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APRÈS LE BAGNE !
En dépit de ce voisinage, on parlait assez peu de la polémique qui passionnait l'Europe. Les Cayennais semblaient, pour la plupart, convaincus de l'innocence du prisonnier; on trouvait, en tout cas, excessive la rigueur du régime auquel il était astreint. Il y avait à cette opinion une raison un peu intéressée : Les Cayennais aiment peu les militaires car chez eux, comme dans la plupart des autres co lonies, «nos braves petits marsouins » se livrent régulièrement à des abus dont le récit que j ' a i fait, d'une invasion nocturne dans mon domi cile, ne peut donner qu'une faible idée. J'ai vu des soldats d'infanterie et d'artillerie de marine qui, étant ivres, parcouraient les rues, baïonnettes au clair, frappant les passants à tort et à travers, entrant de force dans les maisons et se livrant à de véritables saturnales... Un jour, la nouvelle se répandit que Dreyfus quittait les Iles du Salut pour rentrer en France. Ce jour-là, des groupes se formèrent dans la ville pour discuter de « l'Affaire » et plusieurs tapouilles quittèrent le port, chargées de curieux désireux de voir passer au large le croiseur qui emportait le condamné.