FORÇATS
ET
PROSCRITS
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sirènes, voici ce qui s'était passé à l'île du Diable. Les cinquante lépreux avaient brûlé leurs cabanes, effacé, tant bien que
mal, les
traces abjectes de leur séjour, fait place nette et s'étaient entassés, horrible troupeau, dans de vieilles embarcations
pour aller
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ailleurs achever d'agoniser ; eux partis, une escouade de forçats avait, en un tour de main, construit une maisonnette. Celle-ci était à peine achevée, que l'on vit une yole accoster l'île maudite, un h o m m e vêtu de noir, accompagné de trois militaires, descendre à terre, la yole s'éloigner aussitôt et 1. Ils ont été conduits à la léproserie d'Accourouany, sur le bord de la Mana, établissement fort mal installé et d'ailleurs tout à fait inutile, sinon comme trompe-l'œil. A quoi bon isoler deux ou trois douzaines de lépreux quand la Guyane en contient des milliers qui circulent librement? J'ai vu là quelque chose de hideux : c'était une femme n'ayant plus ni pieds ni mains et occupée à balayer ; elle marchait sur ses tibias et tenait son balai à la façon dont Guignol tient son bâton lorsqu'il s'apprête à rosser le gendarme. Je dois dire qu'elle paraissait toute fière de montrer son adresse. Vraiment l'amour-propre se niche parfois d'une façon bizarre !