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UNE
ERREUR
JUDICIAIRE
velles et de renseignements le reportage aux abois inventait les histoires les plus extravagantes et les moins vraisemblables, excitant te chauvinisme, affolant les esprits simples. « Nous recevons des monceaux de lettres, disait la Libre Parole, l'indignation des premiers jours n'a pas diminué » et elle insérait la missive d'un militaire qui ne pouvait qu'augmenter cette indignation factice et la porter à son extrême limite
: « Il s'est
glissé dans notre état-major général, disait cet officier en parlant du capitaine Dreyfus, il a rampé jusque clans les bureaux du Ministère de
la guerre pour surprendre les secrets de la
défense, les voler, copier et expédier à l'ennemi qui n'attendait peut-être {et il ne l'ignorait pas, qui sait???) que ses derniers renseignements pour mettre le pried sur notre sol. » Ces hommes qui ne connaissaient pas l'accusation ne pouvaient supporter même l'idée que cet inculpé fût innocent. M. Millevoye disait : « Si on l'acquitte étant criminel, le peuple saura faire justice. » S'il
demandait le lynchage, d'autres plus modestes
exigaient impérieusement la mort de celui dont le crime était encore ignoré de tous. Jamais pareil acharnement, pareilles fureurs ne se manifestèrent. La presse et le public donnent à celui qui maintenant remonte dans le passé l'impression d'une foule sauvage dansant une danse de scalp autour du poteau où est attaché un homme. On perdait à ce point la notion, non seulement de l'équité, mais du simple bon sens, qu'on attribuait à un capitaine d'état-major la connaissance de tous les secrets de la défense du pays ; il semblait qu'il eût tenu dans sa main et livré la sécurité de la nation, la vie de tous, et que sa mort seule pût délivrer chacun d'un hallucinant et terrible cauchemar. On reste confondu devant une aberration pareille, qui n'a pas d'exemple, qu'on n'a jamais vu se produire, à l'annonce d'aucun crime, d'aucune trahison, si formidables fussent-ils. Et ces affolés craignaient que leur victime n'échappât. Ils voyaient des dessous dans l'instruction, ils sentaient des pièges, des influences. On veut sauver le traître parce qu'il est juif, répétait-on, et on ignorait encore s'il était un traître. La Patrie du 8 novembre publiait l'incroyable note suivante : «Nous avons reçu hier dans nos bureaux une délégation d'officiers en retraite, décorés de la Légion d'hon-