A
LA
G U Y A N E
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F R U C T I D O R ) .
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Rovère formait des projets d'établissement et attendait sa femme (1). Mais Bourdon, Dossonville et Ramel pensaient comme nous que le terme de nos souffrances ne serait jamais assez prompt. Quant à MM. Barthélemy et Letellier, leurs intentions nous étaient connues; nous savions qu'ils ne résisteraient pas à une occasion de fuir. Mais leur absence ne leur permettait pas de profiter de celle-ci : toute autre ressource leur serait ôtée, si nous exécutions notre dessein; le sort de nos compagnons décidés à rester pouvait empirer; peut-être changeraient-ils d'opinion dans quelque temps; Bourdon n'était pas en état de partir ; enfin nous apprîmes que la goélette appartenait à l'un des colons qui nous avaient témoigné le plus d'intérêt, et qu'elle formait presque toute sa fortune : non seulement nous le ruinions en nous en (1) M m e R o v è r e s'était rendue à Rochefort dans l'intention de s'embarquer avec son m a r i ; mais la corvette venait de partir : elle revint à Paris implorer la pitié des tyrans pour connaître le lieu de la déportation de leurs victimes ; les tyrans furent insensibles à ses larmes. Enfin une lettre de son mari lui apprit que c'était à C a y e n n e qu'il respirait. Les déserts de S i n a m a r y s'embellissent pour elle : c'est là qu'elle veut aller associer sa destinée à celle d'un é p o u x que son malheur lui rend encore plus cher. Rien ne peut la retenir. S o n courage électrise tout ce qui l'entoure. Ses f e m m e s , la nourrice de sonfils,son vieux domestique, personne ne veut se séparer d'elle : elle cède à leurs instances, et tous s'embarquent pour la G u y a n e . L e vaisseau qui les transporte est pris par les Anglais; m a i s les Anglais respectent l'infortune. L e motif de son v o y a g e est connu, et loin de la traiter en e n n e m i e , on lui offre u n m o y e n sûr d'arriver à sa destination. M m e
R o v è r e s'embarque
donc de n o u v e a u et de
manière à n'avoir plus de dangers à courir. R o v è r e v a revoir à S i n a m a r y sa f e m m e , sa meilleure a m i e ; il va presser ses enfants contre son sein, et bientôt tous ses malheurs dis paraîtront. Mais R o v è r e a u n grand crime à expier. L e pardon qu'il invoque
dans
son
cœur
ne
suffit pas pour désarmer
la justice
divine : elle s'appesantit sur lui : la m a i n de Dieu le frappe; il cesse d'exister au m o m e n t
même
o ù sa f e m m e v a aborder le rivage de
C a y e n n e . L'infortunée ne trouve q u e le désespoir o ù elle cherchait le bonheur.