L' Abolition de l'esclavage, tome 1

Page 120

338

ABOLITION DE L'ESCLAVAGE.

dire : après tout ce n'était pas en faveur des colons qu'on a proclamé la liberté ; ils avaient profité de l'esclavage, ils ont souffert de l'émancipation : c'est une expiation que la justice approuve. Il y a dans le monde deux ou trois millions de kilogrammes de sucre de moins, c'est un malheur, mais trois cent mille créatures humaines étaient asservies, elles sont libres ; quellequesoit la perte, le gain la surpasse, et c'est trop de pitié devant un progrès si magnifique. ' Ce raisonnement console le moraliste, mais il ne persuade pas les intéressés; or la question est dans la main des intéressés : à Cuba, à Richmond, à Porto-Rico, à la Nouvelle-Orléans, à Surinam, a Madrid, à la Haye, on ne se payerait pas d'un semblable argument; aux intérêts il faut tenir le langage des intérêts. Le moraliste lui-même aurait tort de se contenter d'un progrès moral. Ce qu'il importe de démontrer, c'est que ce qui est moralement mauvais n'est pas matériellement bon. Cependant le progrès moral passe évidemment en première ligne. Or, à ce point de vue, le succès de l'émancipation est complet. Le nombre des mariages, des reconnaissances, des légitimations, a été énorme. Au début, ces actes ont pu être une mode; les esclaves avaient hâte d'être appelés monsieur ou madame; les plus vieux surtout réhabilitaient d'anciennes habitudes; le concubinage est loin d'avoir disparu. Mais après tout le mouvement a duré ; l'homme libre a repris son rang dans l'estime de la femme, que, tout autrefois, le désir de la liberté, le besoin de protection, le goût de


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.