Jésuites

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JÉSUITES

leurs ossements. A ces victimes du devoir et du zèle apostolique, d'autres allaient s'ajouter. La Forte avait jeté l'ancre aux îles du Salut, le 19 mai 1852. Un an s'était écoulé à peine, quand le premier cercueil se ferma sur un missionnaire. Le P. Herviant mourut, à quarante-trois ans, à l'île Saint-Joseph, où il était aumônier des condamnés politiques (1853). Quatre mois après, le P. Morez le suivit dans la tombe. Il avait accompagné les forçats que l'on avait envoyés à la Montagne-d'Argent, presqu'île insalubre rattachée à la terre ferme par un marais pestilentiel : un condamné nègre qu'on lui avait donné pour domestique l'assista seul à ses derniers moments et tendit son crucifix vers ses lèvres mourantes. En avril 1854, ce fut le tour du P. Louis Bigot, arrivé de France cinq mois auparavant seulement, à l'âge de quarante-six ans. On lui avait confié un poste d'honneur : le pénitencier de SaintGeorges, sur l'Oyapock. Cette station était si redoutable que les travaux de premier assainissement y avaient été commencés par des forçats nègres : quatre-vingts transportes d'Europe leur ayant été adjoints, quarante furent emportés par la fièvre en cinq mois. C'est à ce foyer de contagion qu'on envoya le P. Bigot dès qu'il arriva en Guyane. Il était aussi parti avec bonheur. Lorsqu'il parut à l'hôpital, ce lut un cri de joie universel : sur toutes ces lèvres décolorées par la fièvre un sourire parut. — « Enfin, on n'allait plus mourir comme des chiens — Vous ne partirez plus, n'est-ce pas, mon Père ? — Voilà quelqu'un qui nous aime ! — Vous ne nous quitterez pas ? jamais ? » — Non, jamais, en effet, car il devait dormir l'éternel sommeil sur cette terre meurtrière...


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