Une erreur judiciaire : L'affaire Dreyfus

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UNE

ERREUR

JUDICIAIRE

politicien que doit retomber le poids de l'iniquité commise, car il tira profit de l'exaltation patriotique ; il essaya, en la nattant, de restaurer son autorité compromise et sa popularité entamée. Quand tout à l'heure j'exposerai les faits, on verra sur quelles faibles présomptions, sur quels témoignages contradictoires cet homme, agissant comme un magistrat suprême, ordonna l'arrestation du capitaine Dreyfus. Il n'eût fait que cela qu'il serait coupable seulement d'une légèreté impardonnable, mais il fit plus et, par crainte, il devint l'auxiliaire et le complice de ceux qui, avec son aide, ont conduit au bagne un innocent . Pour comprendre cette incroyable conduite, il faut se remémorer la situation politique du général Mercier avant l'affaire Dreyfus. Quelle était-elle"? L'affaire Turpin (1) l'avait déconsidéré dans les milieux chauvins ; pour tous ceux qui m'ont accusé de manquer de respect à l'armée parce que je ne voulais pas reconnaître l'infaillibilité d'un conseil de guerre, il était un général médiocre, peu soucieux des intérêts de la défense nationale, prêt à la compromettre pour les plus basses des raisons. Aux yeux dos journaux d'opposition il était « l'homme au flair d'artilleur », chaque jour en butte aux violentes attaques de la Patrie et de la Libre Parole, de la Presse et de l' Intransigeant. Sa position dans le cabinet Dupuy était compromise. L'affaire Dreyfus fut pour lui le moyen de se relever. Vit-il tout d'abord le parti qu'il en pourrait tirer? Je ne le crois pas, et c'est moins de machiavélisme que de lâcheté morale qu'il faut l'accuser; il ne sut pas résister aux sommations et aux mises en demeure de la presse antisémite, il en subit les injonctions et acheta son repos par les concessions qu'il consentit a lui faire, alors qu'il s'agissait de l'honneur et de la vie d'un homme. Au début du procès, on l'accusa de vouloir, pour complaire « à la juiverie internationale », étouffer le procès, et ce ne fut que lorsque, sortant de son rôle, il consentit à peser du poids de son autorité sur ceux dont il était le supérieur hiérarchique et qui étaient prêts à devenir des juges, qu'on désarma et qu'il fut couvert de louanges par ceux-là même qui l'avaient insulté. Il (1) C'est de la deuxième affaire Turpin que je veux parler. L'affaire de la melinite s'était déroulée sous le ministère de M. de Freycinet.


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