Après le bagne !

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MARCHANDES

D'AMOUR

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à bon m a r c h é qu'elle secouait à c h a c u n de ses gestes. Elle avait versé du tafia dans de g r a n d s verres et, tout en babillant, elle bourrait u n e grosse pipe qu'elle alluma avec l'aisance d'un vieux matelot. Je voulus l'attirer vers moi, mais elle s'évada avec une souplesse de tigre, tout effarée, comme si j'eusse commis quelque sacrilège. Avant que j ' e u s s e eu le temps de la r a t t r a p e r , d'un bond elle s'était élancée sur les nattes ser­ vant de lit et, pieusement, doucement, je la vis tirer devant la statuette de la Vierge u n petit rideau. « Mo mounde que tien !... mo baptisée foute! » Ce rideau semblait symboliser la ligne de d é ­ marcation très nette que la petite négresse pros­ tituée établissait de par les nécessités de l'exis­ tence, entre la vie profane et la vie m y s t i q u e . D'un côté, la pureté d'âme, la prière, la chas­ teté, la volonté d'ascétisme; de l'autre, le r u t , les caresses, le tafia et... la p i p e ! La petite négresse s'était affaissée sur les nattes et, le visage dans les mains, elle priait avec ferveur. J'entendais le m a r m o n n e m e n t de ses lèvres laissant fuir, en créole, les phrases


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