COCO DE LA VILLETTE
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Je l'interpellai sur u n ton d'impatience. — Pourquoi m e bouscules-tu ainsi? Il s'était retourné lui aussi. Sa face était extraordinairement pâle, ses traits creusés comme par de longues souffrances, et il dit d'une voix s o u r d e , presque m e n a çante : — J'ai la crève ! Je savais ce que c'était que d'avoir faim et quels élans de haine farouche peuvent naître de l'absolu dénuement. Mon irritation tomba pour faire place à la pitié et je lui dis simplement : — Viens avec moi et je te donnerai à m a n g e r . Il hésita, un peu étonné, puis il me suivit en balbutiant un remerciement... Nous nous éloignâmes du bal où les couples tournaient toujours et se grisaient d'alcool aux sons de la valse, de la valse que chantait au trefois la petite faubourienne de sa voix traînante et pourtant jolie. Je fis entrer l'homme dans ma maison et plaçai sur la table quelques provisions : du pain, de la viande de conserve, des fruits. 11 mangeait avidement, sans un mot, en m a s tiquant avec bruit, comme u n chien vorace