De Paris à Cayenne : Journal d'un transporté

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DE PARIS A CAYENNE

atteinte à la liberté, si chère aux Corses, n'aurait eu pour effet que de substituer l'assassinat aux pratiques relativement loyales de la vendetta, d'abaisser les cœurs, si l'invasion toute pacifique des vérités morales n'avait pas ébranlé les préjugés héréditaires qui faisaient de chaque insulaire le médecin de son honneur personnel. Quoi qu'il en soit, toute la population, en s'initiant successivement aux règles de la vie sociale, se refuse toujours à regarder comme des coupables les bandits, c'est-à-dire ceux qui, pour fait de vendetta, ont dû s'enfuir à l'étranger ; elle éprouve une sympathie plus vive encore pour les condamnés qui expient dans les bagnes le tort d'avoir obéi à la commune erreur. Plus de vendetta ! s'écrient tous les Corses que j'ai rencontrés, mais qu'on nous rende nos condamnés ! Et, en bonne conscience, je suis sûr que le meilleur moyen d'enterrer définitivement la vendetta serait d'obtempérer à ce vœu général. Le jour où le gouvernement de la France effacerait par une amnistie générale ces condamnations qui, naguère encore, manquaient de moralité et de justice aux yeux de la Corse, il obtiendrait en retour le sacrifice des haines et l'abandon des vengeances. On ne saurait trop le redire, quoique la vendetta soit un fait antisocial, puisqu'elle accuse une méfiance invincible contre la justice col-


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