Une erreur judiciaire : L'affaire Dreyfus

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ERREUR JUDICIAIRE

détail de ses formes, ce qui ne peut donner qu'une imitation grossière. L'histoire du bordereau est alors facile à faire. Dans une première séance, le faussaire écrit posément, avec application, et il ne réussit pas trop mal. Quelques grosses lettres lui échappent, en particulier l' « an » de « Sans » (ligne 1), Γ « i » d'« intéressants », très choquant (ligne 3), les « u » d'« une » et les deux premières lettres de « note » (ligne 4), mais ces élans sont aussitôt réprimés. Bientôt, pourtant, instinctivement, n'ayant pas coutume d'écrire avec lenteur, il accélère son allure. Mais il parvient à se contenir et, à part l'angle vif inattendu de la finale du mot « manuel », produit par une contraction nerveuse, et le mot « de » suivant, qui ressemble, par sa rondeur et son aplatissement, au « ne » de la ligne 26, il arrive au terme sans encombre. Les derniers mots : « 14 mars 1894,» sont très lents. On se rappelle que la chute et les irrégularités des mots « artillerie, relative, manuel, campagne » aux lignes 11 à 14, viennent de la déchirure du bordereau et que si, dans la pièce originale, il y a là quelque chose d'anormal, il est impossible d'en juger dans nos fac-simile. Dans une seconde séance, le faussaire continue. Son début est malheureux : les treize premières lettres sont beaucoup trop grosses, (ligne 15). Est-ce qu'il maîtrise moins facilement sa main que précédemment? est-ce qu'il s'oublie un instant? Quoi qu'il en soit, dès Γ « m » de « document », l'amplitude du tracé diminue. L'écrivain est aidé dans ce rapetissement par les « m » et les « η », qui s'accumulent à cette fin de ligne ; il les arrondit à la partie supérieure, forme incommode, propice à la réduction du tracé. Mais, décidément, il est moins bien disposé, il n'a pas le calme de son premier essai : dès la troisième ligne, aux mots « disposition » et « très » (ligne 17), sa main se hâte malgré lui. Dans l'effort qu'il fait pour la contenir, l'énergie nerveuse s'accumule et elle éclate soudain dans le grossissement et la massue finale du mot « peu ». Il s'arrête un instant. A la ligne 18, les deux premiers mots sont calmes et lents ; l'incommode liaison de l' « r » et de 1' « s », qui s'était déjà présentée au mot « mars » (ligne 14), serait modifiée dans la rapidité. Mais le même entraînement se produit : après la contention des mots « ministère de la », plus petits, le gros mot « guerre » jaillit. A la ligne 19, la volonté recommence à lutter, mais les nerfs sont les plus forts : la main, prise de contractions, griffonne les mots « dans » et « responsables ». Ecrire lentement, posément, devient impossible, la rapidité augmente, les grosses lettres se multiplient : l' « u » de « un » et l' «n » de nombre (ligne 19), la finale de « détenteur » et le « d » de « doit », les mots « manœuvres » et


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