Une erreur judiciaire : L'affaire Dreyfus

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UNE

ERREUR

JUDICIAIRE

Ce trouble n'exista jamais que dans l'imagination de M. Du Paty de Clam, car la lettre écrite par le capitaine Dreyfus sous la dictée du commandant est écrite d'une main ferme, sans l'ombre d'une hésitation ni d'un tremblement. Il a été dit que, dans son émotion profonde, le capitaine Dreyfus avait écrasé sa plume, éclaboussant d'encre la feuille. Le papier n'en porte pas de traces, et dans ces quelques lignes si claires, le dernier mot est écrit aussi nettement, d'un élan aussi droit que le premier. Cependant, on n'a pas craint de dire que cette agitation insolite manifestée par le capitaine Dreyfus avait décidé de son arrestation. Il suffit, pour répondre à une assertion pareille, de rappeler que la scène dont je viens de parler eut lieu le 15 octobre, tandis que le mandat d'arrêt est daté du 14 octobre, alors que l'accusation n'avait pas d'autre élément que l'affirmation d'un expert en écritures. Quel est le magistrat qui eût fait jeter en prison quelqu'un sur un tel témoignage, et quelle conception faut-il avoir de la justice pour inculper celui contre lequel se lève un seul homme, de compétence douteuse et de qualité telle qu'il eût dû être récusé? On m'a reproché de ne point assez vénérer l'armée, et je suis obligé de supposer que ceux qui m'ont adressé ce reproche ont pour tout militaire un respect profond. Est-ce en vertu de ce respect qu'ils acceptent si facilement qu'on ait pu saisir un officier et le livrer à l'opprobre de "tous sur la foi d'un policier? Arrêté, le capitaine Dreyfus fut conduit à la prison militaire du Cherche-Midi. Dès qu'il fut écroué, on perquisitionna a son domicile. La perquisition ne donna aucun résultat. Tout fut examiné, cependant, la correspondance du capitaine, ses livres de dépenses ménagères. On ne trouva rien. Le capitaine n'était à ce moment qu'un prévenu. Le commandant Du Paty de Clam était, par délégation du Ministère de la guerre, commis officier de police judiciaire et chargé de l'instruction. Pendant dix-sept jours le capitaine Dreyfus fut mis au secret et il fut défendu à sa femme d'informer de son arrestation ses parents même les plus proches. Pendant dix-sept jours, il ignora l'accusation qui pesait sur lui, ce qui entre dans les procédés coutumiers de l'instruction. Que fut-elle en la circonstance? Elle consista uniquement à interroger, sur les points les plus divers, le capitaine Dreyfus et sa


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