ne nous permet pas d ' e n t r e r d a n s les d é t a i l s , n o u s renvoyons nos lecteurs dans la France coloniale, publiée sous la direction de M. Alfred R a m b a u d , à la notice s u r l'Algérie de M. Pierre Foncin.) L a soumission matérielle de l'Algérie est un fait accompli, q u a n t à la conquête intellectuelle et morale des indigènes, elle est encore à faire. Elle seule fondera r é e l lement une F r a n c e nouvelle en Afrique. « Il s'agit de r é u s s i r là où Rome a échoué. » 8 . § II. La population de l'Algérie. — L a réussite se heurte aux conditions hétérogènes de la population. La race prédominante en Algérie est l ' a n t i q u e race b e r b è r e qui j u s qu'à ce jour a absorbé p r e s q u e en totalité ses c o n q u é r a n t s . Qu'y reste-t-il des P h é n i c i e n s , des C a r t h a g i n o i s , des Romains, des V a n d a l e s , des R y z a n t i n s ? T o u s les éléments étrangers introduits d a n s les p a r a g e s h a b i t é s p a r cette race primitive pendant l'antiquité et pendant les p r e m i e r s siècles du moyen âge ont d i s p a r u dans le s a n g b e r b è r e (V. Revue des Deux-Mondes des 15 j a n v . et 15 févr. 1 8 9 4 ; l'Afrique romaine, par Gaston Boissier). Les A r a b e s ont mieux résisté en apparence, leur langue est p r é p o n d é r a n t e , mais à elle seule elle ne constitue pas la race. Nous avons même c o n tribué à arabiser la Kabylie en y r é p a n d a n t la langue a r a b e . Nous avons d'ailleurs pris l'habitude d'appeler arabes tous les nomades a l g é r i e n s , dont les éléments étaient bien a n t é rieurs aux arabes p r o p r e m e n t dits. E n réalité la masse de la Population en Algérie peut se diviser en B e r b è r e s arabisés (2 millions environ) et en A r a b e s b e r b é r i s é s (800,000). L e s Maures, T u r c s , n è g r e s y sont r e p r é s e n t é s p a r des « é c h a n tillons » de p e u d ' i m p o r t a n c e , et q u i tendent à s'effacer. L e s


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juifs seuls non s e u l e m e n t se m a i n t i e n n e n t mais s'accroissent. Il faut donc considérer les i n d i g è n e s algériens comme form a n t u n e m ê m e r a c e , mais p r é s e n t a n t , suivant leur distribution g é o g r a p h i q u e , des m œ u r s et des institutions assez différentes. L a distinction p r a t i q u e à r e t e n i r c'est q u e les uns sont n o m a d e s , les a u t r e s sédentaires (P. F o n c i n , France coloniale, p. 32). Les conditions de l e u r a s s i m i l a t i o n , comme n o u s le v e r r o n s , sont donc différentes. 9 . Quels éléments nouveaux l'occupation française a-t-elle apportés j u s q u ' à ce j o u r parmi la population a l g é r i e n n e ? Les phases ont été bien diverses. M. P . L e r o y - B e a u l i e u nous fournit ici de précieuses indications. De 1830 à 1835 le gouvernement français c r u t devoir a p p o r t e r des entraves à l'immigration. Il redoutait, non sans raison, la misère pour les colons qui n'avaient pas de moyens personnels d'existence. Une décision ministérielle de 1832 s'oppose j u s q u ' à nouvel ordre à l'immigration de tout E u r o p é e n q u i ne justifiera pas qu'il a a m p l e m e n t de quoi s'entretenir dès son arrivée d a n s la colonie. Il fut, en conséquence, interdit aux légations françaises de délivrer des passeports à de n o u v e a u x i m m i g r a n t s . Ces m e s u r e s étaient très rationnelles. L ' i m m i g r a t i o n européenne dans u n e terre non vacante et non pacifiée ne devait s'opérer qu'avec circonspection. On ne comptait donc en 1835 qu'un peu p l u s de 11,000 E u r o p é e n s en Algérie. Dans les dix années suivantes l'augmentation de l ' a r m é e , le développement des opérations militaires attirent u n n o m b r e croissant de petits trafiquants. P u i s divers villages se c o n s t r u i s e n t , le gouv e r n e m e n t , vu les c i r c o n s t a n c e s , change de tactique. Il a franchement r e c o u r s à l'immigration. Des appels sont adressés a u x a g r i c u l t e u r s et ouvriers français. Il existait d o n c , en 1 8 4 5 , 9 5 , 5 0 0 E u r o p é e n s (en chiffre rond), sans compter l ' a r m é e . 1 0 . Cette émigration était toute s p o n t a n é e . On sait q u e c'est la m e i l l e u r e , la p l u s n a t u r e l l e , la p l u s s û r e . On peut regretter q u e le g o u v e r n e m e n t indécis ait alternativement pendant


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celle période, ouvert ou fermé la porte a u x é m i g r a n t s et r e n d u leur courant inégal et i n t e r m i t t e n t . 1 1 . En 1 8 4 8 , on se laisse e n t r a î n e r p a r u n e grave e r r e u r . On a recours à l ' i m m i g r a t i o n officielle. U n e loi du 19 s e p t e m b r e 1848 décide q u e 12 mille colons s e r o n t installés en A l g é r i e aux frais de l ' É t a t , c'était u n e loi de circonstance t e n d a n t à désobstruer P a r i s et la province d ' u n e population t u r b u l e n t e . Vers 1850, 42 villages avaient été bâtis et étaient h a b i t é s p a r 10 à 11 mille i n d i v i d u s m a i s la population s'y était déjà renouvelée u n e ou d e u x fois. L ' i m m i g r a t i o n de 1848 avait transplanté 1 2 , 6 6 6 i n d i v i d u s . Deux ans a p r è s , 1 0 , 2 1 7 avaient d i s p a r u p a r d é p a r t s , d é sertion, décès. En définitive, des t e r r a i n s avaient été g r a t u i tement fournis à 3 , 2 3 0 c o n c e s s i o n n a i r e s , ce q u i par famille était équivalent à u n e subvention de 8 , 3 7 4 fr. 6 1 , soit 2 , 5 9 7 par individu. E s t - c e u n p a r a d o x e de d i r e avec certains c r i tiques de cette é p o q u e q u e le sort de ces i m m i g r a n t s e u t été meilleur si on l e u r avait tout s i m p l e m e n t acheté de la r e n t e en les engageant à r e s t e r et à c h e r c h e r du travail en F r a n c e ? Le fait d é m o n t r a le vice des concessions g r a t u i t e s d e t e r rains, le vice d ' u n e i m m i g r a t i o n p r o v o q u é e , c o m p r e n a n t des gens qui ne sont p a s a g r i c u l t e u r s , et enfin la préférence à donnera l ' i m m i g r a t i o n s p o n t a n é e . 1 2 . Par u n e réaction peu intelligente on se rejeta e n sens inverse, on r e d o u t a u n e i m m i g r a t i o n t r o p c o n s i d é r a b l e . En 1854 un r a p p o r t était a d r e s s é a u m i n i s t r e de l ' a g r i c u l t u r e au nom du comité d ' é m i g r a t i o n , on e x p r i m a i t les craintes de voir s'étendre trop a m p l e m e n t le n o m b r e des i m m i g r a n t s à r a i s o n des difficultés d ' a c c l i m a t a t i o n , et à u n m o m e n t où d ' a u t r e part surgissaient les g u e r r e s d ' O r i e n t . L ' i m m i g r a t i o n fut donc découragée, e n t r a v é e . Au lieu de s'étendre avec la pacification elle alla en d i m i n u a n t . Il faut reconnaître q u e p e n d a n t vingt a n s la m o r t a l i t é avait été considérable. L e s décès d é p a s s a i e n t s e n s i b l e m e n t le chiffre des naissances d a n s la p o p u l a t i o n civile (V. les chiffres d a n s


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le R a p p o r t du colonel de R i b o u r t , cité p a r M. P . Leroy-Beaul i e u , p . 3 3 6 ) . C e p e n d a n t à p a r t i r de 1 8 5 3 , cet excédant de décès cessa et lit place peu à p e u à u n excédant annuel des n a i s s a n c e s s u r t o u t d e p u i s en 1 8 6 4 . L a population civile de l'Algérie a r r i v a enfin à se r e c r u t e r d ' e l l e - m ê m e , et l'immigration s p o n t a n é e r e p r i t son essor. 1 3 . Il est i n t é r e s s a n t de s i g n a l e r l'acclimatation inégale des diverses nationalités e u r o p é e n n e s . L e s I t a l i e n s , les Maltais, les E s p a g n o l s , sont peu d é f r i c h e u r s ; ils s ' a d o n n e n t au jardin a g e ou à divers m é t i e r s , ils s'éloignent p e u de la c ô t e , on ne les voit p a s s'enfoncer d a n s le d é s e r t , l e u r mortalité est donc p e u s e n s i b l e . L e s F r a n ç a i s , au c o n t r a i r e , f o r m e n t la p l u s grande partie de la p o p u l a t i o n agricole d a n s les c e n t r e s éloignés de la mer ; p r e s q u e s e u l s , ils p a s s e n t l'Atlas et vont j u s q u ' à l'entrée du S a h a r a . Même d a n s ces conditions b i e n p l u s défavor a b l e s , l e u r mortalité s'est a t t é n u é e et l e u r natalité croissante oscille a n n u e l l e m e n t e n t r e 34 et 40 p o u r mille h a b i t a n t s , atteig n a n t p r e s q u e la fécondité des A l l e m a n d s en Allemagne. Les F r a n ç a i s en A l g é r i e d o n n e n t ainsi à l e u r s compatriotes de F r a n c e u n e x e m p l e q u e ceux-ci sont b i e n éloignés de suivre. A u s s i les n a i s s a n c e s des F r a n ç a i s en A l g é r i e d é p a s s e n t de 15 à 20 p . 0 / 0 les décès. L e u r mortalité n ' e x c è d e pas celle des E s p a g n o l s . L a fécondité des Juifs q u i , a u j o u r d ' h u i sont français d e p u i s leur n a t u r a l i s a t i o n en m a s s e en 1 8 7 0 , est proverbiale. P e u t - ê t r e est-ce p a r e u x q u e les m o u v e m e n t s de la p o p u l a t i o n civile française se trouvent influencés. L e u r natalité est de 53 naissances p o u r m i l l e , et l e u r m o r t a l i t é de 31 décès. E n m ê m e t e m p s q u e s'élève la natalité des E s p a g n o l s , des M a l t a i s , des I f a l i e n s , et q u e s ' a b a i s s e l e u r m o r t a l i t é , les A l l e m a n d s voient l e u r n o m b r e d i m i n u e r , p a r c e q u e le climat n e leur convient p a s . L e u r natalité est c e p e n d a n t encore de 31 pour mille, m a i s l e u r mortalité s'élève à 4 3 (V. La France coloniale, déjà c i t é e , notice de M. F o n c i n , p . 7 0 ) . Les Belg e s , les A l s a c i e n s - L o r r a i n s ont eu d ' a b o r d u n e mortalité de 55 p o u r m i l l e , elle est d e s c e n d u e à 3 1 , m a i s ils ont néan-


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moins beaucoup p l u s de peine à s'acclimater q u e les i n d i vidus de régions p l u s m é r i d i o n a l e s , et leur natalité reste faible. S'ensuit-il q u e les A l l e m a n d s , et les A l s a c i e n s - L o r r a i n s , et les Français de nos d é p a r t e m e n t s du Nord ne doivent pas émigrer en Afrique? M. P . L e r o y - B e a u l i e u , n e le pense p a s ; il estime que la n a t u r e h u m a i n e est bien p l u s élastique q u ' o n ne se le figure. Avec le t e m p s , avec l ' h y g i è n e , il n'y a u r a i t aucun doute q u e les g e n s du Nord ne p a r v i e n n e n t à p r o s p é r e r en Afrique. Cette élasticité est attestée par divers e x e m p l e s . Les Normands et les Bretons sortis de climats t e m p é r é s se sont acclimatés au Canada. D ' a u t r e p a r t , des colons anglais irlandais, nés dans des régions h u m i d e s et froides, se sont implantés au S u d des É t a t s - U n i s , et j u s q u e d a n s l'Australie. 1 4 . L'extension des Juifs français ne p e u t n o u s s u r p r e n d r e quand on considère q u ' i l s sont en réalité de véritables i n d i gènes depuis l o n g t e m p s acclimatés. Y a-t-il lieu de p e n s e r que leur population deviendra p r é p o n d é r a n t e ? Non, car ils ne s'accroissent q u e par l'excédent de l e u r s naissances s u r l e u r s décès, et non p a r l ' i m m i g r a t i o n . Toutefois, leur influence s u r la destinée de la colonie a l g é r i e n n e n'est pas douteuse. Qu'ils deviennent de p l u s en p l u s français d'esprit et de c œ u r , et nous ne saurions n o u s émouvoir de l e u r extension. La multiplication des E s p a g n o l s en A l g é r i e , inspire q u e l ques craintes. On a dit il ne faut pas q u e la patrie française couve en Algérie u n œuf e s p a g n o l , pas p l u s q u ' e n T u n i s i e un œuf italien (1). L ' é q u i l i b r e de la population française devra et pourra être m a i n t e n u e par p l u s i e u r s m o y e n s . D'abord par la naturalisation devenue a u j o u r d ' h u i plus facile. M. P . L e r o y Beaulieu compte aussi s u r l'influence des m a r i a g e s m i x t e s , de l'école et du culte. L'école en propageant notre l a n g u e et NOS idées p r é p a r e r a u n p l u s g r a n d n o m b r e de n a t u r a l i s a t i o n s . (1) La loi d u 8 a o û t 1 8 9 3 r e l a t i v e a u s é j o u r d e s é t r a n g e r s en F r a n c e e t à la protection du t r a v a i l n a t i o n a l , a é t é r e n d u e e x é c u t o i r e en A l g é r i e , p a r décret du 7 f é v r i e r 1894 (Off., d u 9 f é v r . ) .


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L e c u l t e peut n o u s rallier les E s p a g n o l s , les I t a l i e n s , les Maltais. Il faut q u e le c l e r g é soit r e c r u t é u n i q u e m e n t dans l'él é m e n t français et se serve de n o t r e l a n g u e . M. P . LeroyBeaulieu c o n s i d è r e c o m m e u n e f a u t e , au point de vue de la p r é p o n d é r a n c e française d a n s la colonisation a l g é r i e n n e , la s u p p r e s s i o n p a r le P a r l e m e n t d e s trois q u a r t s des crédits alloués a u clergé a l g é r i e n , et l'abolition de toute subvention a u x s é m i n a i r e s . P e u t - o n donc l a i s s e r le clergé s'alimenter d'él é m e n t s italiens et e s p a g n o l s ? 1 5 . A u n a u t r e point de vue l'extension des I t a l i e n s , des M a l t a i s , des E s p a g n o l s ne s a u r a i t avoir les effets q u ' à prem i è r e v u e on p o u r r a i t s u p p o s e r . L e p r i n c i p a l colon de l'Algérie est e s s e n t i e l l e m e n t le F r a n ç a i s . Il s ' e n t e n d mieux à tirer p a r t i de la terre et des h o m m e s , il a p l u s de r e s s o u r c e s d'esprit et d e c a r a c t è r e , p l u s de c a p i t a u x , et p l u s d ' e n t e n t e dans les e n t r e p r i s e s . L e s obstacles à son acclimatation tendent à d i m i n u e r à raison soit des p r o g r è s de la c u l t u r e et des conditions d ' a s s a i n i s s e m e n t , soit de l ' a m é l i o r a t i o n de l'hygiène, et aussi du r é g i m e forestier, soit enfin parce q u e la génération a c t u e l l e , née s u r le sol a l g é r i e n , est p l u s r é s i s t a n t e q u e celle q u i l'a p r é c é d é e , ou dont elle e s t i s s u e . 1 6 . L e total de la p o p u l a t i o n a l g é r i e n n e étant en chiffre rond de 4 millions c o m p r e n d p r è s de 3 millions 270 mille m u s u l m a n s , c o n t r e 260 mille F r a n ç a i s , 44 mille Israélites et 145 mille E s p a g n o l s , le s u r p l u s se c o m p o s a n t de Maltais, de M a r o c a i n s et d ' A l l e m a n d s dont le n o m b r e va en d i m i n u a n t . L ' é l é m e n t français d é p a s s e d o n c t o u s les é l é m e n t s étrang e r s , m a i s si on ne p e u t se d é s i n t é r e s s e r du développement de c e u x - c i , l'attention doit encore p l u s se porter s u r l'élément m u s u l m a n si c o n s i d é r a b l e et q u i tend s a n s cesse à s'accroître. 1 7 . La population i n d i g è n e profile en effet de l'apport de nos c a p i t a u x , des p r o g r è s de la c u l t u r e , de l'élévation des s a l a i r e s , de l ' a u g m e n t a t i o n , de la s é c u r i t é et du b i e n - ê t r e , de l'amélioration de l ' h y g i è n e , des facilités nouvelles d'existence provenant des voies de c o m m u n i c a t i o n , d e s m o y e n s de traits


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port et d ' a p p r o v i s i o n n e m e n t , en u n mot de la civilisation même; à l'heure q u ' i l e s t , il y a c e r t a i n e m e n t 5 millions d ' a rabes dans l'ensemble de nos possessions africaines du Nord (Algérie et T u n i s i e ) , et dans c i n q u a n t e ou soixante a n s , ce chiffre sera doublé. L a population e u r o p é e n n e suivra-t-elle la même progression? L a population française algérienne dont la natalité est si s u p é r i e u r e à celle de la F r a n c e c o n t i n e n t a l e , pourra-t-elle s'accroître dans la m ê m e proportion ? Dans les hypothèses les plus f a v o r a b l e s , on voit combien u n e é m i g r a tion française p l u s l a r g e et p l u s féconde est n é c e s s a i r e ; c o m bien aussi il importe q u e par u n traitement équitable n o u s nous concilions les A r a b e s , et q u e n o u s les i m p r é g n i o n s de nos aspirations, de nos i d é e s , de notre esprit national. Mais cette tâche ne peut être exclusivement celle de la loi n i des pouvoirs publics, n o u s n'exercerons u n ascendant efficace s u r la population a r a b e q u e p a r le respect de ses c o u t u m e s , de ses croyances, et p a r u n e supériorité morale, réelle et incontestée. A cette condition seule u n e action p e u t être civilisatrice, et arriver à dominer les p o p u l a t i o n s inférieures. 1 8 . § III. Le régime des terres. — L'Algérie n'est donc inhospitalière ni p o u r les E u r o p é e n s , ni en particulier p o u r les français, et il est désirable q u e l e u r n o m b r e s'accroisse devant la masse m u s u l m a n e i n d i g è n e . Mais que v o u l o n s - n o u s , et q u e p o u v o n s - n o u s faire en Afrique? L'Algérie est u n e colonie d'un caractère mixte. E l l e ne rentre pas d a n s la catégorie d e s colonies de plantation d o n t nous avons étudié le caractère et l'existence; elle n'a p a s la culture industrielle et p r é p o n d é r a n t e d u s u c r e , du c a f é , du cacao, de l'indigo. Elle ne p e u t non p l u s être assimilée a u x colonies de p e u p l e m e n t comme celles d a n s lesquelles a u Canada et en Australie les Anglais ont eu pour b u t de r e m p l a c e r la race i n d i g è n e , et de s ' a p p r o p r i e r ses terres : ainsi le noir australien ou le H u r o n sont rejetés de p l u s en p l u s d a n s le désert; ils d i s p a r a i s s e n t , on les refoule; ils d é p é r i s s e n t , on les tue, ou on aide à leur destruction par l'alcool, ou enfin R.

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ils se c r o i s e n t . Elle se r a p p r o c h e r a i t d a v a n t a g e des colonie; d'exploitation c o m m e les I n d e s o r i e n t a l e s et J a v a o ù le peuple c o l o n i s a t e u r a p p o r t e ses c a p i t a u x , sa d i r e c t i o n politique et é c o n o m i q u e , s a n s c h e r c h e r à r e m p l a c e r la race i n d i g è n e , et e n r e s p e c t a n t son o r g a n i s a t i o n . L ' A l g é r i e est en définitive u n e colonie h y b r i d e , mais en tout état il lui faut des t e r r e s c u l t i v a b l e s , et c'est là que les obstacles s u r g i s s e n t : L e s o l , n e l ' o u b l i o n s p a s , était occupé et c u l t i v é , fallait-il p a r la force en c h a s s e r les h a b i t a n t s ? Le d o m a i n e du Bey fut confisqué et se t r o u v a d i s p o n i b l e , mais il était t r o p l i m i t é . Que faire p o u r l i v r e r d e s t e r r e s a u x colons? 19. Il n'y avait q u e deux m o y e n s : 1° le « cantonnement i n d i g è n e , » c ' e s t - à - d i r e la spoliation des h a b i t a n t s et leur r e f o u l e m e n t loin d e s c ô t e s , p r o c é d é b r u t a l , i n j u s t e , rappelant ceux des a n c i e n s c o n q u é r a n t s de l ' a n t i q u i t é , d ' a i l l e u r s déplor a b l e et d a n g e r e u x a u point de v u e p o l i t i q u e ; c'était entretenir l'esprit d e h a i n e et de v e n g e a n c e , la g u e r r e p e n d a n t plus d'un s i è c l e ; 2° l ' é c h a n g e , c ' e s t - à - d i r e l ' a c h a t de t e r r e a u x indigènes, m a i s l ' a b s e n c e d e p r o p r i é t é individuelle le r e n d a i t impossible. D a n s le p r i n c i p e d o n c , on e u t r e c o u r s a u p r e m i e r procédé, à la violence. T o u t était enlevé d a n s les r a z z i a s , mobilier, bestiaux et t e r r e s . C'était le s y s t è m e d é p r é d a t e u r r o m a i n . Plu? t a r d , il p r e n a i t u n c a r a c t è r e p l u s r é g u l i e r q u a n d il apparaissait c o m m e u n e confiscation i m p o s é e a u x t r i b u s révoltées. N o u s v e r r o n s q u e le s y s t è m e d ' a p p r o p r i a t i o n d e s terres en T u n i s i e a pu ê t r e b i e n différent. Ces difficultés d ' a p p r é h e n s i o n des t e r r e s en Algérie naissaient de la n a t u r e des c h o s e s . E l l e s n ' é t a i e n t pas créées par le g o u v e r n e m e n t , p a s p l u s q u ' i l n ' é t a i t en son p o u v o i r de les faire d i s p a r a î t r e . Mais il en r e n c o n t r a , et m ê m e en ajouta d'autres. 20. V i s - à - v i s des c o l o n s , il e u t r e c o u r s a u système de concessions g r a t u i t e s s u r les t e r r e s confisquées a u Bey ou a u x i n d i g è n e s . Ces c o n c e s s i o n s f u r e n t ce q u ' e l l e s devaient ê t r e , ce q u ' e l l e s ont t o u j o u r s é t é , ainsi q u e précédemment


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nous l'a montré l ' h i s t o i r e , a r b i t r a i r e s , i n é g a l e s , puis e n t o u rées de formalités n o m b r e u s e s , de clauses r é s o l u t o i r e s ; elles étaient simplement t e m p o r a i r e s , révocables. A p r è s cinq a n s , si les inspecteurs de colonisation déclaraient la concession, dans un état insuffisant, le colon dont on suspectait l'activité et l'intelligence, vis-à-vis d u q u e l on multipliait les précautions, ne recevait donc la p r o p r i é t é q u ' à titre p r é c a i r e , et n'était pas s û r , m a l g r é s e s efforts, de pouvoir la g a r d e r . On objectait q u e les colons devaient être t e n u s de très p r è s , étant souvent de n a t u r e r e b e l l e , a v e n t u r e u s e et peu disciplinée. Cependant il y a u n fait i n d i s c u t a b l e , la colonisation est i m possible sans u n e p r o p r i é t é foncière et individuelle solidement assise. 2 1 . Mais d'autres difficultés r e n d a i e n t encore la propriété instable. Même les c o n c e s s i o n s , d e v e n u e s définitives, et les acquisitions les p l u s r é g u l i è r e s restaient exposées à diverses causes d'instabilité, et à des menaces d'éviction. P o u r s'en rendre compte, il faut connaître les distinctions q u e la loi musulmane a établies e n t r e les b i e n s fonciers. Ils emportent : 1° les p r o p r i é t é s p a r t i c u l i è r e s de l ' É t a t , connues sous la dénomination de blad et beylik ou azel ; 2° les propriétés des é t a b l i s s e m e n t s religieux dites habous ; 3° les propriétés dont les t r i b u s ont la j o u i s s a n c e et a p p a r t e n a n t à l'Etat, blad et djemaa

ou arch

ou sabéga;

4° les t e r r e s possé-

dées en pleine p r o p r i é t é p a r des collectivités ou des individualités, blad et melk; 5° enfin les b i e n s g é n é r a u x de la c o m m u nauté musulmane bladel Islam ( V . n o t a m m e n t l ' É t u d e de M. Ch. Roussel p u b l i é e p a r le Journal des économistes du 15 mai 1894.) Ces distinctions avaient été souvent m é c o n n u e s , et des t e r r e s dont l'origine était mal définie, d é n u é e de toute justification avaient été indistinctement concédées ou v e n d u e s . On avait OPeré des transmissions de biens-fonds à tort et à t r a v e r s , biensdu beylick, bien h a b o u s , e t c . , s a n s songer a u x é v e n tualités de r e v e n d i c a t i o n s , et il a r r i v a q u ' e n 1844 on se t r o u v a


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en p r é s e n c e d ' u n e m a s s e de b i e n s sujets à éviction. De plus des s p é c u l a t e u r s exploitaient en vue de bénéfices rapides, plutôt q u e d a n s u n i n t é r ê t s é r i e u x de c u l t u r e , et revendaient h â t i v e m e n t des biens q u ' i l s avaient a c q u i s sans titre sérieux de p r o p r i é t é . 2 2 . D a n s ces c i r c o n s t a n c e s , p o u r d o n n e r à la propriété privée la b a s e solide q u i lui m a n q u a i t , les ordonnances du 1 octobre 1844 en 115 articles (V. pour le texte : Dalloz, Org. de l'Algérie, p . 785) et celle du 21 j u i l l e t 1846 (Dalloz, p. 791, et n 1129 et 1 1 5 3 ) , édictèrent différentes m e s u r e s et notamment o r g a n i s è r e n t u n mode de vérification des titres de la propriété rurale. Mais en m ê m e t e m p s q u ' o n se p r é o c c u p a i t de donner plus de stabilité aux a c q u i s i t i o n s i m m o b i l i è r e s , les lois des 21 juillet 1 8 4 5 , 5 j u i n et l'ordonnance du 1 s e p t e m b r e 1847 (V. Dalloz. 5 3 . 3 . 150 et 4 7 . 3 , p . 118 et 1 7 9 ) , n o u s m o n t r e n t de quelles réserves d é c o u r a g e a n t e s on c o n t i n u a i t à e n t o u r e r les concessions. L e s préfets d a n s les t e r r i t o i r e s c i v i l s , les généraux dans les territoires militaires n'en pouvaient consentir pas plus de 25 h e c t a r e s , et le g o u v e r n e u r pas p l u s de 1 0 0 , et toujours à titre provisoire, avec impossibilité d ' a l i é n e r et d'hypothéquer. Un t e m p é r a m e n t fut a p p o r t é à ce s y s t è m e e n s u i t e d'un rapport du ministère de la g u e r r e q u i en m o n t r a i t les inconvén i e n t s . Un décret d u 26 avril 1851 et u n e loi du 16 j u i n 1851 (D. 5 1 . 4. 9 1 ) , t r a n s f o r m e n t les conditions et les modes de concession. Les préfets reçoivent la faculté de concéder 50 h e c t a r e s . On n'exige p l u s de c a u t i o n n e m e n t , m a i s les cahiers des c h a r g e s i m p o s e n t encore des conditions et des formalités n o m b r e u s e s . M. J u l e s Duval écrivait avec raison, d a n s son livre s u r l'Algérie ( p . 439), q u e m i e u x valait a c h e t e r q u e recevoir la terre g r a t u i t e m e n t . On oubliait q u ' a u siècle d e r n i e r Malouet avait signalé la s u p é r i o r i t é du r é g i m e de vente s u r celui des concessions des t e r r e s (vid. sup., liv. II, n° 42). Cette m ê m e doctrine préconisée en A n g l e t e r r e p a r Wakefield était a p p l i q u é e en A u s t r a l i e . e r

o s

e r


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2 3 . Il faut arriver a u décret du 15 juillet 1860 ( D . 6 0 . 4. 132), sur l'aliénation des terres d o m a n i a l e s , trente ans a p r è s la conquête, pour voir ce r é g i m e s'introduire en A l g é r i e ; en core persévéra-t-on s u b r e p t i c e m e n t d a n s la p r a t i q u e des c o n cessions gratuites q u e l'on considère comme u n e prérogative administrative intangible. C e p e n d a n t , d'après la législation nouvelle, deux systèmes d'aliénation pouvaient être s i m u l t a nément mis en vigueur : Ventes de terres domaniales à prix fixe, et à b u r e a u ouvert, et ventes aux e n c h è r e s . Mais que fallait-il c o m p r e n d r e p a r m i les terres d o m a n i a l e s ? Nous avons vu q u e p a r m i elles se trouvaient des terres ( a r c h ou sabega dans la province d'Oran) dont la propriété a p p a r tenait à l'État, et la jouissance a u x t r i b u s , ou à des fractions de tribus. L'article 11 de la loi du 16 j u i n s'était b o r n é à reconnaître et à m a i n t e n i r , tels q u ' i l s existaient a u m o m e n t de la conquête, les droits de propriété et les droits de j o u i s sance appartenant a u x p a r t i c u l i e r s , aux t r i b u s et aux fractions de tribus. Lors donc q u e des t r i b u s détenaient u n t e r ritoire sans titre en vertu d ' u n e possession i m m é m o r i a l e , avaient-elles u n e propriété collective ou s e u l e m e n t une s i m p l e jouissance à titre p r é c a i r e ? D a n s ce c a s , q u e l était le p r o priétaire du fonds ? avant la c o n q u ê t e , c'était le S u l t a n en tant que maître de tout le territoire. L a F r a n c e a v a i t - e l l e , p a r la conquête, hérité de ce droit du g r a n d T u r c ? l'État devait-il l'invoquer? D ' a u t r e p a r t , les territoires ainsi occupés p a r les tribus étaient i m m e n s e s , hors de proportion avec l e u r s b e soins, ne valait-il pas mieux p a r u n e sorte de transaction en restreindre l'étendue et en é c h a n g e de ce sacrifice, les d é c l a r e r propriétaires de la partie q u i leur serait laissée? Un projet de cantonnement a m i a b l e en ce sens fut é t u d i é , mais il s o u leva de grandes objections. C o m m e n t pourrait-on le faire accepter par les t r i b u s , et les a m e n e r à relâcher une p a r t i e des biens dont elles avaient la j o u i s s a n c e i m m é m o r i a l e ? on ne pouvait recourir ni à une expropriation v i o l e n t e , ni à u n e expropriation dans les formes légales.


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2 4 . C'est a l o r s q u e fut édicté le s é n a t u s - c o n s u l t e du 22 avril 1 8 6 3 (D. P . 6 3 . 4 . 47) e n s u i t e d ' u n e l e t t r e d e l'empereur du 6 février 1 8 6 3 q u i d a n s le b u t de « m e t t r e u n terme aux i n q u i é t u d e s excitées p a r tant de d i s c u s s i o n s s u r la propriété a r a b e , et ... afin de consolider la p r o p r i é t é e n t r e les mains de ceux q u i la d é t i e n n e n t » avait e x p r i m é l'intention « de convertir p a r u n acte solennel la p o s s e s s i o n i m m é m o r i a l e des t r i b u s en p r o p r i é t é i n c o m m u t a b l e . » Cette innovation f o n d a m e n t a l e fut r é a l i s é e p a r le sénatusc o n s u l t e du 2 3 avril 1 8 6 3 . Il d é c l a r e (art. 1 ) que « les t r i b u s d e l ' A l g é r i e sont p r o p r i é t a i r e s d e s t e r r a i n s dont elle? ont la j o u i s s a n c e p e r m a n e n t e ou t r a d i t i o n n e l l e , à quelque titre q u e ce soit » et décide ( a r t . 2) q u e : « il s e r a procédé a d m i n i s t r a t i v e m e n t , 1° à la d é l i m i t a t i o n des territoires des tribus; 2° à l e u r r é p a r t i t i o n e n t r e les différents douars de c h a q u e t r i b u du Tell et des a u t r e s p a y s de c u l t u r e avec réserve des t e r r e s q u i d e v r o n t c o n s e r v e r le c a r a c t è r e de biens c o m m u n a u x ; 3° à l ' é t a b l i s s e m e n t de la p r o p r i é t é individuelle e n t r e les m e m b r e s de ces d o u a r s , p a r t o u t où cette mesure sera r e c o n n u e o p p o r t u n e . » Dès l o r s , d é s o r m a i s l'achat de g r é à g r é d e v i e n d r a i t possible p a r des t r a i t é s avec les t r i b u s , les d o u a r s et les familles a r a b e s , m a i s on e s t i m e q u ' u n e législation spéciale était n é c e s s a i r e p o u r faciliter ces d é l i m i t a t i o n s de p r o p r i é t é , et ces a c h a t s de g r é à g r é . Et c'est a i n s i q u ' o n a été amené à r e n d r e la loi ( a u j o u r d ' h u i t r è s c r i t i q u é e ) du 26 j u i l l . 1873. P o u r en bien c o m p r e n d r e l ' e s p r i t et le b u t il faut voir le r a p p o r t t r è s i n t é r e s s a n t de M. W a r g n i e r q u i l'a précédée (Dalloz, 7 4 . 4, p . 4 ) . Il m o n t r e q u e l ' i n v a s i o n i s l a m i q u e , il y a douze s i è c l e s , a été la r u i n e de la c u l t u r e s u r les rivages de l'Afrique. Elle a créé le c o m m u n i s m e là où chez les nations b e r b è r e s existait la p r o p r i é t é p r i v é e q u i avait fait de l'Afrique un « i m m e n s e j a r d i n divisé à l'infini. » Actuellement 3 m i l l i o n s d ' h e c t a r e s s e u l e m e n t s u s c e p t i b l e s d e donner des p r o d u i t s r e p r é s e n t e n t le c o n t i n g e n t de la p r o p r i é t é indivi er


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duelle des b e r b è r e s q u i ont conservé u n e sorte d'indépendance sous la domination m u s u l m a n e , et 11 millions d ' h e c tares sont en c o m m u n a u x a r a b e s et a u x b e r b è r e s a r a b i s é s . C'est dans cette p r o p r i é t é collective q u ' i l faut faire p é n é t r e r la division et l'appropriation i n d i v i d u e l l e . 2 5 . Pour atteindre ce r é s u l t a t , la loi d u 26 j u i l l e t 1873 ( D . 74. 4, p. 4) pose u n principe nouveau : « L ' é t a b l i s s e m e n t de la propriété immobilière en A l g é r i e , la conservation et la transmission des i m m e u b l e s sont r é g i s par la loi française. En conséquence, sont abolis tous droits q u e l c o n q u e s fondés sur le droit m u s u l m a n (art. 1 ) . S u i v e n t t r e n t e - d e u x articles pour la mise à exécution du p r i n c i p e , mais on a c o m p r i s qu'il ne suffisait pas de légiférer. Une condition préalable à la transformation de la p r o p r i é t é collective en propriété privée, consiste à d o n n e r aux i n d i g è n e s u n état civil. Ce n ' e s t pas une lâche facile. U n e loi du 23 m a r s 1882 a été votée dans ce b u t . L ' œ u v r e est difficile et c o û t e u s e . Elle avait abouti à donner, au 30 s e p t e m b r e 1 8 8 9 , u n état civil à p l u s de 300,000 h a b i t a n t s d u Tell. C'est u n a c h e m i n e m e n t vers la civilisation des a r a b e s et d e s k a b y l e s ; m a i s il sera t r è s lent et très coûteux. er

2 5 bis. Deux lois des 29 avril 1887 ( D . 8 7 . 4. 65), et 18 d é cembre 1890 (D. 9 1 . 4. 108) ont complété celle du 26 juillet, M. Casimir F o u r n i e r a u S é n a t , D . 8 7 , loc. cit.). Les articles 1 et 2 de la loi du 29 avril 1887 ordonnent l'exécution dans les t r i b u s q u i n'y avaient p a s encore été soumises des o p é r a t i o n s p r é a l a b l e s consistant d a n s la d é l i m i tation et la répartition p r é v u e s p a r la législation a n t é r i e u r e (Sénatus-consulte 22 févr. 1 8 6 3 , et loi 26 j u i l l . 1873). Cette disposition ne constitue p a s , à vrai d i r e , u n e i n n o vation. Les a u t e u r s de la loi de 1873 avaient compris q u e la propriété individuelle n e serait constituée et assise d a n s les tribus où elle était collective q u ' a p r è s u n e r e c o n n a i s s a n c e préalable du p é r i m è t r e du t e r r i t o i r e , non s e u l e m e n t de la


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t r i b u , m a i s des différents d o u a r s q u ' e l l e c o m p r e n d . Le douar est la c o m m u n e a r a b e . Cette délimitation était e l l e - m ê m e u n p r o b l è m e . Quelle m é t h o d e fallait-il e m p l o y e r ? S u i v a n t le décret de 1863 la tâche était confiée à d e s c o m m i s s i o n s a d m i n i s t r a t i v e s dont les procédés avaient soulevé des r é c l a m a t i o n s . « L e s procédés n o u v e a u x — dit l'article 2 de la loi du 27 avril 1887 — s e r o n t d é t e r m i n é s (par u n décret) de m a n i è r e à éviter les condescendances e x t r ê m e s des c o m m i s s i o n s administratives p r é c é d e n t e s p o u r les o c c u p a n t s . T r o p s o u v e n t , paraît-il, on avait considéré et classé c o m m e p r o p r i é t a i r e s définitifs des o c c u p a n t s q u i n'avaient q u ' u n e j o u i s s a n c e t e m p o r a i r e . De telle sorte q u e des b i e n s en d é s h é r e n c e , ou a p p a r t e n a n t à l'État, devant r e n t r e r d a n s son d o m a i n e avaient été a t t r i b u é s à des p a r t i c u l i e r s q u i en j o u i s s a i e n t s a n s y avoir des titres suffisants. 2 6 . En exécution de cet article 2 a été r e n d u u n décret des 22 s e p t e m b r e - 1 9 d é c e m b r e 1 8 8 7 ( D . 8 8 . 4 . 10) compren a n t trois t i t r e s . D ' a p r è s le titre I , en cinq a r t i c l e s , il sera procédé s u c c e s s i v e m e n t et à b r e f délai a u x opérations de délimitation et de r é p a r t i t i o n d a n s c h a q u e d é p a r t e m e n t . Les c o m m i s s a i r e s d é l i m i t a t e u r s s e r o n t d é s i g n é s p a r le gouverneur et a g i r o n t sous la direction d ' u n e Commission administrative. L e u r s o p é r a t i o n s ne p o u v a n t se faire s a n s le concours des i n d i g è n e s , u n e djemmâa ou c o m m i s s i o n de douze d'entr'eux sera c o n s t i t u é e p a r le préfet ou le g é n é r a l ( s u i v a n t le territoire) p o u r r e p r é s e n t e r la collectivité et a s s i s t e r les commissaires d é l i m i t a t e u r s . L e titre II édicte les formalités de la délimitation et du b o r n a g e e n t r e les t r i b u s (art. 5 , 6 , 7 ) . L e titre I I I r è g l e la r é p a r t i t i o n des t e r r i t o i r e s des tribus e n t r e les d o u a r s (art. 8 à 19), le tout avec procès-verbaux, p l a n s , p u b l i c a t i o n s , affiches et i n s e r t i o n s , n o t a m m e n t au « Mobacher, » j o u r n a l officiel e n l a n g u e i n d i g è n e , énonçant le délai fixé p o u r les oppositions et r é c l a m a t i o n s . e r


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Tel est le système de délimitation d a n s les t r i b u s et les douars, institué par le décret d u 19 s e p t e m b r e 1887. 2 7 . Pour la délimitation des propriétés privées il n o u s faut revenir à la loi précitée du 23 avril 1887. Si l'indivision existe entre p l u s i e u r s f a m i l l e s , on procède a u p a r t a g e par famille des i m m e u b l e s qui sont c o m m o d é m e n t p a r t a g e a b l e s . S'ils ne le sont p a s , les intéressés peuvent r e q u é r i r la licitation suivant l'article 815 du Gode civil. Mais dans cette œ u v r e d ' a s s i m i l a t i o n des i n d i g è n e s a u x métropolitains s u r g i s s e n t à c h a q u e p a s des difficultés : n o u s venons de p a r l e r de l'indivision e n t r e f a m i l l e s , mais en quoi consiste la famille a r a b e ? Le r a p p o r t de M. Bourlier d o n n e à cet égard d ' i n t é r e s s a n t s détails (Dalloz, 8 7 . 4 , p . 6 5 ) . L a famille dont les c o m m i s s a i r e s r é p a r t i t e u r s ont à tenir c o m p t e est la famille i s l a m i q u e , or, « soit sous la t e n t e , soit s o u s le toit du gourbi ou de la m a i s o n , il n'y a j a m a i s a u t o u r du foyer q u ' u n petit n o m b r e d'êtres u n i s , le m a r i , la f e m m e (ou les femmes s'il y a p o l y g a m i e ) , les enfants et parfois des sœurs, des neveux en b a s - â g e , quelquefois aussi u n p è r e infirme, une m è r e â g é e . » Ce petit g r o u p e c'est le f e u , c'est la famille. C'est j u s q u ' à ce g r o u p e i r r é d u c t i b l e q u e l'indivision doit être b r i s é e , c'est j u s q u ' à lui q u e le c o m m i s s a i r e enquêteur doit a m e n e r le p a r t a g e , s o u s la seule r é s e r v e que le bien soit c o m m o d é m e n t p a r t a g e a b l e ( a r t . 3 , L . 2 9 avr 1887). 2 8 . Les formes des c e s s i o n s , des p a r t a g e s , des licitations sont celles de la loi française ( a r t . 4 ) . Mais q u a n t a u x droits successifs d a n s la famille m u s u l m a n e , et p a r c o n s é q u e n t aux droits i n d i v i d u e l s , la loi m u s u l m a n e s u r les successions doit être respectée (V. R a p p o r t de M. Casimir F o u r n i e r au Sénat, D. 8 7 . 4, p . 6 6 , 1 col., en note). L'article 5 est relatif à la conservation des droits des t i e r s , creanciers et a u t r e s p e r s o n n e s p r é t e n d a n t à d e s droits r é e l s ; des délais leur sont accordés p o u r o p é r e r des t r a n s c r i p t i o n s ou prendre inscription. re

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L a législation m u s u l m a n e a d m e t u n e sorte de retrait connu sous le nom de cheffaà. On sait q u ' e n droit f r a n ç a i s , d'après l'article 8 4 1 , t o u t e p e r s o n n e qui n'est p a s successible du défunt à l a q u e l l e u n c o h é r i t i e r a u r a i t cédé son droit à la succession p e u t être écartée du p a r t a g e p a r t o u s les héritiers ou par u n s e u l , en lui r e m b o u r s a n t le prix de la cession ( a r t . 8 4 4 , C. civ.). De m ê m e en droit m u s u l m a n , u n e portion d ' i m m e u b l e s indivis é t a n t aliénée à un t i e r s par l'un des cop r o p r i é t a i r e s était frappée du droit de r e t r a i t a p p e l é cheffaà, et sous la loi du 16 j u i n 1851 (art. 1 7 , § 2 ) , les j u g e s avaient u n pouvoir d ' a p p r é c i a t i o n : ils a d m e t t a i e n t le r e t r a i t lorsque l ' a c q u é r e u r n'avait a c h e t é q u e p a r s p é c u l a t i o n , et non si c'était d a n s l'intention d e développer la p r o d u c t i o n agricole. A u j o u r d ' h u i , d ' a p r è s la loi du 26 j u i l l e t 1 8 7 3 (art. 1 ) , sont abolis t o u s droits r é e l s , toutes c a u s e s de r é s o l u t i o n s quelc o n q u e s fondés s u r le droit m u s u l m a n ou k a b y l e . Le droit r é e l de cheffaà n e p o u r r a , d é s o r m a i s , ê t r e o p p o s é a u x acquér e u r s q u ' à titre de r e t r a i t s u c c e s s o r a l p a r les p a r e n t s successibles d ' a p r è s le droit m u s u l m a n , et s o u s les conditions p r e s c r i t e s p a r l'article 841 d u Gode civil. » L e s j u g e s , par c o n s é q u e n t , n ' o n t p l u s en cette m a t i è r e d e pouvoir d'appréciation : ils devront a d m e t t r e le cheffaà, d a n s tous les cas où le r e t r a i t successoral devrait ê t r e a d m i s ( H u c , Code civil, t. V, n° 3 3 1 . — Voir en outre le projet de loi ci-après voté p a r le S é n a t , le 16 févr. 1 8 9 4 , a r t . 1 7 , n° 31 bis, infrà). er

Ici p o u r r a i t se placer l'étude de l'application à l'Algérie du m o d e de t r a n s m i s s i o n de p r o p r i é t é d é r i v a n t de l'Act Torrens, u s i t é en A u s t r a l i e et q u ' o n tente d ' a c c l i m a t e r en Tunisie. Cette q u e s t i o n a été t r è s a p p r o f o n d i e p a r le r e g r e t t é profess e u r à l'École de droit d ' A l g e r , M. D a i n . N o u s l'étudierons à p r o p r o s de l'application de l'Act T o r r e n s à la T u n i s i e (V. infrà, chap. I I I , n 15 et s u i v . V o y . toutefois ci-après, n ° 34 bis). o s

2 9 . L ' a r t i c l e 6 , de la loi du 29 avril 1 8 8 7 (qui ne comp r e n d p a s m o i n s d e douze a l i n é a s ) , est relatif à la transmission


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par des indigènes à des E u r o p é e n s , d ' i m m e u b l e s constituant des propriétés privées. L e s contrats doivent t o u j o u r s revêtir la forme a u t h e n t i q u e ; d e s précautions n o m b r e u s e s sont i m p o sées pour a s s u r e r u n b o r n a g e p u b l i c et contradictoire. Enfin des formalités sont exigées p o u r q u e l'administration du d o maine et des contributions directes p u i s s e , a u vu de titres certains, établir la m a t i è r e foncière. 3 0 . Les articles 7 à 10 sont relatifs à la t r a n s m i s s i o n à des acquéreurs c o l o n s , ou i m m i g r a n t s e u r o p é e n s de p r o p r i é t é s prises sur celles q u i r e s t e n t encore collectives entre la t r i b u , ou entre la famille. Ils tendent à ce q u e les a c q u é r e u r s aient désormais toutes g a r a n t i e s , toute s é c u r i t é , et des d é l i m i t a tions parfaitement d é t e r m i n é e s . bien que le texte vise des a c q u é r e u r s e u r o p é e n s , « l ' i m m i grant originaire d'Amérique ou d'Asie qui voudrait acheter un immeuble situé en territoire de p r o p r i é t é collective p o u r le soumettre à la loi française et le posséder d a n s les conditions de notre droit civil j o u i r a i t des m ê m e s droits q u e le colon ou immigrant e s p a g n o l ou m a l t a i s . Jusqu'à p r é s e n t , soit la loi du 26 juillet 1 8 7 3 , soit les articles précédents de la loi du 27 avril 1887 n'ont tendu : 1° qu'à faire cesser l'indivision entre les f a m i l l e s , et 2° à a s surer et consolider les t r a n s m i s s i o n s de p r o p r i é t é s privées à des a c q u é r e u r s . 3 1 . Les articles 11 à 18 vont p l u s loin : ils s ' a t t a q u e n t a la propriété familiale : ils veulent faciliter la cessation de l'indivision entre ses m e m b r e s . Il faut, p o u r en a s s u r e r le partage, une procédure p e u coûteuse. Dans ce b u t , les articles 1 2 , 1 3 , 14 traitent du p a r t a g e amiable, et les articles 15 à 18 du p a r t a g e judiciaire et de la licitation qui deviennent accessoires l o r s q u e les parties ne se sont pas mises d'accord pour opérer u n p a r t a g e a m i a b l e . Nous constatons q u e les p a r t a g e s s e r o n t r é g i s par l'article 883 du Code civil q u a n t à l e u r s effets, et p a r les articles 887 et s u i vants quant aux causes de nullité.


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L ' a r t i c l e 19 pose le p r i n c i p e de la r é d u c t i o n à u n e quotité a u s s i m i n i m e q u e p o s s i b l e et p r o p o r t i o n n e l l e à la valeur des b i e n s , de t o u s les frais et h o n o r a i r e s d e s a c t e s de partage et autres. L e s a r t i c l e s 20 à 22 p o r t e n t c e r t a i n e s e x e m p t i o n s de timbre et d ' e n r e g i s t r e m e n t . Ils sont c o m p l é t é s p a r la loi du 18 déc e m b r e 1890 (D. 9 1 . 4 . 108) qui d é c l a r e q u e : les frais occas i o n n é s p a r les o p é r a t i o n s de d é l i m i t a t i o n et d e répartition des t e r r i t o i r e s des t r i b u s , et de c o n s t a t a t i o n ou d e constitution de p r o p r i é t é i n d i v i d u e l l e , s e r o n t p o r t é s en d é p e n s e s à un c o m p t e spécial : a v a n c e s a u service de la p r o p r i é t é individ u e l l e i n d i g è n e en A l g é r i e , c o m p t e o u v e r t p a r l'article 1 de la loi d u 28 d é c e m b r e 1 8 8 4 . Il s e r a p r o c é d é a u remboursement a u m o y e n , savoir : 1° des c e n t i m e s a d d i t i o n n e l s à l'impôt a r a b e (à voir p l u s l o i n ) ; 2° de s o m m e s i m p o s é e s à l'État p r o p o r t i o n n e l l e m e n t à la superficie dont la p r o p r i é t é lui a été ou lui s e r a a t t r i b u é e à la s u i t e de c e s o p é r a t i o n s . e r

3 1 bis. N o u s v e n o n s de faire c o n n a î t r e la législation exist a n t e ; m a i s elle s e r a t o u t à la fois t r a n s f o r m é e et complétée s u r divers p o i n t s si la C h a m b r e d e s d é p u t é s a d m e t le projet r é c e m m e n t voté p a r le S é n a t ( S é a n c e d u 16 février 1894, J. off., d u 17 f é v r . ) . N o u s devons en i n d i q u e r l ' é c o n o m i e g é n é r a l e : D a n s son article 1 il a b r o g e les p r o c é d u r e s soit d'ensemb l e , soit p a r t i e l l e s , i n s t i t u é e s p a r les t i t r e s II et I I I de la loi d u 26 j u i l l e t 1 8 7 3 et p a r la loi d u 2 8 avril 1 8 8 7 . Il s ' a g i t des f o r m a l i t é s assez n o m b r e u s e s édictées par la d é l i m i t a t i o n , le p a r t a g e et la licitation de la p r o p r i é t é chez les i n d i g è n e s (V. suprà, n 25 et 2 6 ) . On p e u t voir d a n s la d i s c u s s i o n à q u e l s a b u s , à quelles l e n t e u r s et m ê m e à q u e l l e s s p o l i a t i o n s a d o n n é lieu l'application de ces p r o c é d u r e s , s u r t o u t a u cas de licitation (Séance d u S é n a t , p . 136 et s u i v . , J. officiel du 17 févr. 1894). Dés o r m a i s la p r o p r i é t é d a n s le T e l l , et d a n s les territoires qui s e r o n t d é t e r m i n é s p a r a r r ê t é s du g o u v e r n e u r s e r a i t soumise e r

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à un régime n o u v e a u . E n voici le point de d é p a r t : à la s u i t e d'une procédure nouvelle (art. 5 et suiv. du projet) des titres délivrés par l'administration des domaines a s s u r e r o n t erga omnes, la propriété e n t r e les m a i n s des bénéficiaires de ces titres ; — c ' e s t - à - d i r e q u e tous les droits réels non l é g a l e ment maintenus seront définitivement abolis ( a r t . 2). Toutefois, les i m m e u b l e s ainsi p u r g é s resteront s o u m i s à toutes les p r e s c r i p t i o n s de la loi française s a u f certaines exceptions p r é v u e s aux articles 1 5 , 16 et 17 (art. 3 ) . Quelles p e r s o n n e s p e u v e n t bénéficier de ce mode de c o n s tatation de la p r o p r i é t é ? — Ce s o n t , d'après l'article 4 du projet, sans distinction de nationalité ou d ' o r i g i n e , tous les propriétaires ou a c q u é r e u r s d ' i m m e u b l e s situés dans le p é r i mètre territorial d'application des dispositions nouvelles. Quelles formalités devront être r e m p l i e s ? — Elles sont d é terminées ainsi qu'il suit : 1° Une r e q u ê t e en délivrance de titres est adressée au p r é fet, en territoire c i v i l , ou au g é n é r a l c o m m a n d a n t la division eu territoire militaire (avec consignation de f r a i s , élection de domicile, indication de l ' i m m e u b l e par contenance et contins, consignation s u r un r e g i s t r e ad hoc, récépissé) (art. 5). 2° Dans les t r e n t e j o u r s de la r e q u ê t e , b o r n a g e et levé du plan par u n agent de l'administration a p r è s formalités d ' i n sertion et affichage d a n s le b u t d'inviter les t i e r s à p r o d u i r e leurs dires q u i seront recueillis p a r l'agent et insérés dans son procès-verbal (art. 6). 3° Pendant q u a r a n t e - c i n q j o u r s dépôt d u p r o c è s - v e r b a l à la mairie où toute p e r s o n n e p e u t venir y affirmer les droits réels auxquels elle prétend ( a r t . 7 ) . 4° Nouveau délai de dix j o u r s a p r è s lequel l'agent d r e s s e un procès-verbal définitif ensuite d u q u e l l ' i m m e u b l e , objet de de tous droits réels q u i n ' a u r o n t point été réclamés en t e m p s utile (art. 8 ) . t r a n s m i s s i o n du procès-verbal et des pièces au d i r e c t e u r


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des d o m a i n e s . Et a l o r s : en l'absence de réclamation, les titres de propriété sont délivrés a u r e q u é r a n t ; A u cas de réclamation p a r l'Etat : c o m m u n i c a t i o n en est d o n n é e au g o u v e r n e u r g é n é r a l . E n tous cas, les titres n e sont r e m i s q u ' a p r è s mainlevée de t o u t e s r é c l a m a t i o n s . Cette mainlevée étant o b t e n u e soit par voie de renonciation des r é c l a m a n t s , soit p a r voie judiciaire et avec d o m m a g e s - i n t é r ê t s contre eux (art. 9). 6° Si des r é c l a m a t i o n s , portant non s u r la p r o p r i é t é , mais s u r des c h a r g e s q u i la grèvent sont r e c o n n u e s fondées, le r e q u é r a n t p o u r r a n é a n m o i n s obtenir un titre, m a i s les charges r e c o n n u e s y seront inscrites (art. 10). 7° Toujours dans l'hypothèse des r é c l a m a t i o n s par des tiers, le r e q u é r a n t doit, d a n s les six mois a p r è s la transmission du procès-verbal au d i r e c t e u r du d o m a i n e , faire connaître à celuici les actes introductifs d ' i n s t a n c e p a r l e s q u e l s il poursuit la mainlevée des r é c l a m a t i o n s p r o d u i t e s ; — à défaut de quoi la r e q u ê t e est considérée c o m m e non a v e n u e (art. 11). Des divers territoires où la nouvelle loi serait applicable : a) Au lieu de c o n c e r n e r l'Algérie tout e n t i è r e les dispositions qui p r é c è d e n t ne seront a p p l i q u é e s q u ' à la région du Tell a l g é r i e n , d é l i m i t é e conformément à l'article 31 de la loi du 26 j u i l l e t 1 8 7 3 , et en dehors d u T e l l , aux territoires d é t e r m i n é s p a r les a r r ê t é s spéciaux du g o u v e r n e u r (art. 12). b) D a n s les territoires délimités par application du sénatusconsulte d u 22 avril 1 8 6 3 , le plan parcellaire dressé afin de r é g u l a r i s e r d ' a p r è s la jouissance effective la situation de l'occupation de la t e r r e , sera homologué p a r le g o u v e r n e u r gén é r a l , si u n e d e m a n d e d ' e n q u ê t e partielle a lieu. — Et à dater de cet a r r ê t é les occupants m a i n t e n u s en possession s e r o n t considérés c o m m e p r o p r i é t a i r e s à titre privé des terres dont ils a u r o n t été r e c o n n u s possesseurs (art. 1 3 ) . c) D a n s l e s territoires où les lois des 26 j u i l l e t 1873 et 28 avril 1887 ont reçu leur a p p l i c a t i o n , les d é t e n t e u r s de titres français non p u r g é s , a u r o n t u n délai de six mois pour se


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pourvoir aux fins de j o u i r des avantages de la nouvelle loi (art. 14), et à l'expiration de ce délai tous les droits non révélés seront p u r g é s ( a r t . 15). d) Dans les territoires d é t e r m i n é s p a r a r r ê t é du g o u v e r n e u r général, les transactions s u r i m m e u b l e s i n t e r v e n u e s entre indigènes p o u r r o n t avoir lieu p a r actes du ministère des cadis (art. 16). Enfin l'article 17 prévoit le cas où u n propriétaire indivis demandera le p a r t a g e d ' u n e t e r r e dont la moitié au moins appartient à des i n d i g è n e s . Si la terre n'est pas c o m m o d é m e n t partageable il n'y a u r a pas lieu de r e c o u r i r à la licitation. L'article 827 du Code civil dont l'application a donné lieu à de regrettables a b u s , cessera d é s o r m a i s d'être appliqué de plein droit. Les co-propriétaires p o u r r o n t ou accepter la licitation si elle ne leur paraît ni trop o n é r e u s e , ni contraire à leurs intérêts, ou désintéresser le d e m a n d e u r en partage en lui payant une s o m m e d ' a r g e n t r e p r é s e n t a n t la valeur de ses droits sur l'immeuble (Voir le texte de l ' a r t . 17 et la d i s c u s sion oflicielle du 17 févr. 1894, p . 140, 1 col., 1142, 2 col.). Et à défaut d'entente s u r la fixation de ce p r i x , le j u g e m e n t intervenant pour d é t e r m i n e r la somme à payer ne sera s u s ceptible d ' a u c u n r e c o u r s , ni d'opposition, ni d ' a p p e l . re

e

Ce projet de loi a donc un double but : 1° r e n d r e la constitution de la propriété individuelle chez les indigènes p l u s facile, moins c o û t e u s e , et faire disparaître les a b u s a u x q u e l s a donné lieu la licitation. 2° Vis-à-vis de tout propriétaire ou acquéreur, p e r m e t t r e la constitution de la propriété en la purgeant de tous droits réels au moyen de formalités p l u s simples que celles exigées par le Code civil ( V . sur le caractère et les c o n s é q u e n c e s du vote du S é n a t , u n e é t u d e de Ch. R o u x e l , conseiller d'État, Journ. des économistes, mai 1894). 3 2 . Toute cette législation, tant celle q u i n'a pas été a b r o gée que celle q u i est projetée, répond au besoin de colonisation Par la constitution de la propriété privée chez les i n d i g è n e s ,


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LIVRE X I . COLONIES D ' A F R I Q U E .

et par l'initiative privée des colons au moyen d'acquisitions de terrains a u x i n d i g è n e s . Quant à la colonisation officielle p a r l ' a d m i n i s t r a t i o n , elle n e s'en est pas désintéressée. Elle a persisté, a p r è s les lois de 1873 et 1887, ainsi q u e n o u s l'avons d i t , à faire en certains cas des concessions g r a t u i t e s , et elle d é s i g n e les lieux où doivent être élevées les h a b i t a t i o n s d e s concessionnaires, c'est la création administrative et obligatoire de villages officiels. On ne p e u t nier q u e ce ne soit u n e grave atteinte aux convenances des colons q u i préféreraient des m a i s o n s d'habitation et d'exploitation p l u s i n d é p e n d a n t e s , et placées au centre de leur d o m a i n e . On objecte des nécessités de défense et de stratégie. M. P. Leroy-Beaulieu estime qu'il faut laisser les villages s'élever d ' e u x - m ê m e s , s p o n t a n é m e n t , suivant l'expansion de la culture, la nécessité des m a r c h é s , s u r les c o u r s d'eau ou à l'entrecroisement des r o u t e s . L a constitution libre et toute naturelle des villages est a b s o l u m e n t préférable a u x choix officiels d'emplacement factice. M a i s , de p l u s , l'administration q u i crée ainsi des villages, des c e n t r e s , s'est a u s s i a r r o g é la faculté de les s u p p r i m e r . On ne p e u t i m a g i n e r u n e p l u s grave atteinte à la liberté d'aller, de venir, de s'établir, de bâtir, et de r e n d r e sa propriété stable et a p p r o p r i é e aux besoins et a u x convenances de celui qui possède. 33. D ' a u t r e p a r t , les faits ont m o n t r é u n e deuxième fois, a p r è s l'expérience de 1 8 4 8 , combien les concessions gratuites sont peu aptes à a s s u r e r la colonisation. L ' i n s u r r e c t i o n de 1871 r é p r i m é e , a e u , e n t r e a u t r e s c o n s é q u e n c e s , celle de fournir p a r la confiscation s u r les tribus soulevées u n territoire dom a n i a l c o n s i d é r a b l e . L e droit de la g u e r r e m i t ainsi entre les m a i n s de l'État 300 mille hectares o u t r e u n t r i b u t de 30 mill i o n s , dont p l u s de 25 millions v e r s é s en 1875 permirent d ' i n d e m n i s e r les colons q u i avaient s u b i des d o m m a g e s par le fait de l'insurrection.


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