De Paris à Cayenne : Journal d'un transporté

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famille, une sécurité que démentait ma raison. Il est passé en principe, auprès d'un certain monde, le monde des puissants, qu'un démocrate est nécessairement l'ennemi de la famille ; que son cœur, fermé à tous les sentiments, comme à tous les devoirs, ne s'ouvre qu'aux inspirations du mal ; mauvais fils , mauvais époux, mauvais frère, père sans entrailles, le républicain est un monstre, sans respect pour les cheveux blancs de son père, sans amour pour la mère qui l'a nourri de son amour, toujours dévoré par la haine, la jalousie et les plus ignobles passions. La tribune, la presse et la chaire ont tant de fois retenti de ces calomnies que je n'essayerai pas d'en démontrer l'odieux, ni de les retourner contre leurs auteurs, comme cela me serait si facile. Je me contenterai de demander à mes lecteurs de s'abstraire, ne fût-ce que pour un moment, des préjugés dont on a nourri leur coupable crédulité, et de penser qu'un républicain peut, sans hypocrisie, sentir toutes les joies et toutes les douleurs qui prennent naissance dans les plus nobles émotions du cœur. En quittant Paris pour les prisons lointaines, j'avais laissé derrière moi la moitié de ma vie. Mon vieux père, tombé au jour fatal de la Trébia, sous la mitraille austro-russe, criblé de blessures et accablé d'infirmités, n'avait plus d'autre vœu que de revoir, avant de mou4,


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