De Paris à Cayenne : Journal d'un transporté

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DE PARIS A CAYENNE

rir, ils s'étaient presque tous mis en dehors de la communion républicaine, et dès lors il était bien difficile que nos rapports fussent empreints de cette cordialité sans réserve, qui ne peut résulter que de l'identité des sentiments et de la conduite. Je dois faire une exception toutefois pour un ancien détenu de Belle-Ile, dont je n'ai jamais su le nom de famille et que nous appelions Petit-Pierre. Gomme l'indiquait son surnom, sa taille n'était pas fort élevée, mais il était d'une force et d'une agilité peu communes. Enfant de Marseille, il avait cette vivacité d'intelligence qui supplée à l'absence d'éducation ; mais de plus il avait le sens droit, le cœur bien placé, et j'ai rarement vu de nature meilleure et plus généreuse. C'était le dévouement incarné, et sa foi naïve avait une vigueur et des élans qui faisaient mon admiration. Petit-Pierre avait quitté Belle-Ile en 1857, après avoir bravement subi jusqu'au bout la condamnation qui l'y avait amené, et, naturellement, ses antécédents et son caractère étaient trop connus pour qu'il pût trouver grâce devant les mesures exceptionnelles de janvier 1858. Ecroué dans la prison de Marseille, il était tombé malade la veille de mon entrée. Lorsque je partis il était au plus mal et avait quitté la prison pour l'hôpital. Est-il mort ou a-t-il pris le chemin de Lambessa ? Entraîné moi-même bien loin de la patrie, il ne m'a pas été permis


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