Une erreur judiciaire : L'affaire Dreyfus

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L'AFFAIRE DRΕYFUS

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« remettre » tout entiers (lignes 21 et 22). Ce sont surtout les « u » et les lettres naturellement courbes à leur base qui sont l'occasion de grossissements, parce que la facilité de leur tracé favorise leur ampleur. En même temps qu'à sa grandeur ordinaire, l'écriture retourne à son arrondissement normal. Tout calme a disparu, l'agitation s'accroît. Aux dernières lignes, c'est la débandade. Le faussaire s'arrête à la ligne 29, sans aucune envie d'en dire davantage. Une troisième fois, il reprend la plume. Les mots « Je vais » ressemblent tout à fait aux premières lignes du bordereau et aucun mot ne ressemble davantage à l'écriture de Dreyfus. Mais le mot « manoeuvres » est énorme. IV. C'est peut-être aussi dans le faux que gît l'explication de quelques formations du bordereau. Les traits massués peuvent n'être que le produit d'une accumulation de force dans la main qui se contient. L'aplatissement de certains tracés peut de même avoir pour cause la contrainte que la main s'impose et qui, l'empêchant de se laisser aller, réduit les grands mouvements de la plume. Qu'on voie surtout les « d » des mots « dont, document, dans » et « doit », lignes 5, 15, 19 et 21. Il se peut aussi que les « m » et les « η » ordinaires de l'écrivain soient souvent arrondis a leur base. Mais, au total, les modifications qu'a subies l'écriture naturelle de l'anonyme à la fin du bordereau ont si peu d'importance réelle qu'en présence d'un des autographes sincères de l'écrivain, on le reconnaîtrait sans peine au premier coup d'œil. V. Une autre supposition que l'imitation de l'écriture de Dreyfus semble possible : que l'anonyme a simplement cherché à dissimuler sa propre écriture, sans imiter celle d'autrui. N'avons-nous pas vu que le changement de la grosseur des lettres est un moyen instinctif de dissimulation ? C'est très invraisemblable ici. Hasard trop curieux, vraiment, qu'en voulant uniquement dissimuler son écriture, on se trouve imiter celle d'autrui, et celle précisément d'un collègue, puisque l'anonyme serait un traître et, d'après le contenu du bordereau, un officier. Puis, le changement de grosseur n'est pas le seul que le faussaire ait fait subir à son écriture; il a resserré ses jambages, augmenté l'angulosité de ses lettres, et c'est la modification qu'on fait le moins instinctivement subir à son écriture, surtout quand on en diminue déjà l'amplitude, ce qui rend l'angulosité plus difficile, en même temps que la lenteur. Le rapetissement lui-même n'est pas toujours ce qu'il y a de plus facile et, par conséquent, d'instinctif : quand l'écriture est de taille moyenne, il est infiniment plus aisé de


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