Une erreur judiciaire : L'affaire Dreyfus

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UNE

ERREUR

JUDICIAIRE

perd beaucoup de sa valeur a priori, tandis que l'hypothèse d'un faussaire se dessine de plus en plus. Cette hypothèse d'un faussaire, M. Bertillon l'a entrevue puisqu'il la mentionne, et cette mention est un témoignage de la valeur de l'expert, puisqu'elle s'est imposée à lui, même après une vérification et une comparaison tout a fait élémentaires. Il l'a entrevue; elle est, somme toute, plausible et rationnelle si l'on tient compte, d'une part, des nombreuses différenciations existant entre les deux écritures, et, d'autre part, de tous les motifs de suspicion qui ressortent du contexte du document incriminé, et qui ont fort probablement suggéré à M. Bertillon l'idée de décalque, et cependant il écarte cette hypothèse sans donner aucune raison de ce rejet, et avec une désinvolture que justifie seule la rapidité de son travail. Ce mot décalque demanderait d'ailleurs à être expliqué et commenté par diverses observations pour l'exposé desquelles M. Bertillon n'a fourni aucun renseignement : I. — Si ce mot n'a pas été employé au sens propre il ne signifie rien, et s'il est employé comme terme technique il y a cent procédés de décalquer une écriture, parmi lesquels il serait utile de connaître celui adopté par l'écrivain pour la fabrication de son autographe. II. — Il est inadmissible, d'autre part, que le bordereau ait été un simple fac-simile, ce qui aurait au surplus été très facile à reconnaître, et non pas une écriture originale; il s'ensuit que le décalque, par quelque procédé qu'il ait été effectué, était une simple opération préliminaire à la confection du document par la main humaine, et que cette écriture naturelle, non pas seulement reproductive, aurait été copiée et imitée en prenant pour modèle un fac-simile de la propre écriture de l'écrivain préalablement falsifiée. III. — On arrive ainsi, de déductions en déductions, a un singulier galimatias, et il est permis de se demander à quoi bon toutes ces complications et manipulations d'une écriture, mais ce n'est pas tout; l'écrivain aurait introduit dans son écriture certaines modifications, et il est permis de se demander à nouveau a quel moment de ces opérations successives et multiples cette falsification aurait été effectuée. L'expression employée par M. Bertillon semble suggérer l'idée que le décalque et la falsification auraient été simultanés, mais il est inutile de montrer que la contemporanéité des deux opérations est impossible, et alors mieux vaudrait admettre, ce serait du moins


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