Après le bagne !

Page 252

238

APRÈS LE BAGNE !

Tous paraissaient heureux et, pendant qu'il me parlait, il flattait doucement de la main une petite fille qui devait être de l'âge de celle que j'avais laissée au pays. M. Moutet ignora toujours ce qui se passa en moi à ce moment et le danger auquel il avait échappé. Il est des instants où l'homme le meilleur voit rouge, oublie les conséquences, les respon­ sabilités de l'acte qu'il va commettre et dont l'image hante soudain son cerveau avec une persistance d'idée fixe. Ah! comme alors se manifeste peu la crainte des codes, du bagne ou de la guillotine! C'est comme une atteinte de folie furieuse, un irrésistible besoin de frapper qui annihile la fa­ culté de raisonnement et aboutit à une chose atroce, absurde, dont le souvenir laisse des doutes quant à la réalité de la scène et semble l'impression pénible laissée par un cauchemar. M. Moutet représentait les lois, le gouverne­ ment, l'ordre social entier dont tant de malheu­ reux mouraient victimes dans les usines, les bagnes, les ateliers empuantés; cet ordre social auquel moi-même je devais ma misère, auquel je devais de rester seul, désespéré, dans une co-


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.