Journal d'un député non jugé, ou déportation en violation des lois : Tome I

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C H A P I T R E V.

Au souvenir des pianos harmonieux et des harpes aux accords célestes, je revins sur les songes brillans de m a jeunesse, et, plein d'une émotion dont la douceur laissait peu de place aux regrets, je joignis dans ce désert m e s chants à ceux q u e j'entendais. Les sauvages galibis n'ont que quatre tons, et ils n'en ont pas varié l'emploi. J'ai entendu leurs flûtes à Sinnamari, à Iracoubo et à Cayenne. U n e seule phrase , qui dure quelques secondes, c o m p o s e toute leur musique. Elle m ' a rappelé u n e anecdote

de m o n enfance. J'apprenais à

jouer d u violon; et, depuis deux

mois, m o n

maître m e faisait répéter la g a m m e sans pitié pour m a famille et nos voisins. U n jour, une de m e s tantes l'en gronda avec a m e r t u m e .

Mon

maître, piqué, lui dit : « 11 faut pourtant bien » que votre neveu sache les sept notes. » A ces m o t s , m a tante, encore plus courroucée , lui répondit : « Les sept notes, M . Régnier! a h j'espère » bien

qu'on ne fera pas de m o n neveu

un

» musicien de profession. Juste ciel ! sept notes ! » c'est bien assez qu'il en sache quatre o u cinq. » C o m b i e n il y a de choses qu'il faut ignorer plutôt que de ne les savoir qu'à moitié. Tandis que, par diverses occupations sérieuses o u frivoles, je cherchais à remplir les intervalles que m e laissait la fièvre, il survint dans l'admi-


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