De Paris à Cayenne : Journal d'un transporté

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DE PARIS A CAYENNE

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de le savoir, mais ce que je crois pouvoir affirmer, c'est qu'il n'aura pas faibli. Je n'ai rien vu de plus pénible que la position morale de la plupart de mes codétenus de Marseille. Toujours aux aguets, épiant les moindres gestes, commentant les paroles les plus indifférentes du geôlier et de ses aides, fatiguant leurs visiteurs de questions inutiles, ils vivaient dans une surexcitation qui n'était rien moins qu'enviable; et pendant qu'ils cherchaient à se tromper, escomptant les démarches de leurs parents, de leurs amis, je sentais que l'accomplissement du devoir dans toute sa simplicité leur eût été beaucoup plus facile. Sans doute, de tristes pensées traversaient mon esprit quand je songeais à l'espoir trompé de ma famille ; mais j'avais trop de confiance dans le dévouement de ceux qui m'étaient chers pour supposer qu'ils ne s'associeraient pas à mon sacrifice. S'il y a dans cette vie triste quelque chose qui soit au-dessus des combinaisons de l'intérêt ou des exagérations égoïstes de la passion qui n'ait rien à craindre des coups de la fortune, c'est sans contredit l'amour de la famille, cette chaîne mystérieuse qui descend et remonte du père et de la mère aux enfants et les fait vivre d'une même vie. Pourquoi faut-il que ce sentiment n'apparaisse dans toute sa pureté et dans toute sa force qu'au milieu des épreuves et des souffrances ? Dans


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